« Lâchera-t-elle ou ne lâchera-t-elle pas ? » Victoire Ingabire Umuhoza n’abandonne pas. Contre vents et marées, contre conspirateurs, accusateurs et moqueurs, contre kidnappeurs et tueurs de ses partisans, Mme Ingabire signe et persiste, elle n’abandonnera pas son poste d’opposante au régime du FPR actuellement en place au Rwanda. Depuis sa libération, le 15 septembre 2018, à la lumière des épreuves auxquelles elle a été soumise en raison de sa persistance à faire de la politique active, beaucoup étaient pourtant persuadés qu’elle céderait du terrain. Elle le dit, c’est la « guerre d’usure » déclarée à son égard qui la pousse à s’acharner. Cette guerre, elle est en train de la gagner petit à petit et renforce sa stature d’opposante la plus redoutable au pouvoir, en affichant l’assurance d’une future présidente de la République rwandaise.
Ingabire est une figure résiliente et aguerrie de la politique rwandaise. Elle est la seule qui a eu le courage de quitter son confort occidental pour se jeter dans « la gueule du loup » en allant affronter le FPR sur son propre terrain, au Rwanda, malgré le poste prestigieux qu’elle occupait aux Pays-Bas. Le FPR a pourtant trahi sa crainte de la menace grandissante qu’elle représentait, en bloquant l’inscription d’Ingabire lors des élections présidentielles de 2010. Le général Kagame et ses partisans se méfient de cette femme charismatique, et ils ont raison de la craindre car elle défie tous les adages. À celui qui a dit, en s’adressant à Ingabire, « mentez, mentez, il en restera toujours quelque chose », on entend plutôt les sages intonations d’un « mentez, mentez et la vérité sortira ». Ainsi, quand on prend acte de l’artillerie lourde déployée par les acolytes du pouvoir pour l’abattre, on devient curieux. Qui est-elle au juste? Et pourquoi fait-elle si peur au pouvoir?
Il était une fois une femme de fer
Ceux par qui le scandale arrive ne prennent pas de gants. Sous l’œil bienveillant du pouvoir qui téléguide tout à distance, le déversement de haine que doit subir Ingabire est impressionnant. Les élites du Rwanda, grandes comme petites, frappent fort depuis sa sortie de prison du 15 septembre 2018 en faisant étalage d’accusations les plus abjectes, mais rien n’y fait. La femme de fer ne fléchit pas. Une à une, elle a décousu les accusations portées contre elle, preuves à l’appui. Enfant de génocidaire? Quel mensonge éhonté! Son père a été emprisonné par le régime Habyarimana en 1990, accusé d’être un partisan du FPR. En 1996, sous le régime de ce dernier, il est nommé bourgmestre (maire) de la commune Kibilira. Plus tard, on l’emprisonnera pour l’écarter du siège de député qu’il convoitait. Nulle part dans son dossier, il n’a été accusé de quoi que ce soit et surtout pas d’avoir participé au génocide contre les Tutsis. Quatre années de détention pour avoir voulu obtenir un siège de député ! Et c’est là le supposé crime évoqué par les ennemis d’Ingabire qui défendent la thèse selon laquelle son père aurait été emprisonné pour génocide ! C’est à se demander la définition du génocide par le FPR.
Et sa mère, Thérèse Dusabe ! Que n’avons-nous pas déjà entendu à son sujet ? Les plus créatifs dans la calomnie la plus abjecte l’ont déjà accusée d’avoir fracassé des bébés tutsis contre les murs de son dispensaire de Butamwa. On lance de pareilles accusations (d’une telle violence qu’on ne s’y habitue jamais) dans le seul but de frapper l’imaginaire des rescapés du génocide contre les Tutsis, afin de les rallier à la cause du mouvement cherchant à diaboliser, et par là même, discréditer, Mme Ingabire. Mais la forteresse érigée entre Ingabire et la population rwandaise (y compris les rescapés du génocide) commence à s’effriter et à présenter des failles. Les accusations de génocide, de négationnisme et de minimisation du génocide contre les Tutsis n’attirent plus que les sbires du pouvoir, en témoigne la récente nomination de Jean Mahoro, qui a survécu au génocide à l’âge de 3 ans, au poste de porte-parole de Dalfa Umurinzi. Le reste de la population connaît trop bien ce disque pour l’avoir maintes fois entendu (la créativité faisant ici largement défaut, il faut le reconnaître), une utilisation du génocide contre les Tutsis pour discréditer et écarter les adversaires.
Le régime actuel du Rwanda et ses troubadours peuvent bien inventer ce qu’ils veulent sur Mme Ingabire, son étoile ne va jamais pâlir. Bien au contraire, chaque injure ou attaque proférée à son encontre devrait lui attirer un capital de sympathie accru de la part de la population. Plus on la vilipende, plus elle est digne et reste à la hauteur et ce, même si elle est affligée de cette déculturation qui traverse actuellement la société rwandaise. Son leadership a été prouvé maintes fois. Au plus fort de la crise du COVID-19, alors même que la population criait famine suite aux restrictions sévères exigeant de « rester à la maison », Mme Ingabire semblait être la seule figure publique à se soucier des plus vulnérables en l’absence, remarquée, du général Kagame. Alors que son parti n’est pourtant pas encore officiellement enregistré, elle s’est distinguée en prenant véritablement les choses en main pendant la crise. On pourrait même avancer que dans son rôle affirmé d’opposante au régime en place et par ses actions tangibles, elle est parvenue à faire ombre au gouvernement qui ne manque pourtant pas de moyens, que ce soit l’argent récolté par le Fonds Agaciro ou les millions de dollars déversés par le FMI pour combattre le Covid-19.
Une dame à l’allure présidentielle
Le pouvoir en place ne sait plus comment la faire taire. A titre d’exemple, elle n’a pas mordu à l’hameçon lorsque le 17 mai 2020, la radio en ligne my250TV appelait publiquement à son assassinat, un appel, suivi d’une multitude de tweets plus haineux les uns que les autres. Une toute autre personne s’inquiéterait, et pour cause, considérant qu’on joue avec ses nerfs en tuant et en faisant disparaitre certains de ses collaborateurs. Mais ce que ses détracteurs ignorent, c’est qu’Ingabire ne prend pas la politique à la légère. Elle sait très bien à qui elle a à faire. Parmi ses détracteurs se trouvent des gens qui n’ont ni foi ni loi. À voir comment ils dirigent les affaires de l’état (par le recours à la peur et à la politique de la terre brûlée), il est évident qu’ils restent aveugles à la détresse et au désespoir de la population rwandaise et c’est sur ce point que Mme Ingabire, grâce à son charisme et à ses qualités d’écoute, attire l’attention. Elle a un discours rassembleur, apaisant, poli, constructif et posé. En bref, un discours digne d’une chef d’État qui pourrait toucher toutes les couches de la population rwandaise, petits comme grands, riches comme pauvres, hutus, tutsis comme twas.
Cette attitude de femme d’État d’une grande capacité et d’une grande envergure est en train de renforcer ses liens avec la population rwandaise qui la remarque de plus en plus dans son rôle de leader affirmé de l’opposition. Mme Ingabire est bien ancrée dans sa position, comme rarement vu avant elle.
L’un des subterfuges utilisés par le régime en place pour la combattre est de tenter de l’associer à des groupes terroristes. C’est sur cette base que sa maison a été saccagée par le pouvoir , à la recherche de preuves qui pourraient l’incriminer. Mais Ingabire reste de marbre. « Vous voulez faire une perquisition ? Entrez, Monsieur ! Je n’ai rien à cacher, prenez tout ce que vous voulez », a-t-elle dit suite à ces perquisitions. Son attitude face à ces attaques lancées à son encontre ne manque pas de surprendre. Elle reste une citoyenne modèle qui appelle au respect de la loi, des institutions et même des autorités. Jamais, on ne l’entendra manquer de respect à ses adversaires. De même, elle n’a jamais perdu son calme au point de se lancer dans les insultes et les calomnies. Que ce soit pour le pouvoir en place ou même pour l’opposition, la stratégie d’Ingabire surprend. Elle montre à tout ce beau monde comment faire de la politique, la vraie : par un discours positif et apaisant, une attitude de proximité sincère avec les gens qui ne feint pas de s’occuper de leurs préoccupations ; par le respect des lois du pays et les droits humains; et enfin, par la recherche du bien commun plus que les intérêts personnels.
Enfin, une politicienne rwandaise digne de ce nom! Il était temps. Le Rwanda en avait bien besoin. Longue vie à Mme Ingabire Umuhoza. Elle est Ingabire ou « don », Umuhoza ou « consolatrice » et la victoire pour le peuple rwandais.
Article d’opinion soumis pour publication parMarcelline Nduwamungu.
Le Conseil national pour le Renouveau et la Démocratie (CNRD-FLN) est un parti d’opposition politique rwandais créé en exil. Formé le 31 mai 2016 par des membres de la communauté des réfugiés rwandais en République démocratique du Congo (RDC) dans le but d’organiser un retour au Rwanda dans la paix et la dignité, le parti a vu le jour suite à une scission au sein des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR). Il a été dirigé à sa création par le lieutenant-général Wilson Irategeka.
En décembre 2016, le CNRD et le Parti pour la Démocratie au Rwanda (PDR-Ihumure) de Paul Rusesabagina ont créé conjointement le Mouvement rwandais pour le Changement démocratique (MRCD-Ubumwe), une plateforme politique d’opposition. En 2018, le MRCD intégrait en son sein le Rwandan Revolution Movement (RRM) du major Callixte « Sankara » Nsabimana. Enfin, en juin 2019, cette plateforme a accueilli son 4e membre, le Rwandan Dream Initiative (RDI), de l’ancien premier ministre Faustin Twagiramungu.
A partir de novembre 2019, les Forces spéciales de l’armée rwandaise infiltrées en RDC, en collaboration avec les Forces Armées de la RDC (FARDC), ont mené une opération d’envergure dans la localité de Kalehe au Sud-Kivu. Ces opérations visant à détruire un camp de réfugiés où vivaient plusieurs milliers de réfugiés rwandais ont également eu pour conséquence de mettre à mal les forces du CNRD qui sécurisaient ce camp de réfugiés. Plus d’un milliers de combattants et leurs dépendants ont été rapatriés de force au Rwanda.
Depuis avril 2020, le CNRD a pris un nouveau tournant en se choisissant une nouvelle présidente en la personne de Francine Umubyeyi et avec l’annonce de son départ de la plateforme MRCD. Jambonews a eu l’occasion de s’entretenir avec la nouvelle présidente au cours d’une interview qui a permis de parcourir la vision et les objectifs du CNRD, la personnalité de ce nouveau visage de l’opposition, mais également quelques sujets d’actualité.
Jambonews : Pouvez-vous vous présenter ?
Francine Umubyeyi : Je m’appelle Francine Umubyeyi, 39 ans, mariée, et j’habite sur le continent américain.
Je suis originaire de l’actuelle province du Sud au Rwanda. J’exerce actuellement la fonction de présidente ad-interim du Conseil National pour le Renouveau et la Démocratie – Forces de Libération Nationale (CNRD-FLN).
Vous êtes donc la nouvelle présidente a.i. du CNRD-FLN, et avant vous, ce poste était occupé par Wilson Irategeka. Dans quel contexte s’est déroulé la passation de pouvoir ?
Depuis l’intensification des attaques de l’ennemi à Kalehe, notre président Wilson Irategeka s’est retrouvé empêché pour d’autres fonctions. Et c’est à la mi-avril de cette année que le Conseil Exécutif du CNRD-FLN a décidé de choisir un cadre qui assure l’intérim de la présidence du parti et en même temps de la coalition MRCD-Ubumwe (Mouvement Rwandais pour le Changement Démocratique). C’est dans ce contexte que j’ai été élue présidente a.i. du CNRD-FLN, et de facto la présidente du MRCD-Ubumwe.
Quand et pourquoi avez-vous rejoint les CNRD-FLN et Quelles fonctions avez-vous occupées au sein du CNRD-FLN ?
J’ai rejoint le CNRD-FLN depuis le début mais en tant que simple militante. Par la suite, à partir de l’année dernière, j’ai été nommée Commissaire adjointe chargée des Affaires politiques et de la diplomatie, et j’ai intégré également les organes de la coalition MRCD en tant que Commissaire adjointe dans la commission des Relations extérieures et de la diplomatie.
La raison majeure qui m’a motivée à rejoindre le CNRD-FLN c’est surtout l’idéal de participer à la libération du Rwanda. J’ai fait la comparaison des lignes idéologiques de différentes mouvances politiques de l’opposition et j’ai été séduite par la vision moderne, et révolutionnaire du CNRD. Par ailleurs, je me suis facilement retrouvée dans leurs idées puisqu’ils sont majoritairement jeunes.
« Nous déclinons toute responsabilité sur les conséquences de l’option militaire qui nous est imposée par le mépris et le jusqu’auboutisme de Paul Kagame. «
Fracine Umubyeyi
Pourquoi avoir souhaité reprendre la fonction de Présidente de votre parti, que souhaitez-vous apporter de nouveau à votre parti ?
J’ai été choisie par l’organe compétent du CNRD-FLN. J’ai une intime conviction, et cette conviction ressemble à l’idée maîtresse qui a poussé à l’action les pères fondateurs du CNRD-FLN : le peuple rwandais doit être libéré du joug de cette dictature brutale du FPR-Inkotanyi. Je ne pouvais donc hésiter un seul instant lorsque les instances suprêmes du parti m’ont demandé de reprendre le flambeau. Je suis jeune et animée d’un esprit hautement patriotique, je suis travailleuse et optimiste. Je compte rassembler mes camarades du CNRD-FLN au tour des mêmes idéaux afin que le parti puisse relever les cruciaux défis qu’il s’est fixé à savoir mobiliser l’ensemble du peuple rwandais meurtri en vue de sa libération.
Le CNRD-FLN continuera-t-il à mener une lutte armée ?
Aussi longtemps que Paul Kagame et son groupe continueront à refuser tout dialogue avec l’opposition, aussi longtemps que durera au Rwanda le déni de justice et de vérité, aussi longtemps que la clique au pouvoir persistera dans son jusqu’auboutisme et sa brutalité, aussi longtemps que le dictateur s’entêtera à ne raisonner qu’en termes de rapports de force préférant à la raison la force des armes et le meurtre comme méthode d’Etat, eh bien le CNRD-FLN continuera la lutte armée. Nous déclinons toute responsabilité sur les conséquences de l’option militaire qui nous est imposée par le mépris et le jusqu’auboutisme de Paul Kagame.
Quelles sont vos revendications, êtes-vous prête à entamer un dialogue avec le gouvernement rwandais afin de trouver une issue pacifique au conflit ?
Nous revendiquons la démocratie, une démocratie véritable. C’est à dire un pouvoir issu du peuple et qui est au service des intérêts du peuple dans toutes ses composantes. En effet, les maux qui assaillent le peuple rwandais, à savoir le mensonge, l’injustice, la violence et l’oppression, ne devraient pas avoir droit de cité dans une démocratie. Les lois liberticides et assassines doivent être abrogées, cette soldatesque qui fait la pluie et le beau temps sur les collines doit définitivement laisser place à des instances citoyennes apaisées et responsables. Le CNRD-FLN reste disposé à accepter le dialogue, à condition que ledit dialogue soit inclusif, franc et crédible.
«Le droit international reconnaît à un peuple opprimé le libre choix de revendiquer ses droits, y compris par la lutte armée.»
Francine Umubyeyi
Sous quelles conditions le CNRD-FLN accepterait-il de déposer les armes ?
Vous savez, il est aussi difficile de décider de déposer les armes que de décider de les prendre ! Et le droit international reconnaît à un peuple opprimé le libre choix de revendiquer ses droits, y compris par la lutte armée. C’est le principe de légitimité de la violence en droit international. Notre parti, le CNRD-FLN lutte pour un idéal précis : le renouveau et la démocratie au Rwanda. Si cet idéal arrivait à être une réalité effective au pays des mille collines, alors nous pourrions déposer les armes. Autrement, nous continuerons à lutter.
La problématique des réfugiés rwandais en République démocratique du Congo semble être une équation insoluble. Le problème persiste depuis plus de 25 ans. Quelles sont les propositions et les initiatives du CNRD-FLN pour remédier à la situation ?
Tout individu en proie à la persécution, comme tout groupe d’individus persécutés peut se réfugier à l’étranger. La Convention de Genève du 28 juillet 1951 régissant le statut de réfugié est claire à ce sujet. Des millions de Rwandais ont trouvé refuge dans les pays limitrophes et beaucoup plus loin depuis l’été 1994 alors que les tortionnaires du FPR-Inkotanyi, qui venaient de prendre le contrôle de l’ensemble du territoire rwandais, ont commencé une impitoyable chasse à l’homme. Aujourd’hui, le Rwanda compte les plus anciens réfugiés en Afrique. Curieusement, cette situation ne gêne nullement le pouvoir en place à Kigali qui continue de vilipender ces réfugiés et qui envoie des unités d’attaque pour procéder à leur massacre. Ce qui est arrivé aux réfugiés rwandais à Kalehe en début novembre 2019 est révélateur : Kagame a mobilisé de l’artillerie lourde et des avions de combat pour massacrer les réfugiés . Le CNRD-FLN continuera à opposer au gouvernement rwandais les normes protectrices internationales que le gouvernement a lui-même ratifiées sans réserves. Si Kigali persiste à refuser un rapatriement dans la dignité, le CNRD-FLN continuera à mobiliser les réfugiés rwandais afin de faire pression sur Kigali qui doit accepter le retour des réfugiés rwandais dans le respect, la dignité et la sécurité.
Le CNRD est régulièrement qualifié de « mouvement rebelle Hutu » dans les médias. Vous définissez-vous également comme un parti politique représentant les Hutu ?
« Régulièrement », je ne crois pas. C’est d’ailleurs la première fois que j’entends cette affirmation. Nous sommes une famille politique qui rassemble au-delà du seul groupe ethnique Hutu. Car il n’y a pas que les Hutu qui subissent l’injustice, l’oppression et la violence au Rwanda. Ce genre de stéréotype est donc incorrect s’agissant de qualifier le CNRD-FLN. Nous comptons des Tutsi dans les rangs des FLN et dans notre personnel politique.
À côté de l’ethnisme, le régionalisme était également un facteur de division de la population rwandaise avant 1994, la société se divisant entre Kiga (nord du pays) et Nduga (sud du pays). Cette division a continué à faire parler par la suite. Certains disent qu’elle était notamment à la base de la séparation entre FDLR et CNRD. Est-ce que ce problème est encore présent au sein de la population rwandaise, que ce soit à l’intérieur du pays ou en exil ?
A la naissance du CNDR-FLN, l’échiquier de cadres tant civils que militaires représentait l’ensemble de la constellation nationale. Aujourd’hui je peux vous révéler que le chef d’état-major général des FLN et vice-président du CNRD-FLN est ressortissant de l’actuelle province du Nord, ce qu’on pourrait définir de Kiga, et que le Commandant des opérations est ressortissant de la province de l’Ouest, soit Nduga. En vérité, de par la brutalité de ses méthodes et sa démarche globalisante, le régime Kagame a, contre son gré, provoqué la communion des Rwandais toutes ethnies et régions confondues. Aujourd’hui, aussi bien les Hutu que les Tutsi, les nordistes (Kiga) et les sudistes (Nduga) subissent de la même manière l’injustice, la violence et la pression fiscale de la part du pouvoir sanguinaire de Kigali. N’eut été l’instrumentalisation des problèmes du Rwanda par ce même pouvoir, ces problèmes se seraient estompés depuis fort longtemps.
« Il est simplement déplorable que vers le début novembre 2019 les RDF, se déguisant sous couvert de l’uniforme des FARDC, soient intervenues pour massacrer indistinctement les réfugiés »
Francine Umubyeyi
Le 13 décembre 2019 dans un discours sur l’état de la Nation, le président de la RDC Felix Tshisekedi a annoncé que les FARDC avaient « détruit à plus de 95% les bases des “forces négatives” du CNRD avec un bilan de plus de 1712 capturés parmi lesquels 245 combattants et 10 leaders politiques ». Cette annonce était consécutive à une opération d’envergure menée par les FARDC contre le CNRD à Kalehe au mois de novembre 2019. Est-ce que le CNRD est encore implanté en RDC ?
Cette déclaration du président Tschisekedi suggère au moins une prémisse erronée, à savoir que le site de Kalehe aurait abrité 100% des effectifs du CNRD-FLN. Ceci est faux : Kalehe abritait, tout juste, un camp de réfugiés civils rwandais où on trouvait, en plus, le bivouac temporaire du président du CNRD-FLN, le lieutenant-général Wilson Irategeka. Mais de là affirmer que le site de Kalehe abritait les effectifs militaires et les cadres civils du CNRD-FLN, c’est complètement erroné. Le CNRD-FLN a des bases à divers endroits du territoire rwandais. Il est simplement déplorable que vers le début novembre 2019 les RDF [Rwandan Defense Forces], se déguisant sous couvert de l’uniforme des FARDC, soient intervenues pour massacrer indistinctement les réfugiés : femmes, enfants et vieillards sans défense. Pour mémoire, la tragédie de réfugiés du camp de Nyamunyunyi fin 2019 restera dans les annales. En effet, l’un des principes sacrés du droit international des réfugiés est l’interdiction du rapatriement forcé. Or, fin décembre 2019, les réfugiés du camp de Nyamunyunyi au Sud Kivu (RDC) ont été déportés vers le camp de Nyarushishi à Cyangugu (Rwanda) avant d’ailleurs de subir une élection au terme de laquelle certains de ces survivants aux massacres de Kauzi et Nyamunyunyi ont été acheminés vers le camp de lavage de cerveau de Mutobo, et d’autres vers le camp militaire de concentration et de torture de Kami. Beaucoup de jeunes garçons ont été purement et simplement massacrés pour allégeance supposée au CNRD-FLN.
Cette question m’amène d’ailleurs à vous dire qu’aujourd’hui, le gros des effectifs du CNRD-FLN et de ses cadres militaires se trouve au Rwanda.
Images des réfugiés rwandais provenant de Kalehe dans le camps de Nyamunyunyi (Décembre 2019)
Le CNRD est régulièrement accusé d’entretenir des relations troubles avec le Burundi afin de déstabiliser le Rwanda. Quelles sont vos relations avec le Burundi ?
Cette affirmation relève de la diffamation. Ceux qui nous accusent de comploter avec le Burundi pour déstabiliser le Rwanda sont les mêmes qui saccagent la sous-région toute entière. Pouvez-vous me dire un seul pays frontalier du Rwanda qui entretient de bonnes relations avec lui ? Cette attitude du Rwanda d’accuser ses opposants de collaborer avec des pays limitrophes pour attenter à sa sécurité montre plutôt la préoccupation de Kigali qui est que tous les pays voisins auraient des raisons pour soutenir une opposition interne ou externe, tant le bellicisme et les actes de provocation de Kagame sont insupportables. Un pays qui se plait à provoquer et agresser continuellement ses voisins ne peut espérer rester durablement tranquille. Le CNRD-FLN, en tant que mouvement de libération nationale vise prioritairement à mobiliser la communauté rwandaise, interne et externe, pour asseoir sa lutte avant de tisser des relations avec les pays de la sous-région. Cependant, nous restons attentifs à la géopolitique dans la sous-région et, de ce point de vue, nous suivons avec intérêt l’actualité événementielle au Burundi et dans le reste de la sous-région.
Le CNRD avait entamé un dialogue avec la MONUSCO et des représentants de l’ONU afin de faciliter un retour vers le Rwanda. Où ces discussions en sont-elles ?
Merci pour la question, mais au CNRD-FLN nous n’avons pas connaissance de telles tractations.
« Je salue actuellement l’engagement actif des femmes dans la politique rwandaise »
Francine Umubyeyi
L’opposition politique rwandaise est régulièrement pointé du doigt comme se composant trop majoritairement de personnes très âgées et d’hommes. Que dites-vous de cela ?
Qu’il y ait des personnes âgées au sein de l’opposition rwandaise ne devrait, en soi, constituer un problème. Si vous me permettez une parabole, j’aimerais comparer la lutte pour le changement au Rwanda à une partie de chasse au lion. Vous savez, dans une équipe de chasse au lion, il faut des vieux chasseurs qui préparent le piège avec précision, mais il faut aussi des jeunes encore percutants et intrépides qui, une fois que le lion sera tombé dans le piège, vont s’approcher pour le frapper ou le suivre dans sa retraite s’il est blessé. Les vieux vont tendre des pièges, les jeunes vont frapper et suivre la bête féroce jusqu’à la capturer et la ramener aux seniors. Notre lutte se doit d’être intergénérationnelle. La difficulté arrive lorsque les jeunes entravent le travail des vieux, ou que les vieux entravent le travail des jeunes. Je salue actuellement l’engagement actif des femmes dans la politique rwandaise dont notamment Chantal Mutega, Marie Claire Ingabire, Nadine Claire Kasinge, Ingabire Victoire, Diane Rwigara, et d’autres. Je m’engage à mobiliser les jeunes gens et les femmes pour qu’ils reprennent le flambeau de la lutte que nous menons.
Au sein d’une plateforme telle que celle du MRCD, pensiez-vous que vous puissiez être en mesure d’avoir votre place au milieu de poids lourds de la politique rwandaise tel que l’ancien Premier ministre, Faustin Twagiramungu, ou le très célèbre Paul Rusesabagina ?
Une « plateforme », en tant que regroupement d’acteurs politiques désireux de conjuguer leurs efforts pour atteindre des objectifs communs, ne peut avoir de sens que si les différents membres traitent d’égal à égal. Le CNRD est initiateur de la plateforme MRCD en 2016 et, de ce point de vue, tous ceux qui ont épousé l’idée de ce regroupement politique sont égaux. Nous n’avons donc aucun complexe envers qui que ce soit.
Paul Rusesabagina et Faustin Twagiramungu
D’ailleurs, en date du 10 juin 2020, la coalition MRCD a déclaré que vous vous êtes retiré de la coalition. Pourriez-vous nous éclairer sur votre retrait ?
Vous faites certainement référence à la lettre qui m’a été transmise par les trois vice-présidents Faustin Twagiramungu, Paul Rusesabagina et Kassim Butoyi (Kabuto). Vous pourriez peut-être leur poser la question eux-mêmes : y-a-t-il un document quelconque que le CNRD-FLN leur aurait adressé pour signifier qu’il se retire de la coalition ? Si pour fonder la coalition nous avons signé tout un tas de documents, comment pouvons-nous quitter valablement la plateforme sans un écrit quelconque ? La seule et unique allégation par lesdits signataires de la fameuse lettre du 10 juin est que le CNRD « s’occupe seul des domaines exclusivement réservés à la coalition « . Si depuis plusieurs mois la coalition ne faisait plus rien du tout dans lesdits domaines de collaboration, le CNRD devrait-il être sanctionné du fait de tenter d’assumer seul ses responsabilités en faisant vivre le projet de libération des Rwandais ? Il serait intéressant que vous posiez la question à nos partenaires eux-mêmes.
Êtes-vous ouvert à de nouvelles collaborations, alliances et partenariats avec d’autres acteurs de la vie politique rwandaise ?
Absolument. Ce n’est pas parce qu’une alliance peut tourner mal que nous ne saurions en envisager d’autres. Au contraire. Nous en appelons à toutes les bonnes volontés et les énergies positives afin de constituer, dans une vision qui va bien au-delà de l’esprit partisan, un front unique gigantesque qui va porter à tour de bras la lutte en vue du changement au Rwanda.
« Les FDLR sont parties prenantes de la cause nationale et, de ce point de vue, sont nos compagnons sur le chemin menant à la libération du peuple rwandais. »
Francine Umubyeyi
Du 23 au 24 mai 2020, une Conférence internationale réunissant les organisations de la société civile et les organisations politiques rwandaises de l’opposition dans le but coordonner les actions a eu lieu. Le CNRD n’a pas fait partie de cette initiative. Pourquoi ?
Le CNRD-FLN n’a pas reçu d’invitation. Les organisateurs de la conférence se sont excusés à ce sujet.
Lors de la création du CNRD, le schisme avec les FDLR a créé beaucoup de tensions allant jusqu’à l’affrontement armé. Quelles sont vos relations avec les FDLR aujourd’hui ?
Vous savez, des frères d’armes peuvent ne plus s’entendre pour plusieurs raisons, y compris une situation de divergence d’opinion, d’agenda ou de stratégie. Mais les frères d’armes finissent toujours par se retrouver si et seulement si aucun parmi eux n’en arrive à trahir. Les FDLR sont parties prenantes de la cause nationale et, de ce point de vue, sont nos compagnons sur le chemin menant à la libération du peuple rwandais.
Plusieurs organisations politico-militaires telles que les FDLR, une organisation anciennement nommée RUD-Urunana, FIAR et d’autres sont actives en RDC et partagent les mêmes objectifs que le CNRD. Est-ce que vous pensez qu’aujourd’hui les conditions sont réunies pour une réunification ?
La réunification est un processus qui suit un certain nombre de conditions et, certainement, peut prendre du temps. L’essentiel à ce stade, c’est que tous les acteurs regardent dans la même direction. Puisque tel est le cas, la réunification se fera facilement.
« Que tous les Rwandais soucieux d’un meilleur avenir se tiennent prêts à apporter leur contribution en vue du changement »
Francine Umubyeyi
Quel message souhaitez-vous donner aux Rwandais ?
Qu’ils ne croient pas, un seul instant, que le drame vécu actuellement est une fatalité, non plus que Kagame et son système puissent régner éternellement sur notre beau pays le Rwanda. Le CNRD-FLN a conçu un projet mûrement réfléchi, réaliste et réalisable. Que tous les Rwandais soucieux d’un meilleur avenir se tiennent prêts à apporter leur contribution en vue du changement qui, je vous assure, est déjà à portée de main. Au sein du CNRD-FLN, nous sommes tous engagés jusqu’au sacrifice suprême pour y arriver. Puisse le sang de nos nombreux martyrs déjà tombés sur le champ d’honneur purifier le Rwanda !
Propos receuillis par Norman Ishimwe et Emmanuel Hakuzwimana
Dans une tribune publiée ce samedi 4 juillet, le Dr Théogène Rudasingwa, l’ex-secrétaire général du FPR et ancien directeur de cabinet de Paul Kagame, s’est fortement indigné de la décision rendue par la Cour d’Appel de Paris dans le dossier de l’attentat contre l’avion du Président Juvénal Habyarimana le 6 avril 1994.
Tout en citant Voltaire et les fondements de la révolution française, Théogène Rudasingwa, exilé aux Etats-Unis depuis bientôt 10 ans, s’en est pris surtout au président français ainsi qu’à l’élite française qu’il accuse d’avoir « trahi les Rwandais, abusé de la conscience légitime du peuple français et de la France ».
Pour Théogène Rudasingwa, « Le président Macron a entrainé la France dans le bourbier d’un acte honteux de l’histoire. Il se leurre s’il croit pouvoir réussir à faire admettre un déni de justice absurde au peuple rwandais et au reste de la communauté internationale. »
L’indignation de l’ex-numéro 2 du FPR survient après que la Cour d’appel de Paris a confirmé la décision de non-lieu rendue en 1ère instance en faveur de neuf prévenus dans une enquête ouverte en 1996 par le juge Jean-Louis Bruguière. L’enquête avait effectivement mis en cause Paul Kagame et huit de ses compagnons d’armes comme commanditaires et exécutants de l’attentat du 6 avril 1994 contre l’avion présidentiel rwandais qui transportait deux présidents en exercice à son bord. L’attentat avait couté la vie à tous les passagers, dont un équipage français, les présidents en exercice du Rwanda et du Burundi ainsi que hauts responsables civils et militaires rwandais.
Ce vendredi 10 juillet 2020 aura lieu une grande mobilisation en faveur d’un « état de droit et une liberté d’expression au Rwanda ». Le rassemblement est prévu de 14h à 16h30 au rond-point Schuman situé à Bruxelles en face des institutions européennes.
Dans un contexte politique dans lequel les voix critiques sont régulièrement harcelées, emprisonnées, assassinées, ou victimes de disparitions forcées au Rwanda, le Réseau international des Femmes pour la Démocratie et la paix (RifDP), organisateur de la manifestation, appelle le public à venir « s’indigner du manque de respect des droits élémentaires des citoyens rwandais ».
En ligne de mire des organisateurs de la manifestation figurent notamment « les appels incessants dans les médias au meurtre des opposants politiques, notamment Victoire Ingabire Umuhoza, présidente de DALFA-Umurinzi, et Bernard Ntaganda, président de PS-Imberakuri [qui] témoignent du danger que ces derniers encourent ».
Dans un communiqué de presse, le RifDP fustige les récents propos tenus par Paul Kagame dans lesquels l’ancien chef de guerre devenu président menace de « remettre Victoire Ingabire Umuhoza à sa juste place, quel que soit le tapage délibérément organisé autour de son cas». Le réseau déplore « la non-séparation des pouvoirs qui transparait dans cette déclaration. »
La mobilisation entend également plaider pour la cause du journalisme indépendant au Rwanda actuellement dans un « état calamiteux » comme en témoigne le triste sort de Cyuma Hassan Dieudonné, l’un des rares journalistes indépendants du Rwanda « qui croupit » actuellement en prison.
Dans son communiqué de presse, le RIFDP rappelle également le sort réservé à « d’autres figures de l’opposition rwandaise comme Fred Barafinda Sekikubo (président du parti d’opposition RUDA, interné en asile psychiatrique pour le faire taire), Mme Diane Rwigara (dont le crime a été de se présenter aux élections présidentielles de 2017 et de demander justice pour son père Assinapol Rwigara assassiné en 2015 et qui a été emprisonnée avec sa mère pendant un an pour la faire taire), sans oublier Déo Mushayidi, Théoneste Niyitegeka toujours en prison, Boniface Twagirimana porté disparu et tant d’autres anonymes dont nous vous recommandons l’inventaire sur le site « Rwandan Lives Matter ».
Tout en évoquant le choc provoqué par l’assassinat de Kizito Mihigo « figure emblématique de la réconciliation inter-rwandais », le RifDP conclut son communiqué en demandant aux autorités rwandaises « d’œuvrer pour la vraie démocratie et le respect des droits et libertés des citoyens» qui doivent passer « par l’ouverture de l’espace politique pour permettre un vrai multipartisme et la garantie d’un journalisme indépendant, seuls gages d’un développement durable.»
Né le 10 juillet 1989 au Rwanda, Venant Abayisenga a ou aurait eu 31 ans ce 10 juillet 2020.
Il avait à peine un an lorsque la guerre a éclaté au Rwanda le 1er octobre 1990, et il était enfant durant toutes les années où le pays a sombré.
En 1995, à seulement 6 ans, il assiste à l’assassinat sauvage de sa mère par les militaires de l’APR à Nyabirasi dans le Nord-Ouest du Rwanda. Son petit frère, à peine âgé d’un an et quatre mois est également assassiné sur le dos de sa mère.
En 2012, à 23 ans, il décide de s’engager en politique en rejoignant cette nouvelle génération de Rwandais qui souhaite prendre son destin en mains en ayant son mot à dire sur la reconstruction du pays.
En juin 2013, à l’âge de 24 ans et quelques mois seulement après ses débuts en politique, il est victime de sa première grande mesure de persécution politique lorsqu’il subit un emprisonnement arbitraire d’un an et demi.
Il retrouve la liberté en décembre 2014 et, loin d’avoir été brisé par ce séjour en détention, il décide de poursuivre sa lutte politique pour un Rwanda respectueux des droits de chaque citoyen.
En septembre 2017, quelques semaines seulement après les élections présidentielles remportées par le général Kagame avec un score stalinien de 99% des voix, il est victime de la « répression politique post-électorale » au cours de laquelle de nombreux opposants sont emprisonnés.
Dans l’ombre de l’emprisonnement très médiatisé de Diane Rwigara et sa famille, il entame son deuxième séjour en prison.
A seulement 28 ans, et après le harcèlement et l’emprisonnement, il va expérimenter une autre grande mesure de l’appareil répressif du régime du FPR contre toute voix dissidente: la torture. Puisqu’à peine arrêté, il est transféré« chez Gacinya » à Gikondo, un lieu tristement célèbre pour le sort qui y est réservé à ceux qui y sont détenus.
La suite, c’est lui-même qui la raconte : « J’y ai rencontré de gros problèmes, j’ai été battu. Ils voulaient que je leur parle d’un groupe armé que nous aurions créé. (…) Ils ne m’ont pas cru et je suis resté là, et ils ont continué de me tabasser, ils ont simulé mon exécution. À un moment j’ai eu un problème d’hémorragie, c’est ainsi qu’ils ont commencé à me tabasser moins. Ils me mettaient sous la table, l’un frappait par derrière sur la plante des pieds, l’autre avec une matraque sur la tête(…) Nous qui avions été arrêtés en dernier lieu, ils voulaient nous torturer d’une façon exemplaire… Je suis resté dans mon cachot, les bras liés, seul dans cet endroit lugubre d’où tu sors pour être tabassé, et tu as le sentiment qu’il n’y a pas de suite. (…) Vers le 17 [septembre 2019] les bastonnades ont recommencé. Quand j’ai eu à nouveau des problèmes d’hémorragie, ils ont pris une pause mais m’ont répété qu’ils allaient me tuer. Ils ont venus avec un sac plastique et ils m’ont demandé de leur dire avec qui j’avais été dans le groupe armé.(…) Le 23 septembre, ils sont revenus et m’ont encore battu. Ils voulaient encore m’interroger mais je leur ai dit que je voulais un avocat. Ils m’ont dit « tu ne quitteras jamais ce lieu, personne ne sait que tu es ici, nous pouvons te tuer et il n’y aura aucune poursuite contre nous. » Je savais déjà qu’effectivement beaucoup de gens sont tués sous ce régime sans qu’il y ait de suivi. (…) Par exemple, ils mettaient beaucoup de cailloux dans le maïs que nous mangions, tout comme pour la bouillie que nous recevions, au lieu du sucre c’était du sable qu’ils mettaient. Mais j’ai supporté ces mauvaises conditions de vie et je suis encore en vie. J’espère vivre encore longtemps. (…) Ils m’ont dit qu’ils avaient tué mes compagnons et qu’ils allaient faire de même avec moi. Et effectivement on tue « Chez Gacinya ». On assistait à des scènes où on entendait quelqu’un mourir et puis on les voyait venir nettoyer. Quand tu assistes à ça, tu te dis que ta vie est finie. (…) Par la suite j’ai été transféré à la prison de Mageragere et la torture a continué mais à un autre niveau. La torture dans cette prison a atteint un tel niveau d’organisation qu’on se demande si ce n’est pas planifié par l’Etat.»
Le 23 janvier 2020, après cette nouvelle détention de deux ans et demi, il est acquitté de toutes les charges qui pesaient contre lui et libéré sur le champ, en compagnie notamment de Theophile Ntirutwa, son co-détenu et camarade de parti.
Théophile Ntirutwa et Venant Abayisenga le 23 janvier 2020 à leur sortie de prison.
Le 6 juin 2020, moins d’un mois après que Théophile Ntirutwa ait survécu à une tentative d’assassinat, il va expérimenter une autre grande mesure de l’arsenal répressif du régime du FPR : la disparition forcée.
A seulement 30 ans, alors qu’il avait quitté son domicile pour quelques minutes afin d’acheter des unités pour son téléphone, il ne reviendra pas.
Le Burundi a connu un changement de gouvernement dans le calme et la paix après une élection présidentielle et le brusque décès du président sortant Pierre Nkurunziza en juin dernier. Lors d’une interview, Jambonews a pu explorer plusieurs thèmes avec l’ambassadeur Extraordinaire et Plénipotentiaire de la République du Burundi auprès du Royaume de Belgique, du Grand-Duché de Luxembourg et de l’Union Européenne, monsieur Thérence Ntahiraja, notamment l‘investiture du président Évariste Ndayishimiye, la nomination du nouveau gouvernement, ses priorités ainsi que les relations avec les pays voisins.
L’ambassadeur indique que le nouveau gouvernement burundais a été mis en place conformément à la constitution burundaise qui incarne les accords d’Arusha. Aux critiques qui avancent que le président a nommé un « gouvernement de guerre », il répond que « dire que le gouvernement mis en place par son excellence Évariste Ndayishimiye est un gouvernement militaire est faux et archi-faux. Toutes ces personnes qui répandent cela sont celles qui ont l’habitude de diaboliser notre pays, mais la vérité vaincra. »
L’ambassadeur burundais parle également des priorités du nouveau gouvernement en place qui seraient toutes incluses dans le Plan National de Développement (PND 2018-2027) qui avait était élaboré par le gouvernement précédent et accueilli favorablement par de nombreux bailleurs et partenaires de développement. Notons que le nouveau président burundais a déjà mis en place un Comité de pilotage du Projet de Chemin de Fer Uvinza-Musongati-Gitega-Bujumbura-Uvira-Kindu.
Au niveau de la région des Grands Lacs, l’ambassadeur indique que le Burundi va travailler à la construction de relations toujours plus fortes avec ses voisins et partenaires de la région, tout en notant que le pays entretient déjà de très bons rapport avec tous les pays de la sous-région, excepté le Rwanda. Il ajoute également que le Burundi a beaucoup appris de sa récente histoire et qu’il a beaucoup à partager. « La passation de pouvoir a été gérée de manière exemplaire et il faut que les autres pays l’observent. De surcroit ces élections ont été organisées et financées à 100% par le Peuple Burundais et supervisées à de plus de 99% par les Burundais eux-mêmes.»
En conclusion, l’ambassadeur Thérence Ntahiraja adresse un message à la diaspora burundaise : « L’union fait la force, l’homme seul n’est rien. Le Dieu tout puissant nous recommande de nous aimer les uns les autres. Je recommande aux Burundais de la diaspora partout où ils sont d’éradiquer toute amertume qui les divise et de privilégier tout acte positif qui les unit. Ensemble nous allons vaincre. »
Presque tous les Rwandais s’accordent sur le besoin de collaboration, ou du moins, de dialogue entre les différentes composantes du paysage politique rwandais. Plusieurs initiatives ont par le passé essayé en vain de réaliser cette union, mais personne n’a jusqu’à présent réussi ne serait-ce qu’à amener toutes les organisations à la même table de discussions.
Une énième initiative vient d’être lancée dans ce sens par un comité d’initiative composé de Gilbert Mwenedata, ancien candidat à l’élection présidentielle de 2017, Daphrose Nkundwa, ancienne présidente du RIFDP section Belgique, l’ambassadrice Charlotte Mukankusi ainsi que l’ambassadeur Jean-Marie Vianney Ndagijimana. Ce comité s’est donné pour mission de rassembler toutes les organisations qui œuvrent pour un changement politique au Rwanda et de créer un cadre permettant un dialogue entre ces nombreuses organisations partisanes ou non afin de bâtir des ponts entre les Rwandais.
La première rencontre organisée par ce comité qui s’est donné pour nom “Rwanda Bridge Builders” s’est tenue du 23 au 24 mai 2020. La rencontre a réuni 35 organisations dont des partis politiques et autres organisations de la société civile. Suite à cette première rencontre, le comité a convié la presse pour expliquer son projet et répondre aux nombreuses questions suscitées par leur initiative.
Un dialogue inclusif
Les initiateurs ont souligné que leur démarche se veut la plus inclusive possible. Pour cette première rencontre, ils ont réussi à réunir 35 organisations, tant de la société civile que des partis politiques, mais avec quelques absences notoires parmi les organisations politiques. Il y a aussi la question de la myriade d’organisations éparpillées à travers le monde qui voudraient participer à ce dialogue.
Quelles que soient les raisons de l’absence des uns ou des autres, les initiateurs promettent de reprendre leur bâton de pèlerin afin de nouer contact avec le plus d’organisations possibles et continuer leur travail de conviction auprès de ceux qui sont encore réticents.
C’était pour les initiateurs l’occasion d’encore expliquer que le but de leur action est avant tout de bâtir des ponts entre Rwandais. Sur ce point, l’ambassadrice Charlotte Mukankusi a encore insisté sur le fait que l’initiative vise avant tout à jeter les bases de discussion afin de créer des ponts entre Rwandais. Dans cette vision, les ponts devraient aussi arriver à Kigali car comme le dit Mukankusi, le but ultime est un dialogue franc avec le régime en place à Kigali.
Mais cela prendra du temps car, comme rappelé par les initiateurs, la réunion du 24 mai n’était qu’un premier pas vers le rassemblement des organisations rwandaises que tout le monde appelle de ses vœux.
Histoire et justice
Les questions qui divisent la communauté rwandaise sont pour la plupart liées à l’histoire ou à la justice. Cela ressort notamment dans les questions qui sont posées ou dans les commentaires entendus dans les différents forums de discussion entre Rwandais.
Le comité d’initiative se dit bien conscient que ces deux thèmes devront vite se retrouver à l’ordre du jour des prochaines rencontres. Mais pour l’instant, il n’y a eu qu’une rencontre et il s’agit avant tout de créer un espace de dialogue pour que les Rwandais apprennent à se connaitre et à se parler avant de mettre sur la table les thèmes plus difficiles.
Il y a aussi la question de ceux qui ont des responsabilités dans les événements qui ont endeuillé notre pays, peuvent-ils aussi participer à la recherche des solutions ? Le comité ne souhaite exclure personne à priori, tous les Rwandais de bonne volonté peuvent participer à la recherche des solutions. Quant à la question de la justice pour toutes les victimes des atrocités, tout le monde s’accorde sur le fait que la justice est nécessaire pour reconstruire notre pays mais reste pour l’instant impossible avec le régime en place à Kigali.
Pas de promesses mais de l’espoir quand même
L’initiative Rwanda Bridge Builders n’est pas le premier essai de rassemblement des organisations rwandaises de l’extérieur. Beaucoup se sont soldées par des échecs cuisants, d’où une méfiance presque viscérale du public rwandais pour ce genre d’initiative.
Le comité ne veut rien promettre quant aux résultats de l’initiative, le seul espoir de réussite reposant sur la bonne volonté des participants et sur les leçons apprises des échecs passés.
Les initiateurs veulent aussi s’inspirer des réussites du passé dont notamment les riches travaux réalisés dans le cadre du Dialogue Inter Rwandais Hautement Inclusif (DIRHI) qui reste à ce jour la tentative la plus aboutie de faire dialoguer les Rwandais. C’est pour cela que le comité a invité Pierre-Claver Nkinamubanzi du DIRHI à se joindre à lui afin de mettre à profit son expérience avec le DIRHI.
Jean Marie Vianney Ndagijimana, l’un des initiateurs, a expliqué que l’initiative ira jusqu’où le public le portera, chacun devrait se l’approprier et non simplement observer et attendre des résultats. L’initiative ne détient pas de solution miracle, elle est lancée et ira là où les participants voudront bien l’amener ensemble. Le public aura aussi son mot à dire sur l’orientation de l’initiative, il ne peut plus se contenter de donner un chèque en blanc aux leaders et les laisser faire. Les Rwandais ont connu trop de promesses non tenues, la méfiance actuelle est compréhensible mais ne peut être une raison de ne rien faire.
Le succès de l’initiative dépendra aussi de sa capacité à faire émerger des idées nouvelles et des nouveaux leaders ainsi qu’à intégrer du sang neuf, pour éviter que la discussion ne soit monopolisée par les mêmes organisations ou personnes qui ont occupé la scène ces dernières années. Il est intéressant que le comité soit dirigé par Gilbert Mwenedeta, qui est relativement nouveau sur la scène politique et dont il est attendu qu’il soit sensible à cette question d’intégration d’idées neuves dans ce dialogue.
Pour conclure, le comité a réaffirmé sa vision que pour produire des résultats, l’initiative aura besoin d’être soutenue et accompagnée activement par les Rwandais, c’est-à-dire que le public devra rester vigilant et exigeant à l’égard de ses représentants qui restent malgré tout des citoyens comme les autres. Le changement que les Rwandais souhaitent ne sera possible que si chaque citoyen y met du sien, car il ne peut y avoir de république sans citoyens engagés.
Pendant que le FPR célébrait le 26ème anniversaire de la « libération du Rwanda », les rwandais apprenaient que le Dr Pierre Damien Habumuremyi qui fut le 4ème premier Ministre du Rwanda post-génocide, d’octobre 2011 à juillet 2014, a été arrêté et détenu le 3 juillet 2020 par le Bureau Rwandais d’Investigation (RIB) sur fond d’accusations d’émission de chèques sans provision et d’abus de confiance dans le cadre de la gestion de l’établissement universitaire ‘Christian University of Rwanda’ dont il est le principal actionnaire.
Les accusations contre Habumuremyi ont surpris le grand public jusqu’à ses propres enfants. En effet, le RIB n’a pas donné les détails sur la mauvaise gestion de l’université créée en 2017 et dont on a récemment appris qu’elle s’était vue retirée la licence pour cause de mauvaise qualité de l’enseignement. Selon le journal ukwezi.rw, le fils de l’ancien homme politique au nom de Mucyo Appollo a imploré la pitié du général Paul Kagame pour qu’il libère son père. A travers son compte instagram, Mucyo fait entendre que toute l’affaire serait commanditée par l’homme fort du Rwanda auquel il a fait une série de supplications :
« Comment cela peut-il arriver ? Comment peux-tu nous faire ça ? Mon père est un militant du FPR qui s’est tant dévoué pour ce pays, j’en suis témoin, depuis 2014 ton gouvernement s’est évertué à questionner notre famille sur la provenance de nos biens même ceux acquis avant les postes politiques que tu as donné à notre père ! …il a été le meilleur premier ministre de ton gouvernement et cette fois ci mérite-t-il la prison ?… Aie pitié ! »[i]
Même si le RIB n’a pas fourni les détails des accusations, les informations qui circulent dans les journaux locaux proches du régime indiquent que cet ancien commissaire du FPR aurait été incapable de s’acquitter des dettes de son université qui totalisent un montant de 1.500.000 eurosvii. Pour apaiser la colère de ses créanciers, le cadre du FPR leur aurait donné des chèques sans provision.
Pierre Damien Habumuremyi, promoteur du programme national d’emploi (NEP-Kora Wigire) dont l’objectif est de convaincre les jeunes chômeurs qu’ils doivent créer leurs propres entreprises en ayant recours à des crédits bancaires, devient maintenant l’une des victimes les plus visibles de ce programme qu’il avait lui-même lancé en 2014[ii]. En effet, le programme vise la promotion de l’emploi par l’incitation à la création de nouvelles entreprises. Cependant, la majorité des jeunes diplômés ont des difficultés à obtenir des prêts bancaires pour créer des entreprises faute de garantie. Par conséquent, le chômage n’a cessé d’augmenter car les jeunes diplômés, très nombreux ces dernières années, ne peuvent être absorbés par un secteur privé pas encore assez développé, et de surcroit fortement dominé par les grandes entreprises du FPR et son favoritisme structurel. En plus, les institutions de l’Etat n’emploient que 2% de la population active[iii].
L’on se souviendra que Pierre Damien Habumuremyi a entamé son mandat de premier ministre comme un bulldozer qui voulait tout révolutionner. Il effectua des visites improvisées sur le terrain dans les ministères et autres services publics et sur les chantiers publics pour superviser l’avancement des travaux ou rappeler les délais de fin des travaux. Il croyait que, si le dictateur Kagame avait placé sa confiance en lui, alors il pouvait rendre l’impossible bien possible. Durant son mandat, il ne cessa de louer le dictateur, sans se soucier des massacres de masse que le FPR de Kagame avait commis à Ruhengeli, sa préfecture d’origine.
En 2013, il publia un documentaire de louanges du dictateur Kagame intitulé Ndi Umunyarwanda[iv] et le fit diffuser dans toutes les institutions publiques et privées comme outil de sensibilisation et de louange. A son poste de premier ministre, il se distingua par ses flatteries envers le numéro un rwandais à travers son livre : Rwanda, building a model nation state[v].
Rappelons que ce docteur en sciences politiques fut un ami discret du dictateur Paul Kagame pour des besoins électoraux. Pour ce fait, Pierre Damien Habumuremyi a connu une ascension politique discrète mais néanmoins fulgurante.
L’ancien Premier ministre Dr. Pierre Damien Habumuremyi descend de la camionnette de la police avant d’entrer dans le tribunal tribunal de première instance de Gasabo.
Ancien professeur à l’université nationale du Rwanda de 1993 à 1999, l’universitaire très peu connu du grand public, a occupé le poste de secrétaire exécutif adjoint puis de secrétaire exécutif de la commission électorale de 2000 à 2008. Agissant sous les ordres du parti au pouvoir, Habumuremyi aura tout fait pour que le général Kagame et son parti FPR finissent victorieux dans les élections présidentielles et législatives de 2003. Des élections que le groupe d’observateurs de l’union européenne a ainsi décrites : « La compétition a été inégale et sans véritable opposition. Le FPR et son candidat Paul Kagame ont dominé les deux campagnes électorales qui ont par ailleurs été marquées par un climat d’intimidation, des interpellations et des arrestations. Lors des journées électorales, de nombreuses irrégularités et fraudes ont eu lieu et le manque de transparence du processus de consolidation des résultats a été manifeste. »[vi]
Ayant fait du bon travail aux yeux du dictateur Kagame, Pierre Damien Habumuremyi fut récompensé. Après la commission électorale, il devint en 2008 député du Rwanda au parlement de la Communauté d’Afrique de l’Est. Il occupa le poste du Ministre de l’Education pendant cinq mois de juin à octobre 2011 avant d’être promu au poste de premier Ministre, qu’il occupa jusqu’au 23 juillet 2014. Il cumula alors les fonctions de premier ministre avec celles de commissaire au sein du FPR. De 2015 jusqu’au jour de son arrestation il occupait le poste de président du conseil de la Chancellerie des Héros, des Ordres Nationaux et des Décorations Honorifiques.
En ce 21 Juillet, le tribunal de première instance de Gasabo a ordonné que l’ancien Premier ministre, Dr. Pierre Damien Habumuremyi restera en détention provisoire pendant 30 jours alors que les enquêtes se poursuivent ; encore une fois, selon son fils, Mucyo Appollo, certains hauts cadres du FPR auraient menacé la femme l’ancien Premier ministre en lui demandant de forcer son fils à supprimer ses publications sur Instagram.
Si un ancien premier ministre et proche du dictateur Kagame est insolvable au point d’émettre des chèques sans provisions, qu’en est-il du citoyen ordinaire Rwandais ?
Faisant référence à la fortune de Paul Kagame, estimée à plus de 500 million d’euros, le fils de l’ancien premier ministre interpelle sur son compte instagram le numéro un rwandais en ces termes « si c’est seulement à propos de ses dettes, en tant qu’une personne qui a contribué à ta cause, n’aurais tu pas pu lui prêter un million ? (…) pourquoi ça a dû aller si loin ? »
Les premières démonstrations de Paul Kagame envers l’histoire ancestrale du Rwanda, via la gestion catastrophique du retour du Roi Kigeli V Ndahindurwa par exemple, donnaient l’image d’un président distant des us et coutumes de l’histoire du Rwanda. Pourtant, après avoir changé la constitution qui lui permet de régner sur le Rwanda pendant 34 ans, plusieurs sources affirment que Paul Kagame préparerait ses enfants, Ange Kagame en tête, en vue de lui succéder. Un parti politique « Abanyamurage » s’est déclaré ce 22 juin 2020 et a déjà déposé sa première proposition au parlement, qui n’est autre que l’ intronisation de Paul Kagame comme roi du Rwanda.
Le Roi Kigeli V Ndahindurwa, un concurrent indésirable
Le retour au Rwanda du Roi Kigeli V Ndahindurwa n’a été possible qu’après sa mort et c’est dans un cercueil qu’il fera son retour au pays. L’accueil de la dépouille royale (umugogo en kinyarwanda) fut particulièrement remarquée pour sa médiocrité. Un ancien dirigeant du Rwanda, dernier symbole d’un passé ancestral, méritait très certainement un accueil avec les honneurs d’une personnalité de son rang.
En effet, pendant la guerre ou après la victoire armée du FPR, plusieurs membres influents dans l’armée furent étrangement éliminés. Nous pouvons citer entre autres :
Le Captain Kayitare Védaste surnommé « Intare Batinya » (Le lion qui fait peur à ses ennemis) par la chanteuse Kamaliza, actif dans toutes les opérations importantes du FPR, Commandant du 101 bataillon et héros de la guerre de Ruhengeri où il délivra les prisonniers dont le Colonel Lizinde Théoneste en 1991. Il fut abattu en allant à Mulindi après avoir été appelé pour une urgence à l’état-major de Mulindi, en période de cessez le feu lors des négociations d’Arusha. Le Commandant des FAR à Byumba, le Colonel Bahufite se rendit à son enterrement pour saluer la mémoire de ce grand rival.
Le colonel Steven Kalisholisho Ndugute qui avait une grande influence dans l’armée du FPR et qui a subi une véritable campagne de dénigrement par l’équipe de Kagame en 1993 avant d’être mis sur une voie de garage et d’être éliminé.
Colonel Ndugute – Operation Commander
Le Lieutenant Aloys Rupari, le colonel Wilson Rutayisire alias Shaban porte-parole du FPR, le colonel Charles Ngoga concurrent économique, le major Rachid Mugisha alias Kyojo, le major John Birasa…
Ce refus de rentrer au Rwanda pourrait expliquer l’attitude de Kagame lors de ces obsèques. Cet épisode a mis en lumière la lutte d’influence, qui remonte à la révolution de palais de Rucunshu de 1896, entre deux clans rivaux : Le clan royal Abanyiginya du Roi Kigeli V Ndahindurwa et la maison Abakagara du clan Abega dont est issu le président Paul Kagame. Avec la volonté du Roi Ndahindurwa de jouer son rôle royal, ces tensions se sont invitées dans la réalité du pays.
Des confrontations claniques sans merci,
Sous le règne du roi Nyiginya Kigeli IV Rwabugili, Rwakagara, un noble du clan bega, a démontré un sens critique, une habilité stratégique et une bonne étoile qui lui ont permis de marier sa fille Kanjogera au roi Rwabugili, de faire nommer son fils Kabare au rang des grands notables et de faire marier son fils Ruhinankiko à la princesse Nyiramukesha, sœur du roi Rwabugili. Cette prouesse diplomatique permit à sa maison (Abakagara) d’avoir une influence considérable dans les affaires du royaume depuiscette période.
Cette influence alla jusqu’à convaincre le roi Rwabugili de déroger aux règles du code ésotérique et désigner Kanjogera comme la future reine-mère de son successeur Mibambwe IV Rutalindwa. En effet, le code prévoyait que le nouveau roi était intronisé avec sa mère comme reine-mère, cette dernière étant aussi puissante, voire plus que le roi surtout lorsque celui-ci était encore mineur au moment de son intronisation. Les reines-mères provenaient des 4 clans matri-dynastiques dans un ordre de succession établi par le code Ubwiru. D’après le code, c’était au tour du clan des Abakono de donner la mère du successeur de Rwabugili. Rutalindwa, le successeur désigné étant déjà orphelin, il fallut désigner une reine-mère de remplacement, rappelons que sa mère avait été assassinée sur ordre de Rwabugili lors d’une des nombreuses purges qui ont émaillées son règne.
Le 22 décembre 1889 eut lieu l’intronisation du roi Mibambwe IV Rutalindwa avec Kanjogera du clan Abega comme reine-mère. La route vers le pouvoir était grande ouverte pour la descendance de Rwakagara, ne restait plus qu’à éliminer le roi et le remplacer par le propre fils de Kanjogera. Ils devinrent si puissant qu’on commença à parler des Abakagara au lieu des Abagaga (Gaga était le père de Rwakagara).
Kanjogera et ses deux frères, Kabare et Ruhinankiko commencèrent alors une campagne pour mettre de leurs côtés les chefs influents, ceux qui s’opposaient à leurs projets furent éliminés comme Nkangabenshi, Mugugu fils de Shumbusho, Bisangwa fils de Rugombituli et Sehene. Ils déclarèrent ensuite la guerre à Rutalindwa. C’est la révolution de palais de 1896 plus connue comme « coup d’Etat de Rucunchu » dans laquelle le roi Mibambwe IV Rutalindwa et toute sa cour s’immolèrent par le feu après leur défaite.
Cette révolution de palais marqua une profonde fissure dans la haute noblesse tutsi. Beaucoup de nobles Abakono furent mis à l’écart et d’autres fuirent vers l’Ouganda. Les Banyiginya fidèles à Rwabugili et Rutalindwa furent tués et dépossédés. Cette fissure de la noblesse se perpétue jusqu’à nos jours !
Cette confrontation se poursuivra sous le règne du roi Nyiginya Yuhi V Musinga, quand ce dernier finira par prendre l’ascendant sur sa mère Kanjogera. Kayondo, lui aussi du lignage de Rwakagara, du clan Abega fut le meneur pour reprendre l’influence à Musinga. Il était le leader du groupe « Inshongore », qui réunissait la haute noblesse qui voulait utiliser l’influence des colons belges pour rivaliser avec l’influence du roi. Ce groupe profita des rivalités entre Musinga, protecteur de la culture rwandaise et les administrateurs belges comme Defawe et Lenaerts, pour créer un véritable pôle d’influence en coopérant intelligemment avec les belges pour la réduction du pouvoir royale et en acceptant de faciliter les intérêts des colons belges.
La puissance de ce groupe fut telle que Musinga ne contrôla plus la chaîne du système de clientèle et dût se rapprocher des pères blancs pour contrecarrer ce groupe. Ainsi assista-t-il à l’inauguration de la cathédrale de Kabgayi, mais ce rapprochement avec les pères blancs venait trop tard, son destin était déjà scellé. Il fut chassé de Nyanza le 14 novembre 1931 et emmené à Kamembe, sous la surveillance du chef Rwagataraka du même clan que Kayondo.
L’influence du Clan de Paul Kagame dans la nouvelle république
Pour parfaire cette prise de contrôle du secteur économique, plusieurs sociétés furent confisquées à leurs propriétaires, ou mise en difficultés financières notamment par des contrôles fiscaux et les hommes d’affaires les plus influents tués ou poussés à l’exil pour les plus chanceux. Ainsi furent assassinés de célèbres hommes d’affaires comme Rwigara Assinapol et Venuste Rwabukamba ; d’autres comme Rujugiro Tribert et Sisi Evariste prirent la fuite. Ces personnes ont pourtant eu un rôle plus que déterminant dans la victoire du FPR, mais la vision du FPR et les intérêts de ses membres sont relégués au second plan et parfois aux oubliettes au profit du contrôle financier par la famille de Paul Kagame.
Le dernier meneur du lignage Abega-Abakagara, le président Paul Kagame, essaye tant bien que mal de construire un royaume dans une république. Pour ce faire, il a dû éliminer tous les prétendants aux pouvoirs, les anciens militaires du FPR cités plus hauts, de véritables héros du FPR pendant la guerre de 1990-1994. La guerre au Congo servit également à l’élimination des militaires que Kagame jugeait gênants pour son hégémonie. Dans ce groupe militaire du FPR, Kagame a instauré comme dans l’ancien temps, des châtiments corporels à ses officiers. Depuis lors, des claques sont régulièrement distribuées aux officiers supérieurs du FPR par Kagame à chaque contradiction et à chaque colère comme nous le reporte le lieutenant-colonel Balthazar Ndengeyinka.
Toute personne menaçant le système établi par cette faction fut éliminée. La liste est très longue. Nous pouvons citer entre autres : le capitaine Kalisa Mupende (directeur des finances dans le bureau du président), Théogène Turatsinze (directeur de la Banque rwandaise de développement) ; André Kagwa Rwisereka (qui a quitté le FPR pour créer le Parti démocratique des Verts), le ministre de l’Intérieur Seth Sendashonga, le préfet Pierre-Claver Rwangabo ; le ministre de la Justice Alphonse-Marie Nkubito ; le colonel Cyiza Augustin (président de cour de cassation) ; Monseigneur Gasabwoya qui avaient aidé beaucoup de Tutsi à trouver des places scolaires au Rwanda et au Burundi, Monseigneur Nsengiyumva, Archevêque de Kigali ; Maitre Nzamwita Toy ; le docteur Gasakure (médecin personnel du président Kagame) ; Assiel Kabera conseillé à la présidence, le colonel Patrick Karegeya et bien d’autres.
Cette rivalité clanique se retrouve également au cœur de l’opposition entre le général Kayumba Nyamwasa et le général Paul Kagame. Nyamwasa étant membre du clan Nyiginya, désireux de voir reprendre l’influence au clan de Kagame. Mais également avec le général Jean Bosco Kazura, un Nyiginya influant, qui avait pu garder de l’influence de part le fait qu’il venait du Burundi et donc potentiellement moins dangereux que les Nyiginya venu de l’Ouganda.
Si la guerre que commença le FPR en 1990 était présentée comme une guerre d’un peuple qui voulait rentrer dans son pays et libérer ses frères, une distinction deviendra de plus en plus claire, au fur et à mesure que Kagame prendra le contrôle sur le FPR. Une différence d’égards et de traitement entre les réfugiés de 1959, où se regroupe la plupart des anciennes familles de la haute noblesse, les réfugiés tutsi de 1961 et 1973 avec généralement un statut social moins important à l’époque de la royauté, les réfugiés d’avant 1959 qui avaient fui les monarques de l’époque (comme les réfugiés de la guerre de Rucunshu en 1896), ceux qui ont fui la famine Ruzagayura en 1943-1944, ou encore les tutsi implanté en Masisi par les autorités coloniales Belge entre 1935 et 1955 (Référence : Stratégie du chaos et du mensonge). Les tutsi qui n’étaient pas réfugiés en 1990 et étaient restés au Rwanda, étaient quant à eux considérés comme étant dévalorisés, comme étant sacrifiables.
Bien que la volonté de diriger le pays comme un royaume semble prédominer et que certains médias proches de pouvoir mettent les bouchées doubles pour faire avaler la pilule au peuple rwandais, les rwandais de tout bord, ne souhaitent pas entrer dans un système féodal sous la coupole du clan Abega-Abakagara où cette caste pourrait alors régner indéfiniment sans partage au détriment de l’histoire et de tout un peuple.
Aimable Uzaramba Karasira, enseignant en technologie de l’information et de la communication à l’université du Rwanda, qui a connu une grande célébrité sur les réseaux sociaux depuis 2019, grâce à son franc-parler et ses analyses impartiales sur le quotidien et la politique au Rwanda serait en train de subir une injustice en contrepartie.
Pour des fins visiblement politiques, une procédure disciplinaire visant le licenciement à son poste d’enseignant aurait été concocté par le FPR, parti au pouvoir, afin de se débarrasser de cet ami indissociable de la vérité, dont la popularité grandit du jour au jour. Le déclencheur de la procédure serait monsieur Edouard Bamporiki, secrétaire d’Etat au ministère de la jeunesse et de la culture, qui a imploré sur son compte Twitter que l’opinion exprimée publiquement par l’universitaire de ne pas envisager un mariage et surtout un mariage avec une rwandaise devrait entrainer son licenciement de son poste d’enseignant.
Quelques jours seulement après le tweet de monsieur Edouard Bamporiki, le célibataire quarantenaire a été surpris de recevoir en date du 27 juillet 2020, une lettre émanant de son employeur, le directeur de collège des sciences et technologies, Dr. Ignace Gatare, lui demandant de fournir des explications relatives aux fautes disciplinaires qu’il aurait commises. Dans la lettre, plusieurs supposées fautes disciplinaires sont invoquées à l’encontre de Karasira y compris le fait d’avoir exprimé publiquement qu’il ne voudrait pas se marier et avoir des enfants avec une rwandaise ; avoir dit que le pays ne donne pas assez de valeur au jour de l’indépendance qui a lieu le premier juillet de chaque année ; avoir déclaré qu’il y’a des mauvaises conditions de vie au Rwanda ainsi que le fait de n’avoir pas poursuivi ses études de doctorat en 2008.
Voyons-en bref, comment le contenu de la lettre adressée à Karasira contrevient à plusieurs dispositions légales rwandaises, sans même évoquer des violations aux conventions et traités internationaux que le Rwanda a ratifiés. Commençons par les erreurs de procédures avant de jeter un coup d’œil sur le fond.
Erreurs de procédure délibérées ou intention méchante ?
Karasira se voit reprocher des faits survenus et connus depuis 2008 relatifs au manquement de poursuivre ses études de doctorat. Le fait de ne pas poursuivre une formation à laquelle on a été envoyé et ne pas la poursuivre est passible d’une sanction disciplinaire de suspension de 3 moins maximum au travail sans être payé (faute lourde) selon l’article 13 de l’arrêté présidentiel nº 65/01 du 04/03/2014 portant modalités d’application du régime disciplinaire pour les agents de l’Etat au Rwanda. Pratiquement, ces faits seraient survenus il y a 12 ans. Evoquer aujourd’hui des faits connus et non sanctionnés par l’université en 2008 est un acte illégal si nous regardons l’article 39 de l’arrêté présidentiel nº 65/01 du 04/03/2014 ci-haut cité en ce qui concerne la prescription légale.
Rappelons que la prescription est un principe général de droit qui désigne le délai au-delà duquel une plainte administrative ou autre, n’est plus recevable. L’article 39 en question prévoit alors que ‘Lorsqu’un délai de deux (2) ans s’écoule pour une faute disciplinaire passible d’une sanction de la deuxième catégorie (faute lourde) [dont la sanction qu’aurait subie Karasira]sans que cette sanction ait été encourue, la faute disciplinaire n’est plus en mesure d’être sanctionnée.’
Autrement dit, l’université n’a plus droit de poursuivre ces faits comme faute car il y a eu prescription légale.
Un autre vice de procédure apparait dans le dernier paragraphe de la lettre du docteur Ignace Gatare où il donne à Karasira l’ordre de fournir des explications sur les faits lui reprochés endéans 2 jours dès la réception de la lettre de demande d’explications. L’article 21 de l’arrêté présidentiel susdit prévoit un délai de 5 jours[i]pour que la personne trouve le temps suffisant de répondre à son employeur. Serait-ce l’ignorance de la loi par les hauts cadres académiques rwandais ou des erreurs délibérées et motivées par l’intention méchante de se débarrasser de Karasira au plus vite possible ?
Erreurs de fonds
Sur la question d’avoir dit que le Rwanda n’accorde pas assez de valeur au jour de son indépendance, est ceci une faute ou un crime ? L’article 38 de la constitution rwandaise de 2003 révisée en 2015 stipule que toute personne jouit de la liberté d’expression.[ii]Il n’y a donc aucune violation légale quand une personne exprime son opinion. En plus, l’article 8 de la loi régissant les médias au Rwanda garantit la liberté de diffuser les informations dans les médias à la limite de ceux pouvant nuire à l’ordre public[iii]. Même si cela était une violation de la loi, la compétence de poursuite aurait incombé à la police rwandaise et non à l’employeur car le sujet relèverait du domaine pénal.
Les autorités de l’université lui reprochent aussi d’avoir exprimé publiquement que les conditions de vie au Rwanda sont mauvaises et qu’il ne se marierait pas avec une rwandaise. Il faut dire que, juridiquement parlant, tous ces propos ne sont que des opinions personnelles ne constituant pas une violation de la loi. A noter que Karasira avait parlé des mauvaises conditions de vie des Rwandais en se basant sur le rapport mondial du bonheur paru en 2020. Selon celui-ci le Rwanda figure parmi les 4 pays du monde où les citoyens se sentent le moins heureux[iv]. Si les conclusions de ce rapport ne plaisent pas aux autorités politiques rwandaises, les évoquer ne devraient constituer en aucun cas un manquement aux obligations professionnelles d’un universitaire.
Quant au renoncement au mariage et surtout au mariage avec une rwandaise, la décision personnelle de Karasira n’a rien d’illégale. Au contraire ce qui est illégal c’est le fait de vouloir contraindre Karasira à dire ou à faire le contraire. Rappelons par ailleurs que de tels propos sur la vie privée ne peuvent pas être invoqués comme faute dans le cadre professionnel. En plus, l’article 23 de la constitution rwandaise interdit à toute personne de s’immiscer dans la vie privée d’autrui et de sa famille. Pratiquement, Karasira est victime d’immiscions dans sa vie privée de la part du Ministre Bamporiki Edouard ainsi que du Dr. Ignace Gatare. D’amples détails sur le mariage sont prévus par la loi nº 32/2016 du 28/08/2016 régissant les personnes et la famille au Rwanda. La loi nº 32/2016 du 28/08/2016 régissant les personnes et la famille au Rwanda, dans ses articles 11, 166 et 177, stipule que le mariage se fait sur base de la volonté, du libre choix et du consentement des partenaires. Le droit de se marier ou de ne pas se marier provient d’une décision personnelle et nul ne peut être mis sous contrainte de le faire ou de ne pas le faire.
Des risques pour la vie d’Aimable Karasira ?
Pour Aimable Karasira, le principal intéressé, les motifs invoqués sont des prétextes pour se débarrasser d’une personnalité dont les propos gênent le FPR, le tout puissant parti au pouvoir.
Dans une interview accordée le 28 juillet 2020 au journal Umubavu, Aimable Karasira a dit craindre pour sa vie, et a tenu des propos qui résonnent comme un testament « « Lorsque tu dis une vérité qui diffère de celle du FPR [le parti au pouvoir] (…) tu es blacklisté. (…) Je suis prêt à ce qui va m’arriver. Commencez à dire à vos enfants et petits enfants qu’un homme du nom de Karasira a existé et a été victime de dire la vérité. Considérez moi comme Ndabaga, car j’avais un travail, j’avais un revenu, mais je suis allé au delà pour parler pour les rwandais. Je voudrais qu’ils se souviennent de moi comme Ndabaga, comme Ruganzu. Je vivais déjà comme une épave en raison de ce que ce système m’a fait, en tuant mes parents et d’autres choses, mais cette fois-ci, les signes montrent que mon tour est arrivé. Je partirai comme d’autres sont partis, comme Kizito est parti, organisez au moins des messes pour nous, nommez des lieux en notre mémoire, notre mort est imminente (…) nous connaissons nos détracteurs, nous savons qu’ils ne jouent pas, dès qu’ils n’apprécient pas vos propos, ils vous éliminent. »
Une pétition a été mise en ligne par le Cadre de Concertation de la Société Civile Rwandaise (CCSCR) pour condamner le harcèlement contre Aimable Uzaramba Karasira à Université du Rwanda, et plusieurs centaines de personnes l’ont dèjà signé en un peu plus de 24 heures.
Ce dimanche 30 aout 2020, à l’occasion de la journée internationale des victimes de disparition forcée, Jambonews a rencontré Claudine Mukashema, une belge d’origine rwandaise qui, depuis plus de 22 ans, s’interroge sur le sort de son père porté disparu au Rwanda.
Dans une vidéo transmise à la rédaction de Jambonews, Claudine Mukashema demande des réponses sur le sort de son père « Je sais que je ne suis pas la seule dont un proche a été victime de disparition forcée au Rwanda (…) j’en vois d’autres ayant la même peine que moi, je voudrais m’associer à eux pour qu’on demande au régime du FPR-Inkotanyi de nous fournir des réponses».
Claudine Mukashema est la cadette d’une famille nombreuse originaire de la commune de Gatonde, dans l’ancienne préfecture de Ruhengeri.
Son père, Onesphore Byampiliye et sa mère Immaculée Twagiramariya étaient des commerçants visionnaires originaires ayant prospéré dans la préfecture de Gisenyi.
Après une enfance que Claudine décrit comme « heureuse et insouciante », la vie de la famille a basculé au milieu des années 80 après que son père se soit présenté aux élections législatives « Le Colonel Aloys Nsekarije a accusé ma famille d’avoir des liens avec Alexis Kanyarengwe et les persécutions politiques ont commencé. En octobre 1990 après que le FPR-Inkotanyi présidé par le même Kanyarengwe ait déclenché une guerre contre le Rwanda à partir de l’Ouganda , les persécutions ont pris une autre ampleur, menant même à l’emprisonnement de mon père qui était accusé d’être « icyitso » [un complice du FPR] .»
D’octobre 1990 à avril 1994, Claudine et sa famille vont vivre ce qu’elle décrit comme « un chemin de croix », provoqué par les partisans du régime de l’époque et qui culminera avec l’assassinat à coups de machettes de son frère, Prosper Byampiliye, le 7 avril 1994 dans les toutes premières heures des massacres.
Quelques semaines plus tard, alors que les troupes du FPR s’emparaient progressivement de tout le pays, la famille de Claudine, tout comme des millions d’autres rwandais, a pris le chemin de l’exil vers l’ex-Zaïre.
En 1996, après le début des attaques de camps de réfugiés rwandais dans l’ex Zaïre et face au climat d’insécurité touchant les rwandophones de la région, la famille de Claudine décide de rentrer au Rwanda.
Le dimanche 28 juin 1998, nous raconte Claudine « mon père attendait un taxi au bord de la route lorsqu’il a été arrêté par « Oscar », le Bourgmestre de Nyamyumba qui l’a emmené. Ma mère a été à la communede Rubavu pour alerter sur la disparition de mon père. Arrivée là-bas, elle a été mise au cachot et relâchée le soir même avant d’être reconduite par un militaire du FPR à notre domicile. Le lendemain matin elle été assassinée dans notre maison par d’autres militaires du FPR qui vivaient à l’usine à thé de Pfunda. Les voisins ont enterré ma mère à la hâte le jour même. Quand je suis arrivée à la maison, le jour d’après, j’ai trouvé du sang surtout, ce qui pour moi montre qu’elle a été tuée par armes blanches, ce que m’ont confirmé les personnes qui l’avaient entretemps enterrée. Je ne savais pas quoi faire : fuir le Rwanda ou aller à Kabgabyi comme l’avaient prévu mes parents. Ma mère venait d’être tuée, je n’avais pas de nouvelles de mon père, j’entendais qu’il pourrait avoir été tué aussi. »
Aujourd’hui, 22 ans plus tard, Claudine témoigne pour la mémoire de ses parents, mais aussi pour briser le silence autour de ces disparitions insensées qui continuent encore aujourd’hui à avoir lieu au Rwanda. « Mon père a disparu le 28 juin 1998, ma mère a été tué le lendemain et aujourd’hui 22 ans plus tard, comme cela a été le cas pour mes parents, nous continuons à être témoins de disparition ou d’assassinats qui se commettent en toute impunité au Rwanda. C’est pour leur mémoire, mais aussi pour briser ce silence et cette impunité qui font que ce qui est arrivé à mes parents continue à se reproduire que j’ai souhaité témoigner aujourd’hui. »
Les Forces de Libération National (FLN) est un mouvement armé dit de libération appartenant au Conseil National pour le Renouveau et la Démocratie (CNRD), un parti politique d’opposition rwandaise. Le FLN a vu le jour le 10 juin 2016, peu après de la scission entre les FDLR et le CNRD. A la suite de ce schisme, des affrontements violents ont éclaté entre les deux organisations « sœurs », qui avaient des divergences de vision. Le CNRD-FLN, composé majoritairement de jeunes, voit le jour avec notamment la volonté de renégocier les conditions d’un retour pacifique des réfugiés rwandais.
C’est ainsi qu’en décembre 2016, le CNRD est co-fondateur du Mouvement Rwandais pour le Changement Démocratique (MRCD-Ubumwe), une plateforme politique devant réunir plusieurs partis d’opposition. A la suite des élections présidentielles de 2017, remportées sans commune mesure par Paul Kagame, ainsi que de la modification constitutionnelle lui permettant de régner sur le Rwanda jusqu’en 2034, un tournant est effectué dans l’opposition politique rwandaise. Dès juillet 2018, le CNRD met sa branche armée sous la coupole de la plateforme politique du MRCD. La coalition annonce par voie de communiqué que « Le FLN usera de tous les moyens possibles, y compris la lutte armée, pour chasser le FPR du pouvoir, puisqu’il a refusé toutes les voies pacifiques. » Le 15 juillet 2018, Callixte Sankara, devenue porte-Parole des FLN, revendique des attaques contre des cibles militaires dans les districts de Cyangugu, Nyamagabe, Nyaruguru, Bugesera et Huye.
Durant les 2 ans qui suivront, plusieurs opérations seront menées contre des cibles militaires ou étatiques dans le sud du pays. Les FLN mèneraient ces attaques en partant de la forêt de Nyungwe où ils se situeraient depuis 2 ans.
Le 10 juin 2020, dans un communiqué signé par les présidents des 3 autres membres de la coalition, à savoir Paul Rusesabagina (PDR-Ihumure), Faustin Twagiramungu (RDI-Rwanda Nziza) et Kassim Butoyi (RRM), la plateforme MRCD a annoncé exclure le CNRD de la coalition. De Facto, le FLN a donc également été écarté et il est donc retourné sous la coupole de son parti politique d’origine, le CNRD.
Depuis la fin de la « guerre des infiltrés » (intambara y’abacengenzi) en 1998, il n’y avait quasiment plus eu d’attaque de rebelles armés sur le sol rwandais. Pourtant depuis 2017, il y a une importante recrudescence d’actions menées sur le territoire rwandais contre le pouvoir afin de contraindre le régime du FPR-Inkotanyi.
Afin de comprendre et de saisir les tenants et aboutissants de ce phénomène, Jambonews a souhaité rencontrer les acteurs de cette nouvelle vague. C’est ainsi que nous avons eu un entretien il y a quelques semaines avec la nouvelle présidente du CNRD, madame Francine Umubyeyi. Cette fois, nous avons pu nous entretenir avec le général de brigade Antoine Hakizimana, dit « Jeva ». C’est un commandant de secteur opérationnel au sein des Forces de Libération Nationale et c’est aussi le Coordinateur des Opérations du FLN.
Lors de la conversation téléphonique que nous avons eu pour réaliser cette interview, le Général Jeva nous a dit se situer à Nyamagabe (dans le sud du Rwanda).
Gen. Antoine Hakizimana « Jeva » : Bonjour, Messieurs les journalistes de Jambonews! Avant de me présenter, je voudrais d’abord vous remercier de m’avoir accordé cette occasion propice pour cette interview avec votre journal Jambonews que je respecte beaucoup pour le rôle de ses publications dans la recherche et la communication de la vérité.
En ce qui me concerne personnellement, comme vous venez de me le demander, je réponds au nom de Général de Brigade JEVA ANTOINE HAKIZIMANA. Je suis âgé de 47 ans. Je suis originaire de l’ancienne Préfecture de Cyangugu, Commune Kirambo; actuellement c’est dans la Province de l’Ouest, District de Nyamasheke. Je suis marié à Madame JEANNETTE MUKAMUHIRE TUMUSIFU, avec qui nous avons eu deux enfants, une fille, JOY GLOIRE UWERA SOLANGE âgée de 14 ans et un garçon, EDI DIEU MERCI NIYONZIZA BIENVENUEâgé de 11ans. Ils ont tous été kidnappés par le régime terroriste du FPR depuis l’année passée, lors de l’opération ignoble de rapatriement forcé des réfugiés rwandais de KALEHE en novembre et décembre 2019.
Je suis le Commandant de l’un des Secteurs opérationnels au sein des Forces de Libération Nationale, en même temps le Coordinateur des Opérations dans les FLN .
Je voudrais également profiter de cette occasion pour adresser mes chaleureuses salutations et mes sincères remerciements aux amis et connaissances et à tous ceux qui nous suivent maintenant, surtout les Intwarane, membres du CNRD-FLN et à tous les autres bienfaiteurs qui soutiennent d’une manière ou d’une autre notre noble tâche de libérer notre chère patrie, le Rwanda.
Que faisiez-vous avant 1994 au Rwanda ?
Merci Mr le journaliste pour cette question. J’ai terminé mes études secondaires en juin 1993 à l’ École des Sciences de Byimana, option Math-Physique. En août 1993, notre Eglise EMLR m’a affecté à l’Institut John Wesley de Kibogora ( IJW )en tant que animateur, en attendant une bourse d’études supérieures à l’étranger, bourse qui sera torpillée par le chaos qui a suivi le crash de l’avion du Président Juvenal Habyarimana. Ce n’est que plus tard en 1999 que j’aurai une autre chance de faire les études supérieures à l’Université de Lubumbashi (UNILU), dans la faculté de Médecine humaine, études interrompues en première année de Doctorat suite à la chasse aux alliés rwandais décidée par le Gouvernement congolais en septembre 2002 qui a été couronnée par les tristes événements de Kamina du 01 novembre 2002.
Pourquoi avez-vous fui vers la RDC ?
Encore une fois merci pour cette question très importante.
Pour y aller tout droit, j’ai fui vers la RDC en 1994 avec d’autres civils parce que le FPR et son armée APR arrivaient partout en tuant les gens très sauvagement et sans distinction, ce qui faisait peur à tout le monde. Et vous savez vous-mêmes qu’à cette époque, bien sûr à cause des tueries du FPR, beaucoup de gens ont pris fuite vers les pays limitrophes. C’est dans ce contexte que je me suis retrouvé en exil en RDC, le Zaïre de l’époque.
« Les armes pour nous défendre et pour protéger dans la mesure du possible les réfugiés innocents que le FPR était en train d’égorger comme du gibier »
Une fois arrivé en RDC, pourquoi avez-vous décidé de prendre les armes contre l’État rwandais nouvellement en place ? Quel était le sens de votre combat ?
Merci, Mr le journaliste pour cette bonne question. Je voudrais vous dire que je n’ai pas pris les armes directement après mon exil en 1994. Les crimes que le FPR a commis au Rwanda depuis 1990 me faisaient déjà penser à prendre les armes contre ce mouvement terroriste. Mais ce sont ceux qu’il a commis contre la population réfugiée en exil à l’Est de la RDC lors de la destruction des Camps devant les yeux de tout le monde sous le silence de la communauté internationale, qui nous ont décidé, moi et beaucoup d’autres jeunes réfugiés, à prendre les armes pour nous défendre et pour protéger dans la mesure du possible les réfugiés innocents que le FPR était en train d’égorger comme du gibier. La plupart de ces crimes sont bien mentionnés dans le Mapping Report confectionné après des enquêtes menées sur terrain par des Experts de l’ONU. Ça dépassait vraiment l’entendement, tout patriote et tout autre personne douée de bon sens et d’humanité ne pouvait pas rester les mains croisées. Franchement, c’est à partir de ce jour où les réfugiés étaient en train d’être sauvagement massacrés par l’armée de Paul Kagame, que j’ai bien saisi la signification profonde et la valeur d’un pays natal. Dès lors, le sentiment révolutionnaire et le sens patriotique m’ont fait comprendre que défendre les opprimés est l’affaire de tout le monde. Les réfugiés étaient en état de nécessité, j’ai donc pris les armes.
En ce qui concerne le sens de notre combat : compte tenue de ce qui s’est passé et de ce qui se passe actuellement au Rwanda où la situation est devenue pire qu’ avant, à cause du régime sanguinaire du FPR INKOTANYI, nous luttons pour libérer notre patrie, le Rwanda en l’arrachant des griffes du FPR INKOTANYI qui s’est avéré incapable de gouverner pacifiquement le pays. Nous voulons que la démocratie dans sa véritable forme s’instaure dans notre pays, pour que l’injustice prenne fin et que le Rwanda soit un État de droit respectueux des valeurs humaines. Je voudrais vous assurer et assurer tout le monde surtout les Rwandais opprimés que nous sommes déterminés à atteindre ce noble objectif quel que soit le prix que cela va nous coûter. C’est ça le sens de notre combat.
Pourquoi avez-vous rejoint le CNRD après la scission d’avec les FDLR ?
Permettez-moi d’abord que j’apporte un certain éclaircissement. Je n’ai pas rejoint le CNRD-Ubwiyunge, mais je suis parmi ses membres fondateurs, voire même parmi ses concepteurs.
Nous avons dû fonder le CNRD-UBWIYUNGE parce que l’allure des FDLR dans la lutte de libération du Rwanda n’était plus convenable aux objectifs fixés et devenait de plus en plus dérapante et très languissante, voire stagnante. Malgré les conseils prodigués à maintes reprises, les autorités des FDLR n’ont pas montré la bonne foi de rectifier le tir afin de revenir sur les rails. La dernière solution possiblequi restait, c’était alors de faire une révolution au sein du mouvement pour entreprendre la libération de notre chère patrie avec un nouvel élan. C’est ce que nous avons réalisé par la« Révolution Pacifique » du 30 mai 2016suivi par la fondation du CNRD-UBWIYUNGE le 31 mai 2016et la création des FLN le 10 juin 2016.
« Les forces négatives sont celles qui se coalisent pour attaquer à balles réelles une population civile réfugiée »
Le 13 décembre 2019 dans un discours sur l’état de la nation, le Président Félix Tchisekedi a annoncé que « les FARDC avaient détruit, à plus 95%, les bases des forces négatives du CNRD avec un bilan de plus de 1712 capturés parmi lesquels 245 combattants et 10 leaders politiques ». Cette annonce était consécutive à une opération d’envergure menée par les FARDC contre le CNRD à Kalehe au mois de décembre 2019. Est- ce que le CNRD existe encore ?
Permettez-moi, Mr le journaliste, de donner encore une fois des rectifications: le CNRD et les FLN ne sont pas des forces négatives. Ce sont plutôt des forces démocratiques luttant pour un changement positif dans le pays et dans la région. J’estime qu’il y a des forces négatives, ce sont celles-là qui se coalisent pour attaquer à balles réelles une population civile réfugiée vivant en symbiose avec la population autochtone qui l’a accueillie malgré l’insouciance de la communauté internationale.
Pour revenir à votre question, ce que le Président Tshisekedi a dit n’est qu’un langage purement politique. Dire qu’il a détruit les bases du CNRD à 95% est une exagération, parce que parmi les 250.000 réfugiés recensés en RDC par HCR et CNR, il y avait beaucoup de membres du CNRD. Mais comme il a parlé des capturés, il devrait aussi préciser combien de civils, de femmes, de vieillards et d’ enfants que ses forces armées et leurs alliés RDF ont tué durant cette honteuse opération. C’est vraiment dommage d’observer deux gouvernements sensés connaître le droit international sur les réfugiés et les droits de l’homme et deux armées de deux États indépendants membres de l’Organisation des Nations Unies, armées sensées connaître le droit international humanitaire ou droit de la guerre, coalisés et en train de détruire par des fusils et des bombes un camp de réfugiés inoffensifs tout près d’un camp des forces onusiennes. Cela arriva pourtant une nième fois en novembre-décembre 2019 en RDC, plus précisément en territoire de KALEHE, à KITINDIRO tout près d’une base militaire de la MONUSCO chargée de maintien de la paix dans la zone. Et un Président comme Félix Antoine Tchisekedi n’a pas honte de s’en vanter! Alors qu’il devrait plutôt être poursuivi pour un tel crime contre l’humanité.
Revenons aux chiffres de 95%. Franchement, Mr le journaliste, malgré les opérations contre les réfugiés menées par la coalition FARDC-RDF, le CNRD-UBWIYUNGE existe encore et se porte très bien. Nous avons des membres dans tous les coins du globe, sur tous les continents. Même en RDC, surtout dans les deux Kivu, le CNRD-UBWIYUNGE est encore actif. Vous conviendrez avec moi que ces 1712 réfugiés ne correspondent pas à 95% de tous les membres du CNRD parmi les 250 000 réfugiés recensés en RDC. Je précise que la partie du CNRD attaquée est uniquement celle qui se trouvait dans le territoire de KALEHE qui, même dans sa totalité ne correspondrait pas à 95% de tous les membres du CNRD-UBWIYUNGE. Quant à cette partie de KALEHE, elle a bien entendu subi un choc, mais les réfugiés après avoir rejoint leur frères dans les territoires de FIZI et MWENGA et les agents de sécurité rejoint leur camarades au Rwanda dans la forêt de Nyungwe, ils se sont déjà remis du choc subi. Certes, nous avons pleuré les nôtres qui ont perdu la vie dans le territoire de KALEHE et dans le Parc de Kauzi-Biega . Nous sommes sûrs que tôt ou tard les auteurs de ces tueries seront traduits devant la justice parce que en général après la guerre ,il y a la justice ou le Conseil de guerre. En bref, Je précise à présent que le CNRD-UBWIYUNGE est déjà réorganisé et il tient bon.
D’après les communiqués du MRCD, les opérations menées contre le CNRD à Kalehe étaient menées par l’armée rwandaise. Sur quoi vous appuyez-vous concrètement pour affirmer cela ?
Oui, Mr le journaliste, c’est la réalité dans ces opérations contre le CNRD, il y avait les militaires des Rwandan Defense Forces. Je vous en donne la précision moi qui avait laissé les agents de sécurité sur terrain pour protéger les réfugiés abandonnés par la communauté internationale depuis la destruction des camps à l’Est de la RDC en 1996. Nous confirmons cela parce que nous les avons vus et entendus partout où ils passaient en parlant le Kinyarwanda. Deuxièmement nous disposons des informations fournies par nos agents de renseignement dans le camp adverse, celles fournies par des blessés capturés, par la population autochtone qui les voyaient traverser leurs villages. À part cela, et tout le monde peut en témoigner, sous la facilitation et la collaboration de Gen Bde Gahizi Innocent des FARDC, outil de Kigali et qui aussi été reconnu dans les tueries des réfugiés Rwandais à Buguri – Kashebere en janvier 2019, ils avaient érigé à Kibabi, entre septembre et octobre 2019, des positions visibles sur les montagnes. Donc, Mr le Journaliste, ce ne sont pas des spéculations, mais des informations sûres et bien vérifiées.
« Est-ce que le gouvernement d’un pays où la population de toutes les catégories et de toutes les ethnies prend fuite chaque jour suite aux persécutions par les différents services étatiques n’est pas un gouvernement terroriste?«
Le gouvernement rwandais vous accuse d’être une organisation terroriste, que répondez-vous à ces accusations ?
Encore une fois merci, Mr le journaliste, pour cette question très intéressante. Pour y répondre, posons-nous cette question :
Lorsque le FPR se battait sur le champ de bataille en 1990, est-ce qu’on l’ appelait une organisation terroriste ? Je pense que non. Et vous êtes sans ignorer des crimes très graves de guerre et contre humanité commis à cette époque dont il est responsable. Comment alors que le CNRD-UBWIYUNGE qui n’est pas sur la liste des terroristes établie par l’ONU et qui n’est accusé d’aucun crime comparable à ceux commis par le FPR peut-il être qualifié de terroriste? Ce que vous devez connaître c’est que dans sa propagande médiatique, notre adversaire a toujours cherché à nous coller à tort tous les mauvais qualificatifs possibles, mais la communauté internationale, supposée neutre, est là pour juger chacun sur ses faits et trancher.
Les propos de Kigali ne sont donc qu’un alibi fabriqué dans l’intention de ternir l’image du CNRD-UBWIYUNGE. Mais à l’heure où nous sommes, la communauté rwandaise et la communauté internationale ont découvert les manœuvres mensongères du régime du FPR-INKOTANYI.
En principe, avant d’accuser les autres, il faudrait d’abord se contrôler pour voir si vous-mêmes vous êtes saints. Est-ce que le gouvernement d’un pays où la population de toutes les catégories et de toutes les ethnies prend fuite chaque jour suite aux persécutions par les différents services étatiques n’est pas un gouvernement terroriste? Vous savez très bien que ses agents secrets tuent, arrêtent arbitrairement ou enlèvent les gens sans merci, tant dans le pays qu’à l’étranger. Les plus visés étant les opposants politiques et leurs anciens collaborateurs qui ont préféré l’exil en lieu et place de continuer de maltraiter leurs compatriotes innocents. De pareils cas sont de notoriété même sur le sol étranger comme en RSA, en Ouganda, en RDC, au Kenya, pour ne citer que ceux-là. Alors, comment appelleriez-vous cela si ce ne sont pas des actes terroristes ? Je crois que j’ai bien répondu à votre question.
Le Général de Brigade « Jeva » dans un uniforme des RDF récupéré lors d’une opération des FLN contre une position de l’armée rwandaise à Bweyeye (dans le sud du pays)
« Croyez-vous que les Tutsi qui fuient le régime du FPR pourraient rejoindre les rangs des FLN s’ils y voyaient en nous une menace«
Le pouvoir de Kigali, vous accuse également d’être « les descendants de forces génocidaires » et que « vous souhaitez poursuivre le génocide perpétré contre les Tutsi ». Que dites- vous de cela ?
Vous savez, Mr le journaliste, la politique de Kigali est fondée sur le mensonge systématique et Kigali cherche toujours à manipuler l’opinion internationale. Il est bien connu que la responsabilité pénale est individuelle. Mais au Rwanda ce n’est pas le cas. Kigali essaie toujours de coller ces accusations aux innocents jusqu’aux enfants mêmes nés plus tard après le génocide rwandais de 1994 comme dans la fable du Loup et de l’ Agneau, juste pour faire souffrir la famille de celui qu’on veut écarter injustement de la politique. C’est ce qu’ils appellent cyniquement « déraciner le génocide ». Donc pour eux, la responsabilité pénale est collective. Ce qui prouve qu’aujourd’hui le Rwanda est loin d’être un État de droit. Même en supposant que certains de nos ascendants aient réellement commis de telles infractions, Sauf le sentiment de vouloir faire mal aux autres, le Président Kagame lui-même sait très bien qu’un enfant peut agir différemment de ses parents. C’est peut-être pourquoi Kagame lui-même ne considère pas Bernard Makuza comme son père Anastase Makuza .
Considérant alors l’accusation comme quoi « nous souhaitons poursuivre le génocide perpétré contre les Tutsi » : croyez-vous que les Tutsi qui fuient le régime du FPR pourraient rejoindre les rangs des FLN s’ils y voyaient une telle menace ? Impossible ! J’en profite pour informer le régime de Kigali, la communauté nationale et internationale, que les FLN sont composées des membres issus de toutes les ethnies du Rwanda et que tous les membres du CNRD-UBWIYUNGE et des FLN cohabitent et travaillent ensemble comme des frères. Pour me résumer, les propos du régime du FPR à ce sujet sont démodés.
« La lutte armée n’est pas la seule alternative pour résoudre les problèmes politiques rwandais«
La lutte armée est-elle la seule alternative pour atteindre l’objectif que se fixe le CNRD ?
Je suis d’avis Mr le journaliste, que la lutte armée n’est pas la seule alternative pour résoudre les problèmes politiques rwandais. Mais comme le Président Kagame refuse catégoriquement le dialogue inclusif avec son opposition tant armée que politique, la lutte armée s’avère nécessaire et opportune en vue de le ramener à la raison. C’est la seule voie qui reste pour lui , accepter la voie pacifique du dialogue.
Depuis 2018, les FLN, à l’époque branche armée du MRCD (la plateforme politique à laquelle le CNRD appartient), ont mené des opérations de guérilla à partir de la forêt de Nyungwe (au sud du Rwanda). Vos Troupes sont-elles encore au Rwanda ?
Oui, Mr le Journaliste. Les FLN se trouvent toujours sur le sol de notre chère patrie dans plusieurs coins du pays. Et les opérations militaires vont se poursuivre bien sûr au rythme de guérilla avant la phase décisive de passage à la guerre classique, pour vous en témoigner.
Avez-vous le sentiment d’avoir le soutien de la population rwandaise ?
Merci beaucoup pour cette question. Nous avons le soutien de la population rwandaise parce qu’elle est, elle-même, fatiguée de tous les maux et surtout des injustices de tout genre que le régime du FPR ne cesse pas de lui faire subir. À cela s’ajoutent, une multitude d’ impôts exorbitants lui exigés par le régime, contrairement aux slogans que le FPR clamait en octobre 1990.
Ainsi, une telle population ne manquera pas de soutenir à tout prix celui qui apporte le changement pour apaiser la souffrance terrible qui pèse sur elle.
« La population rwandaise n’est pas inquiète du risque d’une nouvelle guerre parce qu’elle vit déjà des moments extrêmement plus difficiles et plus durs que la guerre«
Comprenez-vous que la population rwandaise soit inquiète du risque d’une nouvelle guerre après les années tragiques qu’elle a vécues?
A mon humble avis, quand vous vivez longtemps des moments durs, à un certain moment vous souhaitez coûte que coûte vous en sortir quel que soit le prix à payer et quelles que soient les circonstances du changement. C’est tout à fait évident.
En d’autres termes, la population rwandaise n’est pas inquiète du risque d’une nouvelle guerre parce qu’elle vit déjà des moments extrêmement plus difficiles et plus durs que la guerre, des moments de désespoir qu’elle n’avait jamais vus ni vécus avant l’avènement du régime du FPR-INKOTANYI. Donc pour elle, mieux vaut mourir en luttant que mourir à genoux ou la tête basse.
Que demandez-vous à la République Démocratique du Congo où vous êtes installés ainsi qu’à la communauté internationale dans son ensemble ?
Il importe de donner des précisions encore une fois que les FLN ne sont plus en RDC. Ils sont plutôt sur le sol de leur pays natal. En RDC, il reste seulement les réfugiés ainsi que les agents de sécurité pour la protection et la sécurité de ceux-ci. Donc, je ne manquerai pas de demander deux choses à la RDC :
– la première est de respecterles droits des réfugiéset les droits fondamentaux de la personne humaineselon les conventions internationales qu’elle-même a ratifiées, parce que beaucoup de réfugiés ont été tués sur le sol congolais et la main de son gouvernement dans ces crimes n’est pas moindre;
– la deuxième est le respect des droits des prisonniers de guerre. Sur ce, leur transfert au Rwanda devrait se faire dans les normes internationales pour que les familles puissent connaître le sort de leurs enfants à travers le CICR ou les organismes de droits de l’Homme. Or, la façon dont les capturés ont été transférés au Rwanda, lors des différentes opérations conjointes avec le Rwanda contre les réfugiés et les agents de sécurité des camps des réfugiés, fait plutôt penser à la traite négrière qu’à une quelconque extradition judiciaire ou un quelconque échange de prisonniers de guerre.
Quant à la Communauté internationale, nous demandons qu’elle mette la pression sur le régime de Kigali pour le convaincre d’accepter de résoudre pacifiquement les problèmes politiques rwandais à travers un dialogue politique franc et inclusif avec son opposition.Elle devrait également étudier et trouver une solution durable aux problèmes des réfugiés rwandais en RDC, recensés et reconnus par la Commission Nationale des Réfugiés (CNR) et par le HCR , mais exterminés sans cesse par l’armée rwandaise sur le sol congolais grâce à l’aval du gouvernement actuel de la RDC. Ladite pression devrait également s’exercer sur le gouvernement de la RDC pour qu’il traite les réfugiés suivant les normes internationales et respecte les droits des prisonniers de guerre en général.
« À l’heure qu’il est, ce qui est important et urgent, ce sont des actions qui inspirent de la confiance au peuple rwandais«
Pour terminer, l’opposition politico-militaire rwandaise est marquée par plusieurs divisions. La scission entre le CNRD et les FDLR a créé des tensions importantes, avant cela le RUD-Urunana s’était déjà détaché. Est- ce que vous pensez qu’aujourd’hui les conditions sont réunies pour une réunification ?
C’est vrai, des divisions se sont souvent produites au sein de l’opposition politico-militaire rwandaise. Mais en réalité ces divisions sont de deux catégories :
– Il y a d’une part des scissions opérées par des dissidents téléguidés consciemment ou inconsciemment par l’ennemi.
– Il y a d’autre part, des dissidences opérées par ceux qui découvrent la main de l’ennemi ou la déviation des objectifs au sein de la direction de l’organisation et préfèrent se mettre à part pour bâtir un nouveau système non infiltré et rectifier la ligne de conduite de l’organisation vers les objectifs fixés. D’après les propos du Général Kabarebe, le FPR a toujours procédé par la provocation des divisions au sein de l’opposition rwandaise dans le but de l’affaiblir. Ceci dit, nous devons beaucoup apprendre de tous ces événements, bien analyser les causes de ces dissidences, mettre à côté ce qui nous divise parce que cela ne profite qu’à l’ennemi, et nous rassembler plutôt autour de l’objectif de libérer notre patrie.Cette unité ne doit pas rester en paroles, mais doit être concrétisée par les actes. Nous avons un même ennemi qui veut nous écarter de la gouvernance de notre pays et continuer à opprimer surtout la population de l’intérieur. L’union fait la force, mais cela passe par un processus qui doit commencer par la collaboration. Au fur et à mesure que se crée la confiance mutuelle, on pourra en arriver à former une coalition, et plus tard on en arrivera à la réunification ou fusion. À l’heure qu’il est, ce qui est important et urgent, ce sont des actions qui inspirent de la confiance au peuple rwandais. Voilà tout.
Avez-vous un message pour les Rwandais?
Bien sûr ! Un message pour le peuple rwandais ne peut pas manquer, parce que c’est pour eux que nous menons la lutte.
Premièrement, il doit savoir que ce qui se fait actuellement dans notre pays est pire que tous les maux ayant caractérisé les régimes antérieurs au régime du FPR-INKOTANYI.
Deuxièmement, les Rwandais se trouvant à l’extérieur sont aussi victimes de la chasse à l’homme menée par le FPR-INKOTANYI. certains ont plutôt accepté d’être au service du FPR de peur d’être tués.
L’objectif du FPR est de s’éterniser au pouvoir et opprimer tout le monde et que chaque Rwandais se laisse asservir par lui, afin qu’il puisse écarter ceux dont il n’a plus besoin. J’exhorte tous les Rwandais à se lever tous ensemble et faire chacun ce dont il est capable dans le sens de nous libérer et libérer notre patrie. Nous ne devons pas accepter d’être utilisés par le FPR-INKOTANYI pour tuer ou opprimer nos compatriotes.Tuer ton compatriote sans motif valable, uniquement parce qu’on vous l’ordonne, équivaut à un suicide. Au lieu de se laisser tuer moralement, ou de se laisser tuer progressivement par l’ennemi, umwanzi yica umwe umwe uko ashaka, mieux vaut se mettre ensemble pour combattre celui qui vous amène dans ces salles besognes. Quelques-uns mourront, mais les autres remporteront la victoire. Mais si nous croisons les bras, tout le monde sera exterminé. En attaquant le Rwanda, le FPR avançait le prétexte de vouloir résoudre définitivement le problème des réfugiés, réduire sensiblement les impôts, supprimer les travaux communautaires instaurés par Habyarimana, instaurer la démocratie. Mais qu’a-t-il fait ?
Les impôts se sont multipliés, notamment : la cotisation exigée du FPR , du FAERG, la taxe sur presque toute chose ; sur le bétail, les maisons, les parcelles, la mutuelle de santé qui est censé soutenir les plus démunis mais qui est en réalité un leurre, …
Le problème des réfugiéss’est plutôt aggravé. Aux réfugiés Hutu s’ajoutent les réfugiés Tutsi qui, malgré leur soutien à la création du FPR, fuient cette fois-ci ses tueries.
L’umuganda est devenu obligatoire,même pour les invalides et les vulnérables auxquels le FPR promet toutes sortes d’aides.
Quant à la démocratie, il est impossible d’en parler, car quiconque ose se porter candidat aux présidentielles se retrouve jeté en prison ou purement et simplement sa candidature est rejetée. Les candidats venant de l’opposition extérieure voient leur visa d’entrée au pays refusé. L’exemple le plus parlant est celui du Dr Théoneste NIYITEGEKA qui risque de mourir en prison, tout simplement parce qu’il a voulu poser sa candidature aux élections présidentielles alors qu’il n’est pas de la classe dirigeante de Paul KAGAME.
À tout cela s’ajoutent les tueries et les tortures, les injustices, la destruction des maisons des habitants, empêcher les gens de cultiver les cultures de leur choix et beaucoup d’autres obligations illégitimes de toutes sortes.
Et la solution, les Rwandais de la diaspora sont forcés de faire le commerce pour le compte du parti au pouvoir. Mais la solution idéale n’est pas d’accepter cette tyrannie à contre cœur. C’est plutôt d’avoir le courage de la combattre et, s’il faut mourir, autant mourir comme un héros et non comme un vaurien. En effet, nous mourrons tous un jour.
Tout cela prouve que l’avenir du Rwanda et du peuple rwandais est sombre. C’est pourquoi il est temps de nous lever tous ensemble pour combattre la dictature du FPR. Ce ne sont pas les moyens qui manquent. Sinon nous risquons de mourir comme des imbéciles. Il y a un proverbe rwandais qui le dit mieux : »Uyima igihugu imbwa zikayanywera ubusa »c’est à dire » si vous refusez de verser votre sang pour la Nation, vous n’empêcherez pas aux chiens d’en profiter gratuitement « .
La Nation a besoin de héros. Que chacun d’entre nous soit un héros dans son domaine et à son niveau. Je vous remercie.
Entretien réalisé au téléphone par Emmanuel Hakuzwimana et Norman Ishimwe
Dans la matinée du 1er octobre 1990, le FPR-Inkotanyi attaqua le poste-frontière de Kagitumba entre le Rwanda et l’Ouganda. Cette attaque marqua le début d’une guerre qui finira par embraser toute la région des grands lacs africains et qui dure depuis 30 ans.
Officiellement, cette guerre avait pour objectif essentiel le retour au pays des réfugiés qui avaient fui le Rwanda pendant la période révolutionnaire de 1959 -1962 et dans des années qui ont suivi. Pour sa propagande, le FPR publia un programme politique consistant en 8 points qui devaient constituer la base de sa politique gouvernementale.
La guerre de 1990
Peu après le début de la guerre, le gouvernement rwandais entama des négociations avec le FPR afin de trouver un accord politique au conflit. Les négociations se sont soldées par les accords d’Arusha signés le 04 août 1993 à Arusha en Tanzanie. L’ironie de l’histoire a voulu que ces accords soient signés par Juvénal Habyarimana pour le gouvernement rwandais et Alexis Kanyarengwe pour le FPR, deux « camarades du 5 juillet », respectivement numéro 1 et 2 du « Comité pour la paix et l’unité nationale » qui renversa le président Grégoire Kayibanda le 05 juillet 1973.
Aux termes de ces accords, un gouvernement de transition à base élargie (GTBE) associant les partis intérieurs et le FPR devait être mis en place. Ce gouvernement avait pour mandat de mener une transition de 22 mois jusqu’aux élections générales, organiser le retour des réfugiés et l’intégration de l’APR, la branche armée du FPR, dans l’armée nationale.
Malheureusement pour les Rwandais, les accords de paix n’ont jamais été appliqués. Le gouvernement et le parlement de transition ne sont jamais entrés en fonction à cause des blocages dus à la mauvaise volonté de politiciens de tout bord. Le FPR et ses alliés intérieurs ont usé de toutes sortes de manœuvres dilatoires pour retarder la mise en place des institutions tout en préparant l’assaut final pour la prise du pouvoir.
Le 06 avril 1994, le FPR abattit l’avion du président Juvénal Habyarimana, déclenchant ainsi la reprise de la guerre. Cette guerre qui allait devenir une des catastrophes majeures humanitaires du 20ème siècle a été marquée par des crimes de génocide, des contre l’humanité et des crimes de guerre dirigés contre la population rwandaise dans son ensemble. Dans les zones contrôlées par le gouvernement de l’époque, les massacres ont visé surtout les Tutsi traqués dans leur ensemble et les sympathisants avérés ou supposés de l’opposition alors que dans les zones sous contrôle du FPR, les massacres visaient surtout les civils hutu.
Actuellement, la qualification officielle officielle admise au Rwanda pour ces événements est la la qualification de génocide contre les Tutsi et toute autre discussion est interdite sous peine de finir en prison pour de nombreuses années pour révisionnisme ou minimisation du génocide. L’histoire complète de ce qui est arrivé aux Rwandais en 1994 reste encore à écrire et tant de victimes et survivants attendent encore que justice leur soit rendue.
En Juillet 1994, le FPR a pris le contrôle de la quasi-totalité du pays, exception faite des préfectures de Gikongoro, Kibuye et Cyangugu alors en « zone Turquoise », c’est-à-dire sous contrôle de l’armée française. Après la prise de Kigali, le FPR déclara unilatéralement un cessez-le-feu.
Le FPR ayant gagné le conflit armé et pris le contrôle de l’Etat, il avait la responsabilité de faire revivre ce dernier. Un gouvernement de transition dominé par le FPR a été mis en place le 19 juillet 1994. Ce gouvernement était constitué sur la base du GTBE prévu par les accords d’Arusha, à l’exclusion des partis MRND et CDR, dont les postes ont été occupés par le FPR.
Le choix de la paix
L’histoire humaine peut être considérée comme une succession de guerres, et l’un des enseignements qu’on peut en tirer est qu’il est facile de commencer une guerre, difficile de la gagner et encore plus difficile de faire la paix, mais aussi que la paix ou la guerre sont toujours des choix politiques.
Une des voies pour mettre fin à une guerre est d’associer l’ennemi battu à l’établissement de la paix. L’exemple typique en est le congrès de Vienne (1815) qui mit fin aux guerres Napoléoniennes et fonda l’Europe telle que nous la connaissons aujourd’hui.
Les contre-exemples sont aussi nombreux : le traité de Versailles imposé aux vaincus de la Première Guerre mondiale conduiront directement à la seconde guerre mondiale ; plus proches de nous, les guerres d’Irak, d’Afghanistan etc.
Après la Seconde Guerre mondiale, les vainqueurs, qui avaient appris les leçons de la Première, ont associé les Allemands et les Japonais à la reconstruction malgré tout ce qui s’était passé et le fait qu’ils venaient de subir une défaite totale.
Une autre voie pour terminer une guerre est le compromis issu de négociations. Elle n’est praticable que si les belligérants renoncent à la victoire totale: chacun y gagne et y perd. Aucun n’atteint totalement ses objectifs. Autrement dit: chaque partie considère qu’elle a gagné assez ou qu’elle pourrait perdre davantage, pour arrêter ou suspendre le conflit. La voie du compromis étant la seule voie possible pour mettre fin à une guerre intra étatique.
Mais le compromis est un art difficile. Il est plus facile d’arriver à un compromis lorsqu’on se bat pour des intérêts calculables, cela devient plus compliqué lorsque le conflit se situe au niveau des identités mêmes des protagonistes comme c’est le cas au Rwanda. Mais malgré les difficultés, l’histoire nous apprend que dans une guerre civile, les choix sont limités entre le compromis et l’anéantissement total de l’adversaire. Le compromis est plus facile à atteindre lorsqu’il fait partie de la culture politique d’un pays, où l’on considère qu’une entente, même boiteuse, est préférée à une domination coûteuse. Malheureusement, l’histoire et la culture politique du Rwanda ne poussent pas à l’optimisme sur ce point.
« Pax FPRiana » ou la guerre sans fin
Le FPR ayant dirigé le Rwanda depuis 26 ans, il ne peut plus être jugé sur ses intentions mais plutôt sur ses actes. Si on examine la situation actuelle en rapport avec les huit points de son propre programme du FPR, dire que c’est un échec serait un euphémisme.
Le pays est plus divisé que jamais ;
La souveraineté nationale est foulée au pied ;
En matière de gouvernance, le Rwanda est passé d’un parti-Etat à un Etat-garnison ;
L’économie du pays est en lambeaux ;
La corruption et le népotisme dépassent l’entendement, l’ « Agatsiko » a remplacé l’ « Akazu » ;
Le Rwanda fait partie du dernier carré des pays sur le World happiness index ;
Le Rwanda compte actuellement plus de réfugiés qu’en 1990. Même des réfugiés de 1959 sont rentrés puis ont repris le chemin de l’exil ;
Le gouvernement rwandais mène une guerre larvée contre sa propre population et en même temps une guerre plus ou moins froide contre ses quatre voisins.
La question qui se pose alors est de savoir si cette situation de faillite généralisée est vraiment due à l’incompétence d’un FPR de bonne volonté ou si elle est voulue et constitue sa politique-même.
Sur la question de la paix, qui est la plus importante de toutes, la volonté de garder le pays dans un état de guerre latente est aujourd’hui indiscutable. En examinant de près les actions ou les discours du régime rwandais, il se comporte lui-même comme si le pays était en guerre. Un indice simple à observer est la mainmise des structures militaires sur l’administration civile du pays. Il n’y a pas une administration publique où l’on ne trouve un militaire dans un poste de direction ou de conseiller. Normalement, le seul moment où l’administration militaire devrait être visible dans un pays est quand le pays se trouve en état de guerre. Or, au Rwanda, même une réunion d’une coopérative quelconque de paysans dans le coin le plus reculé du pays ne peut se tenir sans la présence du responsable des services de sécurité ou même du commandant militaire local.
Mais puisqu’aucun pays étranger n’a déclaré la guerre au Rwanda, contre qui le régime est-il en guerre, sinon sa population ?
Que faire?
Le FPR a fait le choix de mener une guerre d’usure à la population rwandaise pour se maintenir au pouvoir. Mais si on peut affirmer sans trop de risque qu’il finira par la perdre, les Rwandais ne peuvent pas se contenter d’attendre et laisser faire le temps. Le pays vit actuellement une période de désordre caractéristique de situations prérévolutionnaires et si rien n’est fait pour diminuer la tension, et au vu des rancœurs accumulées ces dernières années et des nombreuses contradictions qui traversent la société rwandaise, la situation peut vite dégénérer et devenir incontrôlable à la moindre étincelle.
Des initiatives politiques se mettent en place pour rassembler l’opposition en exil et appeler le FPR au dialogue et à la raison. Plusieurs voix se font entendre à l’intérieur pour dénoncer les injustices et la mauvaise gestion, mais le FPR continue à faire la sourde oreille et à faire comme si de rien n’était.
Les Rwandais viennent de vivre 30 années de guerre sous une forme ou une autre, certains sont sur le chemin de l’exil depuis 1990. La sagesse rwandaise dit que « Nta joro ridacya! » pour dire qu’aussi longue que soit la nuit, le jour finit toujours par se lever. Mais après 30 années d’une nuit sans fin, il est temps que tous les Rwandais de bonne volonté se mettent ensemble pour dissiper le brouillard qui empêche l’avènement d’un jour nouveau au pays des milles collines.
Tribune de Marie Josée UFITAMAHORO, responsable du département Mpore Mémoire et Justice de Jambo Asbl.
Depuis quelques jours, les réseaux sociaux rwandais s’enflamment autour de l’histoire de Diane ISHIMWE, une jeune orpheline, née dans les camps de réfugiés en RDC à la recherche de sa famille et dont l’interview a été supprimée quelques heures à peine après sa publication sur YouTube. Dans cette tribune, Mpore Mémoire et justice, revient sur cette affaire, les probables raisons de cette censure, les inquiétudes exprimées concernant le sort de cette jeune femme et exhorte les autorités rwandaises de laisser à cette jeune femme et aux autres enfants qui sont dans la même situation l’occasion et l’espace pour parler de leurs expériences et de les aider à trouver des informations sur leurs familles.
Diane est une jeune femme de 25 ans qui a récemment approché MURUNGI Sabin, journaliste d’Isimbi TV, l’une des chaines YouTube les plus populaires au Rwanda, lui confiant l’histoire de sa séparation avec son père, RUKWAYA Pierre Célestin lors des retours massifs des réfugiés rwandais en 1996, avec l’espoir que quelqu’un puisse l’aider à connaitre le sort de son père ou la mettre en contact avec sa famille paternelle. Elle a déclaré au journal que depuis son arrivée au Rwanda, elle n’a connu que sa famille maternelle et n’avait jamais su où se trouvait son père ni eu de contact avec la famille de son père. Elle parle non seulement de son père mais aussi de sa tante paternelle MUKADISI qui venait leur rendre visite venant d’un autre camp de réfugiés proche. Elle demande à toute personne qui connaîtrait cette famille ou à toute personne ayant des informations sur son père de l’appeler et de le lui faire savoir.
Dans son récit, Diane a déclaré au journaliste qu’elle était née au Congo dans le camp de Chimanga, où ses parents se sont rencontrés.
Elle a quitté ce camp vers la fin de l’année 1996 alors qu’elle n’avait pas encore 2 ans, lors de la destruction des camps de réfugiés rwandais au Kivu par les soldats de l’APR/AFDL. Selon le rapport mapping des Nations Unies sur les violations des droits Humains au Congo publié en 2010, au cours de ces opérations de destruction et spécifiquement dans le camp de réfugiés de Chimanga, les éléments de l’AFDL/APR ont tué entre 500 et 800 refugiés dans ce camp situé à 71 kilomètres à l’ouest de Bukavu. (Page 90) Certains survivant de Chimanga auraient, toujours selon le rapport, été massacrés le 30 Mars 1997 en présence de plusieurs hauts responsables de l’APR, entre Katshungu et Shabunda dans les localités d’Ivela, Balika, Lulingu, Keisha et au niveau du pont Ulindi. (Page 94)
Dans ses propres mots, Diane a déclaré : « Mon père et ma mère se sont perdus de vue lors des rapatriements des réfugiés au Rwanda.… Donc, l’homme qui a emmené mon père était son camarade de classe à l’université de Butare (UNR), parait-il. Lorsqu’il a vu mon père il l’a pris de force et lui a dit : ‘ Toi Célestin, ça fait longtemps que je te cherchais. Maintenant j’ai la chance de te revoir, cette fois-ci tu ne vas pas m’échapper.’ C’est dans ces conditions qu’il l’a pris avec lui et l’a emmené comme ça.”
Diane a ajouté le cœur brisé : « Une fois qu’ils sont partis, après qu’il a été séparé de Maman, il parait que le groupe de réfugiés qui se déplaçait un peu devant nous a été interpellé, jeté dans un fossé et brulé vif avec de l’essence et des matelas. Ils sont tous morts personne n’a pu s’en échapper. On ne sait pas si mon père était parmi eux, personne ne l’a vu depuis et nous n’avons eu aucune information… Mais l’homme qui l’a pris avec lui paraissait être en colère contre lui ; et c’était de mauvais augure. Il n’est plus jamais revenu”
Diane et sa mère ont réussi à survivre à ce massacre et ont pu rentrer au Rwanda mais ne savent pas où se trouve le père de Diane depuis. Après leur retour au Rwanda, elles se sont installées dans la famille de sa mère dans la province du Sud, district de Huye, secteur de Kigoma. Quelque temps après, alors qu’elle n’avait que deux ans, sa mère est décédée, la laissant aux soins de sa grand-mère. Plus tard, après le décès de ses grands-parents, Diane est allée vivre à Kigali. Aujourd’hui l’orpheline cherche à trouver un moyen d’obtenir des informations sur la famille de son père, étant donné que son père et sa mère se sont mariés dans le camp au Congo, la famille de sa mère ne connaissait pas exactement la famille de son père. D’après le récit de sa mère, le père viendrait de la province du Nord, anciennement appelée préfecture de Byumba, dans la commune de Murambi.
Dans le but d’en apprendre plus sur sa famille, elle a raconté son histoire tragique sur la chaîne YouTube Isimbi TV, et a demandé à tous les téléspectateurs qui auraient des informations sur la famille de les lui partager.
Dans cette interview, Diane a déclaré : « … bien sûr, la vie n’est pas facile quand un enfant n’est pas avec ses parents, mais mes grands-parents se sont bien occupés de moi, maintenant ils ne sont plus là. J’aimerais savoir si mon papa vit toujours ou pas. Tout est possible. Mais même s’il n’est plus là, qui sait, tout le monde ne peut pas avoir disparu, peut-être que certains membres de sa famille sont encore là, ça me rendrait heureuse de les rencontrer. Ma plus grande préoccupation est de ne pas connaitre mes origines familiales », avant d’ajouter : « Mon père, je ne sais pas d’où il vient, je ne connais même pas sa famille. Les trouver rendrait mon cœur heureux. »
L’histoire de la recherche de Diane n’a duré qu’une journée sur YouTube !
Diane a raconté son histoire dans une émission comme tant d’autres de la chaine Isimbi TV. Elle a publié les noms et les photos de son père afin que ceux qui auraient des informations relatives à sa famille puissent l’appeler sur son téléphone au numéro +250785751876. Nous qui avons suivi cette émission, étions étonnés de voir que la vidéo n’est restée qu’une journée sur YouTube, elle a vite été retirée ! Serait-ce parce que la famille de Diane aurait été retrouvée rapidement ? Ou y’a-t-il eu d’autres raisons pour lesquelles elle a été immédiatement retirée de la chaine YouTube ? Une autre chose de spéciale avec cette émission, est que d’habitude, pour les personnes qui racontent leurs histoires, qu’elles soient bonnes ou mauvaises, Isimbi TV fournit à l’audience un espace pour commenter ou donner leurs points de vue (section commentaires). Pour l’interview de Diane, cette section avait été désactivée!
Nous avons essayé de comprendre pourquoi cette histoire avait été immédiatement supprimée de la chaine YouTube, mais nous avons constaté que cela n’avait pas été fait parce qu’elle ne répondait pas aux critères de YouTube, ou autres médias sociaux, il est dès lors possible que ce soient les autorités rwandaises qui aient demandé que l’histoire soit supprimée du site. Selon plusieurs commentaires et posts sur différents réseaux sociaux, la raison principale du retrait est que dans son histoire, Diane a innocemment parlé de la mort des réfugiés dans le camp de Chimanga, confirmant ainsi plusieurs allégations portées contre l’armée du FPR sur les massacres de réfugiés hutus dans l’Ex-Zaire.
Cette interview anodine d’une orpheline qui cherche innocemment les traces de son père aurait pu ne rester que ce qu’elle était, à savoir, un malheureux fait divers à propos d’une histoire personnelle et familiale. Ceux qui ont décidé de supprimer la voix de cette orpheline, en ont fait indûment et cyniquement, une affaire politique. La voix de cette jeune fille qui devrait plutôt attirer l’empathie de tout être humain doué de cœur s’est heurtée au mur de la haine et de la négation de l’autre, érigé par un régime qui se maintient, entre autres, par la discrimination, le mensonge et la dissimulation de ses forfaits. L’histoire de Diane dérange. Elle ramène, collatéralement, à la mémoire des faits historiques que le régime du FPR a décidé de rayer de l’histoire officielle et de la mémoire collective. Pour ce régime, la vérité sur les crimes systématiques dont ont été victimes les réfugiés hutus au Congo doit être tue et quiconque l’évoque doit être honni, menacé, voire éliminé. L’évocation des crimes du FPR au Congo, pourtant bien documentés et parfaitement établis dans le rapport Mapping de l’ONU, a déjà couté la vie à plusieurs personnes. Elle a valu des menaces de morts à la journaliste Judi Rever ou encore au docteur Mukwege, lauréat du Prix Nobel de la paix en 2018, ainsi qu’à d’autres rares courageux et braves gens, moins mondialement connus, qui osent en parler. Il est ainsi très dangereux au Rwanda de réaliser des interviews qui risquent de faire référence à ces sujets « tabous et proscrits ».
Une obsession bien connue des régimes totalitaires est de modifier ou réarranger le souvenir laissé par les faits historiques et d’imposer l’oubli de certains faits, en fonction des besoins de la propagande. Le régime du FPR met des moyens importants pour réprimer toute voix qui évoque les victimes de ses crimes et également pour intimer aux rescapés d’oublier les leurs et, avec eux, et ce qui s’est passé. Il criminalise, notamment par une interprétation abusive des lois dites « contre le révisionnisme », tous ceux qui seraient tentés de rappeler les faits, qui se sont réellement passés, à partir du moment où ceux-ci sont susceptibles de contredire l’histoire officielle instituée par le régime. Il s’appuie, en effet, sur une stratégie qui a fait ses preuves dans d’autres régimes totalitaires, celle du déni et de l’amnésie collective organisés.
Nos inquiétudes après la publication de cette histoire
Depuis que la vidéo a été effacée de YouTube, ceux qui ont essayé de contacter Diane n’y sont pas parvenus car son téléphone ne passe étrangement plus. Nous osons espérer que le fait de raconter son histoire publiquement ne lui sera pas source d’isolement social ou toute autre forme d’abus qu’elle pourrait subir. On ne peut toutefois ignorer les informations alarmantes circulant sur les réseaux sociaux selon lesquelles Diane Ishimwe et sa tante seraient portées disparues depuis l’interviews. Nous ne sommes pas encore parvenus à confirmer ou infirmer ces informations, nous espérons de tout cœur que cela n’est pas vrai, et que Diane ISHIMWE et sa famille sont en sécurité. C’est en revanche malheureux de priver une orpheline du droit de chercher sa famille, en rayant son histoire des médias, avec pour seul motif qu’elle est née dans un camp de réfugiés au Congo. Nous ne pouvons-nous empêcher de souligner que le fait que son interview ait été immédiatement retirée est un acte de lâcheté et que les nouvelles de sa possible disparition sont hautement inquiétantes.
Après la suppression de la vidéo du compte YouTube d’Isimbi TV, des internautes qui avaient entre temps pu la télécharger l’ont remis sur d’autres chaines YouTube et d’autres plateformes.
Les enfants comme Diane devraient recevoir un espace pour raconter leur histoire et obtenir de l’aide
Après avoir regardé l’interview de Diane, le département Mpore Mémoire et Justice de Jambo Asbl, en se basant sur l’histoire de notre pays, rappelle qu’il y a un nombre important d’enfants au Rwanda avec des problèmes similaires à ceux de Diane. Outre le fait qu’au moins Diane a pu connaitre un de ses parents, elle partage son histoire avec tant d’autres orphelins dont les parents ou familles sont portés disparus ou sont décédés, ou simplement ne savaient pas par où commencer pour les retrouver. Nous exhortons les autorités rwandaises à donner à ces enfants l’occasion et l’espace pour parler de leurs vécus et les aider à trouver des informations sur leurs familles.
Diane ISHIMWE
Rayer l’histoire d’un enfant à la recherche de ses parents sur les réseaux sociaux n’est pas la solution qui aidera l’enfant rwandais à se reconstruire et à lutter pour l’unité et la réconciliation que le gouvernement rwandais met en avant dans son message au peuple et à la communauté internationale. Mpore, Mémoire et Justice appelle également toute personne ayant des informations sur la famille de Diane ISHIMWE à l’aider à retrouver sa famille.
« La vie d’orphelins dans laquelle j’ai grandi m’a beaucoup appris parce que j’ai vu que tout est possible. La première chose que j’ai apprise a été d’être patiente et d’accepter son histoire, il faut avoir un but en soi et le suivre dans tout ce que vous faites, vous essayez de faire de votre mieux pour y parvenir », a déclaré Diane Ishimwe, jeune orpheline Rwandaise qui souhaite retrouver sa famille.
Ensemble aidons-la à y parvenir.
Tribune de Marie Josée UFITAMAHORO, responsable du département Mpore Mémoire et Justice de Jambo Asbl.
La république rwandaise a été proclamée le 28 janvier 1961. Elle a ensuite été confirmée par un référendum populaire tenu le 25 septembre de la même année. Pendant ses 60 années d’existence qui seront célébrées l’année prochaine, la république n’aura connu que quelques périodes très courtes de vraie vie politique. Ces années ont été surtout marquées par de nombreuses occasions manquées de concrétiser l’idéal républicain du début.
Les débuts : 1961 – 1964
Le 25 septembre 1961, en même temps que le référendum sur la monarchie, les Rwandais devaient aussi élire leurs députés pour la première fois au suffrage universel direct.
Sur les 44 sièges de ce premier parlement, le MDR-Parmehutu[1] en gagna 35 avec 77,58 % des voix, l’Union national rwandais (UNAR)[2] eut 7 sièges avec 16,87 % des voix, l’Association pour la promotion sociale de la masse (APROSOMA)[3] ne gagna que 2 sièges avec 3.56 % des voix. Le Rassemblement Démocratique du Rwanda (RADER)[4] avec un score de 0,33 % n’avait pas assez de voix pour obtenir un siège au parlement.
Durant cette première législature, la menace des attaques des monarchistes Inyenzi combinée à une certaine inexpérience politique des acteurs du moment aboutirent à la disparition de tous les autres partis à l’exception du Parmehutu. On peut même dater la fin du multipartisme : le 24 décembre 1963, avec l’exécution des leaders de l’UNAR et du RADER suite à l’attaque des Inyenzi du 20 décembre 1963 au Bugesera.
Lors des élections suivantes en 1965, le MDR-Parmehutu rafla tous les sièges du parlement. Devenu parti unique de facto et n’ayant plus de véritables adversaires politiques, le Parmehutu se retrouva miné par des luttes intestines qui aboutirent à la crise de 1968 et l’exclusion de plusieurs de ses cadres « déviants » dans ce qui a été appelé le phénomène de « Guta umurongo » ou déviationnisme[5]. Après cet épisode, la suite n’allait être qu’une lente agonie jusqu’au coup de grâce du 05 juillet 1973 avec la prise de pouvoir par le général Juvénal Habyarimana. Le coup d’Etat de 1973 sera suivi par une longue période de monopartisme officiel jusqu’en 1991.
1991 – 1993 : Le vent de l’Est arrive aussi au Rwanda
La chute du mur de Berlin le 9 novembre 1989 entraîna des changements géopolitiques qui se sont traduits en Afrique par la fin des partis uniques. Partout en Afrique les peuples réclamaient plus de liberté et de participation politique.
Le Rwanda ne fut pas épargné par ces changements et le Général Juvénal Habyarimana finit par accepter le multipartisme en 1991 sous la pression du Zeitgeist et de la guerre.
Cette période, quoique très brève, fut d’une effervescence politique encore inégalée à ce jour. À la fin de l’année 1992, il s’était créé un nombre impressionnant de partis politiques et de journaux de toutes tendances.
Aujourd’hui, 30 ans après et avec le recul de celui qui connaît la fin de l’histoire, il est devenu sage de dire qu’avec 25 années de monopartisme, des politiciens novices qui voulaient jouer aux apprentis sorciers, des journalistes-pyromanes et une guerre civile en cours dans le nord du pays, il était impossible que l’issue de cette période soit autre que l’horreur que le Rwanda a connue en 1994.
1995 – 2000 : Espoir vite déçu
Après la guerre, le pays se remit tant bien que mal à revivre, un gouvernement dit d’union nationale fut mis en place le 19 juillet 1994 et un parlement de transition prêta serment le 25 novembre 1994.
Au début, ce parlement essaya de fonctionner comme un vrai parlement. Malgré la situation que connaissait le pays, il y avait encore de vrais débats politiques avec des opinions divergentes et les grands partis comme le Mouvement démocratique républicain (MDR)[6], le Parti social-démocrate (PSD)[7] et le Parti libéral (PL)[8] essayaient encore de vivre et de rester indépendants par rapport au Front patriotique rwandais (FPR). Mais le FPR n’avait aucune intention de partager avec quiconque les dividendes de sa victoire militaire. Tout le monde devait juste se contenter des miettes qu’on voulait bien lui laisser. Le voile finira par tomber avec la prise du pouvoir par le général Paul Kagame le 17 avril 2000.
À partir de ce moment-là, le FPR gela la vie politique au Rwanda, les partis furent regroupés dans un forum des partis politiques dirigé par le secrétariat du FPR, tout discours politique ne devait servir qu’à soutenir et louer le président Kagame. Le FPR arrêta d’agir en parti politique ordinaire. Petit à petit il s’insinua dans tous les rouages de l’État et de la vie sociale qu’il a fini par contrôler totalement, à tel point qu’il est aujourd’hui impossible de faire la différence entre le FPR et l’État. La réalité politique du Rwanda en 2020 est celle d’un état et d’une société civile vampirisés par le parti au pouvoir, toute la vie politique et sociale est contrôlée par l’état sur le modèle du « Tout dans l’État, rien hors de l’État, rien contre l’État ! »[9]
Quand le bureau politique élargi du FPR se réunit, il y a dans la salle le président de la république, tout le gouvernement, le parlement, les chefs de l’armée et de la police, certains leaders religieux, et même les leaders des autres soi-disant partis du gouvernement. À y regarder de plus près, le FPR est aujourd’hui plus proche d’une religion que d’un parti politique.
2020 : Nouveau départ ?
Nous voilà enfin en 2020 dont les concepteurs de la « Vision 2020 » devaient sans douter se dire qu’elle était très loin, qu’on n’y arriverait peut-être jamais et que le bilan de la vision ne serait jamais fait. Or le bilan est accablant : 20 années de culte de la personnalité et de béni-oui-ouisme ont fait des ravages au niveau politique et social. Il n’y a tout simplement pas de vie politique au Rwanda.
La politique de l’État total se retrouve aujourd’hui dans une impasse, la nouvelle génération de jeunes adultes nés après 2000 et qui a grandi avec internet étouffe littéralement. Elle est plutôt tournée vers le futur et voit aussi ce qui se passe ailleurs. Elle commence donc à poser des questions pour lesquelles la vielle garde n’a ni réponses, ni même l’imagination nécessaire pour en inventer. Les vieilles recettes du type nous avons sauvé le pays ou le mirage économique dont ces jeunes entendent parler mais ne profitent pas, ne suffisent plus. La réalité a fini par s’imposer à tous, le citoyen rwandais, même en faisant un grand effort d’auto-aveuglement voit bien que les discours officiels sur les progrès économique ou sociaux sont diamétralement opposés à sa réalité du quotidien.
L’illustration la plus pathétique en est le parlement national, en cette année de pandémie mondiale, le parlement rwandais, qui est censé être le lieu où la politique nationale est discutée, a disparu pendant des mois. Il n’est sorti de sa torpeur qu’au cours de l’été, non pas pour se pencher sur les problèmes sociaux engendrés par la gestion calamiteuse de la pandémie par le gouvernement, mais pour examiner le cas d’une Rwandaise désignée pour faire partie d’un groupe d’experts qui doivent conseiller une commission parlementaire belge. Et comme si cela ne suffisait pas, notre parlement est allé jusqu’à envoyer une protestation officielle à leurs homologues belges qui doivent encore sûrement se demander si tout ça n’était pas un canular. Mais comme au Rwanda, les institutions hors FPR n’ont plus aucun sens, on a vu Monsieur Iyamuremye Augustin, président du sénat, confirmer avoir envoyé cette lettre de la honte, et cela lors d’une réunion présidée par Madame Jeannette Kagame, par ailleurs Première dame dans ce même parlement qui ne semble décidément pas savoir quel est le rôle d’un parlement dans une république.
Monsieur Iyamuremye et ses collègues, au lieu d’organiser des débats pour savoir qui a fréquenté l’école avec le père de Laure Uwase, ou sur le fait que Madame Uwase et ses collègues auraient tété une quelconque idéologie « génocidaire » dans le lait maternel de leurs mères, devrait plutôt réunir le parlement pour se demander comment faire pour que Jambo ASBL et les autres organisations politiques et apolitiques qui se montrent critiques envers le FPR soient présents au prochain Umushyikirano, ou plus facile, inviter les habitants évincés de Bannyahe pour écouter leurs doléances et les aider à trouver une solution. L’année 2020 a été une année extraordinaire pour toute la planète et plus particulièrement pour le Rwanda. Un observateur attentif du pays aura remarqué que le débat public revient petit à petit. Pour l’instant, le débat se passe principalement sur les réseaux sociaux, notamment sur Youtube, mais il a lieu. Il suffit de lire les nombreux commentaires des lecteurs sur les articles ou le nombre de vues des chaînes YouTube pour se convaincre que les Rwandais ont soif de débat et de changement. Même le FPR semble avoir compris le message, si l’on en croit le traitement réservé à ses principaux opposants intérieurs que sont Madame Victoire Ingabire et Monsieur Bernard Ntaganda.
Encore en 2019, il était impensable de dire du bien de Madame Ingabire ou d’en parler comme une personne normale faite de chair et de sang, sans même aller jusqu’à lui tendre un micro, ce qui faisait de vous le complice du diable. En 2020, il est commun de voir des journalistes aller lui rendre visite et l’interviewer, sa fille aînée lui a rendu visite au Rwanda, on l’a même vue récemment dans un débat avec un des politologues les plus en vue du pays, Ismaël Buchanan. Bien sûr, les débats sont encore maladroits, 20 années de propagande et de monologues politiques ne s’effacent pas du jour au lendemain, mais on ne peut que saluer et encourager ce début encore balbutiant de normalisation du débat public au Rwanda.
En 1986, un fin connaisseur du Rwanda avait demandé au président Habyarimana si « umanyi Balinga, umanyi umuravunga, umanyi rwiziringa ? », littéralement « connaissez-vous le Tetradenia riparia, connaissez-vous la pomme-épineuse, connaissez-vous les fantômes ? »
Umuravunga ou umuravumba en Kinyarwanda est une plante médicinale très amère, dont les feuilles sont largement utilisées dans la région des grands lacs pour leurs vertus antiseptiques, ses feuilles sont un ingrédient important de la pharmacopée rwandaise. Rwiziringa est une plante qui comme une liane s’enroule autour d’un arbuste pour en étouffer la croissance. Balinga signifie fantôme.
À force de vouloir faire peur à la population rwandaise pour la rendre plus docile, le FPR n’a pas cessé d’inventer des fantômes qu’il érige en épouvantails, mais comme tout propagandiste qui reste toujours le dernier à croire en sa propre propagande, il a fini par se prendre à son propre piège. Il se retrouve aujourd’hui terrorisé et tétanisé par ces mêmes fantômes plus ou moins imaginaires et bientôt suffoqué par le « rwiziringa » qu’il a formé autour de lui-même avec toutes les contradictions et mensonges que ses stratèges ont créé en pensant pouvoir embrouiller tout le monde et protéger ainsi le régime. Mais le remède existe, c’est d’accepter le dialogue avec ses contradicteurs. Ce sera amer comme l’ « umuravumba », mais il va falloir le prendre.
Pour le FPR, qui a perdu l’habitude du débat contradictoire, l’apprentissage va être douloureux. Pour certains il est certainement trop tard pour revenir en arrière, mais ce qui compte avant tout c’est le futur et quand on voit et écoute les débats actuels, on ne peut que se réjouir de ce renouveau plutôt rafraîchissant et souhaiter que de plus en plus de membres du FPR rejoignent le débat public.
Il est souhaitable pour le pays et le FPR lui-même que la jeune génération des Inkotanyi prenne conscience que les temps ont changé, qu’ils vont devoir composer avec leurs compatriotes de tous bords et que le seul moyen pour le FPR de ne pas être balayé par l’histoire comme le MDR-Parmehutu et le MRND[10], ses prédécesseurs dans la voie de la gouvernance sur le modèle du parti-État, est qu’ils puissent imposer à leurs aînés la transformation de la « famille du FPR » en un parti politique normal, comme eux-mêmes l’ont fait avec leurs pères du RANU[11] dans les années 1980.
Le FPR a encore toutes les cartes en main pour se transformer avant d’y être forcé par les événements, car à ce moment-là, il risque d’être trop tard.
Article d’opinion soumis pour publication par Luc Rugamba Jambonews.net
Le Parmehutu a été fondé en 1959 par Grégoire Kayibanda. Peu avant les élections de 1961, il changera son nom pour devenir MDR-Parmehutu (Mouvement démocratique républicain), Il domina la politique pendant la première république. Il a été dissout après le coup d’État du Général Habyarimana en 1973.
L’UNAR a été fondée en 1959 par les monarchistes traditionalistes pour soutenir le roi Kigeli V Ndahindurwa, sa principale revendication était l’indépendance immédiate.
Fondée par Joseph Gitera en 1957, d’abord comme une association, elle se transformera en parti politique le 15 février 1959, devenant ainsi le premier parti politique officiellement crée au Rwanda.
Crée en 1959 par Prosper Bwanakweli, le RADER se voulait un parti libéral rassemblant Hutus et Tutsis. Considéré comme une création des belges pour affaiblir l’UNAR, il n’a jamais réussi à attirer les masses populaires.
Fondé en 1991, le MDR a été le principal parti d’opposition au président Habyarimana, il sera dissout en 2003 suite à un rapport d’une commission parlementaire l’accusant de véhiculer une idéologie génocidaire malgré que le premier ministre de l’époque en était membre et est resté à son poste jusqu’en 2011.
Le Parti social-démocrate du Rwanda a été le premier parti crée en 1991 après l’introduction du multipartisme au Rwanda. À l’origine, ses membres étaient surtout des intellectuels des préfectures de Butare et Gikongoro.
Le PL a été crée en 1991. Son premier président était Landouald Ndasingwa.
Fondé en 1975 par le Général Juvénal Habyarimana, le MRND a été érigé en parti unique par la constitution de 1978, il le restera jusqu’à la réintroduction du multipartisme en 1991, il sera dissout après la guerre de 1994.
Rwandese Alliance for National Unity. Fondé en 1980 par des réfugiés rwandais en Ouganda, lors de son congrès de décembre 1987, il changea son nom pour devenir le Front patriotique rwandais.
Un mois s’est écoulé depuis le 6 novembre 2020, jour de la disparition de Guillaume Rutembesa, un activiste rwandais très critique envers Kigali et qui vivait en exil au Kenya. Il était souvent la cible d’insultes et de menaces de la part de supporters du régime de Kigali. Deux semaines avant sa disparition, l’un d’eux, Damien Nkaka, ancien militaire de l’APR (Armée Patriotique Rwandaise) l’avait notamment averti : « petit chien de Rutembesa, tu penses que tu réussiras à mieux te cacher que Sendashonga ? » en référence à Seth Sendashonga, ancien Ministre de l’intérieur du premier gouvernement post-94, assassiné le 16 mai 1998 à Nairobi.[1] Le général Kagame avait revendiqué l’assassinat en mars 2019.[2]
Qui est Guillaume Rutembesa
Guillaume Rutembesa est un jeune rwandais âgé de 31 ans et père d’une petite fille de 3 ans. Il a fait ses études secondaires au Lycée de Kigali où il a étudié les mathématiques et la physique. Après ses études secondaires, il a fait des études d’ingénierie électronique à l’Université Nationale du Rwanda.
Il s’est fait connaître au Rwanda, lorsqu’à seulement 18 ans, et alors que la plateforme YouTube n’en était qu’à ses débuts, il a commencé à aider des artistes à mettre leurs chansons sur YouTube, au moment où la technologie de chargement des vidéos n’était pas encore aisément accessible à la masse.
Dans une interview accordée au média Igihe.com, il expliquait que c’est sa présence sur le site universitaire de Butare, sur lequel il avait accès à un ordinateur, qui lui a permis de développer son projet : « dès que je rentrais des cours, je me mettais à télécharger des chansons jusqu’au petit matin» confie t’il au journal.
En 2014, sept ans seulement après avoir commencé son activité, Guillaume Rutembesa avait déjà téléchargé 1133 chansons sur la plateforme YouTube, au point d’être remarqué par Jean-Philibert Nsengimana, ministre de la Jeunesse et des nouvelles technologies de l’époque, qui avait salué ses talents.[3]
L’exil au Kenya
Il a continué à vivre de sa passion, l’informatique, jusqu’au 22 décembre 2016, moment où selon son récit, des malfaiteurs l’ont dépossédé de ses biens et lorsqu’il a appelé la police, plutôt que de l’aider, c’est lui que la police a emmené, avant de l’emprisonner sans mandat.
À sa sortie de prison le 12 janvier 2017, il a frappé à toutes les portes pour récupérer ses biens et demander réparation du préjudice qui lui avait été causé. Après être passé en vain par tous les niveaux hiérarchiques de la police, il s’est tourné vers la Commission des droits de l’Homme du Rwanda, puis a fini par écrire au Ministre de la justice en mars 2017. C’est à ce moment là que des responsables de la police lui ont signifié qu’il se ferait à nouveau emprisonner s’il continuait à faire des vagues.
C’est dans ces conditions qu’il a décidé de prendre le chemin de l’exil vers le Kenya, avec sa compagne dont la grossesse arrivait à terme.
Après avoir tout perdu, face à ce qu’il considérait comme une injustice, il a décidé le 10 octobre 2017 de briser le silence, écrivant dans un post Facebook : « nous avons continué à vivre dans le silence en subissant les conséquences de l’injustice dont nous avions été victimes, jusqu’à ce jour où j’ai décidé de cesser de me taire sur la persécution dont j’ai été victime de la part de la police rwandaise, dont les conséquences me poursuivent jusqu’à aujourd’hui. Plusieurs fois, j’ai voulu garder le silence, pensant que les conséquences allaient s’amenuiser, mais les conséquences de cette persécution continuent à me poursuivre. »
Les tweets qui embarrassent Kigali
C’est dans cette optique qu’en décembre 2017, il a crée un compte twitter au nom de @rutembessa devenant très rapidement le compte le plus actif de la communauté rwandaise sur twitter, #RwOT, avec près de 75 000 tweets en 3 ans, soit un total ahurissant de près de 70 tweets en moyenne par jour.
Pour quiconque suivait l’actualité rwandaise, son compte twitter était devenu incontournable, de par la quantité d’informations qu’il y publiait et des nombreux scoops qu’il y divulguait. «Il avait souvent des nouvelles privilégiées, je ne sais pas comment il recevait ces informations. Il était très doué, et avait visiblement un réseau étendu d’informateurs fiables au Rwanda. Il publiait souvent des scoops qui embarrassaient le régime », déclare Marc Matabaro, rédacteur en chef de The Rwandan, un des principaux médias rwandais.
A titre d’exemple de publications, le 31 juillet 2020, la police judiciaire rwandaise (RIB) a paradé devant la presse quatre jeunes filles menottées, accusées d’avoir fait un live Instagram au cours duquel elles avaient dévoilé leurs parties intimes.
Dominique Bahorera, le Porte-parole du RIB a annoncé que son institution avait également arrêté le jeune homme qui aurait incité les filles à s’exposer. Les commentateurs se sont rapidement interrogés sur les raisons pour lesquelles, contrairement aux filles, le jeune homme n’avait pas été présenté à la presse.
Le 1er août 2020, au lendemain de l’annonce du RIB, Guillaume Rutembesa publiait sur son compte twitter que le jeune homme avait en fait été abattu, et publiait une photo de la victime dont l’identité n’avait pourtant pas été dévoilée par les autorités rwandaises.
Dans un autre tweet, il expliquait que les autorités rwandaises étaient en train d’étudier comment fabriquer une histoire à vendre au public : « ils doivent d’abord trouver la formulation de comment mentir au public, ce sera publié après qu’ils aient trouvé les mots à utiliser.»
ugomba kubanza gukora formulation y ibyo ubeshya abaturage, buriya barabitangaza but babanje kwiga vocabulary
Une heure à peine après le tweet de Guillaume Rutembesa, le RIB annonçait dans un communiqué que le jeune homme de 22 ans, du nom d’Isaac Mbula, avait été abattu « en essayant de s’échapper ».
RIB Statement on suspected human trafficker shot while attempting to escape Police custody: https://t.co/1EGjJ0gwGq
Une version qui avait été décrédibilisée par Rutembesa et qui sera par la suite totalement démentie par la famille d’Isaac Mbula, qui en a démontré les nombreuses incohérences.
C’est également Guillaume Rutembesa qui fut l’un des premiers à révéler que Marie Michelle Umuhoza, l’ancienne porte-parole du RIB qui, en février 2020, avait annoncé le « suicide » de Kizito Mihigo, avait fui au Canada avec sa famille alors que le RIB déclarait qu’elle était partie se faire soigner.
Publiant un message de l’un de ses nombreux informateurs, Guillaume Rutembesa avait expliqué la manière dont cette dernière et sa famille s’étaient joués des autorités rwandaises afin de pouvoir quitter le Rwanda, confirmant ainsi des informations que le RIB avait pendant longtemps essayé de démentir.
De par son activité incessante sur twitter et par ses scoops réguliers, Guillaume Rutembesa était rapidement devenu une figure incontournable de la twittosphère rwandaise dont l’influence ne cessait de s’étendre.
Le média abaryankuna.com, donne ainsi, pour illustrer son influence grandissante, un récent exemple de comment par un hasthtag #RURA4TransportFairness, il était parvenu à faire plier le gouvernement rwandais qui venait d’annoncer la hausse du prix des transports publics. Grâce à l’action de Rutembessa, qui venait de lancer par un simple hashtag un mouvement social sur Twitter visant à s’insurger contre cette énième hausse des prix du transport en commun, le gouvernement rwandais, pourtant connu pour son intransigeance, avait fini par céder et avait retiré ces mesures.[4]
Le bras de fer avec Ange Kagame
En octobre 2020, Guillaume Rutembesa s’est fait remarquer par la publication de toute une série de tweets dévoilant la vie de luxe des enfants du général Kagame sous le hashtag #TheKagamesPlundering, lancé, le dimanche 18 octobre.
La réponse de Ange Kagame ne s’est pas fait attendre, cette dernière écrivant dans la foulée « un bon dimanche à tous SAUF à ceux qui passent l’entièreté de leur temps à épier le bonheur des autres. »
A blessed Sunday to everyone EXCEPT those who spend the entirety of their time policing other people’s happiness
Loin d’être refroidi par cette réaction, le jeune homme se réjouit aussitôt « d’avoir reçu l’attention qu’il recherchait » de la part de « l’arrogante Princesse Ange » et lance dans la foulée un formulaire google invitant les rwandais à lui communiquer de manière anonyme les méfaits de la fille du président. Il crée pour ce faire, un hashtag provoquant #inshinziAnge (« l’insolente Ange »).
Très rapidement des témoignages lui parviennent et c’est sous ce hashtag, qu’il dévoile une histoire sordide selon laquelle, sous les ordres d’Ange Kagame, des enfants auraient été abattus par des gardes républicains qui les auraient ensuite noyés. « Ange doit rendre des comptes pour ces enfants qu’elle a tués au lac Muhazi. C’est une question de temps, et leurs parents sont toujours en vie pour témoigner, tout comme le sont les gardes républicains qui leur ont tiré dessus » écrit ainsi Rutembesa.
Ange must be held accountable of those kids she killed at Muhazi lake, it's a matter of time, and their parents are still alive to testify, also the republican guards who shot them are still alive#InshinziAngepic.twitter.com/A2rMlFYDOD
Un tweet qui fait référence à une information qui circule au sein de la communauté rwandaise depuis plusieurs années et qui avait pour la première fois été relayée par Noble Marara, ancien garde du corps du général Kagame, sur Inyenyeri news le 20 août 2017.
Dans son interview, ce dernier raconte : « Ange aime aller nager au lac Muhazi, (…) et des paysans se trouvaient sur place en train de pêcher. Elle a demandé : « qui sont ces gens ? Pourquoi sont-ils venus m’épier au moment où j’étais nue ? » Et elle a donné l’ordre de les abattre. Au début j’avais du mal à y croire car j’ai connu Ange quand elle avait quatre ans, c’était une petite fille joviale, mais lorsque j’ai personnellement parlé à un militaire qui avait participé à cette boucherie, j’ai fini par y croire, ces stupides militaires avaient bel et bien abattu les paysans.»[5]
Après ce hashtag, les insultes en ligne et les menaces ont commencé à pleuvoir sur Guillaume Rutembesa. Damien Nkaka, ancien militaire de l’APR (Armée Patriotique Rwandaise) lui lança dans la foulée ce tweet sous forme d’avertissement : « petit chien de Rutembesa, tu penses que tu réussiras à mieux te cacher que Sendashonga ? » en référence à Seth Sendashonga, ancien Ministre de l’intérieur assassiné le 16 mai 1998 à Nairobi, assassinat que le général Kagame a revendiqué en mars 2019.[6]
Damien Nkaka: »Sale petit chien de Rutembesa crois tu vraiment que tu pourras mieux te cacher que Sendashonga? »
Pour Marc Matabaro, en s’en prenant à Ange Kagame, Guillaume Rutembesa venait de franchir la ligne rouge qu’évoque souvent le général Kagame dans ses discours[7]. « Elle est très intolérante à la critique et bloque quiconque parle mal du régime. Guillaume Rutembesa a probablement été le seul Rwandais à s’en prendre à elle de manière aussi frontale, ce qui fait que pour Ange Kagame c’était devenu une histoire personnelle. C’était très imprudent de la part de Rutembesa car il se trouvait au Kenya, un pays dans lequel les escadrons de la mort rwandais sont très actifs et ont déjà fait beaucoup de victimes par le passé. C’était inconscient de s’en prendre à elle directement en étant à Nairobi. »
Aimable Karasira et de Guillaume Rutembesa
« Même si je meurs demain, je mourrai heureux »
Conscients du danger qu’il courrait, beaucoup d’amis de Guillaume Rutembesa ont alors commencé à l’avertir, en l’appelant à la prudence.
Le 23 octobre 2020, il écrivait ce tweet sous forme d’adieux « Il fut une époque où j’étais en prison, je pouvais être tué à tout moment ou être emprisonné des dizaines de mois ou d’années pour rien… je n’étais pas en colère contre ça, mais vous savez ce contre quoi j’étais en colère ? C’est que j’allais être réduit à jamais au silence sans avoir jamais parlé d’injustice, mais maintenant je suis heureux car j’en ai parlé. »
One time I was in jail and I could get killed any time or jailed dozens of months or years for nothing…
I was not mad about that, but do you know what I was mad about? I was gonna be silenced forever without addressing injustice
Avant d’ajouter dans un autre tweet « même si je meurs demain, je mourrai heureux ».
Deux semaines après ce tweet, le 6 novembre 2020 à 15h44, Guillaume Rutembesa écrivait son dernier tweet à ce jour, qui portait sur les élections américaines.
This man is a Rwandese refugee in Kenya and he is missing. He is a critic of Paul Kagame and family fears he has been kidnapped and eliminated. I have received information of where he worked, who last received Money on his behalf etc. I will therefore tomorrow move to @DCI_Kenyapic.twitter.com/3BGGKCdxUt
Plus d’un mois après son dernier tweet, alors que son numéro de GSM est désactivé et qu’il n’a plus été aperçu à son domicile depuis lors, les questions et hypothèses sur son sort demeurent nombreuses et les inquiétudes restent vives.
Ruhumuza Mbonyumutwa
Jambonews.net
[1]«Rwanda – Assassinat de Seth Sendashonga : « la destruction d’un énorme espoir », Jambonews, 20 août 2018.
[2]“Le président Kagame reconnaît un assassinat politique », Lalibre Belgique 15 mars 2019.
[3]Nibo bamaze gushyira indirimbo nyinshi kuri YouTube mu Rwanda, Igihe.com, 22 août 2014.
[4]RWANDA SOS : INQUIÉTUDE GRANDISSANTE AUTOUR DE LA DISPARITION DE GUILLAUME RUTEMBESA, Abaryankuna.com, 12 novembre 2020.
[5]Radio Inyenyeri: Ingona na Ange Kagame bimaze abanyarwanda 20.08.2017.
[6]“Le président Kagame reconnaît un assassinat politique », Lalibre Belgique 15 mars 2019.
[7]En septembre 2016, dans une rencontre avec la jeunesse rwandaise, le général Kagame avait ainsi déclaré « tous ces gens que tu vois, qui passent leur temps à l’extérieur à dire des futilités, ils en ont le droit, mais il y’a une ligne à ne pas franchir quand tu n’as pas encore atteint cette ligne, je te laisse, faire de toi un moins que rien, faire ce que tu veux, dire les mensonges à qui tu veux qui aiment entendre ces balivernes, mais lorsque tu franchis cette ligne, tu te retrouves foudroyé »
[8]Why Did Rwanda Abduct Our Dad? Daily Beast, 18 October 2020.
Ce samedi 12 décembre 2020, l’ambassade du Rwanda en Belgique organisait les présentations officielles de son nouvel ambassadeur à Bruxelles, Dieudonné Sebashongore. Alors que celui-ci a exprimé que les relations entre la Belgique et le Rwanda sont au beau fixe, deux nouvelles affaires qui couvent en coulisses laissent penser le contraire. La présence aux côtés du nouvel ambassadeur de Gustave Ntwaramuheto et Jean-Bosco Ntibitura, deux diplomates, pourtant annoncés sur un siège éjectable, pose question. Tout comme l’absence des trois diplomates nommés déjà depuis plus de 3 mois mais qui, semble-t-il, ne sont toujours pas en poste. A Kigali, ce sont deux diplomates belges qui semblent sur la sellette. En effet, le Rwanda refuserait catégoriquement de renouveler les visas diplomatiques de ces deux diplomates alors que ceux-ci devraient normalement expirer en cette fin d’année 2020. Décryptage du bras de fer diplomatique qui semble se profiler entre les deux pays.
Deux diplomates rwandais accusés d’activités illicites
Alors que l’Ambassadeur Dieudonné Sebashongore rencontrait la diaspora rwandaise en Belgique pour la première fois au travers des canaux de communication en ligne, se trouvaient à ses côtés, Gustave Ntwaramuheto et Jean-Bosco Ntibitura, respectivement Chargé d’affaires et Premier secrétaire à l’ambassade du Rwanda en Belgique. Une surprise puisque les quelques membres de la diaspora qui ont répondu présents s’attendaient à apercevoir André Bucyana, Grâce Nyinawumuntu et Jean Pierre Nkunzurwanda qui ont été nommés il y a déjà 3 mois en tant que diplomates à l’ambassade du Rwanda en Belgique.
La surprise est d’autant plus grande que Gustave Ntwaramuhetoet Jean-Bosco Ntibitura ne seraient plus en odeur de sainteté en Belgique. D’après nos informations recueillies auprès de proches de l’ambassade du Rwanda à Bruxelles, les deux diplomates rwandais seraient sur la sellette depuis de nombreux mois. En effet, Jambonews avait révélé il y a quelques mois les activités illicites qui seraient menés par ces diplomates rwandais en Belgique. Ces révélations sur les activités dépassant le cadre de leur statut de diplomates faisaient suite aux nombreuses déclarations d’officiels belges à propos des activités illicites des services rwandais en Belgique. Comme celle de Guy Rapaille, l’ancien chef du comité R (l’organe en charge des services de renseignements) qui a parlé de « l’existence d’escadrons de la mort rwandais en Belgique ».Le ministre de la Justice de l’époque, Koen Geens (CD&V), avait ensuite confirmé au Parlement fédéral le 16 octobre 2019 que « les services de renseignement rwandais étaient bel et bien actifs sur notre territoire ». Depuis lors, ils étaient dans le collimateur des autorités belges qui auraient fini par signifier au gouvernement rwandais ne plus vouloir de Gustave Ntwaramuheto ni de Jean-Bosco Ntibitura comme diplomates sur le sol belge.
L’ambassadeur Sebashongore ce samedi 12 décembre dans les locaux de l’ambassade du Rwanda à Bruxelles lors de la rencontre en ligne avec la diaspora était entouré à sa gauche par Gustave Ntwaramuheto et à sa droite par Jean-Bosco Ntibitura
Le régime rwandais réplique
A 7000Km de Bruxelles, du côté de Kigali, il semble que le gouvernement rwandais a décidé de réagir. D’après des informations recueillies auprès d’une source au sein de la Direction Générale de l’Immigration et de l’Émigration rwandaise, deux diplomates belges sont sur la sellette. En effet, le Rwanda refuserait catégoriquement de renouveler les visas diplomatiques de ces deux diplomates alors que ceux-ci devraient normalement expirer en cette fin d’année 2020.
En relations internationales, ne pas renouveler des accréditation de diplomates est le moyen ultime de communiquer une désapprobation forte à un autre pays.
Déjà en avril dernier, deux autres diplomates de la représentation belge à Kigali, s’étaient vus montrer la porte par les autorités rwandaises. En cause, un hommage rendu par l’attaché militaire et le premier conseiller de l’ambassade aux casques bleus belges assassinés en 1994 la veille de la date officielle du début de la commémoration du génocide perpétré contre les Tutsi. « C’est une façon de minimiser et de dénaturer la symbolique des commémorations du génocide », avait expliqué une source proche du gouvernement à RFI. Les autorités rwandaises avaient alors sommé leurs homologues belges de rappeler les deux diplomates, ce que le gouvernement belge s’était empressé de faire.
La première expulsion d’un diplomate belge par les autorités rwandaise remonte à janvier 2013. Celle-ci concernait un sous-officier du service de l’attaché de défense à Kigali. La ministre rwandaise des Affaires étrangères de l’époque, Louise Mushikiwabo, avait, dans une lettre adressée à l’ambassade de Belgique à Kigali, donné à ce militaire 48 heures pour quitter le territoire rwandais, en raison d' »activités incompatibles avec sa fonction »
L’ambassade de la Belgique à Kigali
L’ambassade du Rwanda à Bruxelles
Une collaboration au beau fixe ?
Cette brouille intervient alors que tout indiquait que les relations diplomatiques rwando-belges étaient au beau fixe. En effet, en septembre dernier, Paul Rusesabagina, qui est de nationalité belge, avait été enlevé dans des conditions obscures à Dubaï, puis emmené au Rwanda, où il est incarcéré en attente de ce son procès.
Le brigadier-général Nzabamwita, chef des services de renseignement rwandais, avait indiqué, dans un entretien avec le New York times, qu’il avait bénéficié de la coopération de la Belgique depuis le début, assurant même avoir reçu les félicitations du Chef des services de renseignement belges. Cela a été officiellement démenti par Claude Van de Voorde, le chef des Services de renseignement militaires. La Sureté de l’Etat, l’autre service de renseignement belge, n’avait lui pas réagi.
Quid de l’accord entre les services de renseignement rwandais et belges ?
Les relations entre les deux pays n’avaient pourtant jamais été aussi abouties. En effet, le journal Le Soir révélait en décembre 2019 l’existence d’un accord de coopération de haut niveau entre le SGRS (service de renseignement militaire belge) et le NISS (service de renseignement extérieur rwandais).
La mise au jour de ce memorandum of understanding (MOU) par le journaliste Louis Colart du Soir, a provoqué le lancement d’un audit de l’ensemble des accords signés par le SGRS avec des services étrangers.
Dans ses recommandations, le Comité R a demandé au SGRS d’évaluer dans un délai de deux ans l’ensemble de ses partenariats internationaux. Désormais, plus aucun accord ne pourra être signé sans le blanc-seing du gouvernement.
Samuel Cogolati, l’un des députés Ecolo qui avaient interrogé Koen Geens à l’automne dernier, avait insisté sur le fait que : « Le gouvernement fédéral belge ne peut admettre que le SGRS signe des accords de coopération (illégaux !) avec des services de renseignement étrangers qui nuisent à des opposants, dissidents ou journalistes en Belgique ». Selon lui, « il revient à la Belgique de protéger les droits humains, les libertés fondamentales et l’intégrité physique de ses ressortissants et réfugiés politiques rwandais en exil sur son territoire, de même que de toutes celles et tous ceux qui s’intéressent à leur sort ».
La tension monte en coulisse
On semble se diriger vers un bras de fer diplomatique entre la diplomatie belge sous la houlette de Sophie Wilmes, nouvel ministre des Affaires étrangère belge et le régime rwandais. La présence aux côtés du nouvel ambassadeur du Rwanda de Gustave Ntwaramuheto et Jean-Bosco Ntibitura, deux diplomates qui sont sur un siège éjectable, pose question. Tout comme l’absence des trois diplomates nommés déjà depuis plus de 3 mois mais qui, semble-t-il, ne sont toujours pas en poste. Le FPR, parti au pouvoir au Rwanda, adepte d’une diplomatie belliqueuse, aurait-il décidé de conserver, contre la volonté des autorités belges, les deux diplomates en question ? Pourquoi les 3 diplomates rwandais dernièrement nommés à Bruxelles ne sont toujours pas en fonction ? De l’autre côté, qu’est-ce qui expliquerait le refus catégorique de renouveler le visa des deux diplomates belges en poste à Kigali ? Quid de l’accord de coopération en matière de renseignement signé en 2016 entre les deux pays ? Plusieurs questions se posent en cette fin d’année concernant les relations entre les deux pays qui montrent des signes de friction.
L’actualité rwandaise de ces derniers mois a été riche en événements. Trois d’entre eux ont retenu notre attention, car tous les trois, chacun à leur façon, nous amènent à questionner la société rwandaise contemporaine dans son rapport à la violence. Les trois sujets étaient :
Une série de 22 émissions que le service Kinyarwanda de la Voix de l’Amérique a consacrées au coup d’état du 05 juillet 1973[1].
Le témoignage d’un ancien soldat de l’Armée Patriotique Rwandaise (APR) se faisant appeler « Mukotanyi » sur ses années de service au sein des forces armées rwandaises[2].
Le scandale de l’expropriation des habitants du quartier de Kigali Kangondo I et II, aussi connu sous le nom de Bannyahe.
Les deux premiers sujets sont éclairants sur deux épisodes importants de notre histoire, mais elles nous laissent avec un certain malaise par rapport au fonctionnement de notre société, les trois ensemble posent des questions troublantes sur le fonctionnement de notre société. Une de ces questions est celle d’une certaine insensibilité à des actes de violence ou de leur banalisation, ainsi que de leur niveau d’acceptation chez les Rwandais.
Dans son livre paru en 1963[3] sous le titre « Eichmann à Jérusalem : Rapport sur la banalité du mal », Hannah Arendt, politologue juive allemande devenue américaine après avoir fui le régime nazi, a développé le concept de « Banalité du mal ». Elle a écrit ce livre après avoir suivi pour The New Yorker, le procès du fonctionnaire nazi Adolf Eichmann qui a été jugé et pendu à Jérusalem en 1962.
Le livre d’Arendt a introduit l’expression et le concept de la banalité du mal. Sa thèse est qu’Eichmann n’était en réalité ni un fanatique ni un sociopathe, mais plutôt une personne extrêmement moyenne et banale qui, en guise de défense, comptait sur des réponses- cliché plutôt que de penser par elle-même, était motivée par une promotion professionnelle plutôt que par une idéologie, et croyait au succès social qu’il considérait comme la norme principale de « bonne société ». La banalité, en ce sens, ne signifie pas que les actions d’Eichmann étaient en aucune manière ordinaires, ni même qu’il y a un potentiel d’Eichmann en chacun de nous, mais que ses actions étaient motivées par une sorte de complaisance qui n’était absolument pas exceptionnelle.[4]
Pour Arendt, le plus grand problème avec Eichmann n’était pas qu’il était un monstre, ou un psychopathe. D’ailleurs les six psychologues israéliens qui l’ont examiné en prison ont tous conclu qu’il ne présentait aucune pathologie ou désordre mental. Son seul trait de caractère qui paraissait sortir de l’ordinaire était plutôt sa « normalité supérieure à la moyenne ». D’après Arendt, le seul problème avec Eichmann était qu’il souffrait d’un « manque d’imagination » et d’une « incapacité à penser », cette incapacité de penser étant le pire qui puisse arriver à un être humain.
L’analyse de notre histoire récente à travers les trois sujets et la lecture de ce livre nous questionnent sur le fait que le mal ou la violence semblent être devenus une chose banale dans la société rwandaise, et sur la possibilité que cette banalisation serait du même ressort que celle dont parlait Hannah Arendt au sujet d’Eichmann.
Le coup d’état de 1973
Dix ans après la parution du livre d’Arendt, le 5 juillet 1973, au Rwanda, des officiers supérieurs organisèrent un coup d’Etat contre le président Grégoire Kayibanda. Lors du coup d’Etat, des politiciens, des officiers ou des commerçants originaires du sud et particulièrement de la préfecture de Gitarama furent arrêtés et jugés dans des procès dignes de la grande époque moscovite. Le président Kayibanda ainsi que sept de ses compagnons seront condamnés à mort, une peine commuée ensuite en emprisonnement à vie.
Entre 1973 et 1977, le président Kayibanda et plus d’une cinquantaine de ses compagnons sont morts dans le secret de leurs lieux de détention, sous la torture ou des suites de mauvais traitements, d’autres de privation d’eau et de nourriture. Ce n’est qu’en 1981, lors du procès de Théoneste Lizinde et de ses compagnons, que leur mort sera officiellement reconnue de façon indirecte.
Dans une série d’une vingtaine d’épisodes, le service Kinyarwanda de la Voix de l’Amérique est revenu sur ce coup d’Etat. Le journaliste Vénuste Nshimiyimana a interviewé plusieurs personnes ayant été touchées par ces événements : des survivants, les familles des victimes et des militaires ou des fonctionnaires qui ont participé au putsch.
Parmi les témoignages recueillis, il y a d’un côté la détresse et l’incompréhension des proches des victimes dont le questionnement peut être résumé en : « Qu’est-ce qui est arrivé aux nôtres et pourquoi ? » De l’autre côté, il y a les participants au coup. Aux questions des proches des victimes, ils ne semblent pas vouloir ou pouvoir apporter de réponses vraiment satisfaisantes, ils ne font que répéter des réponses stéréotypées telles que : « Je n’étais qu’un instrument du Général, je ne faisais qu’obéir aux ordres, je ne me suis occupé que de la tâche qu’on m’a assignée, le reste n’était pas mon affaire et je n’ai pas cherché à le savoir.«
En somme personne n’était responsable de rien, des choses se sont passées et on ne pouvait rien y faire, il y avait toujours quelqu’un de plus puissant et de plus cruel qui tirait les ficelles. Et pourtant, d’un coup d’Etat qui s’était déroulé sans que pratiquement aucun coup de feu ne soit tiré, des dizaines de personnes sont mortes dans les mois et les années qui ont suivi sans que personne ne semble s’en émouvoir, et ce dans des conditions encore plus inhumaines que s’ils avaient été sommairement exécutés dans la nuit du 5 juillet 1973.
Et si l’on peut comprendre qu’à l’époque ces gens pris dans le feu de l’action aient pu se laisser emporter par des événements qui les dépassaient, il est incompréhensible d’entendre ces mêmes discours de fuite de responsabilité 47 ans après, de la part de personnes qui prétendent vouloir œuvrer pour l’apaisement et la réconciliation des Rwandais avec leur histoire et entre eux.
Dès 1990
Mais cette incapacité ou ce refus de penser et assumer ses actes n’est pas réservé qu’aux putschistes de 1973. C’est une caractéristique qui semble être partagée par les Rwandais de tous bords qui ont pris part aux événements marquants de l’histoire récente du pays.
Presque tous ceux qui admettent avoir participé au génocide contre les Tutsis en 1994 disent l’avoir fait parce qu’on leur avait ordonné de le faire ou parce que les autres le faisaient et qu’ils ont suivi le mouvement. Mais au fond, à part quelques sociopathes qui prenaient plaisir à tuer ou qui avaient des comptes personnels à régler, la plupart des tueurs ne peuvent pas s’expliquer à eux-mêmes aujourd’hui pourquoi ils ont participé à de telles horreurs. On peut s’imaginer que c’était la haine des Tutsi ou une quelconque idéologie génocidaire, mais ce sont là des explications insatisfaisantes pour qui connaît la société rwandaise. Le seul politicien rwandais qui ait un jour reconnu publiquement une quelconque responsabilité individuelle dans le génocide reste Jean Kambanda. Quoique cela se soit passé dans des conditions plus que discutables et qu’il s’est rétracté par la suite, il reste le seul à l’avoir fait. Pourtant, des centaines de milliers de Rwandais sont morts et pas de mort naturelle.
Depuis vingt ans, plusieurs témoignages provenant d’anciens membres du Front Patriotique Rwandais (FPR) sont sortis. Le plus récent est le témoignage d’un ancien soldat de l’APR recueilli par le journaliste Rubens Mukunzi. Dans son récit, l’ancien soldat qui se fait appeler Mukotanyi raconte comment il a rejoint l’armée dans l’espoir de faire libérer son père de prison ; les massacres en République Démocratique du Congo ; le retour au Rwanda et son travail d’assassin pour le compte des services de renseignements de l’armée. Mais ce qui est frappant avec Mukotanyi, c’est la manière dont il exécutait ces basses besognes avec la conscience tranquille de celui qui ne fait que son travail sans jamais penser au sens de ce travail. C’est d’ailleurs ce qu’il répond quand le journaliste lui demande comment il se sentait à l’époque où il faisait ce « travail” : « Je faisais mon travail la journée et le soir je rentrais tranquillement chez moi, je gagnais bien ma vie et ne manquais de rien ».
Mukotanyi n’est pas seul. Parmi ceux qui ont fait défection au FPR se trouve Kayumba Nyamwasa, qui a été tour à tour Chef de la Directorate of Military Intelligence (DMI) pendant la guerre, Chef d’État-Major de la Gendarmerie de 1994 à 1996, Commandant de la région militaire Ruhengeri-Gisenyi pendant les opérations contre l’insurrection des Abacengezi entre 1996 et 1998 et Chef d’État- Major de l’armée de 1998 à 2002.
Depuis sa fuite en février 2010, il a multiplié les sorties dans lesquelles il a accusé Paul Kagame d’avoir commandité l’attentat contre l’avion du président Habyarimana le 6 avril 1994 et reconnu à demi-mots que l’APR a commis des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité pendant sa conquête du pays et pendant les guerres en République Démocratique du Congo[5].
Kayumba Nyamwasa était considéré comme le bras droit de Paul Kagame pendant toute la durée de la guerre et au moins jusqu’au début des années 2000, mais dans toutes ses interventions[6], il n’a cessé de se faire passer pour un soldat qui a juste fait son travail en obéissant aux ordres, ou même pour un simple spectateur, comme dans le cas de l’attentat[7].
Il est remarquable que, que ce soit les tueurs des Tutsi en 1994 ou les soldats de l’APR, les deux voyaient les horreurs qu’ils commettaient comme un travail, sans jamais penser vraiment à la signification, au sens ou aux conséquences de ce travail.
Le scandale sans fin de Bannyahe[8]
Kangondo est la partie populaire du quartier huppé de Nyarutarama de la ville de Kigali. Depuis 2017 et sous prétexte qu’un promoteur immobilier qui se trouve être le frère du Ministre de la Justice voulait développer un projet plus en accord avec les plans de développement de la vision 2020, la ville de Kigali a entamé une procédure d’expropriation de ces habitants pauvres de Nyarutarama. En règle générale et compte tenu de l’atteinte qu’elle porte au droit de propriété, l’expropriation ne peut intervenir et n’est légale que si elle présente une utilité publique et moyennant une juste et préalable indemnité. La loi est très claire à ce sujet.
Mais voilà qu’en novembre 2019, presque trois ans après la fixation de leurs indemnités d’expropriation qui n’avaient toujours pas été payées, la ville de Kigali, sous le prétexte fallacieux de dangers imminents liés aux intempéries, à l’approche des pluies du mois de décembre pourtant habituelles, a décidé de recourir à la force pour évacuer la zone en détruisant les maisons de ces habitants qui continuaient de réclamer leur droit à une indemnisation juste de leurs biens. Ils ont poussé le cynisme jusqu’à vouloir forcer ces habitants à admettre devant les caméras qu’ils avaient détruit eux-mêmes leurs propres maisons.
Après des mois de résistance, la situation commençait à dégénérer quand certains des expulsés de Kangondo ont décidé de revenir camper dans les ruines de leurs maisons détruites pour monter leur détresse au grand jour. Et c’est là que le 25 novembre 2020, le gouvernement a dépêché le ministre de l’administration locale, Monsieur Shyaka Anasthase pour aller essayer de calmer les esprits qui commençaient à s’échauffer dangereusement.
Le moins qu’on puisse dire est que la prestation de Monsieur Shyaka face à ces braves citoyens a été d’une médiocrité affligeante et la discussion a vite tourné au dialogue de sourds. Au lieu d’écouter et reconnaitre que des fautes aient pu être commises, surtout la destruction criminelle des habitations sans solutions de rechange pendant la saison des pluies, Monsieur le ministre et la ville de Kigali qui n’ont visiblement pas la volonté ou les moyens de tout simplement faire appliquer la loi, ou du moins d’apporter des réponses politiquement sensées aux questions pourtant légitimes et pleines de bon sens de ces hommes et femmes qui défendaient le fruit du travail d’une vie pour certains, ou même de plusieurs générations pour d’autres, ils n’avaient comme proposition, que des petits studios à une pièce pour loger des familles avec plusieurs enfants. Ensuite, Monsieur Shyaka s’est contenté de répéter des éléments de langage de la propagande officielle, alors que ces citoyens attendaient sans doute un dialogue plus « politiquement » franc avec leur ministre.
Mais le plus affligeant dans tout ça était le spectacle d’un politicien incapable d’écouter ou de comprendre la détresse humaine qui pourtant s’exprime de la façon la plus simple et claire possible. Ceci explique d’ailleurs qu’à la fin Monsieur Shyaka n’ayant rien de sensé à proposer à ces citoyens n’ait rien trouvé de mieux que de recourir à la menace en voulant mettre la faute sur les habitants qui auraient, selon la nouvelle rhétorique gouvernementale, construit illégalement, de sorte qu’ils sont expulsables sans compensation. Il faudrait donc, d’après Shyaka Anasthase, qu’ils soient reconnaissants envers le gouvernement qui, dans sa magnanimité, leur offre cette petite chambrette.
Fuir ses responsabilités
Dans une lettre signée par Adolf Eichmann, datée du 29 mai 1962, deux jours avant son exécution par pendaison, Adolf Eichmann écrivait. « Dans leur évaluation de ma personnalité, les juges ont commis une erreur significative, dès lors qu’ils ne peuvent se projeter dans l’époque et les circonstances dans lesquelles je me trouvais pendant les années de guerre, » écrit le criminel. « Je n’ai jamais donné d’ordre en mon nom propre, mais plutôt agissais toujours sur ordre. Je n’étais pas un leader responsable et ne me sens pas coupable comme tel. ». Il s’y présente donc comme un simple exécutant, un fonctionnaire besogneux qui a obéi lâchement aux ordres.
Cette ligne de défense qu’on retrouve aussi bien chez les putschistes de 1973, les tueurs des Tutsis, les anciens de l’APR ou ces fonctionnaires du régime actuel est une façon habituelle de justifier ses actes pour celui qui agit sans prendre le temps de penser à ses actes ou à leurs conséquences. Car penser nous met face à nous-mêmes et cela devient vite inconfortable lorsqu’on sert un système qu’on sait injuste. En se cachant derrière les ordres ou des clichés vides de sens, on s’évite de devoir prendre position, de devoir assumer les conséquences de ses actes ou de s’opposer à des ordres qu’on sait inhumains, avec toutes les conséquences que cela implique dans un système tel que ceux que le Rwanda a connus. A ce genre de justification, nous pouvons encore répondre avec ces mots de Hannah Arendt:
» A ces préoccupations, à ces inquiétudes, je ne propose pas de répondre. Des réponses, on en donne tous les jours, elles relèvent de la politique pratique, soumise à l’accord du plus grand nombre ; elles ne se trouvent jamais dans des considérations théoriques ou dans l’opinion d’une personne : il ne s’agit pas de problèmes à solution unique. Ce que je propose, c’est de reconsidérer la condition humaine du point de vue de nos expériences les plus récentes. Il s’agit là évidemment de réflexion, et l’irréflexion me parait une des principales caractéristiques de notre temps. Ce que je propose est donc très simple : rien de plus que de penser ce que nous faisons. »[9]
L’année 2020 avait débuté sous de sombres auspices avec le choc de la mort de Kizito Mihigo le 17 février, suivie de la pandémie mondiale de la COVID-19, mais malgré tout ça, elle s’achève avec certains développements positifs et des signes d’espoir pour qui observe la réalité rwandaise avec optimisme.
Malgré le choc de sa mort, la vie de Kizito Mihigo a été un exemple et une source d’inspiration pour beaucoup. Ce qui lui est arrivé nous montre qu’on doit faire le choix de l’usage qu’on fait de ses talents et de ses capacités. Ça peut être de s’intégrer dans un système qui fera de nous une star et un homme riche, ou de les mettre au service de la société au risque de s’aliéner les puissants.
Kizito Mihigo n’a jamais pu se départir de ce qui faisait de lui l’artiste hors du commun qu’il était, à savoir son humanité qui ne lui permettait pas de vivre dans l’opulence des privilégiés du régime tout en côtoyant, les yeux fermés, la misère et l’injustice tous les jours, ce qui revenait au fond à accepter de vivre sans exercer ses facultés de voir et de penser.
Tout ce qu’on peut souhaiter pour cette nouvelle année qui s’annonce est qu’elle soit l’année de la libération de la pensée et de la parole, car ce sont bien la pensée et la parole qui font de nous des humains, et ce dont le Rwanda a le plus besoin aujourd’hui est de plus d’humanité. C’est notre humanité individuelle et collective qui nous permettra de lutter contre cette banalisation du mal qui s’est installée dans notre société et semble en être devenue une des caractéristiques majeures.
En 2021, faisons nôtre cette phrase de Kizito Mihigo: « Ndi umunyarwanda ijye ibanzirizwa na ndi umuntu » autrement dit: « Que je suis rwandais soit précédé par je suis humain« . Car nous sommes des humains avant toute autre catégorisation à laquelle on voudrait bien s’identifier.
Article d’opinion soumis pour publication par Luc Rugamba Jambonews.net
Ce jeudi 31 décembre 2020 marque les 4 mois, jour pour jour, depuis que Carine Kanimba, fille de Paul Rusesabagina a appris la détention de son père au Rwanda :
« Je dormais à Washington aux côtes de ma sœur et vers 3-4h du matin, nous avons été réveillées par différents coups de fils. On nous envoyait des photos de mon père paradé et menotté devant le RIB [la police judiciaire rwandaise]. C’était choquant, ça faisait peur, j’avais du mal à le croire, je pensais que j’allais me réveiller et que tout serait normal et qu’il serait au Texas entrain de faire son jardin. »
A l’heure où beaucoup réfléchissent encore à leurs résolutions pour l’année 2021, Carine n’en a qu’une seule en tête : « ramener mon père à la maison ».
Dans cet article, Jambonews, revient sur le parcours d’une jeune femme qui, depuis quatre mois, a mis sa vie entre parenthèses pour venir en aide à son père, désormais célèbre héros du film « Hôtel Rwanda ».
Carine est née à Kigali en mai 1993, dans un pays qui était alors en proie à une guerre déclenchée le 1eroctobre 1990 par le FPR-Inkotanyi, une rébellion dirigée par des réfugiés tutsis vivant en Ouganda.
L’atmosphère dans laquelle se trouve le Rwanda à ce moment-là est tendue.
La peur et l’angoisse sont partout, en raison du contexte de guerre mais aussi du fait que Fedens et Thomas Kanimba, les parents biologiques de Carine, craignaient pour leurs vies, étant donné qu’ils sont tous deux d’ethnie tutsie. « Au début du film Hôtel Rwanda, une scène illustre ce climat de peur dans lequel étaient mes parents. Mon père et ma mère décident alors d’aller voir leur beau-frère qui dirigeait l’Hôtel des diplomates. Il s’agit de Paul Rusesabagina.
Ça devait être le 5 avril. Ils avaient entendu des informations selon lesquelles, au déclenchement d’un signal, les tutsis vivant à l’intérieur du Rwanda pourraient être exterminés. Ils voulaient fuir le pays » nous raconte Carine.
Paul Rusesabagina les rassure alors comme il peut « les Nations-Unies sont là, la presse internationale regarde, la paix a été signée » et les invite à revenir en discuter le lendemain à tête reposée.
Le lendemain, 6 avril 1994, les craintes de Thomas Kanimba s’avèrent fondées lorsque l’avion qui transporte Juvénal Habyarimana, le président rwandais de l’époque, est abattu au-dessus de Kigali par le FPR-Inkotanyi[1] qui lance dans la foulée une offensive générale sur le Rwanda et la guerre reprend aussitôt.
Dans les zones contrôlées par les forces gouvernementales de l’époque des barrages routiers sont mis en placeet une chasse à toute personne soupçonnée à tort ou à raison d’être complice des rebelles du FPR débute.
Les Tutsis qui vivaient à l’intérieur du Rwanda sont assimilés aux envahisseurs sans aucune distinction de genre ou d’âge et sont aussitôt pourchassés. C’est le début du génocide contre les Tutsis, durant lequel on estime que près de 75% des Tutsis qui vivaient à l’intérieur du Rwanda seront exterminés, le plus souvent à l’arme blanche.
Aux alentours du 9 avril 1994, Thomas Kanimba décide de fuir Kigali vers Butare avec sa femme et ses deux enfants, Carine et Anaïse, âgée de deux ans à l’époque.
Arrivés à Gahanga en compagnie d’autres réfugiés, ils sont interceptés par des militaires qui entassent la foule au milieu de la route « ils ont commencé à nous tirer dessus. J’étais trop petite pour réaliser ce qui se passait, c’est ma tante présente sur place qui nous a raconté les faits. Une balle a atteint mon père, qui est décédé sur le coup.»
Carine, Anaïse, leur mère et leur tante parviennent à s’extirper des cadavres et retournent se réfugier à leur domicile de Kigali.
En raison des fouilles qui étaient en cours, à la recherche des « ibyitso »[terme à l’époque utilisé pour désigner les présumés complices du FPR], leur tante part se cacher dans les latrines des voisins : «de sa cachette, ma tante a aperçudes miliciens Interahamwe rentrer dans notre maison et emmener ma mère. Depuis lors on n’a jamais de nouvelles sur son sort. Comme ma tante n’a pas vu Anaïse et moi être emmenées en même temps que ma mère, elle s’est dit qu’il y’avait une chance qu’on soit encore en vie et a pu nous retrouver dans la maison. Elle a réussi à faire passer le message à Paul et Taciana et c’est comme ça qu’ils ont appris qu’on était encore en vie.»
Dès que Paul et Taciana Rusesabagina apprennent la nouvelle ils entament toute une série de démarches pour retrouver les deux enfants et envoient plusieurs personnes à leur recherche, dont des équipes de la Croix rouge.
Les équipes reviennent à chaque fois bredouilles.
Retrouvailles
Ce n’est que plusieurs semaines plus tard, que Paul et Taciana Rusesabagina apprennent finalement que les deux enfants ont été emmenées dans un camp de réfugiés et partent à leur tour à leur recherche « la scène des retrouvailles est illustrée dans le film Hôtel Rwanda qui est très fidèle à la réalité sur ce point, à la différence près qu’on était beaucoup plus jeunes que ce qu’on parait le film. J’avais un an et Anaïse deux ans, alors que les deux jeunes filles qui jouent nos rôles dans le film sont un peu plus âgées. »
Le couple adopte aussitôt les deux enfants qui viennent compléter une famille nombreuse désormais composée de 7 enfants. La famille vivra au Rwanda jusqu’en 1996, année où Paul Rusesabagina est victime d’une tentative d’assassinat « un soldat est venu à notre maison, demandant après mon père. Dès qu’il est entré, il a sorti une arme et a été neutralisé de justesse par le gardien. A ce moment, ma famille a pris la décision de fuir le Rwanda, d’abord en Ouganda, pour atterrir ensuite en Belgique.»
En 1998, Philippe Gourevitch, un auteur et journaliste américain, publie le livre « Nous avons le plaisir de vous informer que demain, nous serons tués avec notre famille » basé sur des centaines d’interviews de victimes du génocide ou différents acteurs. Le livre devient rapidement un best seller qui reçoit de nombreux prix. Parmi les histoires contées par Phippe Gourevitch, celle d’un homme ordinaire étant parvenu à sauver d’une mort certaine des centaines de personnes, attire l’attention du public au point qu’une année après la sortie du livren un directeur de la chaine américaine HBO contacte Paul Rusesabagina pour en faire un film ; une proposition que ce dernier refuse.
C’est en 1999, alors qu’elle allait sur ses 7 ans, que Carine apprend son histoire familial « ma mère nous a emmenées dans la chambre, elle tenait plusieurs photos en mains qu’elle nous a montrées, et nous a dit que c’étaient les photos de nos parents. Anaïse s’est mise à pleurer et moi aussi par mimétisme car à 7 ans je ne réalisais pas ce qu’elle nous disait. A cet âge-là, ce sont des vérités qu’on ne parvient pas à comprendre, j’ai pleuré car ma sœur pleurait. »
C’est également durant cette soirée là que leur mère leur a expliqué les raisons pour lesquelles elles ne portaient pas le nom de Rusesabagina « afin de garder la mémoire de nos parents ils avaient décidé de ne pas changer nos noms pour qu’on n’oublie jamais d’où on vient. Nos parents étaient des gens très importants pour eux, c’était une façon de graver leur souvenir dans le marbre. »
A partir de ce moment-là, malgré son jeune âge, Carine passe beaucoup de temps à approcher différentes personnes de sa famille ou des amis, pour leur poser des questions sur ses parents «je voulais savoir qui j’étais, qui étaient mes parents, qu’elle avait été leur vie. Pour certains c’était un sujet très sensible. Je voulais comprendre pourquoi mes parents avaient été tués, je voulais comprendre l’origine de cette haine qui pousse des humains à tuer. Je ne comprenais pas et même aujourd’hui je ne comprends toujours pas.»
Hôtel Rwanda
En 2001, Paul Rusesabagina rencontre Terry George, le futur réalisateur de Hôtel Rwanda, qui lui présente son projet.
Paul Rusesabagina est immédiatement séduit et embarque « en 2003, en vue de la réalisation du film, Don Cheadle, a passé deux semaines avec nous à la maison. Il a également effectué plusieurs voyages avec notre famille. Il devait apprendre les comportements de Papa, donc il était avec nous 24 heures sur 24.
Pour moi c’était magique de passer autant de temps avec une star de cette envergure. Le premier soir il a observé Papa et à partir du deuxième soir, il a commencé à copier ses gestes, il apprenait à être lui en vue du tournage. Lorsque le film est sorti, il y a pas mal de gestes de mon père qu’on a reconnu, c’était marrant à voir. »
En 2004, dès sa sortie, le film Hôtel Rwanda connait un succès mondial et est nominé à trois oscars. « A 11 ans,je me rappelle avoir assisté à beaucoup d’avant premières lorsque j’étais en vacances, je passais mon temps à courir partout dans les salles, ou à me cacher sous les tables. J’étais une petite fille qui ne comprenait pas l’importance de ces événements. Je me rappelle par exemple avoir brièvement disparu au festival du film de Berlin. »
Au Rwanda, le film est salué par le nouveau pouvoir en place, au point qu’une projection est organisée au Stade national, devant un public de 10 000 personnes ainsi qu’à différents autres endroits.
Aimable Karasira, à l’époque professeur d’université à Butare[2] se remémore « je me rappelle quand le film est sorti, il a été projeté à l’université de Butare, nous avons tous applaudi et aimé le film.» Le général Kagame assistera également en personne à la première du film, qu’il semble apprécier aux côtés de Terry Georges, le réalisateur.[3]
« Le silence est une complicité »
Lors de cette première projection qui se déroule à Kigali en avril 2005, devant un parterre cinq étoiles, un nom et pas des moindres manque à l’appel : Paul Rusesabagina « il avait dit qu’il ne se sentait pas en sécurité et qu’on l’avait averti de ne pas venir à Kigali » déclare Terry Georges au New York Times[4].
Et pour cause, Paul Rusesabagina avait affiché sa volonté de ne pas rester silencieux devant les crimes et les injustices du nouveau régime « le silence est une complicité, je ne suis pas resté silencieux avant 1994, en 1994 durant le génocide, je ne suis pas resté silencieux, j’ai utilisé mes mots pour aider les gens au Mille collines où j’avais 1268 personnes et nous avons tous pu nous en sortir vivant, alors aujourd’hui je ne resterais pas silencieux. » explique t-il ainsi dans une de ses nombreuses interviews.
Au-delà du film, c’est la personnalité et le courage de Paul Rusebagina qui sont salués aux quatre du monde au point qu’il se voit décerner en 2005, la médaille présidentielle de la liberté par Georges Bush, la plus haute distinction civile des Etats-Unis ainsi que de nombreux autres prix.
Une nouvelle vie commence alors pour Paul Rusebagina qui vend sa société de taxis en Belgique et entame une carrière de conférencier aux quatre coins du monde. Au cours de ses multiples conférences, il revient sur le film Hôtel Rwanda, sur le génocide des tutsis et évoque également systématiquement les crimes de masse commis par le nouveau régime « jusqu’à aujourd’hui les gens sont arrêtés et tués immédiatement avant même d’être emmenés dans une quelconque prison. Le Rwanda a changé les danseurs mais n’a jamais changé la musique. Avant la musique c’était tuer, aujourd’hui, la musique c’est toujours tuer, mais les tueurs ont changé d’un camp à un autre. » assène t-il dans le documentaire « The Man Behind The story of Hotel Rwanda », un des nombreux documentaires qui lui sont consacrés.
Un homme à abattre
En raison de ces conférences au succès grandissant aux quatre coins du monde, Paul Rusesebagina devient rapidement, aux yeux du régime en place au Rwanda, un homme à abattre. Les insultes, les diffamations et les menaces s’enchainent à une vitesse effrénée. A plusieurs de ses conférences, des partisans du régime en place tentent de semer le chaos et accusent celui dont l’histoire personnelle contée par Hollywood témoigne pourtant de l’horreur du génocide, d’être un négationniste animé d’une « idéologie génocidaire ».
Le 31 décembre 2009, alors que la famille s’apprêtait à célébrer la nouvelle année, Carine prend pour la première fois conscience de l’ampleur du danger que court son père « quand on est rentrés, on a trouvé la maison sens dessus sens dessous, on avait été cambriolés. Les malfaiteurs n’avaient visiblement pris que des documents en kinyarwanda ainsi que tous les documents en lien avec le film et avaient laissé tous les biens de valeurs. Pour mon père ça ne faisait aucun doute, c’était l’œuvre des hommes de Kagame qui était après lui depuis 2005. »
En dehors de cet épisode, Carine est relativement épargnée par les menaces et les attaques que subit son père et pour cause, depuis 2007, elle, Anaïs et Trésor les trois plus jeunes enfants du couple étudient à l’internat aux Etats-Unis « l’idée était d’une part de nous permettre d’apprendre l’anglais, et d’autre part de nous permettre d’avoir de la stabilité car nos parents voyageaient désormais énormément. On rentrait en Belgique environ tous les trois-quatre mois pour les vacances » se rappelle Carine.
C’est lors de ses vacances en Belgique, aux contacts de Paul Rusesabagina que Carine garde contact avec la culture rwandaise et apprend le kinyarwanda « il ne voulait jamais me parler en français, dès que je lui racontais ma journée, il me répondait toujours « ntacyo numvise [je n’ai rien compris] pour m’obliger à répéter en kinyarwanda. C’est grâce à sa rigueur qu’aujourd’hui je peux me débrouiller en kinyarwanda même si mon kinyarwanda est loin d’être parfait. »
Carine Kanimba entouré de deux des plus grands artistes musiciens rwandais. Meddy à sa droite et Kitoko à sa gauche.
La question rwandaise
C’est à partir de 2012, lors des ses études à l’Université Northwestern et au contact de l’importante communauté rwandaise de Chicago que Carine commence à saisir la sensibilité de la question rwandaise.
A Chicago, Carine côtoie de nombreux rwandais dont plusieurs stars de la musique tels que Kitoko, Meddy, The Ben « les rwandais se côtoyaient passaient beaucoup de temps ensemble. On pouvait discuter de nombreux sujets, mais dès que ça touchait à la politique rwandaise, les gens devenaient inconfortables. J’avais la chance de croiser des personnes qui venaient directement du Rwanda et je posais pleins de questions sur le climat politique au Rwanda, pour avoir le point de vue de quelqu’un qui vivait sur place. A chaque fois j’essuyais la même réponse « tu vas nous créer des problèmes !» Je savais que les gens avaient peur d’aborder des sujets touchant à la politique rwandaise mais pas à ce point, je ne comprenais pas comment des gens aux Etats-Unis pouvaient avoir à ce point peur de dire ce qu’ils pensent de la politique rwandaise.»
De 2016 à 2018, après avoir obtenu un diplôme en sciences politiques à la Nortwestern University de Chicago, Carine, étudie le droit et l’économie au sein de trois prestigieuses universités européennes, l’Université de Bologne en Italie, l’Université de Rotterdam aux Pays-Bas ainsi que l’Université d’Aix-en Provence en France.
Au terme de son parcours académique, elle revient aux Etats Unis, pour travailler à New York dans la finance « avec la diminution de l’activité en raison du Covid et l’explosion des cas de Covid New York, j’avais toutefois temporairement quitté New York pour Washington où j’étais aux côtés de ma sœur. »
C’est de Washington qu’en août 2020, Carine reçoit un coup de fil de Paul Rusesabagina lui demandant de l’aider à réserver un vol pour Dubaï « comme je lui réserve souvent des vols, il m’a appelé et m’a demandé de l’aider à trouver un vol aller le 27 aout, retour le 2 septembre pour Dubaï. Je n’ai pas cherché à savoir ce qu’il allait y faire, il voyage tellement souvent partout dans le monde que je n’y prête pas attention. En plus, comme il est sur écoute, on évite, pour des raisons de sécurité, d’aller dans trop de détails au téléphone. »
« Joyeux anniversaire petit Loulou »
Le 27 août, alors qu’il se trouve à Dubaï, Paul Rusesabagina envoie dans le groupe WhatsApp familial « Joyeux anniversaire petit Loulou», à destination de son petit-fils qui venait de célébrer ses 18 ans. Ce sera le dernier message qu’il enverra à la famille.
Le 28 août à 21 heures tapante, Taciana Rusesabagina attend le coup de fil quotidien de son mari, en vain « tous les jours à 21heures, où qu’il soit dans le monde, ils ont pris l’habitude de s’appeler, elle s’est dit qu’il avait dû avoir un imprévu et qu’il pourrait reparler le lendemain. Elle lui a envoyé un message, qui n’a jamais été réceptionné, on se demandait si c’était des problèmes de connexion ou si quelque chose lui était arrivé. »
Le 29 et le 30 août, le même scénario se répète et l’inquiétude grandit.
Ce n’est que le 31 août que la famille découvre avec stupeur ce qu’il s’est passé « je dormais à Washington aux côtes de ma sœur et vers 3-4h du matin, nous avons été réveillées pendant la nuit par différents coups de fils. On nous envoyait des photos de mon père paradé et menotté devant le RIB [la police judiciaire rwandaise]. C’était choquant, ça faisait peur, j’avais du mal à le croire, je pensais que j’allais me réveiller et que tout serait normal et qu’il serait au Texas entrain de faire son jardin.On sait comment le Rwanda traite les prisonniers. A chaque instant où il n’était pas devant les médias, les pires images de ce qu’ils seraient entrain de lui faire hors cameras me venaient en tête.»
Carine poursuit en sanglotant « j’ai commencé à me sentir extrêmement coupable, je me disais que je n’aurais pas dû l’aider avec le vol pour Dubaï. Je me sentais coupable pour le ticket d’avion. J’entendais toutes les horreurs qu’on disait sur lui, toutes ces accusations dans lesquelles il était désigné comme un terroriste, ma première réaction a été de me dire qu’on n’allait pas les laisser inventer tous ces mensonges sans agir. »
Aller simple vers la Belgique
Leur première action a été de réunir une équipe qui connaissait leur famille « Amber, kitty, Kevin, Brian ont tous fait partie de la fondation de Paul Rusesabagina. Depuis le départ, ils ont été d’un grand soutien. Ils ont beaucoup d’expérience, ils travaillent jour et nuit sans relâche pour la libération de mon père, et tout ça bénévolement car c’est une cause qui leur tient à cœur.On a ensuite mis en place une équipe d’avocats internationaux pour étudier tous les moyens légaux qui pourraient être mis en place. Avant d’avoir enquêté on savait que la version des autorités rwandaises ne tenait pas la route, mon père ne se serait jamais rendu par lui-même au Rwanda, sachant que le régime essaye de le tuer depuis plusieurs années. »
Grâce au dynamisme de cette équipe des dizaines d’associations sont sensibilisées sur le sort du Héros d’Hôtel Rwanda, des centaines d’articles sont publiés dans les médias internationaux et le monde politique américain se mobilise. Des membres du congrès américain vont même jusqu’à publiquement demander la libération immédiate de celui qui a une résidence permanente aux Etats-Unis.
Paul Rusesabagina was extrajudicially kidnapped and arrested by @PaulKagame’s regime. He must be released in good health at once, and allowed to come back to the U.S. where he is a Permanent Resident. https://t.co/oEiqS2fyWs
Si la mobilisation associative, médiatique et politique aux Etats-Unis dépasse rapidement les espoirs de Carine, cette dernière comprend moins la réaction timorée en Belgique « avant d’être un résident permanent aux Etats-Unis, Paul Rusesabagina est avant tout un citoyen belge. Un citoyen belge a été kidnappé au Moyen-Orient et est aujourd’hui illégalement détenu dans une dictature. C’est un crime grave qui a été commis contre un citoyen belge mais à l’exception notable de certains députés tels que Samuel Cogolati, Els Van Hof, ou Georges Dallemagne, la classe politique belge ne semble pas se sentir concernée par cette affaire. On ne comprend pas. »
Face à cette timide réaction de la Belgique, Carine décide de plier bagage, de mettre sa vie entre parenthèses et de venir s’installer temporairement à Bruxelles dans la maison familiale à Kraainem, afin de sensibiliser les autorités belges sur le cas de son père et les pousser à agir de manière appropriée.
« Au Rwanda, les personnes disparaissent car leurs familles se taisent »
Durant les 11 premiers jours de détention de Paul Rusesabagina, la famille n’aura aucun contact avec lui.
Il n’est pas autorisé à rencontrer les avocats choisis par la famille, le gouvernement lui ayant octroyé deux avocats commis d’office mandatés par le régime « ce n’est que le 8 septembre qu’on a pu enfin lui parler pour la première fois. Il parlait comme un robot. Il m’a dit qu’il avait entendu dire que je faisais des interviews dans les médias et m’a demandé d’arrêter. Je ne le reconnaissais pas car il nous avait toujours dit qu’au Rwanda les personnes disparaissaient ou étaient victimes d’injustices car leur entourage se tait par peur ou en pensant que c’est la meilleure manière de les protéger. Il nous avait dit que si un jour quelque chose devait lui arriver, la meilleure façon de le garder en vie serait de parler de lui. Et là, son message était à l’opposé de tout ce qu’il avait toujours prôné et c’est ce qui m’a fait dire qu’il parlait sous contrainte. »
Les différentes tentatives de la réduire au silence auront l’effet inverse, et Carine Kanimba multiplie les interviews, en français, en anglais, en kinyarwanda et même en espagnol pour sensibiliser le monde sur le cas de son père, au point de se retrouver rapidement elle-même dans le collimateur du régime.
Les menaces ne tardent pas, et plusieurs comptes twitter créés pour faire la propagande du régime l’avertissent qu’elle sera la prochaine «le plus souvent les messages menaçants venaient de comptes anonymes, mais venaient parfois aussi de personnes ordinaires. Je ne fais que défendre mon père, et en même temps critiquer le gouvernement sur la manière dont il a été kidnappé. Pour que mes interlocuteurs comprennent la nature du régime dont on parle, j’évoque également les crimes commis par le régime, mais je n’ai jamais compris pourquoi quelqu’un qui n’a absolument rien avoir avec ces, crimes vient s’en prendre à moi.»
Dans son entourage beaucoup prennent peur pour elle et l’appellent à la prudence dans ses interventions « beaucoup de gens me disent de faire attention, me disent que c’est dangereux, disent comprendre que je puisse défendre mon père mais me conseillent de ne pas critiquer le régime. Ça me parait être difficile, car si mon père en est là, c’est en raison des vérités dérangeantes qu’il disait, c’est cette vérité dérangeante que Kagame lui reproche, ça me parait difficile d’expliquer la situation de mon père, sans expliquer les abus du régime Kagame dont beaucoup de rwandais sont aujourd’hui encore victimes. »
Harcèlement sur les réseaux sociaux
A côté de ces menaces, Carine subit rapidement, comme toute personne qui s’aventure à critiquer le régime rwandais, un harcèlement continue en ligne et se voit accusée par des supporters du FPR d’être une « révisionniste », « négationniste », d’avoir « l’idéologie génocidaire » et même d’être une « idéologue du génocide » au point que Tom Ndahiro, conseiller en communication au sein de la présidence rwandaise et qui compte près de 40 000 followers sur twitter lui décerne « la machette d’or 2020 », un prix fictif qu’il décerne aux « négationnistes du génocide contre les Tutsi. »
« Quand je vois ce genre d’accusations, je les trouve tellement absurdes que j’en rigole. M’accuser de négationnisme, revient à dire que mes parents n’ont jamais existé, c’est comme m’enlever ma propre histoire, et c’est un manque de respect à la mémoire de ma famille tuée pendant le génocide.C’est dommage qu’ils fassent ça, car ils banalisent ces notions et leur font perdre tout leur sens.»
Comme si l’indécence n’avait pas de limites, les attaques en ligne subies par Carine prennent par moments une tournure encore plus violente en allant jusqu’à évoquer le nom de ses parents tués pendant le génocide, comme ce tweet de Noël Kambanda, un fonctionnaire rwandais connu pour son extrémisme «Hey Carine, tu peux plaider la cause de ton tuteur légal, qui est en prison pour les crimes qu’il a commis sans tuer la mémoire de tes parents, Thomas et Fedens. Rusesabagina n’est PAS ton père. Thomas était le nom de ton père tué par les amis de Paul. »
Hi Carine, you can advocate for your legal guardian Paul Rusesabagina who is in custody because of the crimes he committed WITHOUT killing the memory of your parents Thomas and Fedens
Rusesabagina is NOT your father. Thomas was the name of your father killed by Paul's friends https://t.co/MoZ2w6Du6s
Ou encore celui de Tom Ndahiro qui, lui reprochant d’avoir accordé une interview à un opposant rwandais, va jusqu’à se permettre de lui retirer sa filiation « avec cette relation avec Thomas Nahimana alias « padiri », toi, Carine Kanimba a été reléguée à rien d’autre qu’une partisane du génocide ou une idéologue du génocide. Désolé, tu n’es désormais plus identifiée avec tes parents qui ont été victimes du génocide contre les tutsis. »
With this relationship with Thomas Nahimana, aka "Padiri" you @ckanimba have been relegated to nothing other than a genocide supporter or ideologue. Sorry, you're no longer identified with your parents who happen to be bona fide victims of the #GenocideAgainsTutsihttps://t.co/yoZjUIYSfj
« Quand je lis ça, j’éprouve un sentiment de dégout, mais cela ne me décourage pas. J’étais au courant de l’instrumentalisation du génocide, mais ça n’avait jamais été utilisé contre moi. J’ignorais jusqu’au cela pouvait aller. Ce sont des fous sans aucun sens moral ».
Malgré la violence de ces attaques, malgré le temps et l’énergie que son combat requiert, Carine ne semble pas prête à abandonner : « peu importe leurs menaces, peu importe leurs propos à mon égard, je n’arrêterai pas tant que mon père n’est pas de retour à la maison. Que ça prenne encore un mois, trois mois, un an, ou 10 ans, je ne lâcherai pas, car dans ma vie, j’ai eu le meilleur model de persévérance en la personne de mon père ».
Ruhumuza Mbonyumutwa
Jambonews.net
[1] Voir l’article « Retour sur l’attentat qui a fait basculer le Rwanda dans l’horreur » https://www.jambonews.net/actualites/20190406-retour-sur-lattentat-qui-a-fait-basculer-le-rwanda-dans-lhorreur/
Le 23 décembre 2020, le Groupe d’experts sur la République démocratique du Congo a rendu son rapport de mi-parcours. Celui-ci pointe du doigt les Forces de Défense rwandaises (RDF) pour leur présence illégale sur le sol Congolais. Le rapport du Groupe d’experts souligne que l’ensemble des activités des Forces de Défense Rwandaises en République Démocratique Congo « sans notification au Comité de sanction » mise en place par l’ONU « constituent une violation du régime de sanctions. »
Qu’est-ce le rapport du Groupe d’experts de l’ONU ?
Le Groupe d’experts sur la République démocratique du Congo est une équipe composé de six experts travaillant chacun dans son pays. Créé par la résolution 1533 (2004), le Groupe d’experts a été chargé par le Secrétaire général de contrôler la mise en œuvre du régime des sanctions, en particulier dans le Nord et le Sud-Kivu et en Ituri. Pour ce faire, celui-ci réalise des enquêtes minutieuse sur le terrain, interroge les différentes parties prenantes et a accès à différents renseignements des pays membres de l’ONU. Le Groupe produit chaque année deux rapports sur la situation sécuritaire en RDC. Un premier aux alentours de décembre qui constitue le rapport de mi-mandat et un second aux alentours de juin qui constitue le rapport final.
Le Groupe d’experts a la charge de seconder le Comité des sanctions du Conseil de sécurité mis en place lui aussi par la résolution 1533 (2004) concernant la République démocratique du Congo. C’est un organe composé de 15 pays membres ayant la charge de surveiller l’application des mesures de sanctions imposées par le Conseil de sécurité.
Le rapport détaille la présence des troupes rwandaises au Nord-Kivu
Dans son préambule, le rapport explique qu’au cours de la période considérée, c’est-à-dire entre juin et novembre 2020, la situation en matière de sécurité dans l’Est de la République démocratique du Congo a été marquée par des épisodes localisés de grande violence.
L’État rwandais serait un des acteur de ce contexte d’insécurité. En effet, le rapport souligne que suite à l’analyse d’un grand nombre de preuves, le Groupe est parvenu à la conclusion que les Forces de Défense Rwandaises ont été présentes sur le territoire congolais entre fin 2019 et octobre 2020.
Une autre preuve avancée par le Groupe d’experts dans son rapport est une photographie prise vers mai 2020 montrant une personne identifiée comme étant le colonel Claude Rusimbi des FARDC avec 13 membres des RDF, dont le Capitaine Gasasira, un ancien des FDLR, rentré au Rwanda en 2009 et qui a été enrôlé par les RDF pour retourner au Congo cette fois sous pavillon des forces gouvernementales rwandaises. Ces photographies avaient déjà été diffusés en exclusivité sur Jambonews en mai dernier.
Selon le rapport, le Colonel Rusimbi agissait sur instruction de General Gahizi afin d’assurer la liaison entre les FARDC et l’unité des RDF chargée des opérations en République démocratique du Congo, selon un officier des FARDC, des chercheurs et des sources militaires, de sécurité, et issues de la MONUSCO et de la société civile.
Selon le rapport d’avril 2020 de Kivu Security Tracker, une plateforme conjointe menée par l’Université de New-York et le Congo Research Group, chargé de monitorer et cartographier les violences à l’Est de la RDC, la grande offensive qui a été déclenchée par des éléments de l’armée congolaise en collaboration clandestine avec l’armée rwandaise à partir du 13 avril 2020 dans le groupement de Tongo a abouti à des destructions de propriétés (105 maisons dans les villages de Marangara, Kanyeru et Kazaroho le 13 avril) et fait 6 victimes civiles. Jambonews avait pu recueillir en avril dernier les témoignages de réfugiés rwandais rescapés de ces attaques.
La présence sur le territoire congolais de troupes rwandaises a été plusieurs fois niée par les autorités congolaises malgré les nombreuses alertes des sociétés civiles congolaises et rwandaises. Le rapport révèle que pour la première fois cette présence a été officiellement reconnue par les autorités congolaises. En effet, dans une lettre datée du 22 avril 2020, le chef d’état-major des FARDC a dénoncé la présence de membres des RDF en République démocratique du Congo au commandant du Mécanisme conjoint de vérification élargi de la Conférence internationale sur la région des Grands Lacs (CIRGL). La lettre faisait référence à une violation de la frontière entre le Rwanda et la République démocratique du Congo par des membres des RDF qui avaient installé un camp à Kabara, dans le territoire du Nyiragongo (province du Nord-Kivu) au début du mois d’avril 2020.
Quid de la présence des troupes rwandaises au Sud-Kivu ?
Lors d’une conférence de presse en ligne tenue le 27 avril 2020, évoquant la province du Sud-Kivu, à l’Est de la RDC, Paul Kagame a fait savoir qu’ »il n’y a aucun soldat des RDF dans cette partie du monde« .
Pourtant selon les informations du Kivu Security Tracker (KST), cette affirmation ne serait pas conforme à la réalité. En effet, selon des témoignages recueillis par KST, durant le conflit déclenché fin novembre par l’armée congolaise pour, officiellement, déloger la rébellion rwandaise du Conseil National pour le Renouveau et la Démocratie (CNRD) du territoire de Kalehe, il y aurait eu le concours direct de l’armée rwandaise. Selon de nombreuses sources locales contactées par KST, la présence de soldats du gouvernement rwandais sous uniforme congolais a été clairement établie ce qui aurait conduit de nombreux habitants effrayés a déserté les villages de Kigogo et Kasika. Selon une source diplomatique occidentale contacté par KST, deux bataillons de l’armée rwandaise étaient présents « sur la ligne de front » pendant les combats.
Ce témoin a même pu identifier deux éléments parmi le contingent rwandais dont le Général Côme Semugeshi. « Ils ont longtemps évolué au Congo avant de rentrer dans l’armée rwandaise » précise le témoin. En effet, cet ancien gendarme faisait partie du CNRD, avant de se rendre à la Monusco et d’être rapatrié au Rwanda en 2017. Ce retour avait excédé plusieurs organisations de la société civile du Nord-Kivu persuadées qu’il avait participé à des massacres de civils, notamment celui de Busurungi en 2009. Arrivé au Rwanda, il avait été pourtant mis en avant pour démontrer l’efficacité du programme de démobilisation et réinsertion du Rwanda et de la MONUSCO. Selon nos information l’autre ancien officier du CNRD recyclé par les RDF serait le Major Alex Nsengiyumva.
Selon divers sources, KST estime que plus d’une centaine de civils rwandais réfugiés auraient notamment été tués dans le seul groupement de Kalonge entre le 3 et le 7 décembre. Les corps seraient restés exposés plusieurs jours durant avant d’être enterrés par les habitants, notamment dans deux fosses communes de la localité de Bugaru.
Cependant, le dernier rapport du Groupe d’experts ne fait pas mention de cet épisode de décembre 2019 dans le Sud-Kivu où la présence de troupes rwandaises avait été établie par les acteurs cités ci-haut.
Exportation de matières premières et de minéraux
Le rapport a également pointé du doigt la complicité des autorités rwandaises dans le pillage illégal des ressources congolaises par les groupes armés actifs sur le territoire. Le Groupe d’experts a relaté un cas datant de janvier 2020, dans lequel Mines Propres SARL, une société d’exportation d’or établie à Bukavu, a transféré 11,071 kilogrammes d’or à Tasha Gold and Jewels Trading LLC à Dubaï (Émirats arabes unis) par un vol RwandAir. Selon un essayeur de Fizi, un chauffeur routier et un négociant proche de l’affaire, 6,5 kg de cet or ont été vendus par des représentants de Maï-Maï Yakutumba, un groupe armé congolais très violent.
Le Rwanda a, à plusieurs reprises été accusé de maquiller ses chiffres d’exportation. Dans le rapport 2019, le Groupe d’expertsexpliquait l’incohérence des chiffres d’exportation rwandaise d’or. En 2018, le Rwanda a déclaré des exportations totales d’or équivalent à 2163 kg vers les Émirats Arabes u-Unis. Tandis que les Émirats Arabes Unis ont eux déclaré officiellement avoir importé pas moins de 12539 kg du Rwanda au cours des neuf premiers mois de 2018.
Le rapport a également mis en lumière la collaboration clandestine entre les autorités rwandaises et le NDC-Rénové, le principal groupe rebelle congolais à l’Est de la RDC. Selon celui-ci, en mai et juin 2020, des combattants armés du NDC-R ont taxé des mines de coltan et de cassitérite à Kibanda, Rubonga et Maboa, qui étaient classées comme exemptes de tout contrôle armé selon les listes du Gouvernement. Le tantale non étiqueté extrait de ces sites a été introduit clandestinement à Goma au travers d’itinéraires qui avaient déjà été détaillés dans le précédent rapport établi par le Groupe d’experts pour ensuite être acheminé au Rwanda.
Des sanction à venir ?
L’une des mesures entreprises par le Conseil de sécurité en République Démocratique du Congo est l’embargo sur les armes. Selon celle-ci, détaillée par la résolution 1533 (2004) et surtout la résolution 1807(2008) [prorogée par les résolutions 2293 (2016)et 2528 (2020)] il est imposé à tous les États de notifier au Comité des Sanction “ tout envoi d’armes ou de matériel connexe en République démocratique du Congo et toute fourniture d’assistance ou de services de conseil ou de formation ayant un rapport avec la conduite d’activités militaires dans le pays”.
A ce sujet, le rapport du Groupe d’expert de l’ONU est très clair : « le soutien offert par des membres de la RDF et la participation active de ceux-ci à des opérations militaires contre des groupes armés en République démocratique du Congo sans notification au Comité, conformément aux dispositions du paragraphe 5 de la résolution 1807 (2008), reconduites par le paragraphe 1 de la résolution 2293 (2016) et le paragraphe 1 de la résolution 2528 (2020), constituent une violation du régime de sanctions. »
Violation de la charte des Nations Unies et de l’Accord-cadre d’Addis-Abeba
Le Rwanda a souvent justifié sa présence en RDC par le fait que les attaques contre le Rwanda par des groupes armés à partir de la RDC lui donnaient son droit naturel de légitime défense tel que rappelé par l’article 51 de la Charte de l’ONU en ces termes “Aucune disposition de la présente Charte ne porte atteinte au droit naturel de légitime défense, individuelle ou collective, dans le cas où un Membre des Nations Unies est l’objet d’une agression armée”. Cependant, ce même article dispose que: “Les mesures prises par des Membres dans l’exercice de ce droit de légitime défense sont immédiatement portées à la connaissance du Conseil de sécurité”. Étant donné le caractère clandestin de la présence des troupes rwandaises, il est évident qu’aucune notification n’a été donnée au Conseil de Sécurité.
Les forces rwandaise ont elles quitté le Nord-Kivu ?
Alors que le rapport du Groupe d’experts avait déjà été finalisé. La société civile « forces vives de Nyiragongo » a alerté à nouveau sur la présence des militaires de l’armée rwandaise sur le sol congolais à partir de début décembre 2020.
« Nous vous annonçons que cela s’observe depuis maintenant deux semaines, nous ne savons pas ce qui se passe exactement. Nous avons alerté plusieurs fois les autorités mais jusque-là rien n’a été fait pour empêcher ces entrées », a declaré Érick Ndacho Kitalyaboshi de la société civile de Nyiragongo.
Selon celle-ci, les militaires rwandais auraient érigé une base militaire sur le sol congolais à partir du groupement Kibumba en territoire de Nyiragongo au Nord-Kivu dans un endroit appelé Kabara vers la frontière congolo- rwandaise.
D’autres informations qui nous sont parvenues de réfugiés rwandais dans le Nord-Kivu faisaient état de trois campements du côté de Kabara, sur Kilimanyoka ainsi que Rubaya dans le Masisi.
Le Secrétaire Général des Nations Unies, Antonio Guterres, avait lancé un appel «à un cessez-le-feu immédiat, partout dans le monde» afin de préserver, face à la «furie» du Covid-19, les civils les plus vulnérables dans les pays en conflits. Alors que les armes se sont tues un peu partout dans le monde entier, c’est cette période qu’a choisi le Gouvernement rwandais pour intensifier ses opérations militaires à l’Est de la RDC.
En mai 2020, à l’initiative de Jambo ASBL et des FDU-Inkingi, la plateforme Rwanda Bridge Builders réunissant une trentaine d’organisations politiques et de la société civile rwandaise avait envoyé un courrier à tous les membres du Conseil de sécurité de l’ONU pour réclamer des sanctions contre l’État rwandais en raison des opérations illégales des RDF à l’encontre des réfugiés rwandais à l’Est de la RDC.
Le rapport a été communiqué le 23 novembre 2020 au Comité́ du Conseil du conseil de sécurité concernant la République démocratique du Congo, qui l’a examiné́ le 3 décembre 2020. La balle est désormais dans le camp du Comité de sanctions et du Conseil de sécurité de l’ONU. Qui vont devoir trancher à partir de l’ensemble des preuves avancées par le Groupe d’experts pour décider des éventuelles sanctions à imputer au régime rwandais.