Contribution externe : Article d’opinion soumis pour publication
(Ceci est une histoire imaginaire)
Lundi 4 novembre.
Je
m’appelle Bart Dupont. J’ai 42 ans et je viens d’être tiré au sort parmi les 12
jurés effectifs dans le premier procès pour génocide de l’histoire de la
Belgique. Au final, nous serons 24, douze effectifs et douze suppléants. C’est
un moment très solennel. Je comprends vite le pouvoir qui vient de m’être
confié. Je vais devoir rendre Justice au nom du peuple belge.
Rien que
ça !
De l’intérieur,
le Palais de Justice est encore plus impressionnant. En tant que juré, je peux désormais
passer en « backstage ».
Nous sommes au 1er
niveau, dans la majestueuse salle des Assises. L’Etat Belge y poursuit Fabien
NERETSE, un ressortissant rwandais accusé de crimes qu’il aurait commis en
avril, mai et juin 1994 dans le cadre du génocide au Rwanda.
Le Procureur Fédéral accuse et deux avocats
défendent. Huit autres représentent les parties civiles tandis que la
Présidente de la Cour est assistée par deux assesseurs et une greffière. Il y a
aussi 3 à 4 clercs qui s’occupent de la technique et de la logistique et bien
évidement une dizaine de policiers qui assurent la sécurité à l’entrée, dans la
salle et aux côtés de l’accusé.
Paradoxalement, l’accusé comparaît libre. A
midi, on peut même l’apercevoir aller chercher un sandwich. Le soir, il rentre
chez lui, épaulé par sa famille, qui semble être venue en nombre.
La partie civile principale, une belge, qui
semble encore anéantie, a perdu sa sœur, sa nièce et son beau-frère le 9 avril 1994
à Kigali. Assassinés froidement par « des militaires » que l’accusé
aurait fait appeler. Sa sœur était mariée à un Tutsi et les militaires étaient
Hutu. Jusque-là, tout est simple.
On l’accuse aussi d’avoir été un chef des
INTER-HAMWE dans son village natal. C’est déjà un peu plus vague, mais on
dirait que c’est le nom qu’on donne à ceux qui ont commis le génocide.
C’est du lourd !
Les autres parties civiles sont rwandaises.
Pour un monsieur qui aurait été tué en mai et un autre en juin. Le premier
était Tutsi et l’autre Hutu. Là, je comprends déjà moins. Pourquoi un Hutu
aurait-il été tué dans ce génocide ? J’imagine qu’on le saura assez vite.
Il est déjà 17h. C’est fini pour aujourd’hui et on reprendra dans 3 jours.
Jeudi
7 novembre
Il est 9h30. Je dois ingurgiter 60 pages d’un
réquisitoire qui revisite l’histoire du Rwanda depuis l’arrivée des premiers « hommes
blancs » en 1894. C’est du lourd ! Heureusement que le Procureur
parle bien, mais à chaque phrase, j’apprends un nouveau truc que je ne
connaissais pas sur ce pays.
Je m’imagine
comme dans le film Matrix. La scène où Neo apprend le Jiu-jitsu en quelques
minutes.
Pour moi, c’est
100 années d’histoire d’un pays africain en quelques heures. Et pendant que je
me demande si je vais être capable de retenir l’essentiel, voilà que la défense
m’envoie la même dose.
Une cinquantaine
de pages qui revisite la même l’histoire, mais qui semble dire le contraire de
ce que celui qui est en rouge et noir venait de dire.
C’est du lourd. Je décroche…
« Mais
au fait, pourquoi le Procureur est en rouge et noir et pas les avocats ? »
Me dis-je ?
En plus il est assis sur la même rangée que
la Présidente, qu’est-ce que ça peut bien vouloir dire.
Peu importe. Je reviens à ce que raconte
l’avocat de la défense. Il n’a pas l’air très sympa et il s’exprime moins bien
que le Procureur. Pourtant, il est percutant et m’envoie une dizaine de dates dans
le cerveau (1959, 1962, 1973, 1990, 1993, 1994 etc…).
Il faut que je note ! C’est du
lourd !
J’essaie de comprendre. De relever les
grandes différences entre le Procureur et la Défense. Ce n’est pas possible, ça
va trop vite. Il y a trop de dates, trop de noms !
Et surtout, il y a trop d’acronymes, qui se
ressemblent tous. Heureusement, il y a un « R » la plupart du temps. (MDR,
FPR, MRND, MINUAR, CDR, TPIR, etc..). Ça doit être pour « Rwanda »
évidement. Je suis rassuré, je finirais par comprendre.
Par contre, les noms en Rwandais, ou plutôt
en Kinyarwanda, comme l’a dit je ne sais plus qui, là je ne m’en sortirai
jamais !
Je commence à paniquer… Il faut absolument
que je trouve le moyen de faire la différence entre le nom des lieux et le nom
des personnes. Mais pour l’instant, je ne vais retenir que les noms de l’accusé
et des victimes. C’est déjà pas mal car après tout, ne suis-je pas là pour
ça ?
Après 8 heures d’écoute, enfin, la deuxième
journée s’achève.
C’est du lourd ! Je repense à Neo dans
Matrix et je me dis que s’il a pu apprendre le Jiu-jitsu en quelques minutes,
je peux en faire autant avec l’histoire du Rwanda en quelques heures. Ça me
motive, surtout que le pire est sans doute passé.
Demain ça ira mieux, car on devrait rentrer
dans le vif du sujet.
Je me demande juste pourquoi ils ont prévu
6 semaines de procès tout de même ? J’aurai à peine le temps de faire mes
courses de Noël. Mais ce n’est pas grave, je suis juré après tout, et je ferai
mon devoir jusqu’au bout !
Vendredi
8
Aujourd’hui, l’accusé se fait interroger
par la Présidente. Cette-fois, je vais tout noter. Je suis sûr qu’il va se
contredire. Je l’ai vu dans de New-York Police Judiciaire. Ils finissent
toujours par craquer !
Mais après quelques heures
d’interrogatoire, c’est moi qui suis sur le point de craquer. Je suis à nouveau
complétement perdu ! C’est qui encore ce HABYARIMANA qui revient sans
cesse ?
KAGAME, lui je sais qui c’est. C’est le
président actuel du Rwanda.
Je demande discrètement à ma voisine. Elle
me dit que HABYARIMANA c’est l’ancien président Hutu qui a été tué le 6 avril
1994.
Wow, elle m’impressionne ! Elle a tout
noté. Je crois que je vais faire comme elle. Quand elle notera, je noterai.
Entre
temps, l’accusé a réponse à tout. Il parle assez bien français, mais parfois
j’ai du mal à comprendre certaines de ses expressions. Sa voix me fait penser à
celle de « André Koffi » dans « Qu’est ce qu’on a fait au bon
Dieu ».
André Koffi
c’est le père du marié. Avec sa voix grave, il ne lâchait rien. Tout comme
l’accusé qui termine chacune de ses phrases par un « Madame » sur un ton monocorde, en s’adressant à la Présidente.
J’évite de repenser à ce film car ça ne ferait pas sérieux de sourire
maintenant.
Je reviens vite à l’interrogatoire car enfin,
on va parler des assassinats du 9 avril.
Là je ne dois rien rater. Il faut
absolument que je maîtrise cette partie. Et après quelques heures, je pense que
j’ai tout compris. Je peux situer l’accusé dans le temps et l’espace. C’est
quand même horrible ce qui est arrivé à ces pauvres gens. Je n’arrive même pas
à imaginer le terrible moment qu’ils ont vécu avant d’être assassinés. Quand je
pense qu’on va devoir entendre un rescapé de cette tuerie, j’en ai froid au
dos.
La carte Google qui est projetée sur grand
écran est d’une grande aide. Elle permet de bien voir où la tuerie a eu lieu. J’imagine
que ce n’est pas une photo satellite de 1994, mais bon si l’accusé dit
reconnaître les maisons, c’est que rien n’a changé depuis. Ils sont forts quand
même chez Google ! Ils ont même une vue sur les quartiers de Kigali aussi
précise. Qu’est-ce que ça doit être pour Bruxelles…
Revenons au procès, ça va être au tour des
questions des avocats.
Mais pourquoi reviennent-ils encore sur HABYARIMANA ?
S’il est mort le 6 avril, il ne pouvait rien faire le 9 ? Mais bon, ce
n’est pas grave. Je demanderai à ma voisine tout à l’heure.
En tout cas, pour l’instant, j’ai des
doutes quant au rôle de l’accusé. Il a quand même bien répondu à toutes les
questions. On verra plus tard quand il sera confronté aux témoins…
C’est enfin fini pour aujourd’hui et
vivement le week-end ! En plus, lundi c’est congé. J’aurai le temps de
tout revoir tranquillement.
Mardi
12
Aujourd’hui
nous entendrons les témoins de contexte. Ça va me permettre de comprendre ce
que le Procureur et la Défense ont raconté jeudi passé. Mais avant cela, la
Présidente termine l’interrogatoire qu’elle n’a pas fini vendredi.
C’est reparti
pour toute la matinée avec l’accusé… Je note un maximum.
A ce stade, je n’essaie plus de comprendre
les acronymes, les noms et les lieux en Kinyarwanda.
Si l’un est important, quelqu’un le dira.
Ce que je veux savoir, c’est si l’accusé est impliqué dans ces assassinats et
surtout comment. Le reste me dépasse. Je ne comprends pas pourquoi on passe une
heure à l’interroger sur un problème de détournement de fonds qui date de 1989.
Mais la Présidente insiste… Elle veut tous les détails ! Alors je noté
également.
Enfin la pause de midi. Mais on n’a
toujours pas fini avec l’accusé !
Mon Dieu, comment on va faire… A ce rythme,
on passera Noël ici.
Heureusement, la Présidente essaie de
rattraper son agenda. L’accusé parle trop. Il se répète. Ça fait perdre du
temps, mais bon, j’imagine qu’il ne veut rien oublier. Il joue sa vie quand
même.
Enfin, la Présidente a fini ses questions. On
passe aux questions des avocats.
Encore une fois, je ne comprends rien quand
ils parlent en acronymes et avec tous ces noms en rwandais. Et puis, qu’est-ce
que vient faire à nouveau ce HABYARIMANA dans l’affaire ?
Entre temps, les avocats aussi se répètent…
Même la Présidente semble agacée. Ils demandent des choses auxquelles l’accusé
a déjà répondu. On ne s’en sortira jamais !
Enfin, l’interrogatoire de l’accusé est fini.
On va pouvoir entendre les fameux témoins de contexte.
J’ai hâte car il faut absolument que je
tire tout cela au clair.
Le premier témoin est quand même l’ancien
ambassadeur de la Belgique au Rwanda. C’est du lourd !
Ça fait une heure que je l’écoute. Pas de
chance, je suis plus perdu qu’avant. Là je ne comprends vraiment plus rien…
Qu’est-ce que Bill CLINTON vient faire dans
l’affaire maintenant ? Et qui c’est ce Roger BOOH BOOH et ce Général GALERE
ou DALLAIRE, je n’ai pas bien compris ce que faisait un général Canadien au
Rwanda…
Bonté divine, c’est où MULINDI, ARUSHA,
BYUMBA ??? Et ce MPAZIMPAKA dont il parle, c’est qui…
Mon Dieu, j’en peux plus !
Heureusement qu’il s’exprime bien. On a
vraiment envie de l’écouter, mais là je n’y arrive plus. Mon cerveau ne tiendra
pas. Dans Matrix ils le disaient aussi. Si on envoie trop d’infos d’un coup, le
cerveau risque de griller. Faut que je fasse attention. Que je pense à autre
chose.
Au dernier cactus de de Warzée par exemple.
Ou à l’éternel débat des libéraux contre les socialistes
Est-ce que MAGNETTE sera Premier Ministre ?
Avec DE WEVER à l’intérieur ce serait cool !
Par contre, je me dis que si j’avais été
juré dans l’affaire DUTROUX, là je n’aurais jamais paniqué. Je la connaissais sur
le bout des doigts cette affaire ! Pareil pour l’affaire Géneviève
LHERMITTE, j’aurais certainement assuré, ça s’est passé à Nivelles, pas loin de
chez moi. Mais là, 25 ans après les faits et à près de 7.000 kms d’ici, je
commence à désespérer…
En plus, ce témoin ne m’aide pas.
J’apprends de nouvelles choses inimaginables. Je ne savais pas que la Belgique
livrait des armes aux Rwandais avant le génocide… C’est chaud bouillant cette
histoire !
Et voilà qu’il repart sur les acronymes lui
aussi… Pitié, je n’en peux plus. Faut demander une pause, de toute façon, on doit
tous être largué. Même ma voisine ne note plus rien…
Ah mais une seconde. Il parle de « Willy
CLAES », notre ancien ministre. Cette partie m’intéresse. Qu’est ce qu’il
dit sur lui ? Pfff, rien d’intéressant.
Mais j’ai bien fait d’écouter en tout cas.
Je sais maintenant que le Roi Baudoin connaissait bien ce HABYARIMANA. Il faut
que je retienne ce nom une fois pour toute.
Mais là je n’en peux plus. Il est 17h30.
La Présidente demande au témoin de répondre
presque par OUI ou par NON pour gagner du temps.
Mais pourquoi le lui avoir demandé
seulement maintenant ? Il a écrit un livre de 500 pages sur les 4 années
qu’il a passé au Rwanda, à quoi s’attendaient-ils en lui demandant de
témoigner ?
Enfin, il est 18h00, on a fini pour
aujourd’hui. Je regarde autour de moi, on est tous KO.
Et dire que c’était le premier témoin sur
127…
Demain est un autre jour. Ce soir, je ne
penserai pas au procès.
Je vais regarder ce bon vieux Matrix. J’ai
la trilogie en Blu-Ray et qui sait, j’y trouverai peut-être une inspiration
pour continuer. Je prends quand même mon rôle de juré à cœur, mais je l’avoue,
j’ai peur. Peur de ne pas être à la hauteur. Peur de condamner un innocent ou
d’acquitter un coupable.
C’est du lourd ce procès…
Si seulement, comme dans Matrix, je pouvais
prendre une pilule bleu et tout oublier au réveil…
Mais je ne suis pas dans un film. Je suis à
la Cour d’Assises de Bruxelles.
Ce mardi 19 novembre 2019 commencera le procès du journaliste Phocas Ndayizera et ses 12 co-accusés. Le procès qui aurait dû débuter le 18 septembre a déjà été reporté à deux reprises. Au-delà de l’enjeu du procès, les accusés auraient participé à la préparation d’actes terroristes, la question en suspens est celle des conditions dans lesquelles le procès va se dérouler. En effet, 10 des accusés pourraient ne pas avoir d’avocats, de plus l’on ignore qui seront les nouveaux avocats de Phocas Ndayizera et, enfin, les accusés auront-ils pris connaissance de leur dossier avant l’audience ?
21 novembre 2018 : disparition et réapparition
Le 25 novembre 2018, la disparition du journaliste indépendant Phocas NDAYIZERA, qui faisait des piges pour la radio locale BBC-Gahuza, était rendue publique par sa femme. Il était parti de son domicile le 21 novembre 2018 pour se rendre dans la ville de Muhanga dans la province du Sud du pays. Au quatrième jour de la disparition de son mari, alors que le RIB (Rwanda Investigation Bureau – le Bureau d’enquêtes judiciaires) lui avait dit ne pas savoir ce qui serait arrivé à son mari et que l’enquête était en cours, Chantal Mukarugira s’est exprimée auprès de la BBC au cours d’une interview.
Plusieurs médias dont Jambonews ayant couvert la disparition, la communauté internationale commençait à s’intéresser à l’affaire quand trois jours plus tard, le 28 novembre 2018, la police rwandaise paradait Phocas Ndayizera devant la presse. Fatigué, la voix marquée par l’émotion, Phocas Ndayizera déclarait ne pas savoir pourquoi il avait été arrêté : « Il était midi, j’arrivais vers le stade de Nyamirambo quand j’ai été arrêté, je ne sais pas où ils m’ont amené, ni l’endroit où j’ai été emprisonné, je ne sais pas pourquoi. » La police rwandaise admettait par le biais de son porte-parole de l’époque Modetse Mbabazi, que c’était elle qui détenait le journaliste durant la semaine et qu’il était poursuivi pour actes terroristes. Montrant des cartons avec des explosifs à l’intérieur, Modeste Mbabazi expliquait : « Ce que vous voyez, ce sont des dynamites qu’il avait sur lui, qu’il allait chercher à Nyamirambo. » Au sujet du silence de la police, il a expliqué que les enquêtes sur les actes de terrorisme répondaient à des procédures spécifiques.
21 décembre 2018 : présentation devant la Cour et le mystère de 12 co-accusés
Le 21 décembre 2018[1]se tenait la première audience publique de Phocas Ndayizera au tribunal de première instance de Nyarugenge. A la grande surprise générale, il était accompagné de 12 co-accusés, dont les familles ont informé les journalistes que leurs proches étaient jusque-là portés disparus, et que c’était la première fois en 30 jours qu’ils les apercevaient ou avaient de leurs nouvelles. Le juge a informé l’auditoire qu’au cours des premières audiences, tenues à huis clos, les accusés avaient avoué être responsables des faits qui leur sont reprochés, ils avaient dit s’être laissés influencer par l’opposition rwandaise et qu’ils demanderont pardon dans leur défense. Phocas Ndayizera a même confessé avoir agi de connivence avec Cassien Ntamuhanga.
Cassien Ntamuhanga était le directeur de la radio chrétienne rwandaise Amazing Grace, il avait été arrêté en 2014 et était le co-accusé de Kizito Mihigo pour complot contre l’Etat rwandais entre autres.Il avait écopé de 25 ans de réclusion criminelle. Il avait réussi à s’évader de la prison de Mpanga le 31 octobre 2017 avant de s’exiler à l’étranger. Le procureur avait donc informé la cour que Phocas Ndayizera était un ami d’enfance et un camarade d’école de Cassien Ntamuhanga, et que leur amitié était à la base de leur « complot » contre l’Etat rwandais. Selon le parquet, Cassien Ntamuhanga avait demandé à Phocas Ndayizera de trouver les moyens de détruire les infrastructures à l’aide d’explosifs. Les infrastructures visées auraient été les usines de production électrique, les réservoirs d’essence et d’autres infrastructures publiques. Une partie des jeunes co-accusés voulaient rejoindre l’« armée de Ntamuhanga », qui selon le procureur opérerait dans un pays voisin du Rwanda.
Au terme de cette audience, au vu de la gravité des crimes reprochés aux accusés, le tribunal avait pris la décision de les maintenir en détention en attendant leur procès.
22 décembre 2018 : Cassien Ntamuhanga lève le mystère
Dans la foulée de l’audience du procès, Tharcisse Semana, un journaliste rwandais vivant en exil, interroge Cassien Ntamuhanga sur ses liens avec Phocas Ndayizera le 22 décembre 2018. Ntamuhanga confirme qu’ils ont grandi ensemble et ont fréquenté la même école primaire. Revenant sur les aveux de son ami et les allégations du parquet rwandais, Cassien Ntamuhanga rappelle le harcèlement émotionnel dont Kizito Mihigo et lui-même avaient été victimes en 2014 : « Dès le départ, je n’ai pas collaboré avec eux. Avant de nous parader devant la presse, ils nous ont montré à Kizito et à moi le communiqué, ils nous disaient : » les enfants, nous avons tout fait pour vous, nous avons payé vos frais de scolarité et vous avez des bons métiers aujourd’hui, et voilà que vous commencez à vous associer avec l’opposition rwandaise. Si vous avouez les accusations portées contre vous, nous allons vous réhabiliter dans la société, vous serez réinsérés dans le milieu professionnel. » Pour Ntamuhanga, la première déclaration de Phocas Ndayizera, celle du 28 novembre, est celle qui compte.
Dans la même émission il a révélé que Phocas Ndayizera et ses 12 co-accusés étaient membres d’un mouvement « RANP- Abaryankuna » (Rwandan Alliance for The National Pact – Alliance rwandaise pour le pacte national), un mouvement formé en 2013 par la jeunesse rwandaise avec la volonté de peser sur l’avenir du Rwanda. Cassien Ntamuhanga est l’un des membres fondateurs du mouvement, selon lui c’est le motif qui l’a conduit en prison et qui amène les autorités rwandaises à vouloir discréditer son nom. Jambonews revient prochainement sur le mouvement « Abaryankuna »
Les co-accusés de Phocas Ndayizera sont : Elmereki Karangwa, Patrick Niyihoza, Martin Munyensanga, Elias Ngarama, Théoneste Nkurikiyimfura, Garno Byiringiro, Yves mushimiyimana, Ernest Nshiragahinda, Terrence, Emmanuel Niyonkuru et Jean Claude Nshimiyimana.
18 septembre 2019 : Tribunal de grande instance de Nyanza, audience reportée
Le 18 septembre 2019[2] était prévu le premier jour du procès de Phocas Ndayizera et des 12 co-accusés à la section terroriste du tribunal de grande instance de Nyanza dans le sud du Rwanda. Le procès a été reporté au 29 octobre 2019 car l’informatique était en panne depuis deux mois dans la prison de Kigali où sont enfermés les accusés, par conséquent aucun d’eux n’avait été en mesure de prendre connaissance de son dossier avant l’audience.
Sur les 13 personnes, la justice rwandaise ayant décidé d’ajouter Cassien Ntamuhanga à la liste des accusés et de le juger par contumace, seuls Ndayizera et un autre accusé ont un avocat, les 10 autres ont informé la cour ne pas avoir les moyens de payer un avocat. Le juge a considéré que c’est le rôle de l’Etat rwandais de leur attribuer des avocats commis d’office et que si les 10 se présentaient sans avocats aux prochaines audiences ils seraient considérés comme désirant assurer eux-mêmes leur défense.
Le 29 octobre 2019 a lieu, sous haute sécurité, le second jour du procès. Le tribunal est gardé par de nombreux militaires et gardiens de prison armés jusqu’aux dents. Les accusés entrent dans la salle d’audience les bras menottés et les jambes enchainées. Phocas Ndayizera, le premier à se présenter, exprime sa volonté de changer d’avocat et affirme ne pas être en possession de tout l’acte d’accusation. L’un de ses avocats déclare à la BBC que la cause de cessation de leur contrat relève du secret professionnel et que cela s’est fait de commun accord. Le juge Antoine Muhima qui préside le procès exige que ces problèmes, changement d’avocats et accès à l’acte d’accusation soient résolus avant la prochaine audience. Le procès est reporté à ce 19 novembre 2019. Le juge a mis en garde Phocas Ndayizera que c’était la dernière fois que le procès est ajourné. Avec ou sans avocat, Phocas Ndayizera devrait donc être jugé ce 19 novembre 2019.
Jacqueline Umuhoza (27), Axelle Umutesi (30) et Liliane Umutoni (32) ont été arrêtées par les autorités rwandaises ce mercredi 27 novembre 2019. La nouvelle a été propagée via Twitter par des amis et des membres de la famille qui ont évoqué le « kidnapping » de Jacqueline Umuhoza, le matin, suivi de celui de Axelle Umutesi et Liliane Umutoni dans la soirée. La police judicaire rwandaise (RIB) a confirmé ce jeudi 28 novembre 2019 détenir Jacqueline Umuhoza. Aucune information officielle n’a été communiquée au sujet du sort de ses deux sœurs, qui auraient été relâchées quelques heures après leur arrestation qui survient dans un contexte de tension entre Kigali et Kampala.
La nouvelle a d’abord été communiquée par un tweet d’Arioste Rwigara adressé au RIB : « Nous savons que c’est vous qui avez kidnappé notre fille, notre amie, Jackie Umuhoza ce matin. Il serait sage de votre part de simplement la relâcher. Ce que vous faites est totalement illégal. C’est criminel. »
Dans un premier temps le RIB a feint d’ignorer le sort de la jeune femme, avant, quelques heures après et face au tollé suscité par la nouvelle sur les réseaux sociaux, de répondre au tweet d’Arioste Rwigara annonçant avoir arrêté la jeune femme pour « trahison et espionnage » précisant qu’elle était détenue à la station de police de Remera et que l’enquête suivait son cours.
Jackie Umuhoza was arrested on Wednesday 27, on charges of treason and espionage. She is detained at Remera RIB station as further investigations continue. https://t.co/JZZ2RX1bUZ
Ce n’est pas la première fois que les trois jeunes femmes, filles de Déo Nyirigina, pasteur rwandais exilé en Ouganda et considéré par les autorités rwandaises comme proche du Général Kayumba Nyamwasa, dissident au pouvoir, sont arrêtées par les autorités rwandaises. Le 7 mars 2019, les trois jeunes femmes ainsi que les deux enfants en bas âge de LilianeUmutoni avaient été arrêtés par les autorités rwandaises avant d’être relâchés sans charges quelques jours plus tard.
Selon la loi rwandaise les charges d’espionnage et de trahison pour lesquelles Jacqueline Umuhoza a été arrêtée peuvent mener à une condamnation de 10 à 15 ans de prison.
Le journal Igihe annonce qu’aucun détail n’a été communiqué sur la manière dont elle aurait commis les crimes dont elle est accusée, mais se référant à la loi rwandaise le journal explique que ce genre d’infractions vise ceux qui « divulguent des secrets d’état ». L’article a fait réagir les amis de la jeune femme qui évoquent une histoire « cuisinée ».
Abaryankuna, l’Alliance rwandaise pour le pacte national, est un rassemblement de jeunes Rwandais, qui ont l’objectif commun d’éradiquer les ressentiments enracinés chez les Rwandais en utilisant la méthode « Ryankuna ». Ryankuna est un homme qui aurait vécu au 15ème siècle au Rwanda. Il avait refusé de voir le Rwanda déchiré par 11 ans[1] de conflit se détruire, en formant un mouvement « Abaryankuna » dont la méthode était fondée sur la contribution aussi petite soit-elle de chacun en fonction de ses moyens et disponibilité en vue d’obtenir le changement désiré. Le mouvement a été découvert par les Rwandais à l’occasion du procès du journaliste Phocas Ndayizera, membre du mouvement. Jambonews s’est intéressé à ce mouvement pour ses lecteurs.
2010-2011 : La naissance du mouvement « Abatangana »
C’est fin 2018 que le mouvement Abaryankuna a commencé à être connu par les Rwandais. Comme nous vous l’apprenions dans l’article sur le procès de Phocas Ndayizera, c’est Cassien Ntamuhanga, aujourd’hui coordinateur du mouvement qui l’a vulgarisé au micro de Tharcisse Semana[2].
L’histoire du mouvement a commencé dans les années 2010-2011 au Rwanda. A l’époque bien que la Constitution rwandaise votée en 2003 ait abrogé la carte d’identité ethnique, prohibé toute discrimination basée sur l’ethnie, et interdit aux formations politiques de se réclamer d’une ethnie particulière, la société rwandaise post-génocide est marquée par une multitude de divisions. Notamment entre les Rwandais qui vivaient au Rwanda avant 1994 et ceux qui avaient fui le pays en 1959, dans les années 1960 ou encore en 1973. Parmi cette dernière catégorie, des distinctions entre les Rwandais qui avaient fui vers l’Ouganda, le Burundi ou encore la République démocratique du Congo (RDC). Parmi les Rwandais qui vivaient au Rwanda avant 1994, les rescapés du génocide perpétré contre les Tutsi et les autres. Parmi ces autres, ceux qui avaient été refugiés en RDC et ceux qui sont restés au Rwanda.
Confrontée à ces divisions, en 2010, la jeunesse universitaire commence à se poser des questions sur leurs conséquences à long terme et comment les éradiquer durablement de la société rwandaise. Pour ce faire, elle décortique les gouvernances du pays en partant du roi Mutara II (1850) en passant par les gouvernances de Grégoire Kayibanda et Juvénal Habyarimana, jusqu’à Paul Kagame, l’actuel président. Le constat a été que toutes les gouvernances avaient contribué à la division des Rwandais au lieu de les réconcilier, et que Paul Kagame en particulier, en créant un fossé entre les Rwandais, avait douché tout espoir de réconciliation alors même qu’il portait particulièrement cet espoir dans la mesure où il savait jusqu’où les divisions pouvaient mener les Rwandais. Les jeunes se sont alors organisés de manière officieuse et ont mis sur pied en 2013 le mouvement « New Generation for Revolution – Abatangana (ceux qui n’ont pas la haine) ».
Gérard Niyomugabo
Le mouvement était composé de jeunes issus de toutes les couches de la société rwandaise, notamment des écrivains comme Gerard Niyomugabo, des journalistes comme Cassien Ntamuhanga et d’autres jeunes aux métiers divers. Leur objectif était d’échanger les idées pour trouver une solution de paix durable pour le Rwanda. Ils sont parvenus à la conclusion qu’une «révolution sociale pour éradiquer les ressentiments entre les Rwandais – Impinduramatwara Gacanzigo » était nécessaire. Le mouvement se voulait le plus inclusif possible, le fait d’être rescapé, de telle ou telle ethnie, « enfant d’Interahamwe » ou « enfant d’Inkotanyi », le pays de naissance ou le fait d’avoir été réfugié étaient des critères qui n’étaient pas pris en compte. Ce qui était important était de partager la vision du mouvement, à savoir la nécessité d’impulser un changement sociétal et de gouvernance pour mettre fin définitivement aux rancœurs entre les Rwandais. Les Abatangana illustraient la réconciliation par l’image d’un enfant d’un militaire du FPR qui établit de bonnes relations avec un enfant né dans les forêts du Congo dont le père est un soldat des FDLR. Pour eux, « il n’y a pas de bon tueur, on ne peut pas d’un côté blanchir ceux du FPR qui ont commis les crimes de masse et de l’autre côté diaboliser les génocidaires, les deux ont fait du tort à la famille rwandaise », explique Ntamuhanga à Semana.
La montée en puissance du mouvement
Entre 2013 et 2014 le mouvement va agir dans l’ombre. Gérard Niyomugabo, célèbre écrivain rwandais dont la philosophie était d’encourager les Rwandais à revenir aux valeurs traditionnelles, celles avant la colonisation, était actif pour conscientiser les Rwandais. « Ses émissions sur la radio Contact FM sont très suivies et attirent les foules », confie Cassien Ntamuganga à Semana. Au fil des émissions il était devenu presqu’un conférencier : « A la fin des émissions il donnait rendez-vous à ses fans dans le jardin de l’hôtel les Pyrènes (situé à Gihogwe, Kigali) et les gens accouraient des quatre coins du Rwanda pour l’écouter. ». Avec le temps les émissions vont prendre une tournure de critique de ce qui n’allait pas au Rwanda sans toutefois pointer du doigt les autorités. « Nous disions ce qui n’allait pas et les gens déduisaient qui en était le responsable », raconte Cassien Ntamuhanga.
Parmi les nombreux propos tenus par Gérard Niyomugabo dans le cadre de ces émissions, celui-ci[3] prononcé peu après que des députés se soient plaints de leur salaire bas en comparaison des pays alentours, illustre une partie de sa philosophie : « Ce qui m’attriste c’est qu’une partie des députés ont des idées que ne devrait avoir aucun Rwandais, les députés ont dit être ceux de la sous-région à avoir le salaire le plus bas. Tu ne devrais pas demander ton augmentation sur la base de ce que les parlementaires ougandais, tanzaniens perçoivent alors que tu es Rwandais, tu devrais te baser sur la capacité de ton peuple. « Ndi Umunyarwanda – Je suis Rwandais » veut dire que toutes décisions sont prises par les Rwandais et pour les Rwandais », une proposition de ce que pour lui aurait dû être le programme « Ndi Umunyarwanda » (‘Je suis Rwandais’), un virage dangereux emprunté par le FPR en 2013, dont la base disait que chaque Hutu devrait demander pardon aux Tutsi au motif que le génocide perpétré contre les Tutsi aurait été commis au nom de tous les Hutu.
Le chanteur Kizito Mihigo qui était rentré d’Europe où il avait vécu quelques années, avait créé la Fondation Kizito Mihigo pour la Paix en 2010, une ONG rwandaise œuvrant pour la Paix et la Réconciliation. Il animait aussi l’émission hebdomadaire Umusanzu w’umuhanzi (la contribution de l’artiste) diffusée à la radio et à la télévision nationales, dans laquelle Gérard Niyomugabo était parfois invité pour débattre dans différents panels. A l’issue des débats, les deux artistes aimaient à discuter de sujets divers, notamment de la nécessité de réconcilier les Rwandais. Dans cette optique, Kizito Mihigo publiait le 4 mars 2014 sa chanson intitulée Igisobanuro cy’urupfu (Requiem réconciliateur) dans laquelle il appelait les Rwandais à commémorer toutes les victimes et non pas seulement les victimes du génocide perpétré contre les Tutsi, toutes les victimes rwandaises sans discrimination. C’est cette chanson qui attirera l’attention du FPR sur le mouvement. Un mois après, Kizito Mihigo, Gérard Niyomugabo et Cassien Ntamuhanga seront portés disparus. Ce n’est qu’une dizaine de jours plus tard que la police rwandaise, qui avait pourtant nié tout lien avec les disparitions, avoue détenir Mihigo et Ntamuhanga et les exhibe menottés devant les journalistes, sans donner d’information sur le sort de Gérard Niyomugabo.
Avril 2014 : Les arrestations
3 avril 2014, l’arrestation de Gerard Niyomugabo
Gérard Niyomugabo n’a plus été vu depuis le 3 avril 2014. C’est son grand frère Herman Nsengimana, aujourd’hui porte-parole de la rébellion FLN qui opérerait dans la forêt Nyungwe, qui donnera de ses nouvelles en mai 2018. A l’occasion d’une interview au journal The Rwandan[4] où il annonce avoir rejoint la rébellion, Nsengimana raconte ce qui est arrivé à son petit frère : le 2 avril 2014, Gérard Niyomugabo rencontre un ami qui l’aide à publier ses livres ; ils doivent se voir fréquemment en vue de la prochaine sortie de son dernier livre, prévue le 6 avril. A la fin de la réunion ils se donnent rendez-vous le lendemain, mais Gerard ne se présentera jamais au lieu de la rencontre. Son ami l’appelle sans succès avant d’aller jusqu’à son domicile, pour y trouver porte close. Tous ceux qui essaient ensuite d’appeler Gerard Niyomugabo ne parviendront jamais à le joindre. A la place le numéro de Gérard Niyomugabo semble être utilisé pour envoyer des messages écrits à ses contacts, Nsengimana raconte que l’entourage de Gerard Niyomugabo n’a pas pu savoir qui a utilisé son téléphone mais soupçonne la police rwandaise. Le 6 avril des amis de Gerard Niyomugabo se rendent au lieu prévu pour la publication du livre mais ne le trouvent pas. Ils contactent alors son frère Herman Nsengimana qui leur explique ne pas avoir de nouvelles non plus. Inquiets, Nsengimana et les amis de Niyomugabo vont alors signaler sa disparition à la police, au bureau de Remera à proximité du domicile de Niyomugabo. Le lendemain, ils appellent la police pour d’éventuelles mises à jour mais se font invectiver par un policier. C’est dépité que Herman Nsengimana se rend alors auprès de leur famille à Nyanza, dans le district de Huye (anciennement Butare) pour leur annoncer que Gerard Niyomugabo est porté disparu.
6 avril 2014, l’arrestation de Kizito Mihigo
Kizito Mihigo a été arrêté par la police rwandaise le 6 avril 2014. C’est seulement sous pression de la presse locale et internationale que la police finit par avouer le 14 avril qu’elle le détient, soit près de deux semaines après sa disparation, avant de le parader devant les médias pour sa « confession ». Jambonews a couvert la chronologie de l’affaire Kizito MIhigo.
7 avril 2014, l’arrestation de Cassien Ntamuhanga
Cassien Ntamuhanga, directeur de la radio chrétienne rwandaise Amazing Grace, a été arrêté le 7 avril 2014. Pour son arrestation la police rwandaise a appliqué le même modus operandi que pour Kizito Mihigo. Elle le détient d’abord en secret avant de céder à la pression de la presse locale et internationale près d’une semaine après son arrestation. Lui aussi est paradé devant la presse le même jour que Kizito Mihigo. Comme nous le mentionnions dans l’article sur Phocas Ndayizera, Cassien Ntamuhanga a témoigné du chantage émotionnel dont Kizito et lui avaient fait l’objet et de la mise en scène de leur présentation devant la presse. Co-accusé de Kizito Mihigo pour complot contre l’Etat rwandais entre autres, il avait écopé de 25 ans de réclusion criminelle. Il a réussi à s’évader de la prison de Mpanga le 31 octobre 2017 avant de s’exiler à l’étranger.
Ntamuhanga a révélé les coulisses de son arrestation au micro de Tharcisse Semana : « Le 07 avril, je rentrais du travail et une fois chez moi mes frères semblaient découragés. C’était le début des cérémonies de commémoration du génocide. J’ai décidé de sortir, et en temps normal je sortais avec un de mes frères mais ce soir-là comme ils étaient tous effondrés, je suis sorti seul, je me suis rendu au stade Amahoro pour participer à la cérémonie de commémoration. Il y avait un grand embouteillage, je suis arrivé après l’arrivée du président de la République et donc les portes étaient fermées. J’ai alors décidé d’aller rendre visite à un ami qui habitait dans les environs. Tout d’un coup Gerard Niyomugabo m’a appelé, il m’a dit avoir besoin de moi urgemment. Je lui ai dit que j’allais voir un ami et que je passerais chez lui après. Après la visite, je me suis dirigé chez Niyomugabo et arrivé à Kimihurura, je l’ai appelé pour savoir si je pouvais passer. Il m’a dit de venir et de me garer à un bar qui était proche de chez lui, il allait m’y retrouver. Sur le coup je n’ai pas fait attention au fait que Niyomugabo ne buvait pas et que de toutes les façons le 7 avril les bars étaient fermés. Je suis arrivé et je me suis garé. Il y avait deux voitures de chez Gacinya [centre de détention du service de renseignement de la police à Kigali, ndlr], ce sont des pick-ups avec des vitres teintées et fermées ou parfois sans plaque. N’ayant rien à me reprocher, je ne me suis pas inquiété et j’ai appelé Gerard. Tout d’un coup j’ai vu quatre voitures sortir de l’allée qui venait de chez Gerard et elles ont encerclé ma voiture. Des hommes ont commencé à sortir des voitures et l’un deux est entré dans ma voiture et a pris mes clés. Je reconnaissais une partie des hommes, ils étaient policiers mais en tenue civil, leur chef était Justin Rukara, connu pour avoir persécuté beaucoup de gens à Kigali. Ils m’ont dit qu’ils avaient une petite chose à me demander sur mon travail, si je voulais les suivre dans leurs voitures. Ils m’ont conduit chez Gacinya et pendant une heure tour à tour un des policiers s’asseyait à côté de moi et sortait. Au bout d’une heure j’ai leur fait remarquer que j’avais du travail et que j’attendais leur question. Un des policiers est parti demander et est revenu avec des menottes. C’était le début du chemin de croix. »
Cassien Ntamuhanga a expliqué avoir vu l’ordinateur et le téléphone portable de Gérard Niyomugabo dans la salle d’interrogatoire du centre de détention où il était.
La répression jusqu’aux frères de Ntamuhanga et de Niyomugabo
Comme si arrêter Gerard Niyomugabo et Cassien Ntamuhanga n’avait pas suffi, le régime du FPR s’en est pris à leurs familles. Herman Nsengimana a ainsi confié que quelques jours après la disparition de Niyomugabo les militaires sont allés à leur foyer familial à Butare, mais arrivés près de là ils ont demandé le chemin à un paysan qui a pensé que la venue des militaires était un mauvais présage pour cette famille et leur a répondu qu’il ne la connaissait pas. Il a lors emprunté un autre chemin pour aller avertir les membres de la famille qu’ils étaient recherchés. Nsengimana, ses deux frères et d’autres jeunes gens qui étaient chez eux sont allés se cacher dans la forêt. Des personnes ont ensuite rassemblé de l’argent pour les faire sortir du Rwanda. Les militaires ont commencé à surveiller le domicile familial au point que leur maman, par crainte, a également fini par s’exiler.
En 2017, après que Cassien Ntamuhanga se soit échappé de prison, les militaires sont revenus au domicile familial de Gerard Niyomugabo, ils ont kidnappé son grand frère qui était resté au Rwanda, son cousin germain et son oncle. Herman Nsengimana raconte que la famille a fini par savoir que les trois avaient été détenus dans une prison à Kigali, dans laquelle son oncle est resté enfermé pendant un mois avant d’être libéré, tandis que son frère et son cousin ont fini par être transférés à la prison haute sécurité de Mpanga. Nsengimana a fini par apprendre que c’était Justin Rukara et ses policiers, qui avaient arrêté Gerard Niyomugabo et qui gardaient l’ordinateur de son frère au centre de détention qu’il nomme « la boucherie de Gacinya ». C’est toute cette injustice qui a conduit Herman Nsengimana à rejoindre la rébellion du FLN : « Je ne pouvais plus laisser faire, les bras croisés. »
Pour les proches de Cassien Ntamuhanga, le 4 octobre 2016 les services de renseignement rwandais ont kidnappé ses trois jeunes frères : Fikil Jimmy Ngabo, Joel Mutuyimana et Moses Ngabonziza, et leur sort demeure inconnu à ce jour. Plus récemment, c’est le cousin de Ntamuhanga, Jean Felix Iriboneye[5], 28 ans, qui a été retrouvé étranglé le 13 novembre 2019. Il commerçait des unités de recharge mobile ou de transfert d’argent devant l’université du Rwanda de Huye. Il a été porté disparu pendant deux jours avant que son corps sans vie ne soit retrouvé. La dernière fois qu’il a été vu, il se rendait à l’hôpital universitaire de Huye. Selon Cassien Ntamuhanga toutefois, le meurtre de son cousin n’aurait pas de lien avec lui dans la mesure où cela faisait dix ans qu’ils ne s’étaient pas parlés. En revanche il n’a pas de doute sur le cas de son ami Albert Higiro, qui vivait avec lui et qui avait suivi de près son procès. Higiro vient de passer 5 mois en prison.
Le 3 avril 2014, au moment de son arrestation, Gerard Niyomugabo était le point de publier un livre « Gatebe gatoki hagati ya gahutu gatutsi mu Rwanda – ‘renversement sans fin entre Hutu et Tutsi[6]», un manifeste rassemblant les idées révolutionnaires du mouvement lorsque ses leaders notoires ont été arrêtés. Cela a porté un coup dur au mouvement Abatangana. Les autorités rwandaises ont cru que c’était la fin du mouvement.
2018 : La renaissance
Toujours au micro de Tharcisse Semana, Ntamuhanga a confié qu’une fois en liberté, avec ses amis, ils ont commencé à reparler du mouvement et ont décidé de se réorganiser. Le mouvement a changé de nom pour devenir « RANP- Abaryankuna » (Rwandan Alliance for The National Pact – Alliance rwandaise pour le pacte national). L’objectif principal du mouvement est de changer la gouvernance du Rwanda, soustraire le pouvoir rwandais confisqué par un seul homme et le redonner à tous les Rwandais.
Les objectifs spécifiques sont de changer les méthodes de gouvernance / changer la ligne politique ; éradiquer les rancœurs chez les Rwandais ; conscientiser les Rwandais sur les causes racines de la problématique rwandaise, réunir tous les Rwandais, qu’ils vivent au Rwanda ou à l’étranger, supprimer tout ce qui peut les séparer : les ethnies, les fautes politiques du passé, les mauvaises compréhensions qui ont été utilisées par les hommes politiques pour leurs intérêts propres et non pour l’intérêt commun de tous les Rwandais ; et supprimer tout ce qui peut faire qu’un Rwandais se voie différemment d’un autre.
Cassien Ntamuhanga
Interrogé sur l’utilisation de la force, Ntamuhanga a fait remarquer que le Rwanda n’est pas en manque de ceux qui utilisent la force mais manque plutôt d’hommes avec des idées constructives. « Notre objectif est de nous mettre au milieu des belligérants pour obliger celui au pouvoir à éradiquer les ressentiments entre les Rwandais. » Pour lui le problème peut se gérer en trois étapes : analyser le problème objectivement (sans prendre parti pour un côté ou pour un autre), demander pardon, octroyer le pardon et à la fin la réconciliation.
Sur l’adhésion de Phocas Ndayizera et ses 12 co-accusés au mouvement, Ntamuhanga a expliqué que « Phocas Ndayizera est une personne qui a été éprouvée sur un plan individuel, ce que les autorités rwandaises lui ont fait n’est pas racontable, il fait partie de ceux qui souhaitaient un changement de gouvernance… Au Rwanda nous avons beaucoup de jeunes qui adhèrent au mouvement, s’ils veulent les mettre en prison, il serait impossible de tous les enfermer car les prisons du Rwanda n’ont pas la capacité de les contenir tous. Le FPR amène la jeunesse dans les Ingando (un programme aux allures d’entrainement militaire où le FPR forme la jeunesse rwandaise à son idéologie et à sa propagande, ndlr) en espérant laver les cerveaux des jeunes, mais si tu prends des jeunes intelligents et les amène dans un Ingando pour raconter l’histoire à ton avantage alors que les jeunes savent que leurs parents sont en prison, que leurs parents ont été tués, que leurs familles leur ont dit qui a tué les leurs, les jeunes vont t’écouter en silence et ils repartiront en se disant, nous te connaissons, nous continuons notre chemin…. Nous ne sommes pas des soldats, il y a suffisamment de soldats au Rwanda, mais si un jour c’est nécessaire, la jeunesse se lèvera pour rejoindre le front. »
[1] Jambonews reviendra sur ce conflit et les Abaryankuna de l’époque dans un article séparé
[6] Gatebe gotoki est une expression rwandaise qui veut dire que les temps changent, celui en haut aujourd’hui pourrait être en bas demain et vice versa.
« Rapport Mapping RDC, un instrument pour la fin de l’impunité ? » Tel était l’intitulé du séminaire qui a eu lieu ce lundi 2 décembre 2019 à l’Assemblée nationale à Paris sous le support du député français Vincent Bru. Jambonews revient sur cette demi-journée d’étude.
C’est à treize heures tapantes que les nombreux participants ont commencé à arriver à l’Assemblée nationale et aux alentours de 14h, ils étaient tous installés dans la salle Colbert, qui paraissait étroite au regard de l’affluence.
Parmi les participants, beaucoup de ressortissants congolais et rwandais dont des personnalités comme Martin Fayulu, ancien candidat à la présidence congolaise, Marie-Inaya Munza, auteure du roman Black in the city, Madeleine Mukamabano, journaliste franco-rwandaise à la RFI, Yves Muneza, premier secrétaire à l’ambassade du Rwanda en France, et Joseph Matata, défenseur rwandais des droits de l’Homme et coordinateur du Centre de Lutte Contre l’Impunité et l’Injustice au Rwanda (CLIIR).
La séance a débuté par un hommage d’abord aux 13 militaires français tués au Mali le 25 novembre dernier pour qui une cérémonie officielle avait lieu aux Invalides à quelques pas de l’Assemblée, puis à la mère du docteur Denis Mukwege dont le décès survenu ce week-end a empêché le Prix Nobel de la paix 2018 d’être présent au séminaire.
Dans son allocution d’ouverture, le professeur Jean-Pierre Massias, président de l’Institut Francophone pour la Justice et la Démocratie (IFJD) et co-organisateur du séminaire, a entre autres insisté sur la nécessité de donner la parole aux victimes pour « raconter l’horreur de la crise » et « nommer les prédateurs », estimant que l’impunité était « dévastatrice » sur le plan moral et sociétal.
La parole a ensuite été donnée à Luc Henkinbrant, professeur de droit à l’université catholique de Bukavu pour le rapport introductif. L’élément marquant de l’introduction a été la projection des incidents extraits du Rapport Mapping qui ont leurs dates anniversaires en décembre. Les participants pouvaient lire et prendre connaissance du nombre des victimes par incident et des organisations militaires ayant commis les exactions. Au total 30 incidents ont été présentés, sur les 617 détaillés dans le rapport.
Jean-Jacques Lumumba a pris la parole et présenté le discours que le Dr Denis Mukwege avait spécialement préparé pour l’occasion. Dans son discours le prix Nobel déplorait l’absence de mémoire pour les victimes de l’hôpital de Lemera[1] plus de 20 ans après : « Aucune plaque commémorative, pas même une croix. » Il a évoqué la peur des rescapés qui composent avec leurs bourreaux aujourd’hui aux postes de commandement, « On ne construira pas la paix avec les bourreaux en uniforme qui terrorisent chaque jour les victimes ». Selon lui les criminels sont « protégés au plus haut niveau de l’Etat », et il appelle à une réforme des institutions de la République démocratique du Congo : la justice, la santé et l’armée pour assainir le système afin de protéger la population. Dans sa conclusion, il a rappelé que « depuis plus de 20 ans, la justice a été sacrifiée sur l’autel de la paix qui n’est toujours pas là ». Il espère enfin que pour la 25ème commémoration des massacres de Lemera, il y aura une plaque commémorative pour faire perdurer la mémoire des victimes et permettre l’apaisement des survivants.
Le séminaire a ensuite laissé place à deux ateliers dont les thèmes étaient ‘les moyens juridiques’ et ‘les ressources géopolitiques’.
Plusieurs sujets et pistes pour « dépoussiérer » le Rapport Mapping ont été abordés, on peut citer pêle-mêle l’imprescriptibilité des crimes répertoriés dans le Mapping Report, la nécessité de collecter les données tout en respectant la présomption d’innocence pour éviter qu’elles soient inutilisables devant la justice, les différences entre la ‘Common law’ et la justice de droit romano-germanique et laquelle des deux justices pourrait être appliquée pour les crimes répertoriés dans le rapport.
Le docteur Mukwege martèle en effet souvent que l’on ne peut pas construire la paix sans la justice, une interpellation suite à laquelle des intervenants ont fait remarquer que peut-être pour la RDC l’obstacle à la construction de la paix et à la justice transitionnelle est l’absence de cet état transitionnel de la guerre à la paix depuis plus de vingt ans.
Dans l’attente de cette justice, l’on a évoqué la nécessité que les sociétés civiles congolaise et de la région se saisissent du sujet. « A l’heure actuelle, Denis Mukwege n’est pas seul, il est porté par vous tous ici présent ; » a souligné Pierre Kabongo-Mbaya, chercheur en sociologie et professeur d’anthropologie à l’Institut œcuménique de théologie Al Mowafaqa de Rabat (Maroc).
L’ensemble des intervenants était d’accord sur le fait que la fatalité n’est pas admise et a plutôt mis en avant les différentes pistes de solutions pour rendre justice aux victimes. La place de la mémoire pour les victimes n’a pas été oubliée, plusieurs pistes ont été évoquées, dont la possibilité et la nécessité de commencer le travail de mémoire en mettant en place des mémoriaux numériques par exemple. Sur le sujet d’éventuelles réparations pour les survivants, les Etats, notamment ceux qui sont parties prenantes dans la crise en RDC, pourraient contribuer financièrement même si la première responsabilité revient à l’Etat congolais. La communauté internationale n’a pas été laissée de côté, notamment le Conseil de sécurité de l’ONU qui pourrait participer en facilitant la mise en place des moyens pour une justice internationale ou au travers de chambres mixtes[2].
En conclusion, Pierre Morel, ancien ambassadeur de France en Chine et en Russie notamment et directeur de l’Observatoire Pharos, co-organisateur du séminaire avec l’IFJD, a souligné le paradoxe actuel : « On veut sortir du déni tout en restant dans le silence, dans la complaisance. »
Jean-Pierre Massias a rappelé comme dans son introduction que le séminaire était une séance inaugurale, une première étape pour poser le problème. Le Mapping Report est l’un des rapports les plus documentés avec une méthodologie dans les règles de l’art, dès lors pourquoi ce blocage, pourquoi serait-il difficile de lutter contre l’impunité ? Il a invité toute personne intéressée par ce sujet à contribuer au projet de sortir le Mapping Report des tiroirs de l’ONU et de lui ôter cette poussière d’injustice et d’impunité ; et à contacter l’IFJD pour proposer les idées.
[2] C’est une juridiction composée à la fois des juges nationaux et internationaux, à la place d’un Tribunal Pénal International, à l’exemple ce qui a été fait au Cambodge.
Pour son engagement en faveur des droits de l’Homme et la promotion des droits civils, politiques et sociaux au Rwanda, l’opposante rwandaise Victoire Ingabire vient de remporter le Prix international des droits de l’Homme 2019, décerné par l’association des droits de l’homme espagnole (APDHE). L’opposante rwandaise s’est vue décernée le prix en compagnie de Nora Morales de Cortiñas, une militante des droits de l’Homme argentine.
Le prix international des droits de l’homme espagnol est remis à une personne remarquée pour son engagement et son dévouement en faveur des droits de l’Homme. Cette prestigieuse récompense vient d’être attribuée à l’opposante rwandaise Victoire Ingabire, pour son combat en faveur des droits humains et des libertés civiles au Rwanda, un pays où l’une des dictatures les plus répressives du globe règne sans partage depuis plus de 25 ans.
L’opposante rwandaise qui a récemment démissionné à la tête du parti FDU-Inkingi, pour créer un autre parti politique DLT-Umurinzi ‘Développement et Liberté pour Tous’, connu sous son sigle en anglais DALFA, n’a pas pu faire le déplacement à Madrid pour recevoir en mains propres ce prix. En effet les autorités rwandaises le lui en ont empêché en refusant de lui donner l’autorisation de sortir du Rwanda.
Celle que ses partisans surnomment parfois la « Nelson Mandela rwandaise » en raison de son engagement à résoudre les problèmes du pays par la voie du dialogue, a été représentée à la cérémonie de remise de prix par son mari, sa sœur et ses enfants, qu’elle n’a pas vu depuis près de dix ans. Néanmoins, elle a pu prononcer un discours via vidéo conférence, dans lequel elle est revenue sur la situation catastrophique en matière des droits humains au Rwanda, en évoquant les cas de ses nombreux collaborateurs assassinés, ceux en prison et d’autres portés disparus au cours des dernières années. « Ce prix prouve que mon combat a un sens » a-t-elle souligné dans une interview qu’elle a accordée à Umubavu tv online.
En 2012, Madame Ingabire avait été nominée, en compagnie de Bernard Ntaganda et Déogratias Mushayidi, pour le prestigieux prix Sakharov du parlement européen, qui récompense chaque année des personnalités ou des collectifs qui « s’efforcent de défendre les droits de l’Homme et les libertés fondamentales », le prix fut discerné cette année-là à deux militants iraniens.
L’opposante était rentrée au Rwanda en janvier 2010 pour se présenter aux élections présidentielles après une quinzaine d’années passées en exil aux Pays-Bas. Quelques mois seulement après son retour, elle avait arrêtée puis condamnée pour « minimisation du génocide de 1994 et propagation de rumeurs dans l’intention d’inciter le public à la violence », avant d’être emprisonnée durant 8 années.
Le 7 décembre 2018, la Cour africaine des droits de l’Homme et des peuples avait estimé que les droits fondamentaux de l’opposante avaient été bafoués et avait condamné le gouvernement rwandais à lui verser 65 230 000 francs rwandais (72 000$) en guise de réparation des préjudices matériels et moraux occasionnés par ses huit années d’emprisonnement.
La fin de la semaine du 9 décembre 2019 a été marquée par la démolition d‘habitations situées dans les zones inondables ou de marécages de la ville de Kigali. Ces démolitions ont surpris en premier lieu les occupants de habitations détruites qui n’ont pas été prévenus par les autorités. Les vidéos qui circulent sur YouTube et dans plusieurs médias rwandophones montrent des citoyens mandatés par les autorités démolissant sans ménagement les habitations d‘autres citoyens. Elles montrent aussi les témoignages de ceux qui se retrouvent à la rue, dépités, souvent en larmes, exprimant leur désarroi face à la situation. Ils assistent impuissants à l’effondrement de leurs habitations et parfois à la détérioration de leurs biens matériels. Une partie d’entre eux affirme n’avoir nulle part où aller, les personnes concernées se disant prêtes à revenir dormir dans les ruines de leurs maisons en cette saison des pluies.
C’est dans ce contexte que la présidente de DALFA Umurinzi, Victoire Ingabire, a sorti un communiqué de presse dans lequel elle dénonce « l’utilisation de citoyens contre d’autres citoyens », le manque de délai de prévention pour les occupants des habitations démolies, les indemnités faibles reçues par les habitants des maisons détruites : 30 000 francs rwandais (l’équivalent de 30 euros) pour les locataires et 90 000 francs rwandais (l’équivalent de 90 euros) pour les propriétaires pour se reloger. Tandis que certains sont relogés dans des écoles, le communiqué dénonce aussi le fait qu’une partie des expulsés est laissée « pour compte sans contrepartie, poussant les personnes concernées à dormir à l’extérieur alors que c’est la saison des pluies ».
La présidente de parti se dit surprise par la précipitation avec laquelle ces démolitions sont effectuées, une précipitation qui démontre l’absence « de planification solide du plan d’urbanisation et du programme d’aménagement du territoire alors que ceux-ci faisaient partie du programme Vision 2020» lancé en 2000. Enfin pour elle « ces démolitions rendent précaire la vie des citoyens et accroissent leur pauvreté ».
La présidente de DALFA Umurinzi Victoire Ingabire a fini son communiqué en rappelant aux autorités rwandaises que dans leur « devoir il y a celui de penser au peuple, de l’aider à se développer et ce en utilisant un dialogue constructif et dans le respect de la dignité humaine de chacun ».
Aux alentours du 10 décembre 2019, les habitants des « zones à risque », celles que la ville de Kigali considère comme inondables ou marécageuses, ont reçu l’ordre ferme de quitter les lieux sous quinze jours. Deux jours plus tard, selon les témoignages d’une partie d’entre eux, la police rwandaise, le personnel du DASSO (Organe d’appui à la sécurité administrative du district en français) ainsi que les autorités locales ont rendu visite aux personnes concernées vers minuit pour les avertir qu’ils devaient partir dès le lendemain matin au plus tard. Le 13 décembre 2019, très tôt dans la matinée, la démolition des maisons a commencé. A partir de ce moment-là, de nombreuses images ont commencé à circuler sur les réseaux sociaux. Sur celles-ci on voit des civils munis d’outils de fortune (pics, marteaux, houes…) en train de détruire avec acharnement les maisons d’autres civils sous la discrète surveillance de policiers armés et ceci en présence du public ébahi par ce qui se passe. On voit aussi des personnes détruire eux-mêmes leurs maisons afin d’obéir aux autorités et récupérer les matériaux de fortune (portes, fenêtres, tôles). Les images montrent aussi des personnes allant d’enfants en bas âge à des nonagénaires, certains en train de cuisiner alors que d’autres s’endorment dans la rue près des décombres de leurs maisons, en compagnie des matériaux récupérés. Jambonews revient sur ces démolitions qui semblent être l’aboutissement d’un programme décidé du plus haut sommet du pouvoir rwandais, sur les témoignages des personnes expulsées et les différentes réactions des acteurs de la société rwandaise.
De 2017 à 2019 qu’est-ce qui a changé ?
Le sujet de reloger ceux qui habitent les « zones à risque »remonte à 2017. Une partie des habitants de ces quartiers ont reçu des courriers leur demandant de quitter les lieux. Depuis, selon les autorités rwandaises ils auraient fait la sourde oreille. Les concernés disent que le dialogue et les négociations sur la contrepartie à percevoir était en cours et qu’une fois indemnisés, ils allaient se réinstaller ailleurs.
Le changement de méthode, le passage du dialogue à la force pour faire partir les personnes a été attribué dans un premier temps aux autorités locales. Celles-ci ont refusé de répondre aux questions des journalistes, répétant sans cesser que l’action visait le bien-être des citoyens. Mais rapidement il s’est avéré que le ministère de l’Administration locale ainsi que la mairie de Kigali avaient interdit aux autorités locales de répondre aux questions des journalistes[1].
Les images ont choqué l’opinion rwandaise, y compris celle qui soutient habituellement le pouvoir en place. Une conférence de presse a été organisée le 18 décembre 2019 à laquelle cinq ministres rwandais, quatre gouverneurs des provinces du pays ainsi que trois maires des districts composant la ville de Kigali participaient. Ils ont expliqué que les démolitions étaient une mesure préventive contre le risque d’inondation « le gouvernement rwandais n’allait pas attendre que les inondations emportent des vies pour agir dans la mesure où en 2018 elles ont emporté 280 vies ».
Le ministre de l’Administration locale Anastase SHYAKA, qui dirigeait la réunion a fait le bilan humain résultant de l’opération : « 6 000 personnes ont été expulsées de leurs habitations : 1 500 personnes ont été logées dans des locations prises en charge par l’État rwandais, 300 personnes ont étés logées dans des classes d’écoles et 4 000 personnes sont logées par leurs voisins ou familles. »[2]. Pour l’avenir il a informé que les constructions dans les bidonvilles ou dans les zones à risque ne seront plus tolérées[3]. Il n’a pas dit un mot sur les personnes qui campent dans les ruines de leurs maisons dans le froid et parfois sous la pluie, ni sur les personnes qui avaient hypothéqué les maisons détruites.
Cette opération de démolition, dont la brutalité et le manque de délai de préavis pour les habitants a surpris beaucoup de Rwandais, avait pourtant été annoncée aux journalistes le 28 août 2019 par le nouveau maire de Kigali, Pudence RUBINGISA. Il avait déclaré à propos des habitants de la zone de Nyarutarama, l’une des zones touchées qu’ « ils habitent dans un endroit inquiétant…il faut donc les reloger dans un meilleur endroit ». Les concernés acceptaient de partir s’ils étaient indemnisés à la hauteur de la valeur de leurs parcelles.
Le maire de Kigali, Pudence RUBINGISA, qui porte cette opération est un homme du président Paul Kagame en attestent les circonstances dans lesquelles il est devenu maire de la capitale. En effet le 26 juillet 2019 le parlement rwandais a adopté la modification de la loi relative au fonctionnement de la ville de Kigali. Deux changements majeurs y ont été décidés. Le premier concerne la prérogative du président de la République quant à la nomination de cinq parmi les sept conseillers de la ville de Kigali. Le second porte sur la centralisation au niveau de la ville de Kigali de tout le pouvoir de gestion administrative et financière qui relevait auparavant du comité exécutif de chacun des trois districts composant la ville de Kigali[4].
C’est ainsi que le 17 août 2019, au terme d’un vote où les électeurs (les conseillers de la ville de Kigali) étaient en majorité des personnes nommées par le président Paul Kagame, Pudence RUBINGISA est sorti d’un placard doré pour devenir le maire de la ville de Kigali, fonction qu’il cumule depuis le 30 septembre 2019 avec celle de chairman du parti FPR pour la ville de Kigali. En septembre 2017, il avait été obligé de quitter le poste de vice-recteur administratif et financier de l’Université du Rwanda à la suite de soupçons de détournement de fonds (près d’un milliard des Francs rwandais) qui pesaient sur lui. Il a été poursuivi et mis en détention provisoire par le Tribunal de Première Instance de Nyarugenge[5] en 2017 avant d’être libéré par la Haute Cour de Kigali en 2018 dans des circonstances qui ont interpellées le vice-président du parlement rwandais Abbas MUKAMA. Ce dernier a exprimé son incompréhension mais sans obtenir des réponses[6]. Avant de devenir le maire de Kigali, Pudence RUBINGISA occupait le poste de directeur de gestion pour la société Intare Investement situé au siège du parti au pouvoir le FPR à Kicukiro[7].
Le président Paul Kagame, dont la position sur les démolitions était tant attendue après que toutes les victimes avaient sollicité son aide personnelle, a pris la parole le 19 décembre 2019 à l’occasion du dialogue national annuel « Umushyikirano ». A la grande surprise des victimes, il a fermement soutenu ceux qui supervisent l’opération de démolition et d’expulsion. Selon lui le seul faux pas a été la mauvaise communication des dirigeants locaux : « les habitations des citoyens ont été démolies mais pourquoi ceux qui ont supervisé cette opération, y compris les ministres, ne le communiquent pas convenablement auprès du peuple ? Les conséquences sont nombreuses et cela finit en politique. Pourquoi procédez-vous ainsi, pourquoi n’arrivez-vous pas à mieux communiquer vos actions ? ». Pour lui, ceux qui ont des titres de propriété fonciers devraient être indemnisés « ce sont eux qui doivent être indemnisés, cela se passe ainsi, tu fais l’inventaire et tu lui donnes une contrepartie en proportionnelle parce que si tu le laisses dans cette zone, la pluie ne l’emportera-t-elle pas ? Nous ne pouvons rien contre les ravalements des collines, si tu refuses de partir, c’est peut-être l’inondation qui te fera partir ». Bien que une partie des expulsés habitaient dans les « zones à risques » depuis les années quatre-vingt, il a reporté la faute sur les autorités qui délivrent l’autorisation d’y habiter et aux personnes concernées : “Vous les autorités sur quelle base vous délivrez l’autorisation d’habiter dans les marécages ? Qui est le propriétaire des marécages ? Quelle est leur utilité ? Celui qui réclame une indemnité avent d’être expulsé, seras-tu indemnisé pour une terre qui ne t’appartient pas ? ».[8]
Les victimes de ces démolitions continuent de crier pour demander de l’aide, parfois au bord des larmes ou en larmes, épuisées par les conditions de leur survie (dormir dehors sous la pluie dans le froid). Elles se demandent si elles sont considérées par les autorités de leurs pays, le Rwanda, comme des humains ou des citoyens de seconde zone.
Les démolitions se font principalement dans les localités de Kinamba, Gatsata, Urugero (ancien quartier de Kaninja) Gisozi, Kinyinya, Rwampara, Gikondo, INILAK, Rwandex (communément appelée South Africa), Bannyahe, Rukiri, Gahanga, Mulindi, Kibagabaga, Kiruhura et autres.
Noël dans le froid et sous la pluie : Témoignages des habitants des zones concernées
C’est la première vidéo qui a été mise en ligne par FLASH TV. Dans le quartier de Rwampara les autorités rwandaises avaient demandé aux habitants de partir sous un délai d’une heure pour s’installer dans les locaux de l’école primaire de Camp-Kigali. Les habitants n’ont pas obtempéré, réclamant une indemnité avant de partir.
Un grand-père de plus de 80 ans raconte : « Nous habitons ici depuis 1989, donc plus de trente ans. Je suis grand-père, je suis très étonné, il n’y jamais eu d’inondations. Comment les autorités (le secrétaire exécutif du District de Nyarugenge et la police rwandaise) peuvent venir et nous ordonner de partir sans même nous donner un sou ? Nous sommes pour le développement, les autorités peuvent venir faire des estimations et acheter nos terrains, après nous allons partir chercher un autre lieu pour loger nos familles. Ils sont venus à 15h et nous ont demandé d’avoir quitté les lieux à 16h, comment est-ce possible ? Vous, journalistes plaidez pour nous ! Nos difficultés sont qu’ils veulent faire de nous des réfugiés alors que nous avions un chez nous… Au-delà des indemnités nous aimerions avoir un délai d’un mois pour trouver un autre lieu, nous ne sommes pas des chèvres que l’on achète…le Rwanda est en paix on ne peut plus utiliser la terreur contre nous, nous ne voulons pas être réfugiés dans notre propre pays, nous avons des titres fonciers et nous payons la taxe d’habitation chaque année.»
Un père de famille : « Je ne peux pas partir en laissant ma maison qui m’a pris beaucoup d’effort pour la construire. Je vais aller à Camp Kigali, mes enfants vont y attraper des maladies, je préfèrerais mourir ici à coté de ma maison. Comme le grand-père vient de te dire, si toutes les conditions sont réunies, nous allons accepter de partir, notre tristesse est que l’on nous dise : sortez de vos maisons et partez. Le policier est venu nous demander de déguerpir, il nous a dit que celui qui ne voudra pas, il le fera dans de mauvaises conditions. »
Une mère de famille, 35 ans : « Pourquoi allons-nous devenir des réfugiés alors qu’il n’y a pas la guerre ? J’ai grandi ici, en trente-cinq ans, je n’ai jamais vu ni entendu qu’une maison ait été inondée. Peut-on demander à un locataire qui vient de payer le loyer de sortir de la maison dans l’immédiat sans que rien ne justifie la rapidité ? Ils nous ont pris au dépourvu, je n’étais pas là, on m’a prévenu pour que je revienne voir les enfants. »
Slimane HAKIZIMANA « j’habite ici, nous n’allons pas à Camp-Kigali car nous ne voulons pas laisser nos maisons seules, nous voulons partir après avoir été indemnisés. Ils ne nous ont pas prévenus. Dans un premier temps ils n’ont pas voulu nous donner les fiches de parcelles, quelques années plus tard, ils ont évalué le terrain et nous ont dit que ce n’est pas une zone inondable mais qu’il y avait des infrastructures prévues pour l’endroit dans le programme vision 2020. Si c’est le moment de mettre en place ces infrastructures, que nous soyons indemnisés et nous partirons. »
Mises en ligne Ukwezi TV, ce sont les premières images de démolitions. Les habitants du quartier de Kiruhura expriment le déracinement qu’ils viennent de subir :
Riziki MUKAMANA, une grand-mère de 72 ans : « Je suis née ici, j’ai 72 ans. J’ai été surprise que les personnes soient venues démolir nos maisons en nous demandant d’enlever nos affaires et de partir sans aucune indemnité. Ils ne nous ont rien donné, nous dormons dehors sous la pluie avec nos enfants, c’est un gros souci. Ils ne nous ont pas prévenus, ils sont venus faire l’inventaire et nous ont dit que nous allions être indemnisés. La police, le responsable du quartier et les agents du DASSO sont revenus hier à 23h pour nous informer que le matin nous aurons à plier bagages et quitter la maison. Tôt le matin ils sont venus démolir la maison. Vous comprenez que c’est une situation extrêmement triste, une mamie de 72 ans ! Ils m’ont réveillée avec les enfants et les petits enfants et me voilà dehors avec eux sous la pluie alors que nous avions une maison. Nous avons des titres fonciers et nous payons la taxe foncière tous les ans. C’est triste et désolant. J’attends qu’ils finissent de démolir ma maison et je reviendrai avec mes affaires pour dormir dans les décombres. Aucune mort ne peut dépasser celle-ci ! Je suis née ici, je n’ai pas les moyens et nulle part où aller avec mes enfants. Je vis avec quatre d’entre eux ici. »
Pascasie MASENGESHO, une mère de famille de quatre enfants : « Notre souci est qu’ils nous ont sortis de la maison sans un autre endroit où aller. Nous sommes sous la pluie avec nos affaires, les autorités assistent au spectacle sans nous aider, ce qu’elles demandent est que toutes les affaires soient enlevées. On va aller où, comment allons-nous vivre ? Nous avons été prévenus à minuit que nous devions chercher un endroit où aller, le matin ils sont venus démolir. Nous demandons à être aidés, nous n’avons reçu aucune compensation alors qu’ils nous l’avaient promise. Ils sont venus mercredi et nous ont laissé un papier pour que les locataires nous soyons partis en 15 jours. Deux jours après ils sont venus tout démolir. »
Jean de Dieu MBABAZI, un jeune homme : « C’est notre maison qu’ils démolissent, nous n’avons pas où vivre, nos affaires ont été jetées dehors comme si nous étions des délinquants ! Nous demandons l’aide des autorités, nous n’allons pas devenir des sans-abris comme des délinquants. Ce qu’ils viennent de faire ne va pas aider les gens, les gens vont devenir des délinquants. Aucune personne saine d’esprit ne se met à démolir la maison d’une autre. »
Dans cette zone habitée par des commerçants, des locataires et des propriétaires, les gens ont été surpris par l’arrivée de la police rwandaise, les autorités locales et les agents du DASSO qui les ont forcés à quitter leurs locaux ou habitations, à sortir leurs affaires avant la démolition. Leurs témoignages auprès d’Ibicu TV :
Une commerçante : « Le local nous appartient, on y travaillait. Nous ne savons pas où aller, nous allons mettre dans les cartons nos marchandises et les emporter chez nous. Le problème est qu’ils nous demandent d’arrêter de travailler alors que nous allons continuer à payer les impôts. Nous demandons à ce qu’ils nous mettent à disposition de nouveaux locaux ou qu’ils suspendent les impôts. Nous ne nions pas le problème d’inondation, la rivière Nyabarongo est en train de monter, le problème est la rapidité avec laquelle c’est fait, nous ne pouvons pas nous retourner. »
Clémentine AKIMANA comme Jeanne BARAYIGWIZA vendent du poisson, elles ont la même histoire : « Je me sers de ce local pour préparer les poissons, hier nous avons payé le loyer et ils sont venus aujourd’hui pour nous demander de partir. Nous sommes une famille de trois. Même quand le Nyabarongo montait elle retournait dans son lit. Nous ne savons pas où aller, nous allons dormir par terre, nos affaires sont là-bas dans la cour. Nous demandons de l’aide. S’ils rendent l’argent au propriétaire il va nous rendre le loyer que nous venons de payer. »
Une dame dans la cinquantaine, propriétaire : « Mon problème est qu’ils nous disent qu’ils vont nous indemniser sans nous dire à quel moment, ils nous demandent d’aller louer ailleurs, mais comment, qui va payer ? J’ai une famille de 6 personnes et un élevage de vaches et de cochons, qui va nous héberger ? S’ils nous avaient laissé une semaine ou un mois, cela nous aurait permis de nous préparer. Nous aimons nos vies aussi, nous aurions pu nous arranger. Nous demandons à ce qu’ils nous trouvent des hébergements provisoires. Parfois ils résolvent un problème tout en en créant un autre, ils pensent nous aider alors qu’ils viennent de nous enfoncer. »
Une dame dans la trentaine : « nous avions des maisons at avions fini de payer les crédits, ils nous ont surpris et demandé de quitter les maisons vite, nous avons sorti nos affaires parce que nous respectons les autorités. C’est la fin de nos commerces, c’est une faillite, nous avons des enfants, des membres de familles que nous soutenons, bientôt nous allons avancer les frais scolaires. Même s’il y a risque d’inondation, il aurait fallu nous prévenir et nous laisser le temps. L’état qui a le devoir de défendre les intérêts du peuple devrait nous défendre nous aussi et nous permettre de déménager dans de bonnes conditions. »
Vénéranda NYIRAMATAMA, 69 ans n’est pas concernée mais soutient les victimes : « Nous n’avons pas vu d’inondations. Même s’il y en avait eu les autorités auraient pu les prévenir. Vous voyez ces vaches, ces casseroles, … vont-ils les transporter sur leurs têtes ? Y aura-t-il un endroit où les mettre en si peu de temps ? Les personnes n’ont pas été prévenues, que l’on leur donne trois jours, une semaine pour se préparer… »
Le secrétaire exécutif du secteur de Gahanga a déclaré auprès d’Ibicu TV que les locataires ne devraient pas se plaindre dans la mesure où il leur suffit de trouver un autre endroit où louer pour le même loyer. Quant aux propriétaires pour lui ils ont les moyens et d’autres terrains pour se retourner.
Dans cette vidéo mise en ligne par Ishema TV, pendant que les citoyens mandatés par les autorités rwandaises démolissent les habitations des autres citoyens à coups de cris jubilatoires, à coup de marteau ou autres, ceux qui assistent impuissant à la démolition de leurs biens prennent les journalistes à témoin.
Angélique NYITARAZUBA, jeune mère : « J’étais partie faire un petit boulot, laver le linge sale pour une autre famille. Lorsque je suis revenue ma maison avait été démolie, je n’ai rien pu récupérer, tout était devenu boueux. Ils sont venus hier et ne nous ont pas demandé de partir. C’est si soudain, nous n’avons pas eu le temps de nous préparer. Actuellement nous n’avons nulle part où aller. L’adjoint du maire est venu et nous a dit que celui qui n’a pas d’argent, ils allaient lui en donner ou compléter ce qu’il a. Cela a-t-il été fait ? Pourquoi le district ou la cellule nous disent que la zone peut être inondée mais que le propriétaire de la maison peut rester ? Ce n’est pas logique, n’est-il pas humain lui aussi ? J’habite ici depuis 2006, j’ai eu quatre enfants, trois garçons et une fille, je n’ai jamais eu de problèmes, aucune inondation. Je suis prise au dépourvu, je n’ai que 1.000 Frw (environ 1€) sur moi, je ne sais pas où aller. Nous demandons de l’aide de l’état rwandais. Les autorités peuvent nous héberger comme ils l’ont fait pour les habitants de Nyarugenge (un autre district de la ville de Kigali) hébergés dans des locaux scolaires. Je vais dormir dehors, je n’ai pas droit à une indemnisation, un de mes enfants va aller à l’école secondaire [au collège]. L’État rwandais ne m’a jamais aidé, je n’ai pas droit à la mutuelle alors que les riches en touchent. Comme vous me voyez je n’ai jamais rien touché de la part des autorités, si je pleure c’est que je suis triste. Je n’ai nulle part où aller je vais dormir dehors avec mes enfants sous la pluie, c’est notre seule alternative. »
Angélique NYITARAZUBA
Un père de famille Pelletit NTIRANDEKURA : « J’ai une famille de neuf enfants, je louais une maison ici, j’avais déjà payé deux mois de loyer. Je venais d’y passer 15 jours. Hier, ils sont venus nous voir pour nous demander de partir. Je commençais à réfléchir comment trouver une autre maison. Nous acceptons que cette zone soit inondable mais on ne peut pas demander à un locataire qui a avancé deux mois de loyer de quitter la maison en douze jours. Hier ils nous ont demandé de ne pas dormir dans les maisons. Allions-nous dormir dehors pour qu’ils puissent faire ce qui était prévu ?… Nous n’avons nulle part où aller. Nous aimons nos vies, si nous vivons dans des zones inondables c’est par manque de choix, ici je paye un loyer de 15 000 Frw (environ 15€), si je ne les ai pas le propriétaire est arrangeant, il peut me laisser le temps pour les chercher. Je fais partie de la première catégorie des pauvres, l’État rwandais n’est pas dupe, ce sont ses fonctionnaires qui veulent faire semblant. Je bénéficie d’une mutuelle car je suis pauvre et on me demande d’aller vivre dans un immeuble avec un loyer fixe alors que je n’ai pas fait d’études et j’enchaîne les petits boulots pour nourrir mes enfants. Je peux déménager d’ici, pas dans la précipitation mais avec une préparation. Nous ne nous sentons pas bien, nous sommes comme des morts-vivants. »
Un adolescent : « Ils sont venus vers 6h30, je dormais et allais me préparer pour aller à l’école. Je leur ai dit que je ne savais pas quoi faire car mon père était en voyage. Ils m’ont demandé de sortir, j’ai pu sortir quelques affaires et ils ont démoli la maison avec les affaires à l’intérieur. Je ne sais pas quoi faire, je ne suis pas allé à l’école, mon père n’est pas là, je ne me sens pas bien. Ma survie, ma vie est un mystère pour moi. »
A Nyarutarama, dans le quartier Bannyahe (littéralement « Où défèquent-ils ? »), les autorités locales, accompagnées des autorités chargées de la sécurité, sont venues le 13 décembre 2019 démolir les maisons des habitants et en utilisant la force. Les habitants du quartier ayant résisté, ils sont revenus le lendemain et ont ordonné à chacun de détruire sa propre maison. Ceux qui ont résisté ont été menottés et emprisonnés. Plus de 130 maisons ont été démolies.
En larmes ou au bord des larmes les habitants ont accepté de raconter leur désarroi à la Voix de l’Amérique :
Un père de famille : « Hier l’État rwandais nous a ordonné de démolir nous-même nos maisons pour devenir des réfugiés ! Avant de construire ces maisons nous avions achetés les terrains, aujourd’hui ils disent que ce sont des marécages, en voyez-vous ? C’est une injustice inhumaine. Celui qui ne détruit pas sa maison, ils viendront eux-mêmes l’abattre et le battre aussi. Demandez de l’aide pour nous, nous devenons des réfugiés. Pourtant j’ai construit ma maison sous le regard de l’État rwandais. J’en tirais les frais de scolarité pour mes enfants qui sont en secondaire. C’est fini, ils vont être déscolarisés ! Où trouverai-je leur frais de scolarité ? Ils vont devenir des délinquants et des prostituées. »
Un jeune homme : « Je n’ai pas d’autre endroit où aller, ma femme et moi allons devenir des vagabonds. Quelle possibilité nous laissez-vous pour l’éducation de nos enfants ? Il n’y a pas plus grande méchanceté que ce qui vient de se passer, vous qui êtes journaliste, y a-t-il une guerre plus grande que celle-ci ? »
Un homme : « Ils nous ont promis qu’ils construiront pour nous des maisons et nous ont donné deux mois de loyer, 60.000Frw (environ 60€), pour nous reloger en attendant. Nous les avons acceptés, nous aimons et obéissons à l’Etat rwandais, nous allons voir s’ils tiennent leur promesse. Mais je demande de l’aide au président de la république, si c’est nécessaire, il peut nous venir à l’aide, nous n’avons pas voulu nous confronter à ce que l’on voyait, il y’en a qui étaient menottés, emprisonnés, nous avons capitulé ».
Une mère aux bords des larmes : « aux réfugiés [NDLR : les réfugiés africains qui étaient bloqués en Lybie, aujourd’hui accueillis au Rwanda] vous leur fournissez un logement, nous, nous allons faire dormir nos enfants dehors ! Nous sommes abandonnés. Nous ne valons rien, il n’y a que les réfugiés qui comptent, les Rwandais ne valent plus rien ! Suis-je encore humaine ? »
Une jeune fille en pleurant : « je venais de louer la maison il n’y a même pas une semaine, j’ai donné tout mon argent au propriétaire, il ne veut même pas me donner de l’argent pour acheter un billet de transport ! Je vais rester là, je ne sais pas quoi faire ».
Une autre dame : « Les autorités viennent de nous ramener aux pages sombres des années 1994, lorsqu’une personne venait, te sortait de ta maison et la détruisait. Cela recommence. »
Si toutes ces personnes disent qu’elles vont dormir dehors dans le froid, peut-être sous la pluie, le sort de celles hébergées dans des locaux scolaires n’est pas à envier. Une personne âgée raconte ainsi : « je vais mourir de faim, ils nous ont jetés dans cet endroit sans nous donner à manger. Comment peux-tu prétendre agir pour qu’une personne ne meure pas et la laisser mourir de faim ? La protèges-tu vraiment ou veux-tu la tuer crument ? Ils ne m’ont pas amené ici pour me protéger mais pour me tuer sous leurs yeux. »
Cela faisait deux ans que les habitants de Nyarutarama faisaient de la résistance en refusant d’être exproprié sans être indemnisés à la hauteur de leurs biens. Le journaliste rwandais qui travaille en exil Marc MATABARO semble avoir suivi l’histoire de ce quartier et a réagi sur Facebook : « ce qui est le plus triste c’est qu’une partie de ces citoyens dit qu’ils avaient les titres fonciers, qu’ils payent leurs taxes foncières. Comment l’Etat rwandais peut-il expliquer qu’il perçoit les taxes foncières des zones qu’il considère comme à risque ? Les autorités auraient dû demander aux habitants de partir au lieu de donner des titres des propriétés et de percevoir des taxes foncières puis de démolir leurs habitations. J’ai vu que les habitants du quartier de Bannyahe, qui demandaient une compensation avant d’aller louer dans les appartements de Denis KARERA ont vu leurs habitations détruites, cela résout le problème de l’indemnisation et ils n’ont plus que le choix d’aller louer dans les appartements de Denis KARERA [NDLR : ancien chef de la police rwandaise, il est devenu homme d’affaires et est le frère du ministre de la Justice Johnston Busingye]. »
Près de Rwandex, les anciens propriétaires et locataires devenus sans abri traversent une désastreuse période de fin d’année. L’amertume, la déception et la colère transparaissent dans une vidéo mise en ligne par Ishakiro TV.
Une jeune femme raconte « Ils ne nous ont jamais dit de ne pas habiter ici, par contre il y a quelques mois, les autorités locales nous ont demandé de rénover certaines de nos maisons, de mettre de la peinture et de nouvelles portes lorsque c’était nécessaire. J’ai pleuré et je me sens traumatisée. Ce qui nous arrive en ce moment nous rappelle bien la période sombre d’avril 1994 mais je ne vais pas le dire à haute voix, mes voisins qui ont fait le même commentaire ont été jetés en prison. »
Dans une autre vidéo publiée par Umubavu TV, une jeune mère ancienne propriétaire est en train de faire la cuisine à ciel ouvert sur les ruines de son ancienne maison. Elle raconte avoir dormi dehors avec son bébé. Elle dit avoir commencé à vendre le peu de matériels (portes, fenêtres) qui reste de sa maison démolie, qu’elle n’a nulle part où aller et qu’elle va commencer à vagabonder. A l’arrière-plan, une voix chuchote « Kigali sent mauvais, ceux qui sont en prison vivent mieux que nous. Je préfère vivre en prison dans des meilleures conditions que dormir sur les ruines de ma maison. Le banditisme et la prostitution vont augmenter. »
Une autre voix, faisant référence à l’allocution de Paul Kagame lors du dialogue national, a dit au journaliste : « filmez-nous bien, filmez tout ce qui se passe ici et allez le montrer à Paul Kagame pour qu’il puisse constater à quel point nous sommes dépourvus de tout. Nous allons devenir des crapauds.»
Un homme dans la cinquantaine a exprimé sa déception : « Comment allons-nous faire avec ces petits-enfants, où irons-nous ? Nous allons devenir des réfugiés dans notre propre pays. Les réfugiés qui viennent dans notre pays sont mieux accueillis et bien traités, mais nous, on est dans le dénuement complet. Nous n’avons plus de valeur dans notre propre pays. »[9]
Le journaliste d’Umubavu TV a été frappé par les agents du DASSO lorsqu’il couvrait à Nyagatovu dans le district de Gasabo (un des districts de Kigali) la démolition des maisons[10].
Les réactions des acteurs de la société rwandaise
L’opposante politique et présidente de DALFA a dénoncé la brutalité et l’absence de solution à long terme.
« Un responsable local qui détruit la maison d’un citoyen sous son autorité et sa protection et le transforme en sans-abri pense-t-il vraiment avoir accompli son devoir ? Les femmes responsables locales, mères de famille ont osé expulser les autres mères de familles sans se poser de question sur le sort des enfants en bas âge. Ils vont commencer à dormir dehors sous la pluie, c’est une situation très inquiétante… Ceci montre que notre gouvernement n’a pas de planification, car ces gens qui sont expulsés de leurs maisons disent qu’ils y ont habité depuis plus de 20 ans, cela veut dire que le gouvernement aurait dû préparer de nouvelles habitations pour ces gens avant de les expulser brutalement. Maintenant leurs maisons sont détruites, la plupart d’entre eux sont nés là-bas y ont habité pendant plus de 30 ans, ils deviennent des sans-abris… Un des points négatifs caractéristiques du FPR que je critique et sur lequel j’insiste est l’impression que le parti donne de ne pas avoir le temps de réfléchir aux défis du pays. C’est pourquoi le FPR prend les décisions à la hâte et sans réflexion à chaque fois. Ce qu’il faut faire dans l’immédiat, c’est indemniser ces gens selon la loi. Expulser quelqu’un de son habitation, c’est lui compliquer la vie mais cela s’atténue lorsque tu lui donne les moyens de s’installer ailleurs. Maintenant l’Etat a démoli leurs maisons et il sait très bien que ces gens-là n’obtiendront pas d’autres moyens pour se loger. »
Le parti vert démocratique dénonce un manque de planification
Selon Dr. Frank HABINEZA, cofondateur et président du Parti vert démocratique, député au parlement rwandais, les démolitions et expulsions en cours sont mal faites. Il a souligné les conséquences néfastes pour la population mise en situation précaire.
« Je peux dire que nous assistons cette semaine à un phénomène qui n’est pas nouveau au Rwanda. C’est arrivé dans le passé. Vous vous souvenez d’un maire de la ville de Kigali qui s’appelait Théoneste MUTSINDASHYAKA ? Il avait dit qu’il allait démolir les maisons qui sont comme des nids d’oiseaux, ce qui a énervé beaucoup de gens à l’époque… Mais la question majeure est la façon dont les démolitions sont en train d’être faites. Comment peux-tu demander à une personne de quitter sa maison sous 15 jours sans lui indiquer où aller ? On a donné 50 mille francs rwandais aux locataires et aux propriétaires 90 mille francs rwandais pour aller louer ailleurs ! C’est difficile de trouver une maison à louer pour ce montant. De plus, selon ce que dit la population, les autorités n’ont pas respecté cette période de préavis. Ce n’est pas tout le monde qui a pu être relogé dans les écoles ou autres établissements temporaires, Ils sont nombreux à avoir été accueillis par les familles et les amis et d’autres dorment dehors dans le vent et sous la pluie. Ils ont commencé à vivre comme des refugiés, ils sont traumatisés. La ville de Kigali devrait d’abord faire une bonne planification, prévoir les endroits où les gens iront après avoir quitté leurs maisons, ainsi les gens qui ne voudrons pas déménager seraient alors considérés comme récalcitrants. Il fallait faire comme on a fait pour déménager le Parc Industriel. C’est un processus qui a duré 3 ans et tout le monde était satisfait. Ce qui se fait actuellement témoigne d’un manque de planification. Nous avons actuellement un ministère qui doit être scindé en trois parties. Le Ministère des finances et planification économique doit être scindé en 3 ministères distincts notamment les finances, l’économie et la planification. La solution se trouve là et je crois que l’Etat nous écoute en ce moment. »[12]
Un avocat d’origine rwandaise : beaucoup de questions restent sans réponses
Selon la loi rwandaise qui détermine les procédures d’expropriation pour cause d’utilité publique dans son article 3, paragraphes 1 et 2, il est prévu que seul l’État est habilité à ordonner l’expropriation pour cause d’utilité publique et que l’expropriation n’a lieu qu’aux seules fins d’utilité publique et moyennant une juste et préalable indemnisation.
Dans une situation ou les autorités locales fuient les journalistes et que les ordres de démolir et de chasser les anciens occupants des « zones à risque » viennent des hautes instances du gouvernement, beaucoup de questions restent sans réponses :
Si l’objectif est de protéger les gens, pourquoi le gouvernement ne loge-t-il pas ces gens, pourquoi les laisse-t-il sans abri ? Pourquoi détruit-il leurs maisons ?
Comment seront-ils indemnisés alors que leurs propriétés n’existent plus et qu’elles n’ont pas été évaluées avant d’être démolies ?
Pourquoi au lieu de reloger les gens la priorité est la démolition des habitations ?
Personnalité publique rwandaise, Habamenshi a fait le rapprochement de ce qui vient de se passer à Kigali avec la destruction dans les années 1960 d’Africville au Canada et les excuses que le maire d’Halifax a fini par présenter en 2010. Il a souligné que
« ceux qui ignorent l’histoire ne manqueront pas de la répéter. Quand je vois les expulsions des citoyens des quartiers pauvres à Kigali, quand je vois les familles désespérées, la désolation qui suit, l’impuissance de ces familles qui voient leurs vies voler en éclats à coups de marteau et de burin, quand je vois l’indifférence généralisée devenue la marque de fabrique des citoyens de notre capitale à la croissance si rapide et la rationalisation sans vergogne que plusieurs donnent à ces actions inconsidérées, je ne peux que penser à une autre injustice similaire qui a eu lieu en Nouvelle-Écosse, au Canada, dans les années 1960: les expulsions d’Africville, un quartier à prédominance noire d’Halifax. L’événement a été et est toujours qualifié de raciste. Le maire d’Halifax s’est par ailleurs excusé pour les délocalisations brutales et la destruction d’Africville en 2010, près d’un demi-siècle après les événements. »
Le 13 août 2019, le Financial Time titrait Rwanda : même les chiffres sur la pauvreté suivent la ligne de Kagame. Le programme de démolition des habitations dans les zones à risque vient s’ajouter à une longue liste des programmes qui suivent la ligne du président rwandais, peu importe la brutalité ou le coût humain derrière. En 2011 c’est le programme « Bye Bye Nyakatsi », politique de destruction des maisons à toit de paille lancée en 2007, qui avait tourné au désastre humain. Ce programme présente des similitudes avec l’opération de démolition en cours. Les deux mettent en exergue l’effort de l’Etat rwandais pour masquer les signes visibles de la pauvreté au Rwanda, les difficultés à se procurer une maison aux normes pour les classes moyennes inférieures et pauvres rwandaises et enfin la violence de la machine étatique.
Sur les réseaux sociaux, une partie des Rwandais a fait le lien avec le prochain sommet de Commonwealth, le CHOGM 2020, stipulant que les autorités rwandaises veulent offrir à la presse internationale lors de ce sommet l’image d’une ville propre, une capitale aux airs européens, une ville qui aurait réussi à combattre la pauvreté ! Les Rwandais s’interrogent sur l’impact à long terme des personnes dont les habitations ont été détruites et si un jour la ville de Kigali, à l’instar de la ville de Halifax, présentera des excuses.
Dans son message de vœux de fin d’année aux Rwandais, Victoire Ingabire Umuhoza, la présidente du parti politique d’opposition DALFA Umurinzi exhorte les autorités et la population rwandaise à changer leurs mentalités pour mieux embrasser la démocratie participative. Une condition nécessaire, selon elle, pour sortir le pays de la pauvreté et ne plus être classé parmi les pays les plus pauvres du monde.
L’opposante au régime du FPR, connue pour son audace, déplore que le pouvoir de Kigali continue de faire un blocage face aux opposants politiques. En particulier, elle dénonce les assassinats politiques et les disparitions mystérieuses des membres de l’opposition rwandaise ainsi que des injustices institutionnalisées qui ne cessent de ronger la société rwandaise.
La lauréate du prix international de droits de l’homme 2019 décerné par une association des droits de l’homme espagnole considère que les objectifs de la Vision 2020 fixés par le FPR n’ont pas été atteints. Elle attribue cet échec notamment à la fermeture de l’espace politique, au refus de l’alternance démocratique du pouvoir, à l’absence de concertations des composantes de la société rwandaise dans les décisions qui les concernent, à l’attribution exclusive de certains droits et privilèges à des oligarques, ainsi qu’à la faiblesse des institutions. Face à ces défis, l’opposante qui a passé 8 ans en prison pour son activisme en faveur de la démocratie annonce qu’elle ne cédera jamais tant que le Rwanda ne sera pas devenu un État de droit !
Enfin, elle appelle les autorités rwandaises à considérer les opposants politiques comme des partenaires indispensables plutôt que de les étiqueter comme ennemis du pays. Quant aux Rwandais, elle leur demande de se sentir concernés par ce qui se passe dans leur pays, de disposer d’eux-mêmes de leurs droits au nom de la démocratie, de s’engager avec un respect mutuel, sans déchirement ni recours aux armes, dans toutes les affaires sociétales et de faire avancer le pays afin qu’il y ait la liberté et le développement pour tous.
Contribution externe: Article d’opinion soumis pour publication par le Colonel Luc Marchal, Ancien commandant Secteur Kigali/MINUAR
Alors que l’attentat sur l’avion du président Habyarimana, le 6 avril 1994, fut l’étincelle qui mit la région des Grands Lacs à feu et à sang pour de longues années, force est de constater qu’aucune instance internationale (ONU, OUA, voire UE) n’a jugé bon, depuis, de mettre en œuvre les moyens nécessaires afin de pouvoir identifier les commanditaires de cet acte terroriste. Celui-ci est, cependant, à l’origine d’une succession d’événements qui coûtèrent la vie à plusieurs millions de personnes (de 6 à 8 millions selon les estimations). Par comparaison, remarquons qu’un mois et demi à peine après l’attentat de février 2005 qui coûta la vie à l’ex-Premier ministre libanais, Rafic Hariri, ainsi qu’à une vingtaine d’autres personnes, le Conseil de Sécurité de l’ONU décida la mise sur pied d’une commission d’enquête internationale afin de mettre en évidence les responsabilités en la matière. Pour le Rwanda et le Burundi toujours rien. Rappelons que le président Ntaryamira du Burundi, mort également dans l’attentat, était le second président hutu assassiné en l’espace de 6 mois !
Une véritable omerta semble frapper l’attentat du 6 avril 1994. Pareille attitude est d’autant moins justifiable que plus personne ne nie aujourd’hui qu’il fut bien le facteur déclenchant du génocide rwandais, lui-même suivi d’une longue période de guerres, de massacres, de souffrances et de deuil pour les populations du Rwanda et des provinces orientales du Congo.
La Belgique a payé un lourd tribut à la suite de cet attentat. Dix casques bleus belges furent lâchement assassinés, de même que douze de nos compatriotes qui vivaient au Rwanda. Si les circonstances de l’assassinat de nos expatriés ne sont pas vraiment connues, il n’en va pas de même pour nos casques bleus. En effet, si la soldatesque présente au camp Kigali s’est précipitée sur eux pour les lyncher, c’est parce qu’un militaire rwandais, parfaitement identifié depuis 1994, les a désignés comme étant les responsables de la mort du président Habyarimana. L’attentat du 6 avril 1994 est donc bien la cause directe du massacre de nos militaires. Pourtant, notre pays ne s’est jamais singularisé, sur le plan international, par sa volonté d’exiger que toute la clarté soit faite sur les rouages de cet attentat.
Cette absence de volonté de savoir de la communauté internationale n’est que la triste confirmation qu’elle se trouve toujours sous l’emprise d’un système de pensée unique que tentent d’imposer ceux qui n’ont aucun intérêt à ce que la vérité soit connue. Pourtant, au fil des années et telles les pièces d’un puzzle, les témoignages de nombreux acteurs de terrain nous ont permis d’acquérir une vision beaucoup plus pertinente, non seulement concernant l’attentat lui-même, mais également sur les tragiques événements qui le suivirent et qui bouleversèrent fondamentalement cette région d’Afrique centrale.
Un retour à la réalité de ce début avril 1994 permettra de mieux appréhender ce qui se cache réellement en dessous des cartes que certains agitent devant nos yeux depuis tant d’années.
Tout d’abord, quand je me suis retrouvé à la réunion du comité de crise qui s’est tenue à l’état-major des Forces armées rwandaises (FAR), aussitôt après l’attentat, je n’ai pu que constater que j’étais en présence d’hommes profondément bouleversés et désemparés par ce qui venait de se passer et non face à des conspirateurs. Leur démarche n’avait d’autre but que d’évaluer les conséquences de la disparition du chef de l’État et du chef d’état-major de l’armée afin d’éviter que ce vide du pouvoir ne débouche sur l’anarchie. Sans la moindre ambiguïté possible ils ont fait appel à la MINUAR pour les aider à gérer cette crise issue de l’attentat et aussi pour répercuter vers le Conseil de Sécurité l’expression de leur volonté de voir les institutions de transition se mettre en place le plus rapidement possible, conformément aux accords d’Arusha. Si des organisateurs de l’attentat s’étaient trouvés à ce moment-là autour de la table, cette réunion se serait déroulée de manière bien différente et qui plus est, dans pareille éventualité, j’ai de sérieux doutes que le Général Dallaire et moi-même aurions été conviés à y participer.
D’autre part, sur le plan technique, un coup d’état est quelque chose qui répond à des critères généraux. Si l’on veut garantir le succès de l’opération, on ne prend aucun risque. Tous les éléments militaires et paramilitaires sur lesquels les organisateurs peuvent s’appuyer sont d’emblée injectés dans le scénario, de façon à exclure tout risque de surprise et mettre le pays devant un fait accompli. Ce n’est, mais alors pas du tout, la situation qui prévalait à Kigali dans les heures qui ont suivi l’attentat. Nombre de témoins directs ont déclaré que la nuit du 6 au 7 avril 1994 avait été particulièrement calme. Moi-même, j’ai traversé, sans la moindre escorte armée, une partie de la ville vers 2 heures du matin et j’ai pu constater de visu l’absence de tout dispositif militaire ressemblant de près ou de loin à un état de siège. Non, décidément, ce contexte ne correspondait en rien à un coup d’état qu’un noyau d’extrémistes purs et durs aurait organisé.
À ce manque de prise en main du pouvoir, par l’une ou l’autre faction connue pour son opposition au processus de paix ou à la personne du chef de l’Etat, correspond en revanche le démarrage immédiat d’une offensive militaire d’envergure du Front patriotique rwandais (FPR). Cette offensive, en totale contradiction avec les accords de paix d’Arusha, se terminera trois mois plus tard par une conquête sans partage du pouvoir. En tant que militaire, la simultanéité entre l’attentat et le déclenchement de cette offensive militaire m’amène à formuler les considérations suivantes.
Primo, il est impossible de profiter d’une opportunité, telle que la disparition du président Habyarimana et du général Nsabimana (chef d’état-major des FAR), pour improviser une offensive générale mettant en œuvre de nombreuses unités aux missions totalement différentes. Bien au contraire, pareil engagement ne peut qu’être le résultat d’un processus majeur de préparation comportant la conception de la manœuvre sur le plan stratégique, la diffusion des ordres jusqu’aux plus petits échelons et la mise en place de milliers d’hommes, dans les positions de départ, prêts à réagir à l’ordre d’exécution. Tout cela ne s’organise pas au claquement de doigts, mais exige au contraire des délais importants et incompressibles. Il ne faut pas être un grand stratège pour comprendre ce genre de contrainte, c’est une question de bon sens élémentaire.
Deuxième considération. Le FPR n’aurait pas été en mesure d’assurer le punch et la continuité de son offensive sans la constitution préalable de stocks importants de munitions, d’armements, d’équipements et de matériels divers. Bref, une logistique à l’échelle des moyens humains mis en œuvre durant plus de trois mois d’opérations. Il n’y a aucun miracle en la matière, pas d’opérations militaires sans logistique adaptée. Or, c’est exactement la crainte que le général Nsabimana m’avait exprimée quelques jours plus tôt. Au cours d’une entrevue, le 30 mars exactement, soit sept jours à peine avant l’attentat. Il me confiait son intime conviction que le FPR allait reprendre la guerre dans les jours suivants. Il fondait, précisément, cette conviction sur les stocks logistiques importants constitués depuis des semaines par le FPR le long de la frontière en Ouganda. À ma réplique que le FPR ne pouvait se permettre pareille aventure sous le regard direct de la communauté internationale, il me répondit mot pour mot ceci : « le FPR n’a que faire de telles considérations ; l’erreur que vous (Minuar) commettez est de lui prêter le même raisonnement que le vôtre, mais la réalité est bien différente ; le FPR est un mouvement révolutionnaire et c’est en tant que tel qu’il raisonne et définit ses propres objectifs ; contre des révolutionnaires, conclut-il, si vous n’adoptez pas les mêmes méthodes vous serez toujours perdants. ». Point n’est besoin, je crois, d’expliquer que cette conversation m’interpella au plus au point, non seulement au moment même, mais surtout des semaines plus tard quand je me suis remémoré ces paroles et que je les ai confrontées à la réalité des événements.
Troisième considération sur les conditions de cette offensive militaire et plus particulièrement sur ses objectifs avoués ou inavoués. Lorsque le FPR reprit les hostilités à Kigali, le 7 avril 1994 vers 16h30, il justifia sa décision unilatérale par la nécessité de mettre un terme aux massacres des Tutsis. Or, le 12 avril, soit au 5mejour de son offensive générale, il avait déjà infiltré, à ma connaissance, trois bataillons supplémentaires à Kigali. Je dis « à ma connaissance » car il s’agit d’une constatation personnelle. Cela n’exclut nullement, comme d’aucuns l’affirment, que le FPR disposait de beaucoup plus de combattants à Kigali. Quoi qu’il en soit, avec ces trois bataillons infiltrés et celui qui se trouvait déjà sur place, le Front possède une force capable d’agir contre les massacres qui prennent de plus en plus d’ampleur dans la capitale. Qui plus est, ce même 12 avril, dix officiers supérieurs des FAR signent un manifeste que l’on peut qualifier, dans les circonstances du moment, de très courageux. Dans ce document, ils font un appel direct et solennel au FPR en vue de conclure un cessez-le-feu immédiat et de conjuguer leurs efforts pour « éviter de continuer à verser inutilement le sang des innocents ». Cet appel ne suscita de sa part aucun écho, avec pour conséquence directe l’amplification des tueries. À aucun moment je n’ai pu constater que, d’une manière ou d’une autre, le FPR tentait de s’opposer aux massacres des Tutsis à Kigali. Pourtant les forces dont il disposait sur place étaient parfaitement en mesure de sécuriser certains quartiers situés à proximité des zones qu’il contrôlait militairement et créer ainsi des zones refuge. De toute évidence le sort réservé à ces lointains parents de l’intérieur ne faisait pas partie de leurs priorités. Qui plus est, la pugnacité avec laquelle ces mêmes autorités du FPR ont exigé le départ des troupes étrangères venues évacuer les expatriés, plutôt que de requérir leur collaboration pour stopper net le carnage, est éminemment suspecte ; comme si le FPR craignait de se voir contrer, par la communauté internationale, dans ses plans de conquête du pouvoir par les armes. C’est ce qui fait dire au général Dallaire dans les conclusions de son livre « J’ai serré la main du diable » : Mais les morts rwandais peuvent aussi être attribués à Paul Kagame, ce génie militaire qui n’a pas accéléré sa campagne quand l’envergure du génocide fut manifeste et qui, en quelques occasions, m’a même entretenu avec candeur du prix que ses camarades tutsis auraient peut-être à payer pour la cause.
Non seulement à aucun moment le FPR n’a sollicité l’appui de la MINUAR pour juguler le chaos qui s’installait, mais au contraire il l’alimenta. Le 10 avril, il lança un ultimatum à la MINUAR, lui signifiant que si le bataillon ghanéen déployé dans la zone démilitarisée n’avait pas quitté ses positions dans le 24 heures, il serait pris sous ses tirs d’artillerie. Dieu sait si un cessez-le-feu aurait permis de mettre un terme au martyre de la population. Je ne peux que témoigner que toutes les demandes de cessez-le-feu exprimées par le général Dallaire ou par les FAR essuyèrent une fin de non recevoir du FPR. Ceci n’est pas une interprétation tendancieuse de la réalité, c’est un fait. Le général Nsabimana ne s’était pas trompé : le FPR menait sa guerre conformément à ses seuls objectifs, sans se soucier le moins du monde du sort des populations locales ou de l’opinion de la communauté internationale.
J’aurais encore bien d’autres considérations à formuler sur l’aspect militaire de ces événements. Je pense cependant que la relation de ce qui précède est suffisamment explicite pour réaliser que la version des faits que certains voudraient faire admettre comme vérité historique est pour le moins sujette à caution. La communauté internationale qui, il est vrai, a fait preuve d’une immense lâcheté au moment du génocide n’a aucune raison de continuer à se laisser intoxiquer par le discours de celui qui prétend, urbi et orbi, avoir mis un terme au génocide, alors que tout laisse penser qu’il en est le principal artisan. Il est inadmissible que la justice internationale refuse de s’investir dans la poursuite de tous ceux qui sont responsables de l’holocauste (6 à 8 millions de personnes) perpétré, depuis 1994, dans la région des Grands Lacs. Ce faisant, cette justice internationale renonce sans grandeur au défi historique qui était le sien.
Si la réalité des choses avait été conforme à la version officielle qui nous est présentée, il y a tout lieu de penser que, malgré la dimension hors normes des événements qui secouent cette partie de l’Afrique depuis tant d’années, la situation se serait malgré tout stabilisée au fil du temps. Force est de constater que c’est loin d’être le cas. Alors, plutôt que d’entretenir cette incertitude inique, ne serait-il pas plus responsable de tenter de répondre concrètement aux nombreuses interrogations qui persistent ? Imaginons seulement la hauteur d’un tas de 6 à 8 millions de cadavres. Ne serait-il pas temps de rendre enfin justice à ces millions de victimes de la soif de pouvoir de certains et de l’indifférence coupable de beaucoup d’autres ? Ne serait-il pas temps que ceux qui ont délibérément précipité l’Afrique des Grands Lacs et ses populations dans le chaos (et aussi ceux qui les y maintiennent) répondent enfin de leurs actes vis-à-vis de leurs victimes, mais aussi vis-à-vis de l’Histoire ?
Contribution externe: Article d’opinion soumis pour publication par le Colonel Luc Marchal, Ancien commandant Secteur Kigali/MINUAR
En tentant de raconter l’héroïsme de quelques Hutu, un documentaire français fini par diaboliser « l’immense majorité ».
Ce mardi 14 janvier 2020 à Liège avait lieu une projection du documentaire « Les Justes du Rwanda », un film imaginé, écrit, réalisé et produit par Luc Lagun-Bouchet fin 2018[1].
Le documentaire, d’une cinquantaine de minutes, immortalise l’histoire de trois Hutu qui ont caché des Tutsi pendant le génocide, les sauvant ainsi d’une mort certaine.
Le film est très bien fait. Il est sobre, fluide et captivant du début à la fin. Ce sont les « sauvés » et les « sauveurs » qui racontent, avec humilité, lucidité et pudeur.
« Les Justes »
Il y a trois histoires de « Justes », tous des Hutu. Celles de Damas à Kigali[2], de Joséphine à Kibuye[3] et de Frodouard[4] à Gitarama. Tour à tour, ils nous racontent ce qu’ils ont fait et comment ils l’ont fait. Quant au « pourquoi ils l’ont fait », ils ne disent pas grand-chose. Ils restent humbles et font seulement comprendre que c’était probablement dans leur nature.
Pie qui a survécu grâce à Damas, caché pendant 100 jours dans une toilette. Thomas et Pierre qui ont été recueillis par Joséphine dans sa propre maison et enfin, Antoinette qui doit la vie à Frodouard, tout simplement cachée dans un trou creusé par son sauveur au milieu des champs.
Plus qu’un film, ce sont trois magnifiques témoignages qui apportent un peu de vie et d’espoir à ce printemps maudit de 1994.
Il y a malheureusement deux bémols à ce documentaire, deux éléments que nous avons trouvés fortement dérangeants.
La stigmatisation
D’abord, il y a cette inexplicable détermination du réalisateur à vouloir diaboliser les Hutu dans leur ensemble. Depuis la fiche de présentation, jusqu’au débat qui a suivi la projection, le réalisateur persiste et signe : il s’agit bien de « l’immense majorité des Hutu qui a participé aux tueries » !
Pourtant, sur les 6.000.000 de Hutu vivant au Rwanda en 1994, comment aurait-il été possible que « l’immense majorité » puisse participer aux massacres ? Il s’agirait de plus de 5.000.000 d’individus, si l’on prend un taux entre 80 et 90% pour quantifier l’expression « immense majorité ».
Malgré ce rapide calcul, le réalisateur n’en démord pas et continue de soutenir que cette proportion de tueurs est correcte, soit en moyenne 5 assassins pour 1 victime…
Plus grave encore, c’est de suggérer que « toute une ethnie » composée de millions de personnes, à l’exception que quelques-uns, serait coupable collectivement, alors que dans les faits, le nombre de 200.000 à 300.000 tueurs, déjà très effrayant, semble être le plus sérieux[5]. C’est à peine 7% de la population totale des Hutu, bien loin de l’ordre de grandeur que représente l’expression « immense majorité ».
La propagande
Ensuite, le deuxième point qui dérange, ce sont les quelques contre-vérités historiques disséminées un peu partout dans le documentaire.
Il y a par exemple cette traduction trompeuse du mot « Inkotanyi » par « Tutsi » au tout début.
Le film s’ouvre sur un extrait sonore de la RTLM, dans lequel l’animateur de cette tristement célèbre radio, chante « les INKOTANYI ont été exterminés » en kinyarwanda, mais le film traduit ces mots par « les TUTSI ont été exterminés ».
Pourtant, toute personne qui s’intéresse à l’histoire du Rwanda sait que le mot « Inkotanyi » est le nom de guerre que s’étaient donné les rebelles du Front Patriotique Rwandais (FPR) dès les débuts de leur attaque en octobre 1990. D’ailleurs, encore aujourd’hui, le nom complet du FPR est officiellement « FPR-Inkotanyi », sans aucune référence explicite aux Tutsi.
Plus loin, vers le milieu du documentaire, il y a toute une explication selon laquelle ce sont les colons belges qui auraient « inventé » les ethnies au Rwanda afin de mieux asseoir leur pouvoir. Un point de vue discutable, puisque les ethnies faisaient déjà partie du paysage socio-politique rwandais depuis des siècles.
Enfin, l’élément le plus surprenant fut la présence d’une subtile propagande tout au long du film en faveur du Front Patriotique Rwandais (FPR), le parti au pouvoir depuis 25 ans. Le FPR y est décrit comme un mouvement politique salutaire pour tous les Rwandais et auquel rien ne peut être reproché, alors que ses crimes commis avant, pendant et après le génocide contre les Tutsi au Rwanda en 1994 sont suffisamment documentés par quasiment tous les organismes de défense des droits de l’Homme (Human Rights Watch, Amnesty International, UN OHCR, etc…).
Des héros malgré tout
Sans cette touche politique qui donne un caractère courtisan, pour ne pas dire partisan au film, ce documentaire aurait pu se distinguer des autres, pour avoir choisi de raconter une histoire bien éloignée du monde politique. Mis à part ces deux bémols, le documentaire est à voir.
Nous vous le recommandons et entre temps, nous espérons que le réalisateur reviendra à la raison vis-à-vis de son acharnement envers « l’immense majorité » des Hutu.
Ce qui compte, c’est que les histoires de Damas, Joséphine et Frodouard soient connues car à notre avis, ce sont plus que des « justes », ce sont des héros.
Le parlement ougandais a demandé ce mardi 21 janvier à son gouvernement de prendre les mesures qui s’imposent face à la mort de citoyens ougandais victimes de tirs à balles réelles des forces de sécurité rwandaises dans la zone frontalière entre les deux pays. La réaction du Rwanda ne s’est pas fait attendre : selon le ministre rwandais des Affaires étrangères Vincent Biruta, les citoyens ougandais se font tuer parce qu’ils enfreignent la loi. Le ministre a également donné des conseils aux autorités ougandaises quant à ce qu’elles devraient faire.
Ce samedi 18 janvier Teojen Ndagijimana, un Ougandais de 25 ans, et ses deux cousins rwandais Eric Bizimana et Emmanuel Mbabazi, ont été abattus par les forces de l’ordre rwandaises alors qu’ils revenaient d’Ouganda où les deux Rwandais avaient rendu visite à leur famille ougandaise. La police rwandaise a expliqué avoir pris les trois hommes pour des contrebandiers. L’incident a eu lieu au centre commercial de Kumugu situé à 3 kilomètres de la frontière dans le district de Musanze, province Nord du Rwanda. Les trois hommes sont morts sur le coup.
Pour les deux Rwandais, sans surprise, la vie a continué sans qu’aucune enquête ne soit demandée, ni des excuses présentées à la famille des victimes. Du côté de l’Ouganda, le parlement du pays a tapé du poing sur la table en demandant au gouvernement ougandais de prendre les mesures qui s’imposent. Ndagizimana est en effet le quatrième Ougandais à être abattu par des agents rwandais depuis que le Rwanda a fermé ses frontières avec le Rwanda en février 2019, soit en moins d’un an.
Kadaga a conclu en convoquant le ministre ougandais des Affaires étrangères Sam Kahamba Kutesa devant le parlement le mardi 28 janvier 2020 pour « informer les Ougandais sur l’état à date des relations entre les deux pays ».
Le Rwanda a réagi par la voie de son ministre des Affaires étrangères, qui s’est adressé au journal Umuseke et a justifié les tirs des forces de sécurité rwandaises. Il a également conseillé à la présidente du parlement ougandais de demander à son gouvernement d’agir pour que les Ougandais évitent les marchandises de contrebande (qui ne passent pas par les frontières officielles), arrêtent de fabriquer et de vendre de la drogue, passent par les chemins officiels lorsqu’ils se rendent à l’étranger (au Rwanda ou ailleurs), et ne s’opposent aux forces de sécurité rwandaises. Pour lui, les Ougandais qui se sont fait tirer dessus ont enfreint les quatre mesures à la fois.
Le départ du président Pierre Nkurunziza, la désignation du généralÉvariste Ndayishimiye comme candidat du parti au pouvoir pour l’élection présidentielle, les relations avec son voisin le Rwanda, la tentative de putsch de 2015, … ce sont des questions auxquelles le nouvel ambassadeur du Burundi en Belgique et auprès de l’Union européenne, monsieur Thérence Ntahiraja, a répondu lors d’une interview qu’il a accordée à Jambonews ; à quatre mois des élections présidentielles et législatives au Burundi.
Le 20 mai prochain, le Burundi va connaitre un triple scrutin : présidentiel, législatif et local. Après la crise politique de 2015 suite à la décision du président Pierre Nkurunziza de se représenter pour un nouveau mandat, ces élections entièrement financées par le peuple burundais, vont marquer un tournant majeur dans le pays, surtout que le président Pierre Nkurunziza ne se représentera pas. C’est dans ce cadre que Jambonews a interviewé l’ambassadeur du Burundi en Belgique, pour en savoir plus sur l’avancement des préparatifs, et pour aborder d’autres sujets sensibles, notamment les relations tendues avec le Rwanda, la problématique des refugiés, la crise de 2015 et le projet de construction du chemin de fer.
L’ambassadeur Ntahiraja affirme que le Burundi est aujourd’hui stable, et que la paix et la sécurité sont garanties sur toute l’étendue du territoire. Il souligne aussi que parmi les 400000 personnes qui avaient fui le pays pendant la crise de 2015, plus de 226000 ont déjà regagné leurs collines et que d’autres continuent de rentrer. L’ambassadeur Ntahiraja attire l’attention de la communauté internationale sur la complexe question des refugiées Burundais qui date de plusieurs années. En effet, le Burundi a traversé plusieurs périodes malheureuses entre autres l’assassinat en 1961 du héros de l’indépendance, le prince Louis Rwagasore, et en 1972 le génocide commis contre les Hutu burundais dont les centaines de millier de victimes sont actuellement exhumées sous la coordination de la Commission Vérité et Réconciliation (CVR).
L’ambassadeur burundais tient à souligner que les forces de défense de son pays, assurent la sécurité non seulement au Burundi, mais également participent à des missions de maintien de la paix à l’étranger notamment en Somalie, en Centrafrique, en Côte-d’Ivoire et en Haïti.
Si certains pays occidentaux continuent de s’acharner sur le Burundi, pour diaboliser le pays, cela tiendrait à deux raisons selon lui: « Le Burundi a refusé qu’il y ait des bases militaires étrangères dans le pays« . Deuxièmement, « Le Burundi a changé son code minier, depuis que le CNDD-FDD est arrivé au pouvoir, le code minier a été modifié, les redevances du gouvernement ont été revue à la hausse« .
Quant aux relations entre le Burundi et les pays de la sous-région, l’ambassadeur Ntahiraja souligne que « le Burundi entretient de très bonnes relations avec tous les pays de la région, excepté le Rwanda ». Cependant, Bujumbura a préféré régler les différends qui l’opposent à Kigali de manière pacifique, c’est pourquoi une plainte contre le Rwanda a été déposée auprès de la CIRGL (Conférence internationale sur la région des grands lacs), de l’UA (Union Africaine) et des Nations Unies. Il prévient néanmoins que « si la communauté internationale ne réagit pas, et que les provocations du Rwanda continuent, le Burundi se réserve le droit d’exercer sa légitime défense ». Parmi les provocations du Rwanda, l’ambassadeur du Burundi revient entre autre sur l’attaque en novembre 2019, d’une position militaire burundaise située dans la commune de Mabayi, au nord-ouest du Burundi près de la frontière avec le Rwanda, une attaque qu’il attribue au Rwanda.
Pour répondre aux inquiétudes de ceux qui pensent que le Rwanda pourrait tenter de perturber le rendez-vous électoral, Monsieur Ntahiraja affirme que les forces de défense burundaises sont prêtes à tout mettre en œuvre pour que les scrutins de mai 2020 se déroulent dans la paix et la sécurité.
Le 26 janvier 2020, lors d’un congrès extraordinaire à Gitega, le parti au pouvoir, le Conseil National pour la Défense de la Démocratie-Forces de Défense de la Démocratie (CNDD-FDD) a désigné le général Evariste Ndayishimiye pour porter ses couleurs à la présidentielle du 20 mai ; interrogé là-dessus, l’ambassadeur Ntahiraja a soutenu que cette désignation est « un acte fort de la démocratie » et a rassuré ceux qui pensent qu’il n’y aura pas de changement car M. Ndayishimiye est un proche de Pierre Nkurunziza. « Tous les membres de CNDD-FDD sont proches. Pour qu’un parti politique soit fort, il faut que ses membres soient unis du plus grand au plus petit, du plus petit au plus grand » a-t-il souligné.
L’ambassadeur Ntahiraja appelle la diaspora burundaise de Belgique à travailler ensemble et rester unie quelle que soit leur appartenance politique, éthique ou religieuse pour soutenir le Burundi non seulement dans les prochaines élections mais aussi dans la mise en application du plan national de développement.
Être convoqué par l’organe étatique d’investigation et répondre à la convocation ne devrait pas être un problème ; ça ne le devient que lorsque cet organe recourt au harcèlement, à l’intimidation, à la concoction d’accusations, à la torture, à la détention illégale, sans oublier l’assassinat des citoyens qu’il est censé protéger. Tous ces actes illégaux continuent de ternir la réputation du Rwanda Investigation Bureau (RIB).
Mis en place depuis près de 3 ans, officiellement comme organisme officiel chargé de l’application de la loi, le RIB est vite devenu synonyme de terreur dans le cœur des Rwandais. Il a été à plusieurs reprises auteur de nombreux cas de kidnapping, de torture, de détention illégale, de disparition forcée, d’assassinats et d’enquête sans conclusions. L’agence est également connue pour son inaction face aux récurrents cas de fusillades et autres violations de droits humains régulièrement commises par les membres de la police rwandaise. En moins de trois ans, le RIB a réussi à s’imposer en véritable outil du contrôle total de tout un peuple.
Au moment où l’on constate que les opposants au régime du FPR continuent d’être assassinés, emprisonnés ou contraints à l’exil, la dictature militaire dirigée d’une main de fer par le général Paul Kagame est en train d’utiliser le RIB pour intimider et réduire au silence trois des rares dernières voix des sans-voix qui restent au Rwanda.
Victoire Ingabire, la présidente du parti d’opposition Dalfa-Umurinzi emprisonnée pendant huit ans, entre 2010 et 2018, reçoit très régulièrement des convocations du RIB auxquelles elle n’a d’autre choix que de répondre. Elle a récemment dénoncé la torture mentale qui lui est infligée à chaque fois qu’elle répond à ces convocations. Obligée de se présenter au RIB dès le matin, elle est ensuite confinée plusieurs heures seule dans une pièce, sans rien à boire ni à manger, pour enfin être interrogée pendant 30 minutes en fin de journée seulement. « Pourquoi avez-vous créé un nouveau parti politique ? » ; « Nous t’interdisons de tenir des réunions », sont les sujets qui reviennent régulièrement au cours de ces interrogatoires.
Malgré ces intimidations, elle a promis au peuple rwandais de ne pas céder aux provocations et au harcèlement. Pour elle, « la lutte non violente pour le changement et la démocratie demande des sacrifices et de rester courageux ».
Dans son discours d’indignation Barafinda interroge : «Vous dites que le Rwanda a des ennemis, mais pourquoi les Rwandais fuient-ils le pays alors qu’il n’y a pas de guerre ? Pouvez-vous nous dire où sont allés les gens qui habitaient les quartiers de Rusororo, Muhima, Kiyovu et autres ? Pouvez-vous nous dire où sont allés ces gens qui ont été récemment expulsés de leurs habitations sous prétexte de les protéger contre les inondations ? Qui connait réellement leur sort, qui s’en soucie ? Personne ! Allez voir en Ouganda, il y a actuellement des nouveaux réfugiés rwandais qui se sont enfuis très récemment ! Quelle est la cause de leur fuite ? Il ne faut pas maltraiter l’être humain. Vous me voyez parler seul mais je représente beaucoup de victimes. Malgré des tortures qu’ils m’ont fait subir je reste toujours debout. Vous savez, ils m’ont enlevé et détenu plus de cinq fois ! Ils me menottaient les bras et les pieds puis me plaçaient dans un cercueil, c’est une torture inimaginable.»
Le 12 février 2020, le RIB annonçait l’avoir interné à l’asile psychiatrique Caraes de Ndera.
Me Bernard Ntaganda, lui aussi président d’un parti d’opposition, le Parti socialiste Imberakuri, serait la dernière victime du RIB après avoir récemment effectué un comeback politique en s’associant avec Victoire Ingabire pour une activité qui consistait à rendre visite aux personnes dont les maisons ont été détruites afin de leur apporter soutien moral et aide matérielle, une activité notamment entravée par la police rwandaise. Ntaganda a lui aussi été convoqué par le RIB le matin du 12 février à 10h. Alors qu’il s’est présenté à l’heure indiquée, son entretien a été retardé puis ajourné au 26 février.
Ces persécutions contre des rares voix qui s’expriment au Rwanda restreignent, jour après jour davantage, une liberté d’expression déjà réduite depuis plusieurs années à peau de chagrin par l’un des régimes les plus répressifs du globe.
Ce vendredi 14 février 2020, la très crainte police judiciaire (Rwanda Investigation Bureau – RIB) a confirmé l’arrestation du chanteur chrétien Kizito Mihigo pour avoir tenté « de traverser illégalement la frontière en vue de se joindre à des forces terroristes qui combattent le pays ainsi que pour corruption » a-t-elle annoncé sur son compte twitter. Sur les réseaux sociaux, l’incompréhension côtoie l’indignation face à la nouvelle.
C’est au cours de la matinée du 13 février 2020 que des informations faisant état de l’arrestation de Kizito Mihigo à quelques pas de la frontière burundaise ont inondé les réseaux sociaux. Selon plusieurs médias locaux, le chanteur, bagages sur les épaules aurait été intercepté par des paysans à proximité de la frontière burundaise. Il leur aurait ensuite proposé une enveloppe contenant 300 000 francs rwandais (290 euros) afin de l’aider à traverser la frontière ; une offre que les paysans auraient refusé avant d’appeler les forces de sécurité qui ont procédé à son arrestation.
En avril 2014, le chanteur, icone de l’unité et la réconciliation au Rwanda avait été porté disparu, quelques semaines seulement après avoir sorti une chanson dans laquelle il appelait à honorer la mémoire de toutes les victimes de la tragédie rwandaise « Le génocide m’a rendu orphelin. Mais cela ne m’empêche pas d’avoir de la compassion pour d’autres personnes qui ont été victimes des violences qui n’ont pas été appelées « génocide »… Ces frères-là, ce sont aussi des êtres humains, je prie pour eux…ils ont toute ma compassion…je les porte dans mes pensées … (…) il n’existe aucune bonne mort, que cela soit une mort causée par le génocide, la guerre, ou causée par ceux qui commettent des crimes des vengeances »» entonnait il notamment dans deux des refrains.
Deux semaines après sa disparition, et sous pression de la presse locale et internationale la police avouait finalement le détenir et le chanteur avait été paradé, menottes aux mains et entouré de plusieurs policiers, devant la presse.
Durant la courte conférence de presse qui s’en était suivie, l’artiste avait avoué les crimes qui lui étaient reprochés en reconnaissant avoir eu des échanges par internet avec Calixte Sankara, orphelin du génocide des tutsis tout comme Kizito Mihigo, devenu depuis opposant et dans lesquels il tenait des propos très critiques à l’encontre du régime dirigé d’une main de fer par le Général Paul Kagame.
Le 27 février 2015, le chanteur est condamné par la Haute Cour de Kigali à 10 ans d’emprisonnement pour conspiration contre le gouvernement après avoir plaidé coupable. Il fait appel de cette décision auprès de la Cour suprême mais se désiste peu de temps avant la tenue du procès en appel.
Le 14 septembre 2018, le Ministère de la Justice rwandais annonce la libération de 2140 condamnés parmi lesquels l’opposante politique Victoire Ingabire Umuhoza ainsi que le chanteur chrétien Kizito Mihigo, à la suite d’une grâce présidentielle accordée par le Général Kagame. Kizito Mihigo sort de prison après quatre années et demi d’incarcération et retrouve une liberté en demi-teinte.
En effet, à l’instar de l’opposante rwandaise, sa libération est assortie de conditions telles que l’interdiction de quitter le territoire sans autorisation, ou encore l’obligation de se présenter chaque mois au parquet et cela durant toute la période d’incarcération qui leur restait.
Moins de deux années plus tard, le chanteur est donc à nouveau arrêté, accusé d’avoir violé les termes de sa libération en « traversant illégalement la frontière » ainsi que pour corruption.
Des accusations qui font jaser sur les réseaux sociaux, Philibert Muzima, un citoyen canadien d’origine rwandaise commente ainsi sur Facebook « Ces deux accusations n’ont aucun fondement. Il n’a jamais traversé la frontière. Il a été dit qu’il a été arrêté à 10 minutes de la frontière. Autre chose, il a été arrêté dans sa région de naissance. Cela voudrait-il dire que chaque citoyen qui apparaitrait chez lui près de la frontière pourrait être emprisonné pour avoir « voulu » traverser la frontière ? » c’est un non sens et un procès d’intention. Par ailleurs, le crime de corruption est impossible en l’espèce dans la mesure ou la personne qu’il aurait voulu corrompre n’était pas en position d’autorité. Il est impossible pour un citoyen ordinaire de donner un pot de vin à un autre citoyen ordinaire. Les pots de vins, concernent des dirigeants en position d’autorité. Que le RIB le relâche, il a assez souffert. »
Pour Claude Gatebuke, citoyen américain d’origine rwandaise, l’arrestation de Kizito Mihigo n’est ni plus ni moins qu’une preuve de plus que le Rwanda est une «prison à ciel ouvert».
Le RIB a en tout cas annoncé qu’une enquête avait été ouverte concernant les crimes dont le célèbre chanteur est « soupçonné » afin de soumettre son dossier au parquet.
Si le chanteur chrétien est reconnu coupable, il risquerait de devoir purger le reste de la peine qu’il lui restait à purger au moment de sa libération et pourrait donc théoriquement ne pas être libéré avant l’année 2025.
Contribution externe: Article d’opinion soumis pour publication par Protais RUGARAVU
Avec un cœur brisé, je rends hommage au regretté Kizito Mihigo, symbole de la paix et de la réconciliation, icone indescriptible dans la mémoire de tout un peuple.
Je dédie mon humble poème à tout le peuple rwandais et à tous ceux et celles qui luttent inlassablement pour la Paix, l’Unité et la Réconciliation.
Oh Colombe, peux-tu nous rendre un service ?
Oh Colombe, toi le messager de la paix Toi qui roucoules l’unité Toi que Kizito avait chantée Pourquoi tardes-tu de sillonner Le ciel poudroyant de nos ancêtres Là où la réconciliation est stérile Hâte-toi messager de Dieu !
Oh Colombe, Le ciel est gris, tout le monde est en deuil ! Envoie ce message A ceux qui profitent du système, A ceux qui ôtent la vie des nôtres, D’enterrer la hache de la mort !
Tu diras à notre bourreau De gommer ses lignes rouges Et de redessiner ensemble Les lignes de notre patrie Sans discrimination aucune.
Pour toutes ces personnes Qui croupissent dans les prisons Sous une peine fabriquée, Techniquement élaborée Et officiellement promulguée, Tu porteras la paix.
Tu diras à mon Pays de libérer ses enfants De l’emprise du plus fort, Tu chanteras la paix aux familles endeuillées, Tu diras à Pilate Pas celui de jadis, De libérer les innocents.
Mana y’i Rwanda, Dieu infiniment bon, Le sang des martyrs a consolidé ton Eglise, Fais que le sang de ton enfant Kizito Mihigo, Ravive les cœurs brisés, fortifie nos familles endeuillées, Que sa mort nous unisse davantage Comme il nous a unis de son vivant.
« Amen, amen, je vous le dis : si le grain de blé Tombé en terre ne meurt pas, il reste seul ; mais s’il meurt Il donne beaucoup de fruit. »
(Jean 12,24)
Repose en paix notre cher Kizito ! Ton souvenir restera toujours gravé dans nos mémoires.
Contribution externe: Article d’opinion soumis pour publication par Protais RUGARAVU
Alors que jusqu’à présent aucun officiel rwandais n’a rendu hommage au Chanteur chrétien Kizito Mihigo, l’onde de choc provoquée par la nouvelle de son décès continue à traverser les frontières. Ainsi, plusieurs médias du monde entier ont rendu un hommage appuyé à l’icone de la réconciliation rwandaise. Jambonews fait un tour d’horizons des principaux titres de la presse internationale.
Pour le journal italien Il Manifesto « la réconciliation au Rwanda perd son icone ».
En Equateur, c’est la foi catholique de l’« icône culturelle majeure du pays et survivant du génocide » et ses chants « promouvant la guérison et le pardon » qui sont mis en avant par le média El Comercio qui diffuse une vidéo de la chanson « inuma ».
Même son de cloche en Slovaquie ou Teraz souligne la foi catholique et les chansons promouvant le pardon de Kizito Mihigo.
France24 qualifie Kizito Mihigo d’«apôtre de la réconciliation rwandaise » tout en émettant des doutes sur la thèse officielle du suicide. Tandis que sur Europe 1, le journaliste Vincent Hervouët va plus loin en concluant sa chronique sur ces propos sans appel « Il a cru à la paix, il l’a chanté, ça l’a tué.(…) Qu’il se soit suicidé ou qu’il ait été assassiné, le régime l’a tué.»
En Belgique, c’est la célébrité du chanteur que met en avant RTL TVI qui souligne que Kizito Mihigo s’est attiré les foudres du gouvernement « après avoir composé des chansons qui remettaient en question le contrôle strict du gouvernement sur l’héritage de la tragédie de 1994 » tandis que la VRT évoque « la mort mystérieuse de Kizito Mihigo ».
Pour Jeune Afrique, la mort de Kizito Mihigo signifie “la fin tragique d’une icône de la réconciliation tombée en disgrâce.»
« Accusé de terrorisme pour avoir chanté la liberté”
Connection Ivoirienne se fait pour sa part le relais d’Amnesty international en appelant à une « enquête efficace » concernant « la mort choquante de Kizito Mihigo, chanteur de gospel ».
Au Sénégal, c’est le « militantisme » de Kizito Mihigo et ses « critiques » envers le gouvernement qui sont mis en avant par Senego.
Benin 24 retient avant tout la “personnalité importante [de Kizito Mihigo] avec beaucoup de réseaux.”
En Suisse, Lematin rappelle quelques autres décès suspects de personnalités rwandaises et conclut en soulignant le caractère répressif du régime de Paul Kagame.
Au Canada, lapresse, pointe le caractère inique des accusations qui ont été portées contre Kizito Mihigo “accusé de terrorisme pour avoir chanté la liberté”
RFI souligne pour sa part l’émotion et les interrogations qui entourent le décès du chanteur tandis que Le Monde conclut son article en relayant les accusations de Human Rights Watch contre le gouvernement rwandais, « accusé d’exécutions sommaires, d’arrestations, de détentions illégales et de tortures en détention. »
Maliactu fait également référence à Human Rights Watch en estimant que “la mort suspecte de la star de la musique Kizito Mihigo va certainement donner raison à Human Rights Watch » qui accuse régulièrement Kigali de violations graves et répétées des droits de l’Homme.
Au Kenya, Kahawatunguremet en cause la version officielle du décès de Kizito Mihigo en citant de nombreux militants des droits de l’Homme qui suspectent « une mise en scène. »
En Ouganda, le journal PML Daily endosse la version officielle en titrant qu’un « éminent artiste s’est suicidé en prison », tandis que Softpower prend le contrepied de cette affirmation en titrant que Kizito Mihigo a été tué dans sa cellule.
« Trop souvent des affaires sensibles au Rwanda se terminent par des décès suspects ou des disparitions»
Au Zimbabwe, Zimeye souligne le travail de Kizito Mihigo en faveur de la réconciliation ainsi que ses chansons religieuses. Parmi les centaines de compositions du chanteur, le journal cite Inuma et Igisobanuro cy’urupfu.
En Afrique du Sud, c’est le prestige qu’a eu autrefois Kizito Mihigo au Rwanda que Eyewitness rappelle « Kizito Mihigo a chanté l’hymne nationale à différentes cérémonies officielles, en ce comprises certaines auxquelles participaient Paul kagame» écrit notamment le journal.
En Allemagne, la Deutsche Well émet des doutes sur la thèse du suicide qu’aurait commis celui que le média présente comme «une véritable icône culturelle dont les œuvres font la promotion du pardon.» Même son de cloche du côté de Der Spiegel qui évoque son scepticisme à l’égard de la thèse du suicide de « l’un des opposants les plus connus du Rwanda».
Le Scepticisme revient également auprès du journal catholique Cruxnow qui présente Kizito Mihigo comme « la plus grande icône culturelle du Rwanda et un fervent catholique. »
Au Royaume Uni The Guardian émet également des doutes sur la thèse officielle du suicide « dans un pays ou le gouvernement est fréquemment accusé de viser ceux perçus comme des critiques », des doutes que partage The Independent qui reprend cette citation de Human Rights Watch « trop souvent des affaires sensibles au Rwanda se terminent par des décès suspects ou des disparitions ».
Au Burkina Faso, c’est un billet d’humeur sur le ton de la colère que consacre Lepays à Kizito Mihigo en évoquant de sérieux doutes sur l’enquête à venir « comme on le sait, les enquêtes, dans un pays de dictature comme le Rwanda, n’engagent que ceux qui y croient ; tant le plus souvent elles ne débouchent que sur de la poudre aux yeux» écrit notamment le journal.
La colère est également le ton qui ressort au Danemark, le média Nyheder, allant jusqu’à reprendre ce tweet de Théophile Mpozembizi, un militant rwandais des droits de l’Homme qui n’y va pas par le dos de la cuillère « Pensez-vous que les gens sont tellement stupides au point de ne pas se rendre compte que vous, experts en tueries et activités maléfiques, êtes ceux qui ont tué #KizitoMihigo? La façon dont vous l’avez planifié à partir de votre fabrication de sa «soi-disant évasion» montre comment vous avez atteint le point de non retour en matière de criminalité! RIP Kizito.»
Aux Pays-Bas, nederlandsdag rappelle les chansons de Kizito Mihigo les plus connues à savoir Inuma et Igisobanuro cy’urupfu.
«Le Rwanda pleure un fils, et le Congo pleure un frère »
The Globe and mail, qui consacre l’article le plus complet à l’artiste, rappelle pour sa part le passé de Kizito Mihigo qui fût autrefois « une énorme célébrité populaire et un activiste de la paix qui a souvent chanté l’hymne national lors de cérémonies officielles. » Les troubles de l’artiste avec les autorités écrit le journal, ont commencé « lorsqu’il a publié une chanson qui questionne la version officielle du génocide de 1994, dans lequel un nombre estimé de 800 000 Rwandais ont péri ».
Au Cameroun, l’hommage le plus audible est venu du journaliste d’investigation franco-camerounais Charles Onana, lequel, sur son compte facebook, souligne « l’exceptionnel courage, l’humilité et la générosité (…) de celui que beaucoup de Rwandais pleurent aujourd’hui. ». Dans son hommage, le journaliste exprime son dégout de voir « emprisonné un chanteur parce qu’il jugeait que tous les Rwandais n’étaient pas traités à égalité dans la narration des événements tragiques de 1994, parce qu’il pensait que l’histoire officielle n’était pas exacte et parce qu’il voulait la paix, la vérité, la justice et la réconciliation des cœurs au Rwanda ».
Parmi les milliers d’hommages rendus au chanteur par les Congolais, l’un des plus vibrants est venu de Lucha, le principal mouvement des jeunes citoyens congolais lequel écrit sur twitter « Kizito Mihigo a passé toute sa vie à chanter et prêcher les valeurs universelles de paix, de dignité humaine et une réconciliation fondée sur la vérité et la justice. Comme dans cet extrait d’une de ses chansons sur ce qui unit les peuples congolais et Rwandais. » Un tweet ponctué par un lien vers la chanson « Mon frère congolais » et qui sera retweeté par plusieurs centaines de jeunes congolais et visionné plus de 7000 fois sur twitter.
Dans son hommage « liké » plusieurs centaines de fois, l’analyste politique congolais Patrick Mbeko résume le sentiment de tristesse qui prédomine chez les Congolais ayant compris le message de paix que prônait Kizito Mihigo «Le Rwanda pleure un fils et le Congo pleure un frère. »
Il y a environ 20 ans, j’en voulais beaucoup aux Rwandais. Comme la grande majorité de mes compatriotes congolais, je…
Du côté d’Amnesty international, on évoque un « choc » provoqué par la nouvelle du décès du chanteur, et l’organisation de défense des droits de l’Homme appelle à une enquête « cette affaire ne doit pas être étouffée. L’enquête doit faire la lumière sur tous les faits, notamment sur l’implication possible d’autres personnes, et doit déterminer si les pratiques et les conditions de détention ont causé la mort de Kizito Mihigo ou y ont contribué. »
C’est ce samedi 22 février qu’est prévue l’inhumation de Kizito Mihigo à Kigali. A Bruxelles, plusieurs initiatives ont vu le jour afin d’associer tous les amis, fans et soutiens de KIZITO à son dernier voyage.
Un rassemblement pour la justice
A 10h30, un rassemblement est
prévu devant le Palais de Justice de
Bruxelles, place Poelaerts , en vue de souligner le caractère injuste de
cette de cette disparition. A l’instart de Human
Rights Watch et Amnesty International, la plateforme de la Société Civile Rwandaise
de Belgique, initiatrice de ce rassemblement, demande une enquête transparente
et indépendante sur les conditions du décès de Kizito Mihigo
Une messe
pour l’honneur
A 12h00, une messe sera célébrée en l’Eglise St-Roch près du métro Yser. Cette messe qui sera concélébré par
plusieurs prêtres rwandais de Belgique sera animée
Un hommage suivi d’une
conférence sur l’impunité
A 14h00, un hommage public et moment de recueillement lui sera réservé en continuité de la messe au Passage 44, métro Botanique, dans la salle MINNE.
En apprenant la nouvelle tragique, les organisateurs d’une conférence sur l’impunité au Rwanda, prévue depuis plusieurs semaines à cet endroit, ont décidé de modifier leur agenda afin de consacrer une partie de l’après-midi à rendre hommage à un symbole de la lutte pour la reconnaissance de toutes les victimes au Rwanda.
Après l’hommage, à partir de 16h00, la conférence-débat débutera sur le thème de « la lutte contre l’impunité » ainsi que sur « le rôle Commonwealth dans cette lutte »
« Le Rwanda réconcilié par le
Christ », un des souhaits les plus chers de KIZITO
« Si
je devais me choisir un nom, et que ce nom devait signifier ce que je suis ou
ce que j’aimerais être du fond du cœur, je m’appellerais : Le Rwanda réconcilié
par le Christ ».
Cette phrase de Kizito Mihigo,
prononcée le 10 mars 2015, symbolise ce qu’il était et ce qu’il représente
désormais aux yeux de beaucoup, à savoir, un des plus grands activistes pour
une reconnaissance de toutes les victimes innocentes que le Rwanda a connu.
« Si je devais me choisir un nom et que ce nom devrait signifier ce que je suis ou ce que j’aimerais être du fond du coeur, je m’appellerais « le Rwanda réconcilié par le Christ» Kizito Mihigo, mars 2015.
C’est en 2011, que celui que France24 qualifie « d’apôtre de la réconciliation rwandaise » s’installe définitivement au Rwanda après ses études au conservatoire de musique de Paris pour lesquelles il avait reçu une bourse du gouvernement rwandais.
A son retour au Rwanda, Kizito Mihigo, orphelin et rescapé du génocide des Tutsi à l’âge de 13 ans connait la consécration : les stades, les églises, les salles se remplissent à la seule annonce de sa présence. Au delà des chansons de l’artiste qui font un tabac, ce sont les messages de paix qu’il prône au travers de la fondation « Kizito Mihigo for Peace » qui séduisent les foules au point que la télévision rwandaise lui permet d’animer une émission « Umusanzu w’umuhanzi »[1].
Dans les écoles, les élèves se bousculent pour écouter son enseignement et ses chants. Dans les prisons, les détenus le réclament, aucune couche de la société rwandaise ne parait insensible à l’artiste.
En l’espace de quelques mois seulement, celui qui est né un soir de juillet 1981 à Kibeho devient la superstar du Rwanda. Adulé même par les plus hautes instances du pays qui louent celui qui un instant était devenu à ses propres dires « le chanteur officiel du régime ». Kizito Mihigo tutoiera même les plus hauts sommets de l’Etat lorsqu’il se voit décerné le prix CYRWA (Cerebrating Young Rwandan Archivers), par la fondation Imbuto présidée par Jeannette Kagame en personne.
Mais loin des paillettes, loin des applaudissements, loin des louanges, loin des foules, loin de cette vie dont beaucoup rêveraient pourtant, Kizito Mihigo ressent un manque profond.
Ce manque est d’une part dû à son amour de la solitude, lui qui est trop sensible à la souffrance humaine. Il déteste en effet être heureux à côté d’un malheureux et pour reprendre ses propres termes il « préfère animer les messes d’enterrement que de chanter dans les messes de mariage »[2].
Ce manque est d’autre part causé par une impression qu’a l’artiste de passer à côté d’une mission divine qui lui a été confiée. Depuis longtemps en effet, Kizito Mihigo, fervent catholique, a la ferme conviction qu’il a été créé par Dieu pour réconcilier les Rwandais comme le résume cette phrase qu’il nous écrira en mars 2015 « si je devais me choisir un nom, et que ce nom devrait signifier ce que je suis ou ce que j’aimerais être du fond du coeur, je m’appellerais « le Rwanda réconcilié par le Christ ».[3][4]
« Je suis le plus grand ennemi de la superficialité et le plus grand ami de la spiritualité »
Bien qu’officiellement, il prône la paix et la réconciliation dans ses interventions, l’artiste a conscience que les balises qui lui sont imposées par la dictature rwandaise pour aborder la question rendent ses enseignements quelques peu superficiels alors qu’il se définit lui même comme « le plus grand ennemi de la superficialité et le plus grand ami de la spiritualité.«
En effet, Kizito Mihigo, orphelin du génocide des Tutsi, est convaincu qu’une réconciliation est impossible tant que persiste un tabou sur l’épineuse question des victimes Hutu et Tutsi du FPR qui sont privées de mémoire, de justice et même de reconnaissance.
C’est dans cette quête de spiritualité et dans cette volonté d’aller au plus profond du mal rwandais pour le déraciner que Kizito Mihigo se rapproche de Gérard Nyamihirwa Niyomugabo, un jeune trentenaire professeur d’université dont la profondeur inspire tous ceux qui le croisent.
Kizito Mihigo profite de la tribune qu’il a à la télévision rwandaise pour régulièrement inviter Gérard Niyomugabo, auteur de plusieurs livres, à venir disserter sur différents sujets de société tels que l’histoire, la spiritualité ou encore la reconstruction de la société rwandaise après les différents drames qui l’ont tant endeuillée.
A côté de ces apparitions publiques, Kizito, Gérard et d’autres jeunes qui se réclament alors du mouvement « Abatangana » passent des heures à échanger sur les actions à mettre en place afin de définitivement mettre un terme aux divisions qui ont rongé la société rwandaise et continuent de la ronger.
C’est dans ce cadre-là que Kizito sort l’une de ses chansons les plus célèbres « Igisobanuro cy’urupfu- requiem réconciliateur » que l’artiste qualifie « d’apogée de son message de réconciliation ».[5] « Le génocide m’a rendu orphelin. Mais cela ne m’empêche pas d’avoir de la compassion pour d’autres personnes qui ont été victimes des violences qui n’ont pas été appelées « génocide »… Ces frères-là, ce sont aussi des êtres humains, je prie pour eux…ils ont toute ma compassion…je les porte dans mes pensées … (…) il n’existe aucune bonne mort, que cela soit une mort causée par le génocide, la guerre, ou causée par ceux qui commettent des crimes de vengeances » chante notamment l’artiste, se libérant ainsi d’un poids qu’il avait sur le cœur depuis qu’il avait cette impression de passer à côté de la mission divine qui lui avait été confiée.
Au Rwanda, la chanson résonne comme un coup de tonnerre et beaucoup s’interrogent sur le processus ayant conduit l’enfant chéri du pays à briser d’une manière aussi fracassante un tabou aussi enfoui de la société rwandaise, certains allant jusqu’à y voir une volonté d’ouverture du régime sur cette question.
Mais la stupeur est encore plus grande du côté du régime où règne incompréhension et colère. Kizito Mihigo est immédiatement convoqué au plus haut sommet du pouvoir par Inès Mpambara, la très discrète mais toute puissante directrice de cabinet du général Kagame. Bernard Makuza, à l’époque vice-président du sénat était également présent. La suite, c’est kizito Mihigo lui-même qui la raconte « tous les deux m’ont dit que le président n’avait pas aimé ma chanson et que je devais lui demander pardon. La directrice de cabinet et le vice président du sénat m’ont dit que si je ne faisais pas ce qu’ils m’avaient dit, j’étais mort ».
Cette chanson, vécue comme une trahison de la part du gendre idéal que le général Kagame avait personnellement pris sous son aile et les échanges whats app qui seront saisis dans son téléphone attireront l’attention du régime sur le mouvement Abatangana. Au début du mois d’avril soit quelques semaines à peine après la sortie de la chanson, Kizito Mihigo, Gérard Niyomugabo et Cassien Ntamuhanga, ses principales figures, sont kidnappés par les forces de sécurité rwandaises. Pendant plusieurs jours, tous trois seront portés disparus.
« Je suis très heureux d’être la manifestation visible de la vérité rwandaise. »
Gérard Niyomugabo sera arrêté, torturé et près de 6 ans après, il est toujours porté disparu, présumé décédé à la suite de tortures infligées en détention.
Tout comme Kizito Mihigo, Cassien Ntamuhanga doit la vie à sa notoriété car suite aux pressions internationales, la police avouera le détenir avant de le parader devant les médias. Il parviendra à s’échapper de prison en octobre 2017 et vit aujourd’hui en exil d’où il coordonne les activités des Abaryankuna, le mouvement auquel Abatangana a donné naissance.
Kizito Mihigo pour sa part a été emprisonné 4 ans et demi avant d’être gracié en septembre 2018 par le général Kagame en compagnie de l’opposante Victoire Ingabire Umuhoza et de 2138 autres détenus.
Avant que son arrestation ne soit rendue publique, le chanteur a passé 9 jours dans un endroit qu’il ignore car il avait en permanence les yeux bandés et les mains ligotées. C’est durant cette période qu’il a cru que son heure avait sonné lorsqu’il a été amené près d’une forêt pour un simulacre d’exécution. Il avait fini par accepter d’avouer tout ce qui serait retenu contre lui, ce qu’il a effectivement fait lorsqu’il a été paradé devant les médias.
En quelques mois seulement, Kizito Mihigo venait de passer de superstar du Rwanda à paria.
Malgré son nouveau sort peu enviable, il n’a jamais regretté sa chanson, allant jusqu’à la remettre en ligne après l’avoir dans un premier temps retirée de YouTube suite au sermon d’Inès Mpambara.
Ainsi en octobre 2014, quelques mois à peine après avoir traversé cette épreuve qu’il décrivait comme un « chemin de crucifixion » et alors qu’il était encore en détention, Kizito Mihigo nous écrivait ces mots « Je suis très heureux d’être là manifestation visible de la vérité rwandaise. »
Ruhumuza Mbonyumutwa Jambonews.net
[1] Contribution de l’artiste [2] Message à l’auteur du 10 mars 2015. [3]Ibid. [4] Dans son message original Kizito Mihigo utilise des lettres majuscules. [5] Entretien téléphonique avec l’auteur, mai 2018.
Près de deux semaines après l’annonce de la disparition tragique du chanteur Kizito Mihigo, officiellement suite à un « suicide » auquel personne ne croit, l’émotion et l’indignation restent vives au sein de la communauté rwandaise, burundaise, congolaise, mais aussi aux quartes coins du monde ou des médias étrangers continuent à consacrer des unes à l’apôtre de la réconciliation rwandaise.
Après des hommages rendus à Kigali, Bruxelles et Denver le samedi 22 février 2020, de nouvelles mobilisations sans précédent sont prévues par des exilés rwandais éparpillés aux quatre coins du monde.
En Belgique, des amis frères et sœurs de la communauté chrétienne de Belgique que fréquentait autrefois Kizito Mihigo organisent une journée d’hommage qui commencera par la projection de chants du chanteur.
Comme un clin d’œil du destin, la cérémonie débutera à 11 heures à la place des Martyrs à Braine-le château et sera suivie d’une messe et d’un moment de convivialité.
En Suisse, une cérémonie « en souvenir de Kizito Mihigo » est prévue à Sierre dans le Valais et débutera à 14 heures à l’Eglise Sainte-Croix située Avenue de France 4, 3960. La cérémonie sera suivie d’un moment d’échange.
Au Canada, « les amis et frères » de Kizito Mihigo organisent une messe en mémoire du chanteur à Ottawa-Gatineau à la paroisse Sainte Elisabeth située 1303 Leaside Avenue Ottawa (K1Z7R2) le 1er mars 2020 à 15 heures.
Au Canada toujours, une autre cérémonie est prévue dans la province du Manitoba dans la ville de Winnipeg à 200 Kenny street le 1er mars 2020 à 11 heures.
Aux Etats-Unis « la communauté rwandaise de Buffalo » organise une messe « en souvenir de Kizito Mihigo, un chanteur de gospel, compositeur, rescapé du génocide des tutsi, et activiste de la paix et réconciliation » à l’Eglise Saint Antoine de Padoue, 169 Court Street Buffalo 14202, New York Usa, le samedi 7 mars 2020 à 17 heures. Une deuxième cérémonie est par ailleurs annoncée à Detroit.
Enfin en Australie, une cérémonie est prévue par l’association rwandaise du Queensland le 14 mars 2020 à 13h à la Cathédrale St Stephen située à 49 Elisabeth street, à Brisbane City (QLD 4000).