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« Une Rosa Parks au Rwanda »

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Son nom est Idamange Irya Mugwiza Yvonne, une trentenaire habitant Kigali, la capitale du Rwanda, qui a fait une entrée fracassante sur la scène politique rwandaise le 31 janvier 2021, suite à la publication d’une vidéo sur Youtube. En quelques jours à peine, elle est devenue la nouvelle sensation de la communauté rwandaise en ligne avec sa vidéo qui cumule déjà près de 100 000 vues et a déjà reçu plus d’un millier de commentaires enflammés en seulement cinq jours. 

Dans cette vidéo d’environ une heure, cette maman de quatre enfants raconte le ras le bol des Rwandais en général et des habitants de Kigali en particulier, suite aux décisions erratiques des autorités dans leur lutte contre la pandémie de la COVID-19.  

Ce qui étonne et détonne dans ce discours, ce n’est pas seulement la critique contre les mesures gouvernementales mais surtout la manière. D’habitude, ceux qui osent émettre des critiques contre des actions du gouvernement en étant à l’intérieur du pays le font sur un ton des plus mesurés qui est devenu une des spécialités des Rwandais après une longue pratique de la dictature. D’ailleurs, la sagesse rwandaise ne conseille-t-elle pas de « kuvuga uziga » et aussi que « Ukuri wakavuze uraguhakishwa »,  C’est-à-dire qu’il faut parler avec réserve et qu’il vaut mieux taire une vérité qui dérange, sauf si elle permet de s’attirer les faveurs des puissants.

Dans cette vidéo devenue virale, Madame Idamange déroule son propos, en revenant sur quatre points brûlants d’actualités. 

Le droit de vivre dans la dignité

Par leur brutalité quotidienne et une rhétorique de guerre, les autorités rwandaises sont arrivées à faire accepter à la population qu’il est tout à fait normal pour le gouvernement de disposer de la vie du citoyen comme bon lui semble. Le simple fait d’être en vie rend le citoyen redevable au gouvernement, surtout s’il est rescapé du génocide. Dans ces conditions, parler de vivre dans la dignité ou de jouir de ses droits publics est déjà un crime de lèse-majesté. 

Mais depuis le début de la pandémie, des mesures irréfléchies, totalement déconnectées de la réalité que vit la majorité des Rwandais ont été successivement imposées à la population en imitation de celles prises en Occident et ont transformé ce qui était au départ une crise sanitaire en crise sociale. Et à cause de l’attitude du gouvernement qui continue obstinément de durcir les mesures au lieu d’entendre la détresse de sa population, de sociale, la crise est en train de se transformer en politique. 

Ce qui rend le propos de Mme Idamange plus saisissant c’est cette liberté de ton qui était inimaginable au Rwanda il y encore quelques mois. Mais aujourd’hui, les Rwandais et surtout les plus jeunes d’entre eux sont à bout. Les autorités qui ont pris l’habitude d’imposer des décisions toujours plus dures sans explications se retrouvent face à des citoyens qui n’acceptent plus d’exécuter des ordres contradictoires sans poser de questions. 

Car, comme le déclare Mme Idamange dans son plaidoyer: « Oui, nous sommes vivants, mais être vivant ne suffit pas, la personne humaine a aussi le droit de vivre dignement« . 

Sur l’éducation au Rwanda

Sur l’éducation nationale, Mme Idamange pose un diagnostic sanglant sur la politique. Elle revient sur le changement brusque de la langue d’enseignement, du français à l’anglais, qui a détruit l’éducation nationale. Et depuis le début de la pandémie, les choses se sont empirées car les écoles sont pratiquement fermées depuis une année, alors que les enfants des dirigeants sont envoyés étudier à l’étranger ou fréquentent des écoles internationales au Rwanda qui continuent à donner un enseignement en ligne. 

Elle fustige  la décision de fermer toutes les écoles qui a été annoncée dans la soirée du 17 janvier, alors que les jours précédents, le gouvernement avait semblé revenir à la raison en décidant d’ouvrir toutes les écoles le 18 janvier suite aux protestations des parents qui se faisaient de plus en plus fortes.  

« L’éducation nationale est devenue comme un terrain de jeu où chaque nouveau ministre change les règles à sa guise, ….Au fond la raison de tout ça est que les enfants de nos dirigeants n’étudient pas ici dans ces écoles, les enfants de ceux qui sont censés nous représenter étudient à l’étranger ou dans des écoles internationales qui ne sont pas soumis aux mêmes programmes, …. mais je dois vous dire à vous nos dirigeants que ceci est le signe d’un manque de patriotisme. Mais le plus grave en ce moment est le fait que nos enfants sont en train de rater deux années scolaires alors que ceux qui fréquentent les écoles internationales continuent leur scolarité. » 

Et Mme Idamange de terminer en se demandant comment notre ministère de l’éducation nationale va gérer cette année scolaire à plusieurs vitesses en particulier pour les classes terminales. 

Elle conclue le sujet en s’adressant à la Première Dame, Madame Jeannette Kagame :  » Dernièrement, on a annoncé que le nombre de jeunes filles confrontées à des grossesses non désirées a fortement augmenté pendant la période de confinement. Je me demande si Mme Jeannette Kagame est au courant de ces chiffres car je l’ai entendue dire qu’elle se préoccupe du sort des jeunes filles, surtout celles qui rencontrent ce genre de difficultés, que sa fondation leur vient en aide. J’ose espérer que vous êtes sincère dans votre démarche et que vous ne faites pas tout cela pour vos donateurs étrangers, que vous allez faire quelque chose pour aider ces jeunes filles.« 

Le droit à l’espérance

Madame Idamange a répété à plusieurs reprises qu’elle parle ainsi parce qu’elle est arrivée à bout. Ce manque de perspective généralisé est très dangereux et si les autorités n’y prêtent pas l’attention nécessaire et proposent un vrai projet d’avenir au pays, tous ces jeunes désœuvrés, sans espoir, risquent de basculer dans la criminalité ou les drogues.

Avant l’année 2020, le Rwandais qui voulait s’offrir un moment d’évasion afin d’oublier la dure réalité de la vie quotidienne avait le choix entre deux options: le sport ou la religion. 

Avec la pandémie, les activités culturelles et les divers championnats sportifs, ainsi que les bars, où les gens se retrouvaient pour regarder les matchs des championnats étrangers très populaires au Rwanda, ont été les premières victimes du confinement. 

Mais ici Mme Idamange, en bonne chrétienne est surtout préoccupée par la fermeture des lieux de cultes. Elle rappelle que les Rwandais ont le droit de conscience et de croyance et se demande pourquoi les lieux de cultes ont été les premiers lieux à être fermés: « Si on peut observer les mesures de préventions au marché, comment est-ce que cela devient impossible dans une église? …Nos autorités doivent se rappeler qu’une population sans croyances, ni espérance peut devenir ingouvernable.« 

« Il est vrai que Dieu nous aide, mais il ne fera rien si nous ne demandons rien, c’est à nous de demander son aide, prions pour la paix, pour la joie, nous aussi avons droit au bonheur, personne n’a été créé pour souffrir. Des fois, j’ai l’impression que nous sommes dans une sorte de deuil permanent, comme si tout était fait pour que les Rwandais soient malheureux et je ne vois pas pourquoi nous ne pouvons pas être heureux. C’est notre droit, nous avons été créés pour être heureux, mais il semble impossible de connaitre la joie au Rwanda. » 

Y-a-t-il encore quelqu’un à la barre?

Madame Idamange déplore l’absence du  leadership national ou de toute parole de réconfort et d’espoir des autorités tout au long de la crise. En effet, depuis l’apparition du Coronavirus, toutes les mesures ont étés annoncées par des communiqués de presse, parfois signées par le Premier Ministre ou même sans signature. 

« Depuis le début de la pandémie, je n’ai pas encore vu le président de la République venir s’adresser à la nation. J’aurais aimé l’entendre dire aux Rwandais: « N’ayez pas peur, la pandémie est là, la situation est difficile mais nous avons pris des mesures de prévention. On va vous confiner chez vous, mais sachez qu’aucun Rwandais ne manquera de nourriture, ni de soins médicaux. N’ayez pas peur, en tant que votre leader, je reste avec vous ». Je ne sais pas si les autres l’ont vu mais moi personnellement, je ne l’ai pas vu. »

Cette longue absence du président Kagame de la scène publique a même poussé certains à penser que le président serait mort et voilà qu’apparemment la question de l’absence du leadership national en cette période de crise commence à intéresser même la population à l’intérieur du pays.   

Nouvelle héroïne

La publication de la vidéo a propulsé Idamange Irya Mugwiza sur le devant de la scène et les réactions ne se sont pas faites attendre et ont étés à la hauteur de la surprise.

Pour certains, une nouvelle Rosa Parks est née, d’autres conseillent aux autorités d’écouter la douleur d’une mère au lieu de se sentir personnellement visés, d’autres encore voient en son action, le début d’un changement qui viendra des femmes.

 

 

 

 Car au Rwanda, ce n’est jamais de bon augure quand on en arrive au point où les femmes doivent prendre les choses en main contre l’injustice. 

Et pour conclure, laissons le dernier mot à Idamange Irya Mugwiza Yvonne dans son appel aux autorités:

« Je ne suis ni ennemie du pays ni suicidaire, on ne peut pas être suicidaire quand on est mère de quatre enfants. J’ai connu moi-même la vie d’orpheline et je sais qu’il y a des personnes qui tiennent à moi, mais je ne pouvais pas rester dans mon coin, silencieuse devant tant de détresse et d’injustice que connaissent mes concitoyens. Je devais le dire  et maintenant, mes propos, prenez-les comme vous le voulez, mettez moi en prison si ça vous chante, accusez-moi  et même si vous me tuez, je suis prête à tout ça. Je suis en paix avec ma conscience qui m’a poussé à parler au nom des Rwandais, de crier leurs douleurs, de vous dire que derrière nos sourires de façade se cache une immense douleur, et que derrière notre silence, nous ne sommes pas du tout satisfaits de notre situation….Il est temps que vous libériez les Rwandais, qu’ils puissent jouir de droits dans leurs propres pays, qu’ils connaissent la paix et la joie, …. À vous aussi les Rwandais, il est temps que vous vous libériez de la peur et preniez la parole, sortir votre détresse, pour réclamer vos droits et arrêter de prétendre d’être heureux alors que vous ne l’êtes pas du tout, …il est temps que chacun fasse ce qu’il a à faire pour que les Rwandais aient la paix. …Je m’appelle Idamange Irya Mugwiza Yvonne, je dois vous dire que je ne suis pas folle, n’allez pas prétendre que je suis une malade mentale, je ne suis pas là pour quémander à manger, je n’ai pas faim, je  n’ai pas non plus prévue de me suicider, que demain personne ne vienne prétendre que je me suis suicidée. Ma « seule action suicidaire » est cette vidéo, je suis une mère et mes enfants ont besoin de moi,… je suis confinée chez moi, je ne risque pas d’être victime d’un accident de la route et je suis en bon terme avec mes domestiques, ils ne vont pas m’étrangler, s’il m’arrive quelque chose ce ne serait qu’à cause de ce que j’ai dit, … Et même s’il m’arrivait malheur, quelqu’un d’autre va parler comme moi, il y aura toujours des gens pour dénoncer l’injustice. Aujourd’hui le Rwanda n’a plus besoin d’un dirigeant guidé par l’ethnisme, que ça se soit un Hutu qui se prétend défenseur des Hutus, un Tutsi défendant les Tutsis ou un Twa défendant les Twas, … le Rwanda a aujourd’hui besoin d’un dirigeant qui aime les Rwandais et le Rwanda et qui possède un esprit patriotique et serait prêt à se sacrifier pour ses concitoyens. » 

Depuis la publication de la vidéo, plusieurs membres du régime s’exprimant sur les réseaux sociaux réclament des sanctions parmi lesquelles l’emprisonnement de la jeune femme et les inquiétudes sont grandes quant à la réaction des autorités.  

Luc Rugamba

Jambonews.net 


Droits de l’Homme : L’ONU épingle une fois de plus le Rwanda

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Le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies vient une fois de plus de pointer du doigt le Rwanda pour des violations graves des droits homme, lors de l’Examen périodique universel (EPU) du pays. Cet examen vise à examiner le bilan complet de tous les États membres des Nations Unies en matière de droits humains. Il est effectué tous les cinq ans par d’autres membres, à tour de rôle, qui émettent des recommandations. Lors de son examen périodique qui s’est tenu au Conseil des droits de l’homme à Genève le 25 janvier 2021, le Rwanda a été sévèrement critiqué quant à l’état des droits humains sur son sol, et surtout le conseil regrette que la majorité des recommandations formulées dans ses précédentes observations n’aient pas été suivies malgré les promesses du gouvernement rwandais.

«  Exécutions sommaires, décès de suspects lors d’arrestations et dans des circonstances suspectes dans des postes de police, torture et mauvais traitements dans des centres de détention non officiels, disparitions suspectes, nomination des juges sous des pressions politiques, tribunaux militaires qui jugent des civils, avocats assimilés à leurs clients, aveux obtenus sous la torture, ingérence dans la vie privée, assassinats de réfugiés qui manifestaient contre une réduction des ratios alimentaires, recrutement de réfugiés burundais dans des groupes armés,  exploitation sexuelle des enfants,.. », la liste est longue, de ces accusations émanant de 99 pays, dont certains de la région qui accusent tous le Rwanda de piétiner les droits humains.

Ces pays recommandent au Rwanda de respecter des obligations internationales en matière de droits de l’Homme sur des questions touchant plusieurs domaines, notamment l’élimination des discriminations (discriminations raciale, discrimination envers les femmes, discrimination fondée sur le handicap) ; mettre fin à la torture et aux mauvais traitements, enquêter sur les cas d’exécutions extrajudiciaires, de disparitions forcées, de détentions arbitraires et de morts en détention. 

« Les vives critiques adressées au Rwanda par les pays du monde entier témoignent de l’inquiétude de la communauté internationale face à la crise des droits humains au Rwanda », a déclaré Lewis Mudge, directeur pour l’Afrique centrale à Human Rights Watch .

Lors de l’examen de 2021 sur le Rwanda, de nombreux pays ont réitéré deux recommandations majeures à ce petit pays que nombreux n’hésitent pas à qualifier de « champion des violations des droits de l’Homme  » : ratifier la Convention contre les disparitions forcées et le Statut de Rome pour que le pays fasse partie de la Cour pénale internationale. Plusieurs pays ont aussi exhorté le Pays des Mille Collines à autoriser le sous-comité des Nations Unies pour la prévention de la torture et traitements cruels, inhumains ou dégradants à reprendre ses visites sur le terrain. Ces visites avaient été suspendues en raison d’une série d’obstacles mis par les autorités rwandaises à l’accès aux lieux de détention, du manque de confidentialité de certains entretiens et de craintes que les personnes interrogées subissent des représailles.

Johnston Busingye, ministre de la Justice, a d’abord nié l’existence de maisons de détention secrètes au Rwanda. Pour lui, ces détracteurs poursuivent des mobiles politiques. Quelques heures après, le même ministre et porte-parole du gouvernement rwandais a annoncé qu’il va mettre en pratique les 160 recommandations émanant des pays du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies. Il a souligné que son pays est d’ailleurs en bonne voie, puisque 50 des recommandations qui avaient été émises suite au premier examen périodique ont été respectées, un constat que ne partage pas Human Rights Watch. En effet, HRW souligne ne pas constater d’améliorations concrètes en matière de droits humains au Rwanda en général, même sur les recommandations qui avaient été formulées par le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies en 2015. « Les autorités rwandaises doivent aller au-delà des promesses vides et des faux-fuyants pour régler leurs problèmes de droits humains », a déclaré Lewis Mudge.

En date du 27 janvier, Etienne Gatanazi et ses collègues journalistes discutaient de la liberté des journalistes au Rwanda et le journaliste Alex Ngarambe a affirmé que Yolande Makolo, conseillère en communication à la présidence menace et intimide souvent les journalistes en les empêchant de publier certains articles. Alex Ngarambe témoigne : « Il y a environ deux ans, un scoop était en préparation au journal The East African. La police en a été informée et elle ne voulait pas que l’histoire soit publiée. Elle a alors fait irruption dans le bureau de The East African et a confisqué les ordinateurs des journalistes. Je considère tout ça comme une menace pour les journalistes. Ca, c’est du côté de la sécurité, mais il y a aussi des politiciens qui viennent attaquer les journalistes. En tant que politiciens, il utilisent leur compte Twitter ou appellent des journalistes par téléphone et les intimident en leur disant qu’ils ne sont pas professionnels et qu’il travaillent pour les détracteurs du Rwanda parce qu’ils viennent de publier un article désagréable pour ce politicien. Je pourrais donner des exemples et je leur dirais que le journalisme n’est pas un crime. C’est une profession reconnue par la loi, un travail comme les autres. Si je fais un article qui ne te plaît pas, je ne suis pas là pour faire des articles qui te plaisent, je suis là pour faire donner une information complète au public. S’il ne te plaît pas, il y a d’autres façons de procéder. Il y a une femme qui aime faire cela, elle s’appelle Yolande Makolo, elle travaille à la présidence. Quand une personnalité haut placée t’attaque comme cela, ça te fait peur ! » https://www.youtube.com/watch?v=U0oGwc9XDtE 

En 2020, le Rwanda venait en queue de peloton au classement mondial de la liberté de la presse (155 sur 179) et son régime figure parmi les plus répressifs au monde.

Le 25 janvier dernier, c’est le gouvernement britannique qui a haussé le ton contre le régime rwandais. Dans un communiqué, Londres accuse le régime de Paul Kagame de violations flagrantes des valeurs fondamentales du Commonwealth, une organisation que le Pays des Mille Collines a intégré en 2009. Cette déclaration a été saluée par deux formations politiques de l’opposition rwandaise, DALFA UMURINZI de Victoire INGABIRE UMUHOZA et PS Imberakuri de Maître Bernard NTAGANDA.

Jean Mitari
Jambonews.net

Bruxelles, Paris, Genève, La Haye, Lyon : les rwandais expriment leur ras le bol

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Ce mardi 16 février 2021, à 13 heures, plusieurs centaines de rwandais ont spontanément manifesté dans plusieurs villes européennes afin de demander la libération d’Yvonne Idamange et demander que les droits fondamentaux des citoyens rwandais au pays ou en exil cessent d’être bafoués.

Des mobilisations ont simultanément eu lieu à Bruxelles, Paris, La Haye, Genève, Lyon et d’autres actions sont envisagées dans les prochains jours à Montréal,  Stockholm, Paris ou encore à Genève une nouvelle fois.

Cette mobilisation de la communauté rwandaise en exil fait suite à l’arrestation d’Yvonne Iryamugwiza Idamange pour une vidéo qu’elle a publiée ce lundi 15 février 2021 sur sa chaine YouTube et qui a déjà été vue plus de 130’000 fois en l’espace de quatre jours seulement.

Dans cette vidéo, Yvonne Idamange exprime son ras le bol de voir des jeunes talents rwandais emprisonnés, victimes de disparitions forcées ou tués « sur une base quotidienne », et cite entre autres noms, celui de Kizito Mihigo, assassiné le 17 février 2020, celui du journaliste Cyuma Hassan Dieudonné, emprisonné pour « non respect des mesures de confinement » depuis avril 2020 ainsi que celui du jeune poète Mussa Innocent Bahati porté disparu depuis le 7 février 2021.

Dans son message, cette maman de quatre enfants a appelé les rwandais à se rendre à la présidence munis d’une bible pour « réclamer la démocratie au Rwanda» et la fin des abus graves des droits de l’Homme qui continuent à être régulièrement commis dans le pays.

Dans un langage très virulent à l’encontre du pouvoir en place, ou elle est allée jusqu’à qualifier le général Kagame de « cadavre » en écho à une rumeur persistante depuis plusieurs mois dans certains milieux rwandais selon laquelle Paul kagame serait décédé, l’activiste a évoqué un impérieux « besoin de changement » dans la gouvernance du pays et a appelé à plusieurs reprises dans sa vidéo, à une « révolution pacifique », à laquelle elle a appelé les « rwandais de l’extérieur » à se joindre « si vous restez les bras croisés, Dieu vous demandera des comptes ».

« Tu vas te taire, si tu ne te tais pas, ils vont te tuer, les gens parleront de ta mort une semaine et après ce sera fini »

Dans la même vidéo, Yvonne Idamange explique avoir reçu quelques jours plus tôt la visite du secrétaire d’État Edouard Bamporiki, qui lui aurait proposée, au nom de l’Etat rwandais d’acheter son silence.  Madame Idamange dit avoir en sapossession l’enregistrement de cette conversation dans laquelle le Ministre luidemande ce que l’Etat rwandais pourrait lui offrir en échange de son silence. Une proposition à laquelle elle a opposé une fin de non recevoir « Je lui ai répondu que si c’était nécessaire, je suis prête à mourir pour les enfants du Rwanda car je ne peux pas accepter de me vendre et me taire sur le sang des rwandais (…) il m’a dit, tu vas te taire, et si tu ne te tais pas, ils vont te tuer, les gens parleront de ta mort une semaine et ce sera fini ».  

Sur twitter le principal intéressé a par la suite confirmé cet entretien en ces termes « c’était ma responsabilité en tant qu’avocat et ami de la famille de lui rappeler les crimes et leurs sanctions dans la loi. Je suis fier de l’avoir fait. Sinon le temps que j’ai passé à l’école de droit aurait été vain. Nous nous connaissons depuis 2003. »

Quelques heures à peine après la publication de cette vidéo, la police rwandaise annonçait son arrestation « pour de sérieux crimes comprenant « l’incitation à l’ordre public, la rébellion contre une arrestation légale et une attaque grave contre un membre des forces de sécurité », la police l’accusant d’avoir blessé l’un des policiers venu l’arrêter à la tête avec une bouteille.  

Beaucoup de rwandais ont mis sur leurs profils de réseaux sociaux la photo d’Yvonne Idamange avec comme message « ne la tuez pas, écoutez la »

Dès l’annonce de son arrestation, les réseaux sociaux rwandais se sont enflammés, plusieurs milliers de rwandais diffusant sa photo ou la mettant comme photo de profil avec souvent un même message « ne tuez pas Idamange, écoutez là ».  Le lendemain, plusieurs centaines de personnes se sont rassemblées à Bruxelles, Paris, Genève, la Haye ou Lyon pour demander la libération immédiate de la jeune femme ainsi que le respect des droits de l’Homme au Rwanda.

À Bruxelles beaucoup de manifestants avaient une bible dans une main, une photo d’Yvonne Idamange dans l’autre

A Bruxelles, environ 200 manifestants selon les organisateurs, 150 selon la police se sont rassemblés devant l’ambassade du Rwanda, pour la plupart munis d’une bible dans une main (à la demande d’Idamange) et d’une photo d’Yvonne Idamange dans l’autre.

Dans leurs slogans, les manifestants ont à plusieurs reprises exprimé leur ras le bol de voir les droits des rwandais être continuellement bafoués sans aucune réaction nationale ou internationale. « Turarambiwe, Turarambiwe, Turarambiwe »  (nous en avons assez) ont ainsi scandé les manifestants qui répétaient en boucle les noms de jeunes rwandais assassinés par le régime ou portés disparus à l’instar de Mussa Innocent Bahati, le dernier nom en date à s’être ajouté sur cette trop longue liste de personnes portées disparues au Rwanda.

A d’autres reprises les manifestants ont scandé le mot « révolution » en écho à l’appel d’Idamange d’avoir une « révolution pacifique » au Rwanda. Ils exigeaient la libération de Yvonne Idamange ainsi que des autres prisonniers politiques au Rwanda. A la veille de la commémoration de l’anniversaire de l’assassinat de Kizito Mihigo, les manifestants ont terminé leur événement dans le recueillement, en entonnant un couplet de la chanson Igisobanuro cy’urupfu, celle-là même qui qui fut à l’origine du long chemin de croix de l’artiste chrétien.

« Je me suis levée pour ceux au Rwanda qui ne peuvent pas le faire »

Ganishya Runyinya, une des participantes à la manifestation à Bruxelles explique avoir voulu manifester car elle a été frappée par le fait de voir “une mère célibataire de quatre enfants qui a l’air d’avoir tout, qui semble faire partie de la classe privilégiée du Rwanda se lever et laisser de côté son privilège pour parler au nom de tous les rwandais en étant consciente des risques qu’elle encourt. »

Le fait que Yvonne Idamange, s’est montrée prête à tout sacrifier y compris sa vie pour s’exprimer, ajoute Ganishya Runyinya, « montre que les rwandais en sont arrivés à un point de non retour. Son action de refuser de vivre dans son confort en gardant les yeux fermés sur la détresse de la population rwandaise me fait penser à la phrase prononcé par Kizito Mihigo dans l’une des dernières vidéos qu’il a enregistrées avant son assassinat dans laquelle il explique qu’il préfère mal vivre,  vivre difficilement, mais en étant libre intérieurement que de faire ce qu’ils veulent, mais en étant vraiment enchainé, sans être lui-même. »  

C’est ce « sacrifice de soi » qu’Idamange a fait pour les rwandais, continue Ganishya, « qui m’a poussé à ne pas rester les bras croisés. Je sais très bien qu’au Rwanda personne n’allait aller à la présidence comme elle l’avait demandé et ce en raison du climat de peur qui y règne, mais moi je n’ai aucune raison d’avoir peur. La ou je vis, j’ai la possibilité de faire le geste que ceux au Rwanda ne peuvent pas faire en raison des craintes pour leur vies. Je me suis levée pour ceux qui ne peuvent pas le faire. »

À Paris , les manifestants se sont rassemblés au Parc de Monceau

A Paris, les manifestants se sont rassemblés aux alentours de 12h au Parc de Monceau à proximité de l’ambassade du Rwanda. Vers 13h, une délégation, de quatre personnes ont approché pour déposer leur message dans les boutes de l’ambassade. Les autres devant rester en retrait en raison des mesures de confinement imposées en France.

Marie Jeanne Rutayisire, une des manifestantes explique s’être mobilisée « afin de contester les injustices qui se passent eu Rwanda, et soutenir Idamange qui réclame les droits pour tous les rwandais. »

« Le courage d’Idamange m’a émue et inspirée »

A Genève, des personnes venant de différents cantons, se sont rencontrés à la place de la Nation devant le palais des Nations Unies à 13 h avec des photos d’Idamange, des photos d’autres prisonniers, ainsi que celles de personnes victimes de disparitions forcées. Une délégation s’est ensuite rendue devant l’ambassade du Rwanda avant de revenir à nouveau place des Nations.

Aimée Bamukunde, dont la photo d’elle brandissant une pancarte à l’effigie d’Idamange en face du palais des Nations est vite devenue virale, explique s’être mobilisée  car « en tant que rwandaise », elle se sent concernée par ce qui se passe à l’intérieur du pays et par tous les problèmes qu’Idamange a cités. « On peut ne pas être d’accord avec tout ce qu’elle a dit mais son courage m’a émue et inspirée encore plus. Idamange aurait pu être ma grande sœur, ma cousine, ma voisine, c’est cette force d’une maman de quatre enfants qui met de coté sa propre vie et qui parle pour tout son peuple qui m’a poussée à me mobiliser pour elle. C’est cela que je recherche et qui m’inspire, ces femmes qui osent dire tout haut ce que le gens pensent mais n’osent pas dire. »

Au delà du courage d’Idamange, c’est la forme et le contenu du discours de la jeune femme qui semble avoir marqué Aimée Bamukunde « elle était méthodique,  organisée, et parlait dans un langage clair. Elle parlait des problèmes que les rwandais vivent. Bien qu’elle ne soit pas elle –même dans le besoin, elle parlait pour les plus démunis. Elle a parlé pour tous les rwandais non seulement ceux à l’intérieur mais aussi ceux à l’extérieur du pays et c’est cela qui m’a frappé.

La jeune femme explique avoir été séduite par le caractère « inclusif » du discours d’Yvonne Idamange « personnellement ma cause, ce sont les enfants rwandais dans les camps de réfugiés à l’extérieur du pays qu’on a tendance à oublier. Quand elle s’adresse à « chaque rwandais ou qu’il soit », aucun enfant du Rwanda n’est exclu, c’est son discours inclusif qui m’a séduite. Des gens ayant vu ma photo circuler me disent merci de faire ceci, moi j’ai plutôt envie de dire merci à elle, merci à toutes ces mamans qui font en sorte que les choses changent, c’est une héroïne. »

« Je me suis reconnue en elle »

À La Haye, les manifestants se sont rassemblés à « Plein » devant le parlement néerlandais brandissant des photos d’Idamange.

A La Haye, les manifestants se sont rassemblés à « Plein » devant le parlement néerlandais brandissant des photos d’Idamange.

Gloria Uwishema, une des manifestantes explique s’être mobilisée car d’une part elle s’indignait de voir une rwandaise persécutée pour sa liberté d’expression  «il n’y avait pas de raisons de la persécuter. Son cas montre justement qu’il y’a un grand manque d’espace d’expression au Rwanda ». D’autre part, Gloria Uwishema explique s’être mobilisée en tant que femme, afin de soutenir une femme de sa génération, ayant des enfants comme elle et « qui est parvenue à dire les problèmes des rwandais. Idamange n’arrive pas à s’imaginer le Rwanda de demain, pour elle mais surtout pour ses enfants, elle s’inquiète de l’avenir et du chemin que notre pays est entrain d’emprunter. Je me suis beaucoup reconnue en elle. »

Dans la foulée de la manifestation, Prosper Shima, jeune rwandais habitant également aux Pays-Bas et qui organisait le rassemblement, ne s’est pas arrêté à ce rassemblement et envoie depuis lors des courriers signés par près d’une centaine des personnes aux différents pays partenaires du Rwanda « nous avons déjà écrit  à  différentes ambassades qui se trouvent au Rwanda, à la Mission européenne à Kigali, à l’ambassade des Etats-Unis, à l’ambassade des Pays-Bas en leur demandant  d’exhorter les autorités rwandaises  à respecter les droits fondamentaux des rwandais ainsi que le droit à la liberté d’expression de Madame Idamange. »

« On en a marre, on veut soutenir les rwandais qui souffrent de ce système qui les écrase dans tous les sens »

À Lyon, les manifestants se sont rassemblés place Bellecour

A Lyon, les manifestants se sont rassemblés sur la place Bellecour à 13h tapante pour «pour dénoncer la violation des droits humains et soutenir la démocratie au Rwanda ».   Vu le court délai, certains ayant été prévenus le matin même, les manifestants se sont retrouvés sans affiches d’Idamange mais avec une bible comme elle l’avait demandé.  

Léon Ruhungira qui fut parmi les personnes qui se sont mobilisées, explique l’avoir fait pour « soutenir la liberté de parole au Rwanda et manifester contre l’injustice qui frappe les rwandais. On en a marre, on veut soutenir les rwandais qui, au pays, en ont marre et osent parler. On veut soutenir les rwandais qui souffrent de ce système qui les écrase dans tous les sens. Il est temps que ça change. »

« On ne va pas s’arrêter tant que la situation ne change pas »

Quatre jours après l’arrestation de la Youtubeuse, l’émotion reste vive au sein de la communauté rwandaise et la mobilisation autour de son cas ne montre aucun signe d’essoufflement.

Dans les foras rwandais, malgré l’actualité particulièrement chargée des derniers jours, Yvonne Idamange continue à être le principal sujet de discussions et plusieurs émissions YouTube continuent à lui être consacrées quotidiennement.

La mobilisation ne faiblit pas et des nouvelles manifestations sont annoncées ce week-end, à Paris, Genève, Stockolm et même au Canada. Une grande « manifestation virtuelle » est également annoncée pour le 28 février.

Diane Gasana, jeune rwandaise vivant en Suisse et qui est parmi les organisateurs de la manifestation de samedi à Genève explique vouloir à nouveau se mobiliser car « ça va trop loin. On a été touchés par l’arrestation d’une mère célibataire. Tout ce qu’elle a fait c’est dénoncer les défaillances du système. Pour nous, s’exprimer n’est pas un crime. »

Mardidernier, elle faisait partie des manifestants qui se sont rendus devant le Palais des Nations à Genève ainsi qu’à l’ambassade du Rwanda  « Ce qui m’a choquée est que quand nous sommes arrivés à l’ambassade, ils nous ont regardé par la fenêtre et aucun d’eux n’a daigné venir écouter nos revendications. Pourtant nous n’étions ni nombreux, ni menaçants, on a ressenti cela comme un mépris. On ne va pas s’arrêter jusqu’à ce que l’Etat nous entende ou que la situation au Rwanda change ».

A côté de ces gestes de soutien, une récolte de Fonds a été lancée afin d’aider Yvonne Idamange pour ses frais judiciaires et soutenir ses quatre enfants. En seulement quatre jours, la cagnotte atteint déjà près de 20 000 dollars et les dons continuent à affluer.

https://www.gofundme.com/f/support-for-idamange

Ruhumuza Mbonyumutwa

Jambonews.net

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Guerre des mots au Rwanda: Le cas d’Yvonne Idamange

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Dans un article récent, nous nous demandions si le FPR avait décidé de se remettre à faire de la Politique?

Il semble maintenant que la question ne se pose même plus. Le FPR n’a en effet plus d’autre choix que d’accepter le débat car la parole se libère et sa monopolisation du débat public devient de plus en plus intenable. Et cette nouvelle forme de contestation de l’ordre établi n’est pas le fait de vieux responsables politiques qui seraient nostalgiques de l’ancien régime. Elle vient de l’intérieur même du système et elle est portée par la génération des 25-45 ans qui se sent prête à prendre les rênes du pays et ne peut plus se contenter de  suivre aveuglement la ligne du parti.

C’est ainsi qu’on a vu apparaitre ces derniers mois plusieurs personnalités qui commentent et analysent l’actualité socio-politique du pays avec un regard plutôt critique, très différent de ce que l’on est habitué à entendre dans les médias publics ou proches du pouvoir. Ces voix critiques se retrouvent en général sur des chaines YouTube basées au Rwanda même, à l’étranger ou sur des radios locales. Conséquence heureuse du développement de l’accès aux nouvelles technologies de l’information au Rwanda, la prolifération de ces chaines YouTube permet aux Rwandais de pouvoir exprimer leurs points de vue sur divers sujets tant sociaux que politiques, de dénoncer les inégalités toujours croissantes ainsi que les injustices quotidiennes.

Le plus intéressant, c’est que contrairement aux opposants habituels accusés d’être des nostalgiques de l’ancien régime, les nouveaux critiques sont des produits du système actuel. Ils ont pour la plupart moins de 45 ans et ont été formés dans le Rwanda post-génocide. Certains sont des enfants des anciens réfugiés qui avaient fui le Rwanda après la révolution de 1959 et qui sont rentrés après la guerre de 1990-1994, d’autres encore sont des rescapés du génocide contre les Tutsis.

En général, les critiques du régime sont systématiquement accusés pêle-mêle d’être des ennemis du pays, des génocidaires, des terroristes, des voleurs, de propager l’idéologie du génocide, de nier ou minimiser le génocide contre les Tutsis.

Bien sûr, cette nouvelle « dissidence » n’y échappe pas. Tom Ndahiro qui se présente comme un chercheur spécialiste du génocide est l’un de ceux qui donnent le ton pour ce genre d’attaque. Il est parmi les défenseurs les plus acharnés du régime sur les réseaux sociaux et c’est lui qui a sonné la charge sur Twitter avec un post dans lequel il accuse les voix critiques les plus populaires du moment  d’être rien de moins que des « Interahamwe ».

« Yvonne Idamange est la nouvelle venue parmi ceux qui propagent les idées des Interahamwe en disant que le génocide est « instrumentalisé ». Elle est comme Aimable Karasira, Umubavu TV, Victoire Umuhoza, Apôtre Mutabazi, Gatanazi et les autres qui viendront si le gouvernement ne sévit pas plus sévèrement contre ceux qui minimisent le génocide et appelent à l’insurrection.« 

Yvonne Idamange est devenue en l’espace de deux semaines la nouvelle bête noire du régime. Ses vidéos, dans lesquelles elle accuse le gouvernement d’instrumentaliser le génocide, de népotisme et de corruption, ont causé un certain émoi dans la communauté rwandaise. Saluée par l’opposition pour avoir osé parler publiquement, elle est vilipendée par les pro-régime. La Commission Nationale de Lutte contre le Génocide (CNLG), les associations des rescapés et autres supporters du régime se sont levés comme un seul homme pour l’accuser de minimiser le génocide, certains allant même jusqu’à l’accuser d’être une « fausse » rescapée, pour dire qu’elle ne serait pas vraiment tutsie.

Voici la première vidéo que Mme Idamange a publiée le 31 janvier  2021 et qui a mis le feu aux poudres. Il s’agit d’une traduction libre réalisée par le site Jambonews.net

Mais loin de l’intimider, ces accusations ont poussé Madame Idamange à aller plus loin dans sa critique. Dans sa dernière vidéo publiée le 15 février, elle a lancé un véritable pavé dans la mare:

Elle accuse le gouvernement d’instrumentaliser la mémoire et les corps des victimes du génocide contre les Tutsis à des fins politiques et économiques. Elle pointe du doigt le manque de soutien moral aux jeunes rescapés, ainsi que l’aide financière qui reste insuffisante alors que les fonds déstinés aux réscapés seraient détournés pour assurer un train de vie luxueux des dignitaires du régime.

Elle se montre aussi critique de la gestion des mémoriaux dans lesquels les restes des victimes sont exposés. Pour Madame Idamange, l’horreur du génocide aurait pu être montrée sans nécessairement exposer les cops des victimes, mais par exemple en exposant les outils utilisés lors du génocide ou les photos des victimes accompagnées de textes  explicatifs comme cela se fait par exemple dans les mémoriaux de la Shoah.

Elle accuse le régime d’être responsable d’une longue série de disparitions forcées, d’assassinats et de décès suspects survenus ces dernières années sans qu’aucune enquête n’ait jamais permis de retrouver ni les disparus ni les coupables.

Elle accuse  le gouvernement d’avoir essayé de la faire taire en lui envoyant Bamporiki Edouard, le Secrétaire d’État en charge de la Culture, qui est allé chez elle pour tenter « d’acheter » son silence. Il l’aurait ensuite ménacée de mort lorsqu’elle a réfusé son offre. Fait surprenant, le Secrétaire d’État a lui-même confirmé cette visite, qu’il justifie en expliquant être allé voir Mme Idamange en tant qu’avocat et ami de la famille pour « lui rappeler les crimes et les peines qu’ils entraînent selon la loi ».

Pour couronner le tout, elle est revenue à la charge sur l’absence de leadership au sommet de l’État. Elle lance un appel à la population pour sortir dans la rue dès le lendemain et marcher pacifiquement, munis de leurs bibles,  jusqu’aux locaux de la Présidence de la République pour exiger que soit mis fin à la mascarade qui « consiste à cacher la mort du président Kagame, afin que le pays ne soit plus gouverné par un cadavre ».

Dès  la publication de cette vidéo explosive, des rumeurs sur le sort de Mme Idamange ont commencé à circuler. Par un communiqué de presse affirmant qu’elle présenterait des signes de folie, la Police Rwandaise, habituée à se substituer aux médecins psychiatres, a annoncé son arrestation en fin de journée.

Son arrestation a été dénoncée par l’opposition rwandaise comme une nouvelle attaque à la liberté d’expression par le régime de Kigali et des manifestations de soutien à Madame Idamange ont été organisées devant les ambassades du Rwanda dans différentes villes d’Europe comme à Bruxelles, Paris, Lyon, la Haye ou Gèneve.

Le 22 février 2021, le Rwanda Investigation Bureau, la police judiciaire rwandaise, a annoncé avoir fini son enquête et transferé le dossier de Mme Idamange au parquet. Elle est poursuivie pour plusieurs chefs d’accusation dont: Incitation de la population au soulèvement ou aux troubles, Coups ou blessures volontaires, Publication de rumeurs, Démolition, endommagement ou profanation d’un site mémorial ou d’un lieu d’inhumation des victimes du génocide.

L’affaire Idamange a touché le public d’autant plus fortement qu’elle est survenue quelque jours avant le premier anniversaire de la mort du chanteur populaire Kizito Mihigo. Celle-ci avait été annoncée le 17 février 2020 par la police alors quil était en garde à vue. Elle a provoqué une vague d’émotions sans précédent au sein de la communauté rwandaise.

Ces vingt dernières années, le régime du FPR avait réussi à étouffer tout débat politique au Rwanda. Sous prétexte d’empêcher la résurgence de « l’idéologie du génocide », toute critique ou simple avis divergeant de la ligne du parti étaient sévèrement réprimés. Le citoyen n’avait aucun moyen pour exprimer son avis ou ses critiques sur la conduite des affaires du pays.

Mais le vent semble avoir tourné. La génération des 25-45 ans, plus décomplexée par rapport au passé,  ne supporte plus cette chape de plomb qui a longtemps étouffé le pays. La contestation qui se faisait jusque là de façon anonyme par des appels téléphoniques dans des émissions sur les stations de radio locales ou en commentaires sur les articles des journaux en ligne, se présente maintenant à visage découvert, de plus en plus précise et ciblée.

Il y a peu, une telle attaque venant de Tom Ndahiro aurait suffi pour faire taire n’importe quelle critique, mais aujourd’hui ce genre d’attaques extravagantes sont tournées en dérision ou valent à leur auteur d’être lui-même accusé de vouloir diviser les Rwandais.

Ce qui est le plus caractéristique de ces nouveaux « dissidents » est qu’ils viennent pour la plupart de milieux qui étaient normalement sensés être inconditionnellement acquis au FPR.

Aimable Karasira est un rescapé du génocide contre les Tutsis « de l’intérieur » comme il aime à le préciser. Ancien professeur à l’Université Nationale du Rwanda, il a été licencié de son poste pour ses prises de position très critiques.

Umubavu TV est la chaine YouTube du média en ligne umubavu.com. Elle est parmi les premiers médias basés au Rwanda à avoir donné la parole aux opposants intérieurs comme Victoire Ingabire ou Bernard Ntaganda. Elle est aussi connue pour donner la parole aux simples citoyens pour dénoncer les injustices dont ils sont victimes comme l’a montré leur couverture de l’affaire des expropriés de Kangondo.

Victoire Umuhoza est la présidente du parti DALFA-Umurinzi, emprisonnée pendant huit ans après avoir cherché à se porter candidate à l’élection présidentielle de 2010. Elle est regulièrement la cible des attaques de Tom Ndahiro qui l’accuse de négationnisme et de terrorisme.

Mutabazi Kabarira est un pasteur évangélique qui dirige une église appelée Wisdom City-Kingdom Diplomats dont l’enseignement se rapproche de la théologie de la prospérité. « L’Apôtre » Mutabazi se présente par ailleurs comme conférencier, consultant en leadership, entrepreneur et auteur qui écrit des livres sur le christianisme, le développement personnel, le leadership, l’économie et la politique.

Son style décomplexé et mordant, ses analyses et ses commentaires pointus sur la gestion politique du pays et récemment sa critique acerbe des mesures contre le COVID-19, notamment lors du dernier confinement de janvier 2021 lui ont valu une popularité croissante dans les médias alternatifs Rwandais.

Gatanazi Etienne est un journaliste indépendant qui a commencé sa carrière à la télévision nationale. Il a ensuite travaillé comme correspondant pour plusieurs medias étrangers comme la chaine internationale chinoise CGTN ou la radio internationale allemande Deutsche Welle.

En février 2020, il a lancé Real Talk Channel, une chaîne YouTube dont l’ambition est de devenir l’endroit où l’on débat de la vie politique du pays en donnant la parole à tout le spectre politique rwandais. En invitant des politiciens et des commentateurs politiques de tous bords, Etienne Gatanazi s’est attiré les foudres des inconditionnels du FPR, qui n’ont pas l’habitude d’entendre des voix dissonantes. Alors lorsque Tom Ndahiro l’attaque pour « négationnisme », il répond par une boutade en le remerciant de lui faire de la publicité, mais rappelle tout de même que sa propre famille restée au pays a été touchée par ce même génocide qu’on l’accuse aujourd’hui de minimiser ou de nier.

À force d’être utilisées à tort et travers, les accusations de minimisation ou de négation du génocide n’impressionnent plus  grand-monde. Maintenant c’est Tom Ndahiro et la CNLG qui se retrouvent accusés de divisionnisme, voire tournés en ridicule.

D’ailleurs, plusieurs rescapés du génocide ont affiché leur soutien à Yvonne Idamange et demandent au régime d’arrêter de les mettre en avant chaque fois que ses manquements ou sa gestion politique sont critiqués.

Mais ce qui ressort de cet épisode, c’est qu’au-delà du cas Idamange, le régime qui de toute apparence a la maîtrise totale du pays, est totalement démuni dès que le citoyen se met à parler.

Si une simple femme au foyer, mère de quatre enfants, seule avec sa Bible peut créer un tel émoi dans le pays tout simplement parce qu’elle a pris la parole pour dire ce qu’elle a sur le cœur, alors à ceux qui se demandent quoi faire pour apporter un changement au Rwanda, le message est clair et simple: Osez, prenez la parole et exprimez- vous!

Luc Rugamba
Jambonews.net

Rwanda : Sylvain Sibomana libéré après un long et injuste emprisonnement

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Ce samedi 27 février 2021, Victoire Ingabire Umuhoza a reçu avec grande joie Sylvain Sibomana, l’ancien secrétaire général par intérim du parti FDU-Inkingi qui vient d’achever sa peine de 8 ans en prison. Sylvain Sibomana a été libéré de la prison de Nyakiriba dans le district de Rubavu et a été immédiatement accueilli à sa sortie par les jeunes militants du parti politique Dalfa-Umulinzi du district de Rubavu.

Ces membres du parti politique Dalfa-Umulinzi ont accueilli Sylvain Sibomana pour lui témoigner leur gratitude parce qu’ils considèrent qu’il a accepté de se sacrifier pour les rwandais.

Il avait été arrêté en 2013 après s’être rendu, en compagnie d’autres membres des FDU, au tribunal pour assister au procès public contre Victoire Ingabire, alors présidente du parti FDU-Inkingi. Pour soutenir leur présidente, ces jeunes militants portaient des t-shirts sur lesquels étaient écrits les mots « Nous avons besoin de la Justice et la Démocratie » ainsi que des badges des FDU avec la photo de Victoire Ingabire. La police rwandaise leur avait ordonné de se débarrasser de ces t-shirts et badges, ordre que les autres membres avaient immédiatement observé, mais que lui avait refusé de suivre.

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Après avoir été arrêté, Sylvain Sibomana s’était retrouvé accusé d’avoir résisté aux forces de l’ordre et de tentative d’inciter la population à des manifestations illégales. Il avait donc été condamné à 8 ans de prison.

C’est en 2010, après l’arrivée de Victoire Ingabire Umuhoza au Rwanda, que Sylvain Sibomana a décidé de démissionner de son poste au laboratoire universitaire de Butare pour se concentrer, avec Boniface Twagirimana, sur le soutien à Victoire Ingabire Umuhoza dans les démarches de création et de lancement officiel du parti FDU au Rwanda.

« Je l’admire beaucoup car il est courageux et a aussi fait beaucoup de sacrifices. » a déclaré Victoire Ingabire au correspondant de Jambonews à Kigali.

Sylvain Sibomana est né en 1970. Il est père d’un fils de 9 ans, à qui on n’a enlevé la chance de grandir aux côtés de son papa car ce dernier avait été injustement arrêté et condamné à 8 ans de prison.

«La libération de Sylvain Sibomana ne signifie pas que justice est rendue. Il n’aurait jamais dû être arrêté pour ses idées et convictions politiques ; Il doit être dédommagé pour avoir été injustement emprisonné et isolé de sa famille.» Estime un observateur qui suit de près la politique rwandaise.

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Plusieurs membres des FDU et collaborateurs de Victoire Ingabire Umuhoza ont été victimes de persécutions, emprisonnements, disparitions forcées et assassinats aux mains des autorités et forces de sécurités rwandaises au cours des 10 dernières années. Venant Abayisenga (2020)Syldio Dusabumuremyi (2019)Eugène Ndereyimana (2019)Anselme Mutuyimana (2019)Boniface Twagirimana (2018)Fabien Twagirayezu (2017)Gratien Nsabiramye (2017)Léonille Gasengayire (2017)Jean Damascène Habarugira (2017)Illuminée Iragena (2016)Théophile Ntirutwa (2015) ont, pour leur part, été victimes de disparitions forcées ou ont été assassinés.

Alfred Antoine Uzabakiliho
Jambonews

Le Rwanda s’apprêterait à bloquer l’accès aux réseaux sociaux?

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Le président Kagame, un pouvoir en déclin

Selon des informations parvenues à Jambonews, les autorités rwandaises envisagent de fermer les réseaux sociaux à partir du mois d’avril 2021. L’idée de fermer les réseaux sociaux en particulier les plateformes Youtube, Facebook et Twitter n’est pas nouvelle au Rwanda et a déjà à plusieurs reprises été évoquée par le passé, avant d’être rapidement écartée face au tôlé suscité.

Comme dans certains pays célèbres tels la Corée du Nord, la Turquie et d’autres, le Rwanda envisagerait de profiter de l’émotion suscitée par la période de commémoration du génocide commis contre les Tutsi du Rwanda en 1994 afin de fermer les réseaux Youtube, Facebook et Twitter aux habitants du Rwanda au nom de combattre « l’idéologie du génocide », qui selon les autorités, se rependraient sur les réseaux sociaux. Dans cet article, nous tentons de décrypter, les raisons pour lesquelles un régime qui dépense autant d’argent en communication pour assurer une bonne image serait prêt à commettre un acte aussi impopulaire à même de salir cette image ?

Le président Kagame, un pouvoir en déclin

Nous observons ces derniers temps sur les réseaux sociaux des témoignages de citoyens rwandais qui bravent la peur et l’interdit pour exprimer leur désarroi longtemps contenu. Ce désarroi semble avoir atteint son paroxysme à la suite des décisions inadaptées prises par le gouvernement lors de la gestion de la pandémie COVID-19. Il y a également de plus en plus de personnes qui partagent des analyses socio-politiques du pays avec un regard critique sur les décisions passées et présentes du régime.

Parmi les cris de douleurs lancés au monde entier malgré les menaces du régime, nous retrouvons Yvonne Idamange, rescapée tutsi et mère de quatre enfants, qui entre autres accuse le pouvoir rwandais d’instrumentaliser la mémoire du génocide contre les Tutsis à des fins politiques et économiques et appelle ses concitoyens à demander des comptes à leurs dirigeants. Après avoir été menacée de mort par le régime via le secrétaire d’Etat Edouard Bamporiki, elle a été arrêtée le 15 février 2021.

Aimable Karasira, youtubeur, critique envers les décisions du régime, est également un rescapé du génocide contre les Tutsis « de l’intérieur », mais dont les deux parents, le petit frère et la petite soeur ont été tués par le FPR. Il a été renvoyé de son poste de professeur d’université en août 2020 pour avoir exprimé sa douleur sur les réseaux sociaux. Le 8 décembre 2020, le RIB, la police judiciaire rwandaise, a formellement interdit à Karasira d’à nouveau parler du génocide. En effet quelques jours avant cette sommation, Aimable Karasira faisait remarquer que même si sa victoire militaire en juillet 1994 avait mis fin au calvaire des rescapés tutsis, le FPR n’avait pas spécialement combattu pour arrêter le génocide contre les Tutsi, mais plutôt pour la prise du pouvoir. Nous retrouvons ce questionnement dans le chef du Colonel Luc Marchal, adjoint du commandant en chef de la MINUAR, qui affirme qu’avec ces 4 compagnies dans Kigali dès le 12 avril 1994, le FPR aurait pu créer des zones refuges pour les Tutsi de l’intérieur.  

La CNLG, Commission National de Lutte contre le Génocide, affirme quant à elle, trouver à la veille des commémorations, plusieurs discours sur les réseaux sociaux, reflétant l’idéologie génocidaire ainsi que des discours qui apportent la discorde dans la population, qui salissent la politique du gouvernement et qui demandent à la population de résister et de prendre action en vue de se soulever. Dans sa dernière communication, la CNLG rappelle que ces actions sont interdites et sont punissables par la loi au Rwanda.

La disparition de Paul Kagame de la scène nationale se fait de plus en plus remarquer parmi la population. La théorie d’un pays sans président prend de l’ampleur sur les réseaux sociaux et se murmure dans les conversations des Rwandais.

L’impact du droit d’expression des Rwandais au travers des médias sociaux échappant au contrôle des autorités rwandaises risquait fort de pousser les dirigeants à ouvrir un espace de débat. Le FPR semble décidé à colmater la brèche en bafouant une fois de plus les libertés d’expression et en prenant comme prétexte « l’idéologie du génocide ».

L’idéologie du génocide, une arme redoutable du pouvoir de Kigali.

Le terme « idéologie du génocide » a été inventé par l’idéologue du FPR Tito Rutaremara en 1998. Il fut traduit en kinyarwanda par Stanley Safari, alors député du parti MDR dans l’Assemblée nationale de transition et devint «ingengabitekerezo y’itsembabwoko». Stanley Safari va largement vulgariser cette notion au travers principalement de la commission de l’unité nationale et de la réconciliation. Fervent supporteur du parti au pouvoir, le FPR, Safari crée néanmoins son propre parti politique, le PSP (Parti Socialiste pour le Progrès). Quelque temps plus tard, lors d’une enquête financée par l’Union européenne, il avoue aux enquêteurs que la démocratie au Rwanda n’existe tout simplement pas sauf dans la définition que le FPR veut bien lui donner. 

Les réponses à cette enquête lui valurent une descente aux enfers. Il fut interpellé et sermonné par le président Kagame en personne, puis accusé de crimes de génocide à Gikondo où il était pourtant inscrit comme rescapé du génocide. Il sera ensuite poursuivi pour des crimes similaires à Butare où il sera condamné à perpétuité par les tribunaux Gacaca dans un simulacre de procès sans possibilité de se défendre. Averti par des amis qu’il serait condamné, il avait eu le temps de fuir le Rwanda juste avant que la sentence ne soit prononcée. Lui qui avait toujours considéré que toute personne accusée de génocide devait certainement être coupable prit alors conscience de l’énorme machination que le FPR avait mis en place, nous confie l’un de ses proches. Aujourd’hui Safari vit en exil en Afrique du Sud où il milite au sein du parti d’opposition RNC.

Les penseurs du FPR vont très vite récupérer ce terme d’idéologie du génocide pour en faire une arme de bataille contre toute forme de protestation ou de revendication, même contre les personnes nées après le génocide et contre les rescapés tutsi eux-mêmes. Le FPR l’utilisera également pour camoufler ses méfaits. Ainsi il va tenter de faire admettre que l’origine du génocide contre les Tutsi date de la révolution sociale de 1959, révolution qui aurait été motivée par l’idéologie génocidaire. L’attention est ainsi détournée de l’abattage de l’avion présidentiel du 6 avril 1994, véritable déclencheur du génocide contre les Tutsi et dont toutes les preuves semblent désigner le FPR comme responsable.

Rappelons également qu’avant l’arrivée des colons, les termes Hutu, Tutsi et Twa étaient déjà hautement politisés et institutionalisés au Rwanda. Ainsi, les Hutu qui étaient pourtant la grande majorité de la population étaient politiquement marginalisés. Cela se traduisait même parfois dans le langage. Par exemple dire « Sindi umuhutu wawe (« je ne suis pas ton hutu »)» voulait dire « je ne suis pas ton serviteur » ! En effet, le Hutu était soumis à un système appelé « uburetwa » où il devait travailler gratuitement deux jours par semaine pour son patron tutsi. Ce dernier avait droit de vie et de mort sur son serviteur. Cette situation que le pouvoir monarchique voulait conserver ne pouvait tout simplement pas perdurer au 20e siècle. Comme le souligna le très courageux Jean-Népomucène Seruvumba, Tutsi, fils de l’umwiru (gardien des traditions) Serukeyinkware, chef de la province du Bwishaza, territoire de Kibuye, dans le courrier envoyé au Roi du Rwanda Kigeli IV, le 25 mai 1959 : « Il est de toute évidence que ‘la mise au point’ du 24 avril 1959 des autorités coutumières est une simple preuve d’esprit féodal persistant, une négation de leur foi dans l’avenir et la démocratisation des institutions du Ruanda. Que toute autorité digne de ce nom doit rester arbitre parmi les partis en présence. Que le silence ou l’étouffement de la critique du régime est un des moyens les plus sûrs pour conduire à la dictature et à la ruine du pays. Qu’après la suppression de l’ubuhake et bientôt le règlement du régime foncier, l’émancipation totale des Hutu constituera une étape décisive de notre évolution commune, que personne ne peut d’ailleurs freiner. Emancipation qui mettra le Hutu au niveau du Tutsi socialement et que le gouvernement belge doit soutenir de toutes ses forces. Une telle émancipation des Hutu et des Tutsi de petites conditions, que tout Tutsi opposé à cette évolution signe sa propre condamnation et que toute politique d’intrigue et de jeu de cache-cache est dépassée. »[1]

Aujourd’hui, les paroles du chef Seruvumba résonnent encore avec l’actualité. Le blocage des réseaux sociaux au Rwanda et l’utilisation de l’idéologie du génocide comme argument principal, font partie d’un jeu politique d’intrigue que la population, dont le ras le bol devient plus manifeste de jour en jour, ne semble plus pouvoir supporter. Les Rwandais aspirent aujourd’hui à plus de libertés et de considération. L’étouffement de la critique pourrait bien conduire le pays à la ruine.

Robert Mugabowindekwe


[1] Louis Jasper, Ma vie d’administrateur de territoire Tome 1.

Rwanda : Où est Innocent Bahati ?

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Quarante quatre jours après la disparition du poète rwandais Innocent Moussa Bahati, l’inquiétude sur son sort reste vive. Il n’a plus donné signe de vie depuis le 7 février 2021 et sa famille, ses amis et le public en général continuent de se demander ce qui s’est passé ce jour-là à Nyanza, dans le sud du Rwanda.

Selon un de ses amis, Bahati qui était à Nyanza pour préparer son nouveau poème aurait reçu un appel d’une personne non identifiée lui demandant de la rencontrer dans un hôtel de la région, et il a été injoignable depuis lors. Ses téléphones sont coupés et personne ne sait ce qu’il est devenu. Tous les efforts de la famille et de ses amis pour tenter de retrouver sa trace sont restés vains jusqu’à présent. Le Rwanda Investigation Bureau (RIB), qui a été saisi de son cas, n’a jusqu’à présent donné aucune information quant au sort de ce jeune prodige de la poésie rwandaise.

Innocent Bahati Moussa, 31 ans, est né à Nyagatare, dans le nord-est du Rwanda où sa famille habite toujours. Il a fait ses études au Kigali Institute of Education en Biologie, Chimie et Physique (BCP), d’où il est sorti en 2018. Après ses études, il a été engagé comme assistant pédagogique à la Green Hills Academy, l’une des écoles les plus huppées de Kigali.

Bahati a commencé à publier ses poèmes en 2013. Sa personnalité attachante et sa poésie humaniste ont fait de lui un des plus populaires parmi les poètes contemporains au Rwanda. Le public l’a découvert en 2016 quand il a remporté le concours de poésie Kigali vibrates with poetry avec son poème Rubebe, qui raconte les lamentations d’un jeune orphelin qui s’adresse à Dieu. Cette pièce est devenue tellement populaire qu’elle a valu à Bahati le surnom de Rubebe.

Poète engagé et humaniste

Les poèmes de Bahati sont marqués par des valeurs humanistes, et dans ses interviews il revient souvent sur la perte des repères de la société qui privilégie le développement matériel au détriment de l’humain. La question humaine est particulièrement importante au Rwanda compte tenu de son histoire récente et dont les plaies sont encore ouvertes. En effet, chaque famille ou chaque Rwandais porte en lui, le traumatisme de ce passé avec lequel on a de la peine à se réconcilier. D’ailleurs, dans un de ses dernières interviews, il lançait ce plaidoyer pour plus d’humanité:

« Tuzagira ibintu, tubure abantu turimbuke » ou « Nous risquons de nous perdre si nous nous enrichissons matériellement, sans penser à développer notre humanité »

Dans son poème Muvunyi (2020), il s’adresse à Muvunyi, son fils à naitre à qui il voudrait transmettre les valeurs d’humanisme, de droiture et de bravoure, tout en critiquant les dérives de la société rwandaise contemporaine où la lâcheté et la servilité ont été érigées en valeurs.

Dans « Mfungurira », littéralement « Nourris-moi », sa dernière composition publiée le 10 janvier 2021, quelques jours avant sa disparition, Bahati parle de la situation difficile des jeunes chômeurs affamés qui n’arrivent pas à trouver du travail, même comme mains d’œuvres sur les chantiers, malgré leurs diplômes et le fait que le Rwanda est sensé avoir connu des taux de croissance économique parmi les plus élevés au monde ces dernières années. Cette croissance économique, même s’il devient de plus en plus évident qu’elle est artificiellement gonflée à base de chiffrés truqués, est-elle aussi très mal distribuée, le Rwanda étant un des pays les plus inégalitaires au monde.


La pandémie du COVID-19 et les mesures de confinement qui ont obligé la population à rester chez elle pendant des mois, alors que  la plupart des Rwandais survivent grâce à des petits boulots plus ou moins informels ou à de la débrouille quotidienne, n’a fait qu’empirer la situation des ces laissés-pour- compte  de la société rwandaise.
En fin de compte, ces mesures inadaptées au contexte local ont causé plus de souffrances qu’elles n’ont sauvé de vies, car au Rwanda, et ceci est plus vrai dans les zones urbaines, la plupart de travailleurs gagnent leurs vies au jour le jour et il n’existe pas de véritable filet social.

La première strophe de ce poème résume bien le désespoir dans lequel est plongée cette jeunesse :

Sinsaba inka, njye si ndi uwo gutunga;Je ne demande pas de vaches, je ne suis pas fait pour la richesse;
Sinsaba inzu, njye si ndi uwo gutura;Je ne demande pas de maison,
Nawe mubyeyi ndamira ndenze rino ndamuke;Ô toi au bon cœur, aide-moi que je survive à cette nuit;
Wenda ubukeye rugira azangenera igeno rindi.Peut-être que demain Dieu me réserve un meilleur sort.

Chez la famille, les amis et le public au sens large, l’inquiétude est grande, plus de 40 jours après sa disparition, mais un très mince espoir subsiste pour retrouver Innocent Bahati sain et sauf. On attend toujours les résultats de l’enquête des autorités qui jusque-là n’ont rien communiqué. Mais comme le dit l’un de ses plus proches amis: « Un tel gaillard de 2 mètres et plus de 100 kg ne disparait pas comme ça, ce n’est pas comme s’il peut se cacher ou passer inaperçu, … mais nous restons optimistes pour le retrouver et continuer de faire avancer la poésie rwandaise. »

Le 21 mars était célébrée la journée mondiale de la poésie. Les poètes rwandais ont eux aussi marqué cette journée, mais le plus étonnant est que personne n’a mentionné le nom de leur collègue porte disparu depuis plus d’un mois. Mais Edouard Bamporiki, secrétaire d’État en charge de la culture, lui-même poète à ses heures, a profité de son discours pour lancer une mise en garde  à ses collègues :

 « Celui qui n’a rien à perdre peut dépasser les bornes, et celui qui n’a pas de garde fou se perd. Lorsque la poésie fait fausse route, elle entraine le public avec. C’est pour cette raison que je vous demande d’oublier les difficultés que la poésie rwandaise a connues ces derniers temps, mais plutôt de faire notre part pour conseiller et réprimander ceux des nôtres qui s’écartent du droit chemin. »[1]

Explication imagée du sort de Innocent Bahati ou simple mise en garde contre la prise de liberté des poètes ? Seul l’avenir nous le dira. Notons que les antécédents d’Edouard Bamporiki avec d’autres artistes engagés ne sont pas faits pour nous rassurer.

Cette semaine de la poésie sera clôturée par une édition spéciale du programme « Twigenere Ijambo » par l’association Jambo ASBL qui sera diffusée le dimanche 28 mars 2021, cette émission sera consacrée à célébrer l’œuvre de Bahati Innocent. Des experts de la culture et de la langue rwandaise viendront parler de l’importance de la poésie dans la culture rwandaise, et aussi commenter et expliquer pour la jeune génération les  poèmes de Bahati Innocent afin que son message soit entendu et encore plus important en ce moment, que Innocent Bahati Moussa ne soit pas oublié.


Luc Rugamba
Jambonews.net


  1. « Utagira icyo arengera ararengera [kurêengeera], kandi utagira ikimubuza gutana aratana. Ubusizi iyo bwayobye burayobya. Ni yo mpamvu mpamagarira abasizi bose bitabiriye iyi nama kwirengagiza ingorane zose ubusizi mu Rwanda bumazemo iminsi, ahubwo tugatanga umusanzu mu guhanura no guhwitura abacu bari kwica umurongo »

Affaire Gérard Urayeneza : une injustice made in Rwanda

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Le 25 mars 2021, le tribunal de Muhanga (ancienne ville de Gitarama) dans la province Sud du Rwanda a prononcé une sentence à perpétuité contre Gérard Urayeneza et ses deux co-accusés pour « complicité dans le crime du génocide et dissimulation des preuves ou des informations sur le génocide ».Cette condamnation arrive 27 ans après le génocide, alors même que le condamné n’a jamais quitté son village et qu’il était lui-même la proie de suprématistes Hutu en 1994. Une situation étonnante, sachant que les procès des juridictions Gacaca se tenaient sur les collines où vivaient les victimes et les accusés pendant le génocide et que rien ne lui avait jamais été reproché.

Des querelles de suprématistes Tutsi au sein de l’église adventiste, ou agenda caché du FPR (Front patriotique rwandais, le parti au pouvoir) qui depuis sa prise du pouvoir persécute les Hutu intellectuels et populaires ? Dans cet article, nous tâchons d’analyser cette condamnation dont les motifs semblent être tout autres que ceux évoqués par le tribunal de Muhanga.

Qui est Gérard Urayeneza ?

  • Il a été l’un des premiers promoteurs de l’éducation privée au Rwanda. Dans les années 1980, il était difficile d’accéder aux études secondaires car non seulement il n’y avait pas suffisamment d’écoles, mais la répartition des places disponibles dans ces dernières n’était pas équitable. Malgré la difficulté, inhérente à l’époque, de fonder une école secondaire qui ne soit ni publique ni religieuse, certains parents ont commencé à s’organiser et fonder quelques écoles privées pour donner une chance à leurs enfants d’accéder à un enseignement secondaire. 
  • Le 25 septembre1981, l’« APAG » (Association des Parents Adventistes de Gitwe) a fondé une école privée dénommée l’« ESAPAG » (l’Ecole Secondaire de l’Association des Parents Adventistes de Gitwe). L’ESAPAG fut la première école privée au Rwanda qui n’appartenait ni à une église ni à l’État. Gérard Urayeneza était dès le début le représentant légal de l’APAG mais aussi le directeur de l’ESAPAG.
  • En 1993, « l’ISPG » (Institut Supérieur Pédagogique de Gitwe) voit le jour. L’ISPG est connu actuellement sous le nom de l’Université de Gitwe (UG). L’UG a été lancée en 1993 avec l’approbation des membres de l’APAG, en raison du manque d’établissements d’enseignement supérieur dans les régions environnantes, en particulier dans la commune de Murama se trouvant actuellement dans le district de Ruhango. C’était un défi majeur auquel étaient confrontés les diplômés du secondaire qui souhaitaient poursuivre un enseignement supérieur.
  • Le projet de construction de l’ISPG (UG) a été perturbé par les évènements tragiques de la guerre et du génocide des Tutsi de 1994. Ce projet a repris en 1997 et l’ISPG a réouvert les portes avec ses deux facultés initiales : Soins infirmiers et Biologie humaine, considérés comme les trois premières années de médecine jusqu’à ce que l’UG ouvre sa propre faculté de médecine.
ESAPAG et UNIVERSITE DE GITWE
  1. Où était Gérard Urayeneza pendant le Génocide des Tutsi et pendant les procès Gacaca ?
  • Gérard Urayeneza est un Hutu marié à une femme Tutsi, Justine Urayeneza, avec qui il a eu 4 enfants. Gérard est lui-même un mélange, comme un bon nombre de Rwandais. Sa mère était Tutsi, cependant la société patriarcale rwandaise le considère comme un hutu. En 1994, ils vivaient déjà à Gitwe dans leur résidence actuelle, située à quelques mètres du centre de santé adventiste de Gitwe en dessous du Collège Adventiste de Gitwe (actuelle cellule de Murama, secteur de Bweramana, district de Ruhango).  

Pendant le génocide Gérard Urayeneza a rencontré des difficultés pour cacher non seulement sa femme qui risquait d’être tuée, mais aussi une partie de sa belle-famille, d’ethnie Tutsi. Il a également caché et sauvé des professeurs Tutsi de l’ESAPAG. 

Avant le génocide, Gérard Urayeneza avaient des relations tendues avec les autorités locales, dont notamment Esdras Mpamo, cadre du MRND et bourgmestre de la commune voisine de Masango, qui souhaitait le faire remplacer par son gendre au poste de représentant légal de l’APAG. 

Pendant le génocide, les menaces se sont intensifiées. À plusieurs reprises, M. Mpamo s’appuyant sur le fait que M. Urayeneza était marié à une femme tutsi est allé fouiller son domicile,  pensant que s’y cachaient des Tutsi. Mais sa femme, ainsi que d’autres membres de sa famille étaient cachées à Kibonde, une colline non loin de Gitwe.  

Après le Génocide, Gérard n’a jamais fui à l’étranger. Il est resté à Gitwe et a fait redémarrer l’ESAPAG quand les écoles ont ouvert les portes après le génocide. Les procès Gacaca se sont déroulés sans que Gérard Urayeneza ne soit jamais vraiment inquiété.

En revanche, un certain Charles Muhayimana, qui à l’époque des Gacaca était directeur de l’APADE, une école de Kigali concurrente de l’ESAPAG, et fondateur de l’école « Amis des enfants », a porté plainte contre Gérard Urayeneza au motif que celui-ci aurait tué une de ses connaissances. Cette plainte a été classée sans suite. 

À fortiori, à l’issue d’un discours accusateur prononcé par Charles Muhayimana lors de la séance de Gacaca, le pasteur Josué Rusine, lui-même rescapé du génocide, leva tout doute quant à une éventuelle culpabilité de M. Urayeneza. En effet, il affirma que la personne dont Muhayimana parlait faisait partie de sa famille et n’était pas morte, mais qu’elle vivait à Bujumbura. Il s’agit d’une histoire rocambolesque, à laquelle nous avons personnellement assisté en tant que témoin, ayant été présent-lors de cette séance de Gacaca. Charles Muhayimana n’a jamais été poursuivi pour avoir accusé injustement Gérard Urayeneza.

  1. Et maintenant, pourquoi cette condamnation à perpétuité 27 ans après le génocide, pour une personne qui n’a jamais quitté son village ni son pays ? 

Une telle condamnation ne peut être infligée sans poser la question de sa légitimité. 

  • Le 25 mars 2021, le tribunal de Muhanga a prononcé la sentence de perpétuité pour Gérard Urayeneza et ses deux co-accusés. M. Urayeneza avait été arrêté en juin 2020 avec quelques cadres supérieurs de l’hôpital de l’Université de Gitwe. Certains de ces cadres sont eux-mêmes des rescapés du Génocide.

Cette condamnation a fait l’effet d’une bombe parmi les habitants de Gitwe, qui travaillent majoritairement dans les institutions de l’APAG (Université de Gitwe, ESAPAG, et l’Hôpital de Gitwe). Urayeneza est un homme apprécié dans la région. Qu’ils soient Tutsi ou Hutu, tous ont été choqués par sa condamnation. Il faut dire que Gitwe est une région reculée, sans accès par route macadamisée, qui a été mise en lumière par les actions de l’APAG. 

D’ailleurs, le RIB (Rwanda Investigation Bureau) a envoyé deux camions de militaires à Gitwe le lendemain de la lecture de la décision du tribunal, de crainte d’une révolte de la population contre cette décision qui pour les observateurs, relève de la fausse accusation. 

  1. Pourquoi cette sentence si lourde après 27 ans, alors que même des personnes reconnues coupables d’avoir joué les premiers rôles dans le génocide n’ont pas écopé d’une telle sanction ? 

Gérard Urayeneza a payé un prix lourd pour sa popularité et pour son amour pour l’éducation et la santé de la population de sa région. Voulant s’approprier le contrôle des universités privées, en 2013, le FPR via ses fonctionnaires du ministère de l’éducation, avait demandé à Gérard Urayeneza de permettre à des hommes d’affaires proches du régime d’avoir des participations financières dans l’Université de Gitwe. Urayeneza avait refusé cette proposition, en expliquant que l’UG appartenait à l’association des parents APAG. Ce refus avait déplu aux cadres du FPR, beaucoup de personnes pensent d’ailleurs que ce refus a été l’origine de ses problèmes.  D’autres universités privées avaient accepté ce fonctionnement, avec l’exemple le plus connu du fondateur de l’Université Libre de Kigali (ULK), le Professeur Rwigamba Balinda qui, après avoir adhéré à cette démarche du FPR, a été nommé sénateur 

Les problèmes de Gérard Urayeneza ont commencé par le sabotage de l’université de Gitwe, avec le blocage en 2019, des inscriptions des étudiants de première et de deuxième année de médecine au motif qu’il n’y avait pas suffisamment de matériel dans les laboratoires et de stages pour les étudiants. Malgré tout, l’UG a été obligée de continuer de payer les professeurs étrangers qu’ils avaient recrutés, ce qui a occasionné une importante perte financière pour l’UG, estimée à 1,5 milliard de francs rwandais, soit environ un million d’euros.

Ces accusations de manque de moyens de l’UG sont des mensonges évidents pour un bon nombre d’observateurs. Immaculée Ingabire, la très influente cheffe de Transparency International Rwanda s’est étonnée que : « Le problème de l’université de Gitwe n’était pas le matériel, ni de laboratoire, ni les professeurs incompétents, mais la HEC (High Education Commission) a expliqué qu’il s’agissait de secrets que le ministère de l’éducation rwandaise n’a pas voulu révéler« . 

Transparency Rwanda a mené plusieurs enquêtes sur cette affaire et Mme Ingabire affirme qu’il s’agit d’un scandale de l’éducation et que le président de la République devrait être informé. Gérard Urayeneza a eu l’occasion de parler de ce problème au Sénat, en vain. 

Par la suite, le ministère de l’éducation a décidé de fermer définitivement la faculté de médecine et le laboratoire de l’Université de Gitwe. Certains adventistes contactés nous ont expliqué qu’il pourrait s’agir d’une concurrence malsaine dirigée par le pasteur Hesron Byiringiro qui dirige actuellement l’association des églises Adventistes au Rwanda. Fervent partisan du FPR depuis ses années d’études aux Etats-Unis et proche du président Paul Kagame, le pasteur est aujourd’hui plus politicien que religieux. En 2019, il a voulu ouvrir une faculté de médecine à l’Université Adventiste d’Afrique Centrale (UAAC) se trouvant à Kigali.

Depuis qu’il est président de l’Union des églises adventistes du Rwanda, les querelles règnent au sein de cette église, certains parlant même de ségrégation ethnique et régionale. Hesron Byiringiro est un rescapé du génocide des Tutsi venant des Abagogwe , des Tutsi principalement localisés au nord, et il aurait mis de coté les pasteurs du sud du pays, qui pourtant exerçaient de grandes fonctions au sein de l’église adventiste. On parle notamment de Josué Rusine, du pasteur Mujyarugamba André, et bien d’autres. L’affaire fait réfléchir, comment un ministère peut-il fermer la faculté d’une université à l’aide de déclarations mensongères ?

Le cauchemar de M. Urayeneza ne s’est pas arrêté au sabotage de l’UG. En juin 2020, 26 ans après le génocide, des restes de corps humains ont été découverts dans les fosses communes localisés sous la construction de la clôture de l’hôpital de Gitwe. Après cette découverte macabre, les corps ont été exhumés pour être enterrés de manière décente. Toutefois, les sites mémoriaux proche de Gitwe, particulièrement les sites de Nkomero et de Ruhango, ont refusé ces corps au motif qu’il ne s’agissait pas de Tutsi. 

En effet, plusieurs habitants de cette région nous ont expliqué qu’il s’agissait de victimes tuées par les troupes du FPR à leur arrivée à Gitwe. Par crainte du FPR au pouvoir, personne n’avait jamais évoqué la présence de ces corps à cet endroit. 

  • C’est donc pour avoir « dissimulé » la présence de ces corps notamment, que Gérard Urayeneza a été condamné à la prison à perpétuité. Pourtant, le refus de ces restes humains par les sites mémoriaux du génocide des Tutsi, met en évidence plusieurs problèmes
  • Premièrement : cela renforce l’hypothèse énoncée par plusieurs habitants de la région selon laquelle les corps exhumés dans la fosse commune de l’hôpital de Gitwe ne sont pas des corps de Tutsi tués pendant le génocide, mais de victimes tués par le FPR.
  • Deuxièmement : cela permet de comprendre que les accusations formulées contre Gérard Urayeneza sont fausses. D’ailleurs, ses avocats avaient soulevé cette hypothèse au cours de la procédure judiciaire en mentionnant les combats à Gitwe opposant l’armée du FPR et les EX-FAR (Ex-forces armées rwandaises). 
  • Troisièmement : il est inconcevable que personne n’ait jamais raconté que des corps des Tutsi se trouvaient à cet endroit alors même que les tueries se faisaient à la vue de tous. Il n’est pas possible de faire taire toute la population sur la présence de victimes du génocide. Il faut également mentionner que même les procès Gacaca de cette région s’étaient tenus à quelques mètres de l’hôpital de Gitwe, au centre de Bienvenue, et que personne n’a jamais parlé de victimes Tutsi à cet endroit.

Quatrièmement : Gérard Urayeneza et ses co-accusés avaient exigé des tests ADN pour les personnes qui avaient porté plainte comme parties civiles et qui voulaient des indemnités, des personnes apparues 26 ans après le génocide et qui ont demandé des milliards de francs d’indemnités et de réparation de préjudice. Le tribunal de Muhanga n’a pas accepté cette demande, sans donner aucune raison valable comme cela ressort du compte rendu du journal Igihe .

  1. Popularité de Gérard Urayeneza, un péché capital pour le régime de Kigali FPR 

Comme mentionné plus haut, Gérard Urayeneza était devenu une personnalité incontournable dans le monde de l’éducation et de la santé tant dans le sud du Rwanda qu’au niveau national. L’UG ayant été la première université à offrir une formation en soins infirmiers au Rwanda, on retrouve dans tous les hôpitaux du pays et même dans les hôpitaux universitaires, des soignants qui ont fait leurs études à l’UG. 

La faculté de médecine était devenue un élément de trop pour le pouvoir du FPR. Cette faculté a été fermée à la suite d’un agenda caché du ministère de l’éducation. Selon les informations qui nous sont parvenues, cette faculté a été fermée par le ministère de l’éducation car les autorités auraient comme plan de réserver les études de médecine à une certaine élite Tutsi, le désir du FPR étant selon ces informations de réduire l’accès des Hutu à la faculté de médecine de l’Université nationale du Rwanda. 

Contrairement à l’Université nationale où l’accès à la faculté de médecine est contrôlé par le ministère et peut être limité de façon arbitraire, l’Université de Gitwe donnait l’accès à tout le monde sans tenir compte de l’ethnie, de la région ou encore des moyens financiers. En effet, certains parents de la région n’ont pas l’argent pour envoyer leurs enfants à l’UG pouvaient payer en fournissant des contre-prestations ou une partie de leurs récoltes au restaurant de l’UG. 

Un autre élément important qui gênait le pouvoir du FPR était la collaboration que l’Hôpital de Gitwe et l’Université de Gitwe avaient instaurée avec certaines universités américaines. En effet, Gérard Urayeneza avait réussi à trouver des collaborateurs américains, et des universités américaines comme la Stanford University et le Nebraska Medical School Center avaient des échanges réguliers avec l’hôpital et l’Université de Gitwe, avec notamment l’envoi de médecins deux fois par an à l’hôpital pour soigner des maladies que les médecins rwandais ne savaient pas soigner, l’envoi de professeurs pour dispenser des cours aux étudiants de médecine.

Gérard Urayeneza en visité à STANFORD
Médecins et professeurs collaborateurs américains en visite à GITWE

Le régime de Kigali n’avait pas de contrôle sur cette collaboration et cela ne leur plaisait pas, malgré les bienfaits que cela apportait à la population de Gitwe et à tous les Rwandais. Le travail et la popularité de Gérard Urayeneza étaient devenus une gêne pour ces membres du FPR qui veulent toujours tout contrôler. 

Cela se ressentait notamment dans le discours de certains membres du FPR comme Emmanuel Gasana, ancien militaire qui était gouverneur de la Province du Sud. Dans son discours lors de sa visite à Gitwe, il avait tenu des propos malveillants à l’encontre de Gérard Urayeneza, des propos qui avaient mis mal à l’aise une partie de l’assemblée. 

Il ne fait aucun doute que les accusations portées contre Gérard Urayeneza sont inventées de toute pièce, des exemples de ces procès ressemblant à des pièces de théâtre sont malheureusement monnaie courante dans la justice rwandaise. L’histoire en sera seule juge, et nous croyons fermement que dans cette vie ou dans l’autre, Gérard Urayeneza et ses co-accusés obtiendront justice

Cet homme mérite plutôt une médaille de patriotisme pour sa contribution à l’éducation et à la santé des Rwandais. Fermer l’Université de Gitwe et mettre Gérard Urayeneza en prison, c’est tuer la population de Gitwe. Mais les intérêts de certains à Kigali priment visiblement sur le développement rural.

Écrit par Didier Mucyo


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