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Rwanda : 1995-2005 ma jeunesse dans la prison de 1930

Imaginez que vous ayez 18 ans, la vie devant vous et la tête pleine de rêves. Comme la majorité des Rwandais, vous êtes au lendemain du génocide perpétré contre les Tutsi en 1994, ce génocide a failli vous emporter et vous essayez de vous reconstruire. Vous êtes réputé brillant en mathématiques et avez entamé les démarches pour reprendre vos études. A la place, du jour au lendemain, vous vous retrouvez dans la prison centrale de Kigali, dite « 1930 ». Dans votre nouveau monde : « Les prisonniers étaient négligés, les malades étaient envoyés dans les hôpitaux pour mourir parce qu’ils étaient transférés au dernier moment. Ils [Les responsables de la prison] les transféreraient quand il était trop tard. Le sort des prisonniers rwandais n’est jamais évoqué : leur souffrance, les tortures physiques et morales qu’ils subissent ». Comment auriez-vous réagi ? Kalima, à qui cette mésaventure est arrivée, nous donne la réponse en racontant son histoire, sa descente aux enfers, sa reconstruction et ses défis aujourd’hui.

Qui est-il ?

Kalima avait 17 ans au moment du génocide contre les tutsi au Rwanda en 1994. Il habitait dans la ville de Kigali et était élève dans une école secondaire. Il vivait avec ses petits frères et sœurs et leur mère, leur père étant décédé avant 1994. Pendant le génocide il a failli être tué à deux ou trois reprises et à chaque fois ses voisins l’ont sauvé. Il avait une carte d’identité hutue mais avait des traits physiques attribués aux Tutsi. Quand la guerre a approché leur quartier, ils se sont déplacés dans un autre quartier et y sont restés jusqu’à la prise de la ville de Kigali par le FPR-Inkotanyi. Il a alors fui la guerre jusqu’à Goma en République Démocratique du Congo. Dans la fuite il a été séparé de sa famille et a préféré retourner au Rwanda à Kigali après deux semaines.

Comment-est-il allé en prison ?

Cela a commencé quand son camarade lui a dit que l’on voulait le faire tuer, il n’a pas pris l’information au sérieux. Le soir de cette journée il a rencontré trois militaires dans la rue qui lui ont demandé s’il connaissait untel. La personne en question était lui-même, Kalima. Il a eu la présence d’esprit de répondre qu’il le connaissait et a indiqué aux militaires le chemin qui allait chez ses parents. A partir de cet instant, il a pris la décision d’aller vivre dans un autre quartier où il a été hébergé par la famille. Il a informé sa mère du lieu où il vivait et passait de temps en temps au domicile familial, en coup de vent.

Le 24 janvier 1995, il marchait dans la rue quand un militaire l’a interpellé par son nom et lui a dit bonjour. Il lui a dit que le commandant de la brigade le cherchait. Kalima était à mille lieux de se douter que c’était pour le mettre en prison. Il a suivi le militaire et une fois à la brigade, le militaire a dit « voici un Interahamwe » ! Kalima n’a pas eu le temps de comprendre ce qui lui arrivait car, dit- il : « Les militaires se sont déchaînés sur moi et m’ont rué de coups. On m’a conduit là où on enregistrait les nouveaux prisonniers, c’était le début du chemin de croix ». Il est resté dans le cachot jusqu’au 01 février 1995 : « c’était un beau jour de février 1995 vers 15h, nous étions dans une cellule et un militaire, Rukara, a appelé 13 noms, j’ai été cité. Il nous a demandés de prendre nos affaires et les autres codétenus ont commencé à me féliciter, pensant que j’allais être libéré. Si seulement ils avaient su ! » . Ce jour-là un pickup les attendait pour les conduire à la prison centrale de Kigali, la fameuse prison 1930 « le voyage vers l’enfer commençait » nous confie Kalima.

Ils y sont arrivés vers 17h, une fois sur place, les militaires qui gardaient la prison les ont frappés avant de les faire entrer dans la prison. « J’y suis entré avec la peur au ventre, non seulement j’avais peur d’y trouver beaucoup d’Interahamwe, ceux qui avaient tués les gens mais aussi comment allais-je survivre dans cette prison moi, jeune adolescent de 18 ans et 5 mois, timide et introverti ? ». Une fois à l’intérieur, une personne s’est exclamée « ils commencent à enfermer les Tutsi aussi ? ». Pour Kalima, selon la procédure pénale de l’époque, ils auraient dû être interrogés par le procureur public, la seule autorité qui était habilitée à placer des personnes en détention provisoire : « Cette étape a été sautée, mais qui se souciait des procédures ? » 

Les premiers pas dans la prison

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L’enregistrement dans la prison s’est fait en deux étapes, en premier lieu, les prisonniers ont été enregistrés chez le capita général [1]. On a donné à chaque détenu une couverture, une assiette et un gobelet et on les a affectés à des « blocs ». La prison était divisée en 12 blocs administratifs et chaque prisonnier était affecté à un bloc, le personnel de la prison équilibrait le nombre de prisonniers par bloc. A cette étape un ancien voisin a reconnu Kalima et l’a suivi dans les étapes qui ont suivies. La seconde étape d’enregistrement a été effectuée auprès du bloc d’affectation, on a attribué à Kalima le numéro 521, il y avait déjà 6 000 prisonniers dans la prison pour une capacité de 2 500 personnes, ce chiffre a atteint 10 000 durant le séjour de Kalima. Ensuite Kalima a passé 3h en faisant la queue pour avoir à manger, son plat était composé de pâte de maïs et de haricots dont la moitié était des cailloux. « Cela ne m’a pas surpris, à l’internat on pouvait trouver des cailloux dans le plat des haricots ».

Kalima a mangé chez son voisin, ce dernier s’est assuré que Kalima trouve une place où dormir en le conduisant à un endroit nommé « mu kiderenka – dans la délinquance » et en lui achetant une place à 200Frw, il lui a donné aussi une couverture supplémentaire. Les prisonniers dormaient par terre et utilisaient des briques comme coussins, sa place de fortune était large de 40 cm et longue de 2 m. Kalima se souvient que quelques mètres plus loin, quelques personnes discutaient de comment ils avaient tué des gens au cours du génocide et cela lui glaçait le dos. « Je n’ai pas fermé l’œil cette nuit-là, je n’avais pas encore réalisé quel était mon nouveau monde et j’apprendrai plus tard que ce sera fréquent d’entendre de telles histoires». La prison allait devenir sa nouvelle maison pour les prochains 3 830 jours.

La prison en guise d’université

Quelques jours avant sa détention, Kalima s’était inscrit dans une école pour reprendre ses études de mathématiques et de physique, de ce fait pendant les premiers jours de prison il écoutait attentivement les annonces, il pensait naïvement qu’ils (ceux qui l’avaient arrêté) réaliseraient qu’ils avaient commis une faute et le libéreraient. Dans le jargon de la prison, il était encore un « umuselire – nouvel arrivant », petit à petit il a pris conscience qu’il était entré dans une autre université, celle de la vie dure et que les mathématiques et la physique seraient pour plus tard. Kalima a eu sa première visite après deux semaines en prison. Sa famille était restée sans ses nouvelles depuis son arrestation et c’est la femme du voisin qui avait pu informer sa mère de sa situation « à cette première visite, je n’ai pas parlé à ma mère, elle n’a pas pu s’empêcher de pleurer ». 

Petit à petit Kalima commençait à s’habituer à la vie difficile de la prison, la pâte de maïs était devenue savoureuse, faire trois heures de file pour aller aux toilettes ou pour aller boire de l’eau lui semblait normal. Il venait de passer du grade de nouvel arrivant à celui du « umupeuple – une personne habituée à la prison », il n’était plus timide, ni un étudiant, il était devenu un prisonnier : « Les premiers jours sont si difficiles, mais le plus tôt on s’habitue à la vie en prison, le plus vite on accepte le destin, plus facile sera la vie en prison. Le seul choix que l’on a, est d’être mentalement solide, sinon la vie difficile en prison vous fait craquer. ». Il a fallu deux mois à Kalima pour commencer à s’impliquer dans les activités de la prison.

L’organisation de la prison

A l’intérieur de la prison, il y avait un organigramme avec les départements et leurs responsabilités. Le responsable de la prison avait le titre du « capita général », il était à la tête d’un bureau composé d’un secrétaire général et d’un intendant. La nourriture, le savon, et les autres ustensiles étaient distribués dans les 12 blocs administratifs. Les malades étaient enregistrés dans leurs blocs qui se chargeaient de les faire soigner, chaque bloc était dirigé par un « capita » aidé par un secrétaire. Il y avait un service de sécurité dirigé par un Brigadier-chef aidé par 2 sous-brigadiers et un secrétaire. Chaque bloc avait ses propres hommes chargés de la sécurité dont le responsable avait le titre de conseiller et était secondé par un sous conseiller. Il y avait le service d’hygiène, une équipe médicale et une radio « Radio Mouvement Xaveri, RMX » qui informait les prisonniers. Pour finir il y avait un Service d’Encadrement Socio-éducatif (SESE) qui fournissait un apprentissage aux prisonniers avec des leçons variées.

L’aspect judiciaire en prison

  • Les arrestations arbitraires

Au Rwanda, après l’arrivée au pouvoir du FPR-Inkotanyi en 1994, les nouvelles autorités ont ressemblé les gens et les ont mis en prison, elles les accusaient d’avoir participé au génocide. Une grande majorité de gens est sortie de chez elle en suivant les soldats ou les cadres du FPR (abakada), qui leur disaient de les suivre pour aller fournir une petite explication (gusobanura akantu gato). Beaucoup de ces personnes ne sont plus jamais retournées chez elles « 25 ans plus tard, elles sont toujours en train d’expliquer », ironise Kalima. Une autre partie des gens a été arrêtée à la suite de délations de leurs voisins, les gens dénoncés n’avaient pas nécessairement participé au génocide mais étaient dénoncés à cause de la jalousie, de règlements de comptes entre voisins, de la haine pure ou de l’extrémisme.

L’autre motif qui a fait arrêter les gens est leur physionomie, les soldats disaient à propos de ces gens que sans aucun doute ils avaient tué des Tutsi, même s’ils ne les connaissaient pas du tout, bien que personne ne les ait dénoncés. La plupart des gens arrêtés a été torturée au point d’accepter la responsabilité des faits dont elle ne réalisait pas l’ampleur. Par exemple les gens étaient battus au point d’oublier leurs noms. Parfois, les soldats appelaient ceux qui avaient dénoncés à participer au tabassage de ceux qu’ils avaient dénoncés, Kalima a cité un cas « Gasogi, qui avait les mains attachées à l’arrière, un style utilisé par le FPR (ingoyi) et la femme qui l’avait dénoncé a été appelée, comme c’était la nuit, elle a pissé dans sa bouche ».

  • Les détentions arbitraires

Pour Kalima toutes les personnes arrêtées n’ont pas été conduites en prison, une partie seulement l’a été et c’était pour elle un soulagement. En effet après avoir été arrêtés : « Les gens étaient détenus dans des trous, par exemple à Mont Kigali, et les soldats tuaient lentement certains d’entre eux et jetaient leurs corps auprès de ceux qui étaient encore en vie pour les effrayer. Ils ne pouvaient pas se nourrir, ni se laver, leurs corps et leurs vêtements étaient couverts de poux ». Les plus chanceux ont été retrouvés par le CICR, qui les a enregistrés et ils ne pouvaient plus être tués par les soldats du FPR. « La détention a été arbitraire, injuste et illégale », le sort de ceux qui se sont retrouvés dans les prisons n’a jamais été dûment documenté ou a été beaucoup ignoré. Kalima continue en disant que «Cela faisait partie d’un plan sinistre visant à mettre une partie de la population à genoux ». « Dès juillet 1994, les premières personnes ont déjà été arrêtées et détenues à Rilima, comme le regretté ambassadeur Sylvestre Kamali et les autres qui ont été les premières personnes à être emprisonnées. Quand la prison centrale de Kigali a été rouverte en août 1994, son premier détenu a été Hassan Nkunzurwanda (Ndanda), un footballeur ». 

  • Le cas de Kalima

De 1995 à 2001, Kalima n’a pas rencontré de procureur, il croupissait en prison sans savoir ce qui lui était reproché. En 2001, la direction a demandé la liste des prisonniers qui n’avaient jamais rencontré le parquet. Quand la liste a été faite, les substituts du procureur ont commencé à interroger les personnes sur la liste un à un. Quand ce fut son tour, Kalima a rencontré le substitut nommé Ndibwami Rugambwa qui lui a demandé de nommer les personnes qu’il connaissait et qui ont été tuées pendant le génocide. De bonne foi Kalima lui a communiqué la liste et le substitut a promis d’enquêter et de revenir vers lui. Trois semaines après, Ndibwami est venu et a inculpé Kalima d’avoir tué les personnes que Kalima avait nommées. Quand ce dernier lui a demandé s’il avait des preuves, il lui a répondu qu’il devait prouver son innocence. « A partir de ce moment-là, après 6 ans de détention illégale et hors la loi, j’ai été formellement inculpé d’une affaire qui a été traitée et classée de manière non professionnelle, la présomption d’innocence, un principe universel, était bafouée ».

  • Les Gacaca dans la prison

Avec plus de 150.000 prisonniers, le gouvernement rwandais a décidé de mettre en place des tribunaux « gacaca » pour accélérer les procès pour génocide. Dans la prison de 1930 on a demandé aux prisonniers de collecter les informations (Ikusanyamakuru) en listant les personnes qui ont été tuées entre le 1er octobre 1990 et le 31 décembre 1994, en indiquant qui les a tuées, quelle arme a été utilisée et l’endroit où les personnes ont été tuées. Pour ce faire les prisonniers se rassemblaient dans leurs cellules en fonction de là où ils habitaient en 1994. L’exercice n’a pas eu les résultats escomptés car la majorité de personnes listées étaient des Hutu tués par le FPR. La direction de la prison a demandé toutes les informations recueillies et le sujet n’a plus jamais été évoqué. On a alors demandé aux prisonniers de ne lister que les victimes tutsies.

  • La conclusion
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Selon Kalima, dans la prison tout a été fait pour briser émotionnellement les prisonniers, Une partie a craqué facilement et une autre a résisté. La plupart des prisonniers n’avait pas été inculpée et malgré cela ils ont été traités comme des condamnés. Au Rwanda à l’époque les principes étaient renversés : « La culpabilité jusqu’à ce qu’un tribunal ait prouvé le contraire ». Pendant environ 7 ou 8 ans, les militaires venaient et choisissaient quelques personnes au hasard parmi « les sans dossiers » et ils n’étaient plus jamais revus. Kalima pense qu’ils auraient été tués. La prison était surpeuplée, 10 000 personnes au plus fort pour une capacité de 2 500 personnes. Les prisonniers respiraient difficilement, étaient laissés à la merci des maladies comme le choléra, la dysenterie et la typhoïde, qui ont fait des milliers de morts. Il n’y avait pas d’espoir en prison « les prisonniers demandaient à Dieu de mourir en paix ».

La prison au quotidien

  • Les visites

La prison est un pays à l’intérieur d’un pays, Les prisonniers avaient le droit à une visite de leur famille une fois par semaine. C’était le vendredi ou le samedi pour les étudiants et les travailleurs sur présentation des justificatifs comme une carte scolaire. Un jeudi par mois, sur lequel on a ajouté un mercredi par mois, c’était la journée des enfants en bas âge. La visite n’était pas personnalisée, elle se passait dans une foule immense et durait 3 minutes. L’exception était faite pour les gens qui avaient des justificatifs médicaux attestant qu’ils ne pouvaient pas manger la nourriture de la prison. Eux, avaient droit à une visite quotidienne pour leur apporter à manger.

Pour le reste, la société en prison est comme partout ailleurs: tout le monde n’est pas égal, ceux qui avaient une famille qui prenait soin d’eux étaient les mieux lotis. Celui qui n’avait personne pour venir le voir avait une vie pénible dans la mesure où les rations de nourriture distribuées étaient maigres.

  • La nourriture

D’un point de vue alimentaire, les prisonniers étaient délibérément affamés. Kalima raconte la fois où les geôliers ont élaboré un sinistre plan pour éliminer lentement les prisonniers « Ils grillaient et mélangeaient des éclats de verre dans le sorgho (une céréale servant à préparer la bouillie des prisonniers) : «Imaginez que l’on vous donne des bris de verres pour manger ! » Il y avait aussi les fois où « les prisonniers passaient 3 jours sans manger. Les plus faibles mouraient, et le jour où ils décidaient de ramener la nourriture, les autres mouraient aussi puisqu’ils voulaient beaucoup manger sans savoir qu’après un si long moment de jeûne on mange une petite quantité». Le pire moment pour l’aspect nourriture est le mois de mai 1997 quand « nous n’avons mangé que 8 fois ce mois-là, parfois il y avait de la nourriture et pas de bois pour le feu ou vice versa, les gens dormaient la nuit et ne se réveillaient pas, emportés par la faim».

Pour la qualité, elle n’était pas au rendez-vous, « il y avait cette farine de maïs amère et surtout des haricots pourris infestés de charançons (imungu) ». Pour la quantité, c’était un gobelet de haricots et quelques grammes de pâte de maïs par personne. Exceptionnellement, la pâte de manioc pouvait être distribuée, elle était si maigre que les prisonniers l’avaient surnommé « les miettes ». Dans la grande majorité des cas, le menu était un mélange de haricots et de maïs (impungure) servi en quantité de deux gobelets par personne.

Pour avoir des rations complémentaires, il fallait faire partie de l’équipe de supervision ou travailler dans la cuisine. Dans ce cas, on avait droit à une double ou triple ration. Aussi quand on travaillait pour les autres : laver leur linge, faire la queue à leur place…on était payé en nourriture.

La situation des prisonniers s’est un peu améliorée en 1995 quand le CICR a commencé à fournir des biscuits et des comprimés multivitaminés. Cependant une partie des prisonniers a refusé de prendre ces comprimés, de peur de devenir stérile.

  • La débrouillardise

Les prisonniers n’étaient pas autorisés à posséder de l’argent mais ils en avaient : il y avait beaucoup de petits commerces : les coiffeurs, des boutiques, ceux qui repassaient les habits, les tailleurs, ceux qui allaient chercher l’eau pour les autres…on pouvait aussi travailler en prison comme capita, chargé de sécurité, ou dans la cuisine, si on acceptait d’être payé en nourriture ou en autres avantages comme : ne pas faire la queue pour tous les services (distribution des aliments, récupérer l’eau pour se laver, rencontrer ses visiteurs…) Il y avait aussi la possibilité de faire partie de l’équipe de production qui sortait de la prison pour aller faire les travaux de construction, par exemple. Le SESE (Service d’Encadrement Socio Educatif) donnait des formations diverses, beaucoup de prisonniers y ont appris des métiers et en ont fait leur gagne-pain à leur sortie de prison. Pour Kalima, le plus grand bénéfice et pour le grand nombre a été pour les analphabètes qui ont appris à lire et à écrire en prison.

Pour la prière, il y avait une maison pour toutes les religions chrétiennes qui alternaient pour prier, les musulmans avaient leur mosquée et, un peu partout dans la prison, il y avait des chambres réservées à la prière.

  • La prise en charge médicale

Dans chaque bloc, cinq prisonniers étaient enregistrés tous les matins. Un tirage au sort était effectué pour choisir ceux qui allaient être conduits à l’infirmerie à l’extérieur de la prison. Cette infirmerie était gérée par des infirmiers non prisonniers aidés par des docteurs et infirmiers prisonniers. A l’intérieur de la prison, il y avait un hôpital géré par les prisonniers. Quand on tombait gravement malade au cours de la nuit, on était transporté par la Croix Rouge vers cet hôpital pour recevoir les premiers soins et le lendemain on était amené à l’extérieur. Les cas les plus compliqués étaient envoyés au Centre Hospitalier de Kigali (CHK). C’est le responsable de l’infirmerie qui choisissait les cas qui devaient être transférés au CHK, et le directeur de la prison validait le transfert. Au CHK ce sont les prisonniers qui prenaient soin des détenus hospitalisés car il n’était pas autorisé que leurs familles le fassent. Le service médical composé de médecins et infirmiers incarcérés jouait un rôle essentiel dans la prison, il sensibilisait les prisonniers dans la lutte contre les maladies transmissibles, sur la santé et l’hygiène.

Parfois les prisonniers faisaient une collecte de fonds « la collecte pour les malades » afin de venir en aide aux prisonniers qui n’avaient pas les moyens de se procurer les médicaments, mais cela n’était pas suffisant. 

  • Le vivre ensemble

En général, les prisonniers vivaient bien ensemble mais, comme partout, il y avait de petits problèmes entre les gens. Ils pouvaient se battre pour le pouvoir au point de conspirer les uns contre les autres, par exemple on accusait celui que l’on voulait qu’il soit transféré à une autre prison d’avoir empêché les autres d’avouer ce qui leur était reproché. Il pouvait arriver aussi qu’une personne qui a fait mettre les autres en prison, soit aussi emprisonnée à son tour, dans ce cas les premiers jours pouvaient être étranges pour la personne et au bout de quelques jours les protagonistes pouvaient se parler. Il y a eu très peu de cas où les prisonniers se sont battus entre eux. En général il y avait une bonne ambiance dans la prison de 1930 et les chargés de sécurité faisaient bien leur travail en mettant celui qui voulait faire les troubles dans un cachot (à l’intérieur de la prison). Les gens parlaient des ethnies parfois du bout des lèvres mais n’y accordaient pas d’importance. Le souci majeur des prisonniers était de « sortir de la prison ». Avant que Kalima ne quitte la prison, soit en 2005, il commençait à y avoir un mauvais climat lié aux tribunaux Gacaca qui avaient lieu à l’intérieur de la prison et une partie des prisonniers allait demander des mesures de sécurité spécifiques car elle ne se sentait pas en sécurité.

  • Les enfants en prison

Kalima raconte qu’il y avait beaucoup de jeunes en prison, beaucoup plus jeunes que lui. Ils étaient actifs dans les mouvements de jeunesse comme les Xaveri, les Scouts, la Jeunesse ouvrière chrétienne ou la Croix Rouge…

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Il y a eu un capita général, qui avait été un professeur dans les écoles secondaires, il avait fait en sorte que les jeunes soient impliqués dans les services de sécurité, d’hygiène ou dans la cuisine, et une petite partie d’entre eux, dont Kalima, était impliquée dans l’administration. Pour la partie sombre, l’homosexualité et la prostitution étaient interdites dans la prison mais malgré cela certains enfants (moins de 18 ans) ont été obligés de se prostituer pour survivre, par exemple pour avoir une ration de nourriture complémentaire. Une petite partie des jeunes est tombée dans la drogue. 

« Mettre les enfants en prison revient à les abîmer, ils en ressortent avec beaucoup de blessures, une partie en ressort en étant devenue de dangereux criminels. S’ils ont été emprisonnés alors qu’ils étaient innocents, ils en ressortent avec beaucoup de mécontentement ».

  • Les conséquences pour les familles

Les produits de première nécessité dont la nourriture, étaient une denrée rare en prison. Les prisonniers dépendaient de leurs familles, qui elles-mêmes étaient déjà épuisées car on leur avait privé du principal soutien de la famille. C’est la première conséquence pour les familles.

De plus, les familles étaient utilisées pour mettre la pression sur les prisonniers pour qu’ils avouent, on leur disait que si les leurs restaient en prison c’était parce qu’ils n’avouaient pas. La famille des prisonniers pouvait douter de leur proche et on pouvait assister à des scènes où « les enfants qui venaient rendre visite à leurs parents leur disaient que c’est de leur faute s’ils étaient toujours en prison, que s’ils avaient avoué ils seraient sortis ». Et quelques familles arrêtaient de venir voir les leurs pour ce motif.

Les gardiens ou militaires de la prison profitaient de leur situation pour abuser des femmes : « J’étais là quand les femmes qui venaient rendre visite à leurs pères, frères ou maris étaient amenées à coucher avec les soldats ou gardiens, notamment les sous-lieutenants Beni et Kayijamahe, les sergents Emmanuel, Valens et Sibomana, pour pouvoir voir les leurs ».

  • Le cas spécifique de sa famille

En Juillet 1995 Kalima n’a pas eu la visite de sa mère pendant deux semaines. Il commençait à s’inquiéter quand il a appris qu’elle avait été arrêtée. « Un vendredi après-midi, un de mes compagnons de prison qui la connaissait m’a informé que ma mère était maintenant en prison (quartier des femmes), qu’elle lui avait demandé de m’en informer. J’étais tellement dévasté et espérais qu’elle serait libérée car cette femme ne pouvait même pas faire du mal à une mouche ». Kalima l’a vue le dimanche à l’église dans la messe catholique romaine du dimanche. Voir sa mère en uniforme rose et le crâne rasé, comme il est de coutume pour les détenus au Rwanda, a brisé Kalima. Sa mère lui a souri et salué de loin car le contact n’était pas permis entre les prisonniers.

Le vendredi suivant, à l’occasion de la visite spéciale hebdomadaire autorisée entre les détenus de sexe masculin et féminin apparentés, Kalima a vu sa mère, « elle continuait à lutter pour s’habituer à la réalité de la vie carcérale et espérait sortir assez rapidement et que les choses reviendraient à la normale ». Entre deux visites hebdomadaires Kalima et sa mère s’envoyaient des avions en papier pour communiquer. C’est ainsi que les détenus hommes et femmes communiquaient entre eux, c’était interdit mais ils passaient outre.

En octobre 1997, la mère de Kalima est tombée malade et a été transférée à l’hôpital de Kigali (CHK). Ce sont les membres de la Croix Rouge qui ont informé Kalima, il a été autorisé à aller la voir 3 jours avant sa mort et a passé 7 heures à son chevet « je pouvais voir qu’elle était fragile et ne pouvait pas y arriver ». Elle a gardé un visage courageux et a dit à son fils qu’ils allaient être libérés, que Dieu ne pouvait pas autoriser qu’une telle injustice se poursuive. Le souhait de la mère était que le fils soit libéré avant elle pour qu’il puisse reprendre ses études. Kalima garde en mémoire précieusement le passage de la bible que sa mère avait collé sur son lit d’hôpital «Il y a deux choses que je t’ai demandées ; Ne me les refuse pas avant que je meure : Éloigne de moi fausseté et paroles mensongères ! Ne me donne ni pauvreté, ni richesses ! Dispense-moi le pain de mon ordinaire, De peur qu’étant rassasié je ne te renie Et ne dise : Qui est l’Éternel ? Ou qu’étant devenu pauvre, je ne dérobe Et ne porte atteinte au nom de mon Dieu » Proverbes 30 :7-9. Ce jour-là le fils et la mère ont parlé de beaucoup de choses.

Le 04 novembre 1997, Kalima s’est réveillé avec un mal de dos, une chose inhabituelle vu son jeune âge, et une mauvaise humeur. Plus tard dans la matinée il a été appelé pour aller dans les services sociaux de la prison, là il a rencontré son cousin qui lui apportait la pire nouvelle de sa vie : « Ma mère avait respiré pour la dernière fois, j’ai fondu en larmes ». Il est retourné à l’intérieur de la prison, il ne voulait parler à personne. Les mauvaises nouvelles se rependaient rapidement dans la prison et de nombreux détenus sont venus le voir sur son lit où il était assis pour le consoler : « Plus les gens essayaient de me réconforter, plus la nouvelle me faisait mal, plus j’étais triste, ma meilleure amie était partie, la femme qui a souffert de l’injustice d’un régime qui était obstinément décidé à faire souffrir une partie de la population était décédée, Elle avait emporté avec elle ses espoirs d’avoir droit à une justice, ses rêves de voir ses enfants grandir, son rêve de devenir grand-mère. Elle était partie aussi avec la douleur, la souffrance d’avoir vu la vie de ses enfants brisée, de les laisser jeunes, devant affronter par eux-mêmes un monde plein de haine ». Kalima n’était pas autorisé à aller enterrer sa mère, « c’est la vie en prison » mais se consolait qu’elle ait eu un enterrement digne.

La seconde naissance

Kalima est sorti de la prison le 29 juillet 2005 quand on a sorti des prisons toutes les personnes qui avaient moins de 18 ans pendant le génocide. Il n’a pas pu reprendre les études car il manquait de soutien. Le jour de sortie, Kalima avait des sentiments mixtes, il était content de retrouver enfin la liberté et en même temps appréhendait la réintégration dans la société: « J’avais peur que l’on s’en prenne à moi et je ne savais pas où j’allais habiter. J’étais un adolescent quand je suis allé en prison et j’étais devenu un homme à la sortie, je ne me voyais pas vivre chez quelqu’un ».

La prison avait détruit sa famille: orphelin de père, aîné de sa famille, lui en prison c’était un soutient en moins pour sa mère et ses petits frères et sœurs. L’emprisonnement de sa mère a nui au reste de la fratrie, qui a grandi blessée au point de ne pas aller rendre visite à leur maman et grand frère. La familleélargie avait pris soin d’eux. A la sortie de prison, Kalima est passé par un camp de rééducation pendant un mois. « On nous apprenait l’évangile du FPR ». Après on leur a donné les papiers pour rentrer chez eux et ils devaient se présenter au parquet tous les derniers vendredis du mois. Une fois dehors, le premier conseil que l’on a donné à Kalima est de « vivre en marchant sur les œufs car les gens avaient beaucoup changé». L’appréciation de Kalima du Rwanda après la prison a été que « le pays avait beaucoup changé, les gens, la culture et les comportements avaient changé. Le Rwanda me faisait peur, je ne me voyais pas dans ce Rwanda ».

La vie après la prison a été difficile, Kalima n’a pas pu s’y habituer, il sentait peser sur lui le stigma d’avoir été emprisonné pour le crime de génocide même s’il était innocent. Quand c’était possible, il essayait de le cacher et il a fini par prendre le chemin de l’exil. Malgré la dureté de la vie en prison, elle a été pour Kalima une école de la vie, il y a appris l’anglais, le dédouanement, faire les études des projets et la construction (la théorie). Lorsqu’il est invité à dire un mot sur son expérience Kalima répond « la prison a brisé mes rêves et m’a laissé une dépression dont je souffre toujours »

Le message que Kalima veut faire passer auprès du grand public est de ne pas croire que toutes les personnes en prison sont des malfaiteurs. « Il y a des innocents qui sont en prison à la suite de fausses accusations dont ils ont fait l’objet, ou parce que des plus forts qu’eux les ont fait mettre en prison. Ils sont en prison parce qu’ils faisaient des envieux, ou à cause de la haine ». Il encourage les gens qui ont les leurs en prison d’aller les voir, de ne pas les abandonner car la vie en prison est très dure. «Si vous ne pouvez pas y aller, envoyez quelqu’un à votre place ».

Pour finir, il dit qu’il n’y a pas que du négatif dans la prison, il y a des choses positives comme « le vivre ensemble, c’est une école de la vie, si on n’y restait pas longtemps on en ressortirait avec des nouvelles perspectives sur la vie, mais quand l’on y reste longtemps, la prison abîme ».

La vie en prison a inspiré à Kalima cette devise qu’il partageait avec les jeunes codétenus : « Ne jamais laisser personne briser nos esprits, ils ont peut-être brisé nos os, brisé nos rêves mais nos esprits sont restés intacts. Je ne succomberai jamais à la haine, je ne chercherai jamais à me venger, je plaiderai toujours pour la justice et l’équité, je ne soumettrai jamais aucun être humain à la torture ou à la détention illégale. Au travers de l’expérience en prison les mains de Dieu m’ont gardé, je remets mon destin entre ses mains».


[1] Le titre du responsable de prison.


Rwanda : la négation du génocide commis contre les Hutus

Contribution externe: Article d’opinion soumis pour publication par Rudatinya Mbonyumutwa

Tous les génocides sont confrontés à leur négation.

Celui commis contre les Hutus du Rwanda par le FPR (Front Patriotique Rwandais) de Paul Kagame pendant plus d’une décennie à partir du début de l’année 1991 n’échappe pas à la règle.

Or la négation d’un crime avéré n’est pas seulement un acte de solidarité avec l’auteur mais un acte de complicité qui contribue à parachever ce crime.

Le génocide perpétré contre les Hutus a des caractéristiques communes à tous les génocides mais il a aussi ses caractéristiques propres.

Il en est de même de sa négation qui a des points communs avec celle des autres génocides mais qui connaît des particularités inédites.

Un génocide caractérisé par son impunité

Comme tous les génocides, il remplit la caractéristique principale d’être le crime des crimes, c’est-à-dire celui qui a consisté à supprimer l’autre pour ce qu’il est.

Mais parmi ses caractéristiques propres les plus effrayantes, il y a d’abord l’impunité totale de ses auteurs.

Ils ont accédé au pouvoir au Rwanda il y a 25 ans et leurs crimes semblent passer inaperçus aux yeux des autres nations, ce qui est impossible à comprendre.

Il apparaît, de manière flagrante aujourd’hui, que ce génocide contre les Hutus a été le passage presque obligé de la plus grande entreprise criminelle de néo-colonisation de l’Afrique à la fin du 20èmesiècle.

La guerre menée par le FPR contre la République rwandaise à partir du 1eroctobre 1990 avait certes un objectif politique interne de revanche sur la révolution rwandaise de 1959 qui a émancipé la population majoritairement hutue.

Mais elle avait aussi un objectif international d’extension de l’influence anglo-saxonne et de pillage des ressources minières de l’Est de la République Démocratique du Congo au profit de multinationales occidentales.

Les ouvrages précis se sont multipliés ces dernières années sur le sujet et la seule consolation actuelle des victimes, en attendant que justice leur soit rendue, est de commencer à comprendre ce qu’il s’est réellement passé.

Il s’agit de l’alliance entre ces multinationales et la frange rwandaise de l’armée ougandaise de l’époque, les premières ayant offert leur soutien financier, politique et médiatique à la seconde qui a fait le travail sur le terrain pour leur offrir l’accès incontrôlé à ces ressources minières cruciales pour les nouvelles technologies.

A y réfléchir, il est évident que la prise du pouvoir militaire total au Rwanda par le FPR et l’invasion de l’Ex-Zaïre, aujourd’hui République Démocratique du Congo, ne pouvaient se faire que moyennant l’extermination d’une partie de la population hutue, majoritaire à 85 % au Rwanda, si l’objectif était d’y installer un pouvoir militaire issu de la minorité tutsie.

Mais la grille de lecture communautaire ou « ethnique » de ce conflit s’arrête là.

C’est-à-dire que le FPR est un mouvement politique et militaire issu de la minorité Tutsi qui a chassé du Rwanda un pouvoir en place issu de la majorité Hutu, grâce à l’armée de l’Ouganda voisin et le soutien de parrains occidentaux.

Mais il ne s’agit absolument pas de massacres inter-ethniques, comme ce que l’on a parfois pu lire, ou d’un conflit entre Hutus et Tutsis pris dans leur ensemble.

L’immense majorité des Hutus et des Tutsis n’a fait qu’être victime de cette guerre et surtout des crimes commis par les organisations politiques et militaires qui étaient impliquées dans le conflit, dont le FPR de Paul Kagame.

L’impunité est donc la première caractéristique de ce génocide qui est la conséquence d’un deal néocolonial réalisé sur place par une Armée Patriotique Rwandaise dont plus de la moitié des officiers supérieurs avaient moins de 25 ans en 1994 et dont les victimes sont aujourd’hui estimées à +/- 2,5 millions d’âmes.

L’impunité est telle qu’il subsiste une forme d’omerta lorsqu’il s’agit de nommer publiquement les auteurs de ce génocide.

L’impunité est la pire chose qui peut suivre un crime de telle nature.

L’impunité facilite en effet la négation et terrorise absolument les victimes tout en confortant l’auteur dans l’idée qu’il a agi comme il devait agir, surtout s’il a pris le pouvoir par le biais d’un tel crime.

Un génocide largement documenté

La deuxième caractéristique de ce génocide est précisément la documentation qui existe à son sujet et qui contraste avec son impunité.

Certes, tous les génocides sont documentés et il est impossible d’imaginer un crime de génocide parfait qui n’aurait laissé aucune trace et qui n’aurait connu aucun témoin mais dans le cas du génocide commis contre les Hutus, la documentation qui existe est particulièrement parlante.

S’agissant chronologiquement du dernier génocide en date dans l’histoire de l’humanité, il a pratiquement été filmé et photographié en direct par satellite.

Quelques rares images sont tombées aux mains du public et ont inspiré des films édifiants comme « Tears of the Sun / Les larmes du Soleil» du réalisateur Antoine Fuqua, sorti en 2003 avec le célèbre acteur Bruce Willis.

Mais il a surtout fait l’objet de rapports onusiens dressés par des observateurs neutres dans le cadre de leurs missions officielles au service des Nations Unies.

Le rapport Mapping publié en août 2010 par le Haut-Commissariat aux Droits de l’Homme des Nations-Unies est le document de référence en l’espèce (https://www.ohchr.org/documents/countries/cd/drc_mapping_report_final_fr.pdf) et n’est pas l’œuvre de n’importe qui puisqu’il s’agit de l’équipe de Madame  Navanathem Pillay (ancienne présidente du TPIR – Tribunal Pénal International pour le Rwanda) et de Madame Louise Arbour (ancienne procureur du TPIR).

A la page 589 du rapport Mapping, paragraphe 514, on peut notamment y lire ce qui suit et qui ne laisse aucun doute sur la nature du crime :

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« Au moment des incidents couverts par le présent rapport, la population hutu du Zaire, y compris les réfugiés venus du Rwanda, constituait un groupe ethnique au sens de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide. Par ailleurs, comme il a été démontré précédemment, l’intention de détruire un groupe en partie est suffisante pour être qualifiée de crime de génocide. (…) On peut donc affirmer que, même si seulement une partie du groupe ethnique hutu présent au Zaïre a été ciblée et détruite, cela pourrait néanmoins constituer un crime de génocide si telle était l’intention des auteurs. Finalement, plusieurs incidents répertoriés semblent également confirmer que les multiples attaques visaient les membres du groupe ethnique hutu comme tel. (…). »

Les passages en gras, sont en gras dans le texte cité.

Mais il existe plusieurs autres rapports et notamment deux autres rapports précédents qu’il est impossible de passer sous silence.

Il s’agit de ceux de Monsieur Robert Gersony du 19 octobre 1994 et de Monsieur Roberto Garreton du 2 avril 1997.

Le rapport Gersony a spécifiquement documenté le génocide commis contre les Hutus sur le territoire du Rwanda pendant et après la conquête militaire du FPR, alors même que la mission de son auteur était d’enquêter sur les crimes commis sur le territoire du Rwanda à partir du mois d’avril 1994, avec la présomption que tous les crimes avaient été commis par les milices Interahamwe.

Ce rapport est donc particulièrement important car il résulte d’une enquête neutre réalisée sur le terrain entre août et septembre 1994, auprès de dizaines de site de massacres au Rwanda, en recueillant à chaud la parole des survivants qui ont désigné le FPR comme ayant été de loin l’auteur des tueries les plus importantes.

Le rapport Gersony n’est certainement pas étranger au libellé neutre et général de la résolution 955 du Conseil de Sécurité de l’ONU, prise le 8 novembre 1994 et portant création du Tribunal Pénal International pour le Rwanda.

Cette résolution a en effet créé un Tribunal International pour punir les crimes commis au Rwanda et sur les territoires voisins entre le 1erjanvier 1994 et le 31 décembre 1994 sans aucune précision quant à l’auteur éventuel de ces crimes et sans aucune précision quant aux victimes éventuelles.

Elle laissait donc la possibilité de poursuivre et de punir tous les crimes de droit pénal international commis par tous les auteurs contre toutes les victimes, c’est-à-dire à la fois ceux commis par les Interahamwe et ceux commis par le FPR.

Ce n’est que pour des raisons politiques que le Procureur du Tribunal Pénal International pour le Rwanda a choisi de ne pas poursuivre les crimes commis par le FPR, ce qui a finalement favorisé et même garanti cette impunité depuis 25 ans.

En vertu du principe de la compétence universelle lorsqu’il s’agit de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité et de génocide, les justices de deux pays ont quand même tenté de mettre fin à cette impunité.

C’est ainsi que le juge espagnol Fernando Andreu Merelles, après avoir reçu des plaintes des familles de victimes, a enquêté sur ces crimes et délivré en février 2008 des mandats d’arrêts contres 40 hauts responsables du FPR pour génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre.

La France a également lancé une enquête indirecte sur ces crimes dans le cadre de l’enquête concernant l’attentat terroriste qui a coûté la vie à l’équipage français qui transportait le Président Juvénal Habyarimana et d’autres hautes personnalités, dont son homologue burundais Cyprien Ntaryamira.

Mais ces enquêtes n’ont abouti à aucun procès jusqu’à ce jour et semblent avoir été entravées par des intérêts géostratégiques et politiques.

Un génocide raconté librement par ses exécutants

Ensuite, et c’est assez singulier comme documentation pour le souligner, il s’agit d’un génocide qui a été raconté par écrit, par certains de ses exécutants et notamment par deux ouvrages de soldats du FPR qui ont donné des dates, des lieux et des précisions d’une valeur inestimable pour les victimes.

De mémoire d’homme, jamais les exécutants d’un génocide ne s’étaient repentis au point d’en témoigner librement et sans contrainte, par écrit dans des ouvrages de référence tel que c’est le cas au Rwanda, notamment dans le livre d’Abdul Ruzibiza (Rwanda : l’histoire secrète) ou dans celui du journaliste Jacques Pauw (Rat Roads), ce dernier ne faisant que retranscrire les propos recueillis directement auprès d’un ancien militaire du FPR qui s’est confié sur ses crimes.

C’est important de souligner ici le fait que ces exécutants en ont témoigné librement car il est évidemment plus douteux de faire parler des exécutants ou de prétendus exécutants s’ils sont en prison ou sous contrainte.

Avec toute cette documentation qui retrace une planification et une exécution méthodique et organisée, la justice que réclament les victimes à cor et à cri serait bien plus aisée à rendre que ce qui a déjà été vu devant les Tribunaux pénaux internationaux ou la Cour pénale internationale pour d’autres crimes.

En plus, les auteurs de ce génocide appartenaient à une armée structurée qui se disait elle-même disciplinée de sorte qu’il n’y aurait aucun mal à identifier ceux qui l’ont commis, même si l’idée ne serait probablement pas de poursuivre les petits exécutants dont certains étaient des enfants soldats.

En termes d’organisation, de nombreux réfugiés ayant échappé au génocide commis contre les Hutus racontent qu’ils ont été alertés par des soldats du FPR en première ligne qui leur disaient de fuir parce qu’il y avait derrière eux d’autres soldats chargés d’éliminer la population civile.

Il y a encore, en Europe d’ailleurs, de nombreux anciens soldats du FPR qui racontent le travail qu’ils ont dû faire et qui précisent par exemple qu’il a fallu dans certains cas avoir recours à des bulldozers venus d’Ouganda pour ensevelir leurs victimes dans des fosses communes au Rwanda.

L’un d’entre eux disait avoir déjà eu le doigt gonflé pour avoir appuyé toute une journée sur la gâchette de sa Kalachnikov en abattant des civils Hutus désarmés dans l’ancienne préfecture de Byumba au Nord du Rwanda.

Les auteurs ont à ce point été peu inquiétés que le Net a vu fleurir dernièrement des reportages à leur gloire dans lesquels ils se vantent ouvertement et avec arrogance des crimes qu’ils ont commis, le dernier de ces reportages qui leur rend hommage étant tout simplement intitulé « Inkotanyi » et diffusé au Cinéma.

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Un charnier a été mis au jour dans ce camp de réfugiés hutus le 27 avril 1995. Un massacre attribué à l’APR. Dix-huit sites de massacre sont recensés dans le rapport du TPIR. – PASCAL GUYOT / AFP

Un génocide d’une durée insupportable

La troisième caractéristique est sa longue durée.

L’histoire récente, c’est-à-dire celle du 20èmesiècle, n’a pas connu de génocide d’une durée aussi longue.

Le rapport mapping, cité précédemment, examine la période entre 1993 et 2003, soit 10 longues années suffisantes pour exterminer une partie de la population hutue du Rwanda et bien sûr une partie de leurs frères congolais victimes des richesses minières de leurs pays.

Mais il est certain que ce génocide a commencé bien avant 1993, au Nord du Rwanda et qu’il est impossible de savoir à quel moment précis on peut considérer qu’il a pris fin puisqu’aucun évènement politique ou militaire n’est venu l’arrêter.

Un génocide efficace

La quatrième caractéristique, parmi d’autres qu’on ne pourra pas aborder ici dans leur ensemble, est l’efficacité de ce génocide qui compte pourtant le plus grand nombre de survivants directs d’un génocide à l’heure actuelle sur terre.

En effet, ce génocide a été efficace puisqu’il a permis d’atteindre rapidement le but visé par cette entreprise criminelle néocoloniale.

Les Hutus qui étaient près de 6 millions au Rwanda au début de l’année 1994 et qui vivaient dans leur pays en occupant tous les secteurs publics et privés n’ont pas seulement été intégralement chassés de ces secteurs, ils ne sont plus là.

Beaucoup sont en exil, nombre d’entre eux ont été emprisonnés mais leur disparition est due essentiellement à leur extermination systématique pour ne laisser place qu’à une nouvelle génération meurtrie.

Ce génocide s’est donc avéré efficace sur cet aspect-là et il n’est pas étonnant que l’impunité actuelle ne fasse que rassurer les auteurs quant au bien-fondé de la solution qu’ils ont trouvée et qu’ils sont naturellement déterminés à remettre en œuvre si les circonstances le justifient à l’avenir.

Un génocide confronté à un négationnisme insidieux

Quant à sa négation, elle connaît évidemment les mêmes mécanismes que la négation de tous les autres génocides.

Personne n’ose nier les faits, c’est-à-dire l’extermination systématique d’une partie de la population Hutue au Rwanda et sur le territoire de la République du Congo par le FPR, hommes, femmes et enfants indistinctement.

Ce génocide échappe donc à la forme primaire du négationnisme, celle qui consiste juste à nier les faits et à affirmer que cela n’est pas arrivé.

Mais les autres formes de négationnisme auxquelles il est confronté ne sont pas moins pernicieuses ou moins dangereuses.

La minimisation du nombre de victimes

La première d’entre elles est la minimisation du nombre de victimes qui est commune à la négation de tous les génocides.

Combien de fois n’a-t-on pas lu et entendu par exemple que le nombre de Hutus victimes ne dépasserait pas 500 000… ? 

Comme si cela n’aurait d’ailleurs pas été assez.

Il suffit de prendre le cas des camps de l’Est de la République Démocratique du Congo dont les réfugiés avaient été minutieusement comptés par les organisations humanitaires qui sont venues à leur secours en juillet 1994.

Ces camps comptaient près de 2 800 000 réfugiés en octobre 1996, à la veille de l’attaque et de la destruction de ces camps par les troupes du FPR.

En mai 1997, le gouvernement du FPR à Kigali se targuait d’avoir rapatrié 500 000 réfugiés de force au Rwanda tandis que les autres s’étaient dispersés dans les forêts de la République Démocratique du Congo, entre la frontière du Rwanda à l’Est et celle du Congo Brazzaville à l’Ouest.

Le nombre de réfugiés survivants dénombrés par le HCR au Congo au début de l’année 1998 et dans les années qui ont suivi fut évalué à 400 000.

C’est ce chiffre qui est encore avancé aujourd’hui et qui permet d’évaluer les victimes rwandaises du FPR sur le seul territoire du Congo, entre 1996 et 1997 mais aussi dans les années qui ont suivi, à +/- 1,5 millions de morts, si l’on tient compte des quelques survivants qui ont pu rejoindre les pays limitrophes.

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À la suite de violents combats, un million de réfugiés hutus ont fui, et 2 000 d’entre eux sont partis dans un train surpeuplé reliant Biaro à Kisangani. À son arrivée à Kisangani, il apparaît que 100 personnes sont décédées au cours du voyage. Une femme avec son bébé pleure un membre de sa famille qui est décédé.

La dénaturation du crime

Vient ensuite la dénaturation du crime dont les Hutus ont été victimes qui est aujourd’hui la forme la plus virulente de sa négation.

Le crime de génocide étant le crime le plus grave du droit international humanitaire, sa dénaturation ne va jamais que dans le sens d’en atténuer la gravité.

C’est ainsi que le génocide dont les Hutus ont été victimes de la part du FPR a par exemple souvent été qualifié d’exactions ou est systématiquement banalisé comme étant des massacres sélectifs ou des massacres à grande échelle.

Aujourd’hui, l’évidence des faits amène certains à accepter quand même de le qualifier de crime contre l’humanité sans néanmoins utiliser le terme de génocide.

Il paraît pourtant essentiel de qualifier le crime comme il se doit sans le dénaturer et de le qualifier correctement en nommant les victimes, s’agissant d’un génocide.

C’est ainsi que des expressions génériques comme « génocide rwandais », « tragédie rwandaise », « drame rwandais » peuvent à juste titre être considérées comme inadéquates à l’égard de la spécificité du génocide commis contre les Hutus ou du génocide commis contre les Tutsis.

Si ce crime a été commis dans un cadre général caractérisé par la commission d’autres crimes graves de droit international, il n’est pas correct de le noyer dans une appellation générique qui ne fait que semer la confusion.

C’est-à-dire que si le constat factuel et juridique est qu’il y a eu deux génocides au Rwanda, un génocide commis contre les Hutus par le FPR entre 1991 et 2003 mais aussi un génocide commis contre les Tutsis par les miliciens Interahamwe au sens large entre avril et juillet 1994, le fait de désigner le tout comme étant un « génocide rwandais » revient finalement à nier les deux génocides.

La diabolisation des victimes 

La diabolisation des victimes est certainement la forme la plus abjecte de la négation du crime de génocide et est souvent liée à la dénaturation du crime.

Dès 1994, une presse de mauvais aloi, sans doute à la solde de ceux qui ont perpétré ce génocide, a entrepris de diaboliser les Hutus d’une manière générale en leur donnant pernicieusement une image antipathique auprès du public.

Le paroxysme a été atteint en 1996 lorsqu’une journaliste écrivait par exemple, pendant que le FPR détruisait à l’arme lourde les camps de réfugiés Hutus à l’Est du Congo et exterminait hommes, femmes et enfants sous les yeux indulgents du monde entier, qu’il fallait finalement se demander si ces enfants n’étaient de toute façon pas de futurs génocidaires qui auraient hérité de l’idéologie de leurs parents.

Il était en effet acquis, pour cette journaliste, que les Hutus dans leur ensemble étaient en effet des génocidaires et que seuls les Hutus modérés, morts ou restés au Rwanda, échappaient à cette idéologie génocidaire transmise aux enfants.

Cette expression de « Hutus modérés » participait d’ailleurs de cette campagne de diabolisation puisqu’elle visait à introduire de manière subliminale l’idée que les Hutus auraient été mauvais par essence mais qu’il y en avait des modérés.

Si l’on sait que l’on ne peut être modéré ou pas que dans ses opinions mais certainement pas dans ce que l’on est, il est aisé de comprendre le but de ceux qui ont inventé cette expression et qui tentent encore de la pérenniser.

Cette manière de diaboliser ceux qu’on veut exterminer pour ce qu’ils sont, en attribuant globalement des crimes à leur groupe national ou ethnique, comme ceux qu’on accusait d’avoir tué Jésus-Christ, est connue depuis la nuit des temps et fait parfois et même toujours mouche dans l’esprit de certains publics.

Une fois les victimes diabolisées, les crimes commis contre elles deviennent alors excusables, voir justifiables mais perdent en tout cas leur gravité pour devenir des représailles ou de la vengeance, si quelqu’un s’y intéresse encore.

L’exemple le plus terrible en ce qui concerne le Rwanda concerne les prisons mouroirs du Rwanda et les fameuses juridictions gacaca dont la fonction était avant tout de purger le pays des hommes Hutus, en commençant par ceux qui étaient instruits, mais qui furent présentées comme étant destinées à punir les auteurs du génocide commis contre les Tutsis alors que cela était accessoire.

Dans le prolongement des gacaca, la dernière trouvaille du gouvernement du FPR à Kigali est ce programme intitulé « Ndi umunyarwanda » (Je suis Rwandais), destiné aux jeunes Hutus appelés massivement à demander pardon pour les prétendus crimes commis par leurs parents puisqu’ils ne peuvent matériellement plus être poursuivis pour avoir commis un génocide avant leur naissance.

Le gouvernement du FPR tente aujourd’hui d’expliquer qu’il serait en train de lutter contre une idéologie génocidaire qui aurait été transmise aux enfants Hutus, c’est-à-dire ceux qui dénoncent le génocide commis par le FPR.

Les victimes sont donc diabolisées comme étant des criminels dans une logique totalement pernicieuse qui consiste à vouloir occulter la réalité du génocide commis contre les Hutus en brandissant systématiquement la lutte contre la négation du génocide commis contre les Tutsis.

La mise en concurrence avec un autre génocide

Ceci nous amène à une autre forme de négationnisme qui n’est pas non plus l’apanage du génocide commis contre les Hutus.

Il s’agit de celle qui consiste à nier le crime en invoquant l’existence d’un autre crime concomitant ou antérieur qui viendrait presque justifier ce génocide.

Nous avons tous déjà entendu l’expression de contre-génocide que certains avaient voulu consacrer pour qualifier le génocide commis contre les Hutus, après celui commis contre les Tutsis, dans une démarche de quasi absolution pour le FPR auteur du génocide contre les Hutus.

C’est encore ce qui défraie la chronique ces derniers temps puisque de nombreuses personnes peinent encore à reconnaître l’existence d’un génocide commis contre les Hutus pour le seul motif qu’il y aurait eu un génocide commis contre les Tutsis au Rwanda au même moment.

Pire, certains jeunes rwandais innocents arborent fièrement des tee-shirts ouvertement négationnistes contre le génocide des Hutus sur lesquels on peut lire qu’il n’y a eu qu’un seul génocide au Rwanda, celui commis contre les Tutsis, sous-entendant par-là qu’il n’y a pas eu de génocide perpétré contre les Hutus.

C’est une erreur fondamentale de jugement de nier le crime de génocide commis contre un autre groupe au motif que son groupe aurait aussi été victime d’un génocide, comme s’il s’agissait de revendiquer une forme d’exclusivité macabre.

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Les corps sans vie des déplacés Hutus de Kibeho surplombé par des soldats du FPR (février 1995)

En effet, le génocide commis contre les Hutus est un crime distinct de celui qui a été commis contre les Tutsis et l’un ne justifie pas l’autre ni ne l’occulte.

L’un, celui commis contre les Tutsis, a été commis par ceux qu’on a globalement qualifiés d’Interahamwe au sens large pendant une période allant d’avril à juillet 1994 dans la zone officiellement sous contrôle du gouvernement intérimaire.

L’autre, celui commis contre les Hutus, l’a été sur une plus longue période, c’est-à-dire à partir de la fin janvier 1991 jusqu’au moins en 2003.

Il a également été perpétré sur un territoire plus grand, en l’occurrence une région allant de tout le territoire du Rwanda, selon l’époque, puis sur une bande s’étendant du Nord-Est au Nord-Ouest de la République Démocratique du Congo.

Et la transition est ainsi toute trouvée vers une autre forme de négationnisme particulière au génocide commis contre les Hutus et sans doute la plus incongrue.

La négation en miroir

En effet, la campagne de négation du génocide commis contre les Hutus, dont on voit qu’elle émane de ceux qui l’ont commis, c’est-à-dire les officiers du FPR encore au pouvoir à Kigali, consiste essentiellement à museler toutes les personnes qui se battent pour la reconnaissance du génocide commis contre les Hutus et pour la justice envers ses victimes, en accusant ces personnes d’être des négationnistes du génocide commis contre les Tutsis.

Ceux qui se battent pour que le génocide commis contre les Hutus soit reconnu et que ses auteurs soient punis sont gratuitement taxés de « négationnistes » parce que « partisans de la thèse du double génocide ».

Or, en toute logique, ce n’est pas celui qui clame l’existence d’un deuxième génocide qui est susceptible de négationnisme mais celui qui nie ouvertement et impunément l’un d’entre eux sans aucun argument factuel ou juridique.

Le génocide commis contre les Hutus n’est pas le fruit d’une thèse ou l’œuvre de partisans mais une réalité affreuse dont l’horreur suprême est de continuer à terroriser ses victimes plutôt qu’à leur rendre justice.

Cette campagne est de toute évidence absurde et illogique mais elle est pourtant relayée par des milieux intellectuels et politiques en Europe, même s’il ne s’agit pour le moment que de personnalités de second plan.

Bref, se livrer ouvertement à du négationnisme en accusant l’autre, celui qu’on nie, de négationnisme, est le comble du monde à l’envers.

Tout ce qui précède ne signifie pas qu’il n’y ait aucune place pour la discussion ou même la négation légitime et qu’il faille accepter le génocide commis contre les Hutus comme un dogme indiscutable et indéniable.

Chacun est en effet libre de nous démontrer en quoi les deux éléments constitutifs du crime de génocide contre les Hutus ne seraient pas remplis.

En effet, tout crime, quel qu’il soit, nécessite toujours un élément moral et un élément matériel, c’est-à-dire une intention dans le chef de son auteur et des actes.

Pour le crime de génocide, notamment contre un groupe national ou ethnique, l’intention exigée par l’article 2 de la Convention pour la répression et la prévention du crime de génocide du 9 décembre 1948 est celle de détruire en tout ou en partie ce groupe, or cette intention n’est pas contestable en l’espèce.

Elle résulte des faits et des aveux mêmes de ceux qui l’ont commis, sauf qu’ils pensent à tort qu’ils n’ont pas commis de génocide parce qu’ils ne voulaient pas exterminer tous les Hutus mais seulement une partie d’entre eux.

Et les actes exigés sont énumérés au même article et consistent, entre autres, soit dans le meurtre de membres de ce groupe, soit dans l’atteinte grave à son intégrité physique ou dans la soumission intentionnelle de ce groupe à des conditions de vie devant entraîner sa destruction totale ou partielle.

Ces actes sont établis en l’espèce et c’est seulement pour cette raison-là qu’on peut affirmer qu’il y a eu un génocide contre les Hutus du Rwanda.

La démonstration contraire n’étant pas possible de toute évidence, la propagande et l’intimidation des victimes ont pris le relais, au point que la plus grande particularité de la négation de ce génocide commis contre les Hutus vient du fait qu’il est probablement le seul à être nié par les victimes elles-mêmes dont certaines refusent de qualifier de génocide ce dont elles ont été victimes.

Ce n’est ni le sommet de l’aliénation, ni l’illustration la plus aboutie du syndrome de Stockholm, c’est plutôt la conséquence de cette impunité qui pousse les survivants à nier eux-mêmes les crimes dont ils ont été victimes dans une forme de réflexe de survie destiné à amadouer des auteurs dont ils sont encore à la merci.

La négation va encore un cran plus loin lorsque certaines victimes, enrôlées aujourd’hui sous la bannière du FPR à Kigali, sont forcées d’endosser publiquement les crimes du FPR en tant qu’officiels du régime et donc d’endosser en leur propre nom les crimes dont elles ont été victimes.

Le défi actuel n’est même pas de faire reconnaître ce génocide par d’autres mais de le faire reconnaître par les Rwandais eux-mêmes, Hutus et Tutsis, en commençant par les Hutus qui en ont été victimes et qui doivent pouvoir en témoigner ouvertement sans se terrer dans la peur.

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La reconnaissance conditionnée

Combien n’a-t-on pas entendu des gens de bonne foi plaider que si un tribunal devait qualifier de génocide les crimes qui ont été commis contre les Hutus, il faudrait alors l’accepter et se rendre à l’évidence.

C’est cependant un non-sens car l’existence et la qualification d’un crime ne dépendent pas d’une reconnaissance judiciaire.

Au contraire, le fait qu’aucun Tribunal n’ait jamais poursuivi ces crimes est une honte pour l’humanité toute entière.

Patrice Rudatinya MBONYUMUTWA

www.jambonews.net

L’auteur est rwandais, né en 1975. Il est témoin direct de l’histoire récente de son pays à laquelle il s’intéresse depuis son plus jeune âge. Il était au Rwanda le 6 avril 1994 et pendant les semaines qui ont suivi. Il tient à préciser que ce texte est le fruit de plus de 23 ans de réflexion et de recul pendant lesquels il a assisté à de très nombreuses conférences et s’est entretenu avec de nombreuses victimes rwandaises Hutus et Tutsis. Il s’est procuré et a lu plus de 230 livres, sans compter les milliers d’articles, c’est-à-dire pratiquement tous les ouvrages principaux qui ont été publiés sur le Rwanda avant et après 1994 par les auteurs de tous bords. Il est avocat spécialisé en droit pénal qu’il a enseigné à l’Université.

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« Le Rwanda tue le peuple rwandais ? » – Procès en appel de Tom Byabagamba et de Frank Rusagara

Depuis le début du mois de septembre 2019, a lieu au Rwanda le procès en appel du colonel Tom Byabagamba et de son beau-frère le général Frank Rusagara. Les deux prévenus avaient été arrêtés au mois d’août 2014 et condamnés en première instance par un tribunal militaire respectivement à 21 ans et à 20 ans de prison pour une « incitation au soulèvement ». L’arrestation de ces deux hauts gradés de l’armée rwandaise avait soulevé de nombreuses questions, notamment sur les différends fraternels qui existeraient à l’intérieur du tout-puissant Front Patriotique Rwandais. Dans cet article, nous revenons sur les deux premiers jours de ce procès qui se sont avérés hors norme et sur le débat autour des propos qu’aurait tenus le colonel Tom Byabagamba, interprétés par le parquet comme «Le Rwanda tue le peuple rwandais ». C’est la radio La voix de l’Amérique[1]qui a couvert le procès.

Un échange musclé entre l’accusé et la cour d’appel

Des deux accusés, c’est le colonel Tom Byabagamba qui s’est exprimé longuement.  Pour lui, depuis le début de l’affaire les charges qui pèsent contre lui sont des fabrications, un prétexte pour l’arrêter. Il a d’abord informé la cour d’appel que leurs droits de visite n’étaient pas respectés. En effet, ceux qui rendent visite au colonel ne sont pas autorisés à rendre visite au général et inversement. Le parquet a répondu que son rôle consistait uniquement à prendre des décisions et que ce sont les autres instances qui sont responsables de leur mise en application. Le représentant du parquet, le capitaine Faustin Nzakamwita a demandé au colonel Byabagamba de ne pas utiliser des manœuvres dilatoires et de rester centré sur l’objet du procès. Ce à quoi l’avocat du colonel Byabagamba, Me Valery Gakunzi, a répondu qu’il était important de rétablir les droits de son client. Le juge a tranché en ordonnant au colonel Byabagamba de se limiter aux faits du procès en appel. Le colonel Tom Byabagamba, ne se laissant pas faire, a voulu situer le contexte qui selon lui est le vrai motif de son arrestation, la cour l’a rappelé à l’ordre, ce qui lui a donné l’occasion de pointer du doigt la partialité des juges qui l’interrompaient sans lui laisser la possibilité de se défendre.

La vérité derrière les accusations 

L’ancien chef de la garde présidentielle de Paul Kagame  a continué en rappelant à la cour d’appel que le Rwanda est une république et que, dans un tel régime, ce sont les citoyens qui choisissent leurs dirigeants, des élus qui représentent le peuple. Dans ce cas, pose-t-il la question « comment est-il possible que critiquer un gouvernement que l’on a choisi soi-même soit considéré comme un délit ? ». Il a aussi rappelé qu’au mois de juillet, le Rwanda célèbre la Libération [N.D.R. il faisait référence à la fête nationale du 04 juillet qui consacre la prise de la ville de Kigali par le FPR en 1994], et de souligner que : « La Libération couvre de nombreux domaines, comme celui d’une société basée sur la justice et qui serait en principe solide face à des rumeurs. Quand nous avons pris les armes, ce n’était pas pour combattre des rumeurs mais plutôt l’injustice ». Il a poursuivi en disant que la raison pour laquelle il avait été arrêté était sa filiation avec David Himbara, son frère, ancien conseiller du président rwandais Paul Kagame, qui est devenu un des critiques les plus coriaces du régime de Kigali et qui figure aujourd’hui sur la liste noire des opposants au régime. Il a informé la cour que depuis 2010, quand David Himbara a fui le Rwanda, il a été interrogé sans cesse à son sujet. Il a ajouté qu’il n’était pas le seul à avoir subi les conséquences de l’exil de David Himbara. Dan Munyuza, quand il était encore le chef de la police rwandaise, a convoqué la femme de Tom Byabagamba, Mary Baine, pour l’interroger sur les conversations qu’elle avait avec son mari. Les hautes instances du parti au pouvoir, le FPR, ont aussi convoqué sa femme à plusieurs reprises pour l’interroger sur David Himbara. A cela il a ajouté qu’il avait été convoqué par James Musoni, à l’époque ministre du Gouvernement local, pour savoir quelle était sa position sur les élections présidentielles de 2017. Il a ajouté que la liste des harcèlements était longue et a conclu cette partie en disant : « tout le monde connaît la vérité. Ceux qui m’ont fait mettre en prison et moi-même, nous la connaissons ». 

Aux demandes du parquet l’enjoignant de limiter ses dires au jugement du premier procès, le colonel a répondu que le parquet ne pouvait pas réduire les faits du procès en appel à ce jugement qu’il a rejeté et dont il a fait appel. Tom Byabagamba a étayé sa défense en reportant à la cour d’appel qu’une semaine avant son arrestation, en 2014, le général James Kabarebe, ministre de la Défense de l’époque, l’avait mis en garde de ce qui pourrait lui arriver. Il lui a dit, en présence du chef d’état-major des Forces de défense et de celui des Renseignements, que « comme militaire il avait vécu beaucoup de choses et que, peu importe ce qui allait lui arriver, il ne fallait pas qu’il pense à fuir le pays ».

L’absence de preuves

Le second volet de sa défense concernait l’absence de preuves. Pour lui le tribunal militaire l’avait accusé d’incitation au soulèvement de la population, sans preuves. Il accusait le tribunal militaire d’avoir modifié les versions des témoins pour l’inculper. Au cours du premier procès, sept témoins à charge auraient dû être présentés à la barre, quand le colonel David Bukenya, le premier à avoir témoigné, est revenu, à la surprise de tout l’auditoire, sur ses accusations, le juge a alors décidé de ne pas faire passer les autres témoins. Il a souligné qu’il était accusé d’avoir propagé des rumeurs sur le Président rwandais Paul Kagame et sur l’Etat rwandais sur base des propos tenus à Djouba au Soudan du Sud, et trouvait étrange qu’une partie de ceux qui l’accusaient ait rapporté ces propos un an après les avoir entendus, que parmi ceux qui l’accusaient, une partie, dont le général Muganga, n’ait jamais mis les pieds à Djouba. Il a terminé sa défense en demandant que contrairement au premier tribunal qui l’a privé du droit de se défendre, il souhaitait pouvoir, au cours du procès en appel, confronter sa version à celles de ceux qui l’accusaient. 

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Tom Byabagamba, ex-chef de la garde présidentielle en compagnie de son avocat.

La défense du parquet militaire

Au deuxième jour du procès, le tribunal militaire a répondu aux accusations du colonel Tom Byabagamba. Le capitaine Faustin Nzakamwita, qui représente le parquet, a souligné que les dires du colonel n’avaient pas de liens avec les faits dont il est accusé. Selon lui, Byabagamba n’a jamais été poursuivi sur base de sa filiation avec David Himbara et c’est lui qui implique David Himbara dans son dossier. Pour Faustin Nzakamwita, évoquer les désagréments qui sont arrivés à sa femme ou les mises en garde du général James Kabarebe n’apporte rien au procès. Pour lui, le colonel Tom Byabagamba se servait de son procès comme d’une tribune pour adresser un message aux Rwandais. Il lui a donc conseillé de changer de méthode. Revenant sur l’absence de témoins au premier procès, il a défendu que le parquet avait jugé inutile de présenter à la barre une partie des témoins, dont le colonel Masozera, car le tribunal ne s’était pas basé sur leurs témoignages pour statuer. Pour lui, le tribunal militaire a arbitré sans entendre les témoins à la barre car un témoignage est une preuve acceptée par la loi rwandaise, l’analyse des témoignages a été suffisante. Me Valery Gakunzi, avocat de Tom Byabagamba, a plaidé que le procès était ouvert au public, et que de ce fait il était important que les Rwandais sachent ce qui s’y disait car la justice est faite dans leur intérêt. Le parquet ne devrait donc pas voir cela d’un mauvais œil. Le colonel Byabagamba est revenu sur les témoins à charge contre lui en soulignant qu’ils n’étaient pas exemplaires. Pour lui le général David Bukenya a été utilisé par le tribunal militaire pour racheter ses faiblesses. Au Soudan, il avait été chassé de la mission de paix au Darfour car il avait déserté le front pour aller voler des pierres précieuses. 

Les propos de la discorde

Au tribunal, une partie des propos tenus par le colonel Byabagamba a été l’objet d’un long débat portant sur leur sens. A Djouba il est supposé avoir demandé aux militaires « Muzunamura icumu ryari ? », une expression soutenue que l’on peut traduire par « quand est-ce que vous ferez taire vos armes » ? Le débat a consisté à savoir si ces propos pouvaient provoquer un soulèvement de la population au point de la conduire à s’entretuer. Pour la défense du colonel, il a souligné qu’en plus de l’accuser d’avoir tenu ces propos en 2013, aucun accusateur n’était capable de dire le mois ou la date où il aurait tenu ces propos, et qu’au contraire les témoins se contredisaient dans leurs versions. Il a terminé en insistant sur la nécessité de présenter ces témoins à la barre. 

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Lieutenant Joël Mutabazi

Madame Patricia Mukankiko, représentant la cour d’appel, a demandé au colonel Byabagamba le sens de ses propos. Ce dernier a répondu qu’il était déplorable que le premier procureur se soit basé sur ces propos pour l’accuser sans même lui demander leur sens. Il a dit que c’était à l’accusation de répondre à la question, comme c’est elle qui en avait fait un délit. Le capitaine Faustin Nzakamwita a répondu que le colonel faisait semblant de ne pas comprendre, selon le procureur sur base de l’Histoire rwandaise qui a connu le génocide, ces propos signifient arrêter de tuer, que le colonel Byabayanga les a tenus suite à l’assassinat à Gitarama du major John Sengati[2], et qu’il avait appris le meurtre du fils du lieutenant Rutagarama. L’expression « Quand est-ce que vous ferez taire vos armes » peut-elle signifier « quand est-ce que vous nous payerez un coup ? » ou « Quand est-ce que vous nous rendrez visite » ou « quand est-ce que vous nous sauverez ? » Le capitaine Faustin Nzakamwita a demandé au tribunal de faire appel si nécessaire aux instances expertes de la langue et de la culture rwandaises pour qu’elles déterminent le sens de ces propos. Ce qui a suscité une exclamation à voix basse du général Frank Rusagara : « Si ces instances ne sont pas à votre solde ! » Le procureur s’est énervé et a demandé au général Frank Rusagara d’arrêter de l’interrompre. Il a poursuivi en avançant que le colonel Byabagamba, en tenant ces propos, voulait mettre en lumière que le Rwanda tuait le peuple rwandais (U Rwanda rwica Rubanda). Que la chance du Rwanda est que ces propos aient été tenus devant des soldats exemplaires qui ont « arrêté le génocide et qui n’aiment pas l’injustice ». Le malheur pour le Rwanda aurait été que ces soldats acceptent les dires du colonel Tom Byabagamba et se soulèvent contre l’Etat rwandais. Il a rappelé que le général Bukenya était le petit frère du général Kayumba Nyamwasa, ancien chef d’état-major rwandais et opposant en exil à la tête du RNC. De ce fait, quand il a entendu les propos du colonel, il a soupçonné ce dernier d’être en train de tester s’il était de connivence avec son frère. Le procureur a rappelé au colonel que l’on avait placé une confiance exceptionnelle en lui en lui confiant la sécurité du président rwandais Paul Kagame et que tout ce qu’il avait réussi, c’était grâce à l’Etat rwandais ; ce n’était donc pas dans l’intérêt du tribunal militaire de fabriquer des charges contre lui. Le colonel Tom Byabagamba est aussi accusé d’avoir dit que l’Etat rwandais prenait des décisions précipitées et que le lieutenant Joel Mutabazi, ancien garde présidentiel aussi, était innocent. Le procès en appel continue.

Les autorités rwandaises tuent-elles le peuple rwandais ?

En revenant sur l’interprétation du parquet des propos du colonel Tom Byabagamba « le Rwanda tue le peuple rwandais (U Rwanda rwica Rubanda) » qui semblent constituer un délit au Rwanda, on peut rappeler la campagne RwandanLivesmatter dont un des objectifs est de rappeler aux autorités rwandaises que chaque vie rwandaise compte. Le mois d’août 2019 a été aussi meurtrier pour le peuple rwandais que celui de juillet 2019. La liste des victimes non exhaustive est : 

  • Innocent Gisagara et Hussein Mahangayiko : deux prisonniers tués par balles par la police rwandaise au moment où ils voulaient s’enfuir.
  • Védaste Ngendahimana et Callixte Ndahimana. Leurs corps ont été retrouvés, ils sont morts dans des circonstances incompréhensibles.
  • Louis Baziga, chef de la diaspora rwandaise au Mozambique. Trois hommes ont tiré sur lui et il est décédé sur le coup.
  • 4 victimes d’exécution par la police rwandaise, signalées par des témoins.
  • 4 corps anonymes découverts dans différents endroits au Rwanda.

Pour en savoir plus sur les circonstances entourant la disparition des victimes citées, vous pouvez vous rendre sur le site : https://www.rwandanlivesmatter.site/. Il est primordial que les autorités rwandaises autorisent les organismes internationaux qui promeuvent la défense des droits humains à mener des enquêtes indépendantes pour faire la lumière sur les cas révélés et plus globalement sur la situation des droits de l’Homme au Rwanda.

Constance Mutimuyeke

www.jambonews.net

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[1]https://www.radiyoyacuvoa.com/a/5048953.htmlet https://www.radiyoyacuvoa.com/a/5050529.html

[2]www.salem-news.com/articles/may122013/john-sengati-jf.php

Meurtre de Camir Nkurunziza en Afrique du sud : réponses en novembre ?

Ce mardi 10 septembre 2019, les suspects dans le kidnapping ayant mené au décès par balles de l’opposant rwandais Camir Nkurunziza, comparaissaient pour la deuxième fois devant le Godwood magistrate’s Court à Cape Town. Parmi le public figurait Annet kabasindi, la veuve de Camir Nkurunziza qui espérait obtenir des réponses sur les circonstances de la mort de son mari. Elle devra encore patienter, le procès étant une nouvelle fois reporté au 5 novembre 2019 pour « enquêtes complémentaires ». 

Rappel des faits : 

Dans l’après-midi du jeudi 30 mai 2019, trois hommes armés tentent d’enlever Camir Nkurunziza, un ancien garde du corps de Paul Kagame, devenu opposant politique et travaillant depuis comme chauffeur Bolt (une compagnie de transport sud-africaine opérant sous le modèle Uber) à Cape Town. L’homme est placé à l’arrière de son propre véhicule qui se met à rouler à vive allure. L’ancien militaire d’élite rwandais se débat et la voiture se met à zigzaguer attirant l’attention de la police sud-africaine qui se met à sa poursuite. Une fusillade s’en suit, au cours de laquelle Camir Nkuzunziza ainsi que Thabo Majeke, un des assaillants sont abattus. Philwe Zwelinjani, 24 ans, ainsi que Sivatho Tshaka, 28 ans, les deux autres suspects sont arrêtés et sont aujourd’hui respectivement poursuivis pour « meurtre » et « vol aggravé ».

Très rapidement les proches de Nkurunziza ainsi que des membres de l’opposition rwandaise en exil, ont pointé du doigt Kigali comme étant derrière la tentative d’enlèvement, d’autant plus que ce ne serait pas la première fois que des anciens gardes du corps de Paul Kagame ont été enlevés à l’étranger, à commencer par Innocent Kalisa, le frère de Camir Nkurunziza, kidnappé à Kampala en août 2013 alors qu’il était sous la protection du HCR. Quelques mois plus tard, il était réapparu dans les geôles rwandaises avant d’être jugé et condamné à 15 ans de prison, en compagnie de Joël Mutabazi, également ancien de garde du corps de Paul Kagame kidnappé le 25 octobre 2013 à Kampala. Le 13 novembre 2014, c’était autour d’Emile Gafirita de subir le même sort alors qu’il se trouvait à Nairobi, il n’a plus jamais été revu depuis. 

Quelques jours après la mort de Camir Nkurunziza, la rumeur accusant Kigali s’est ravivée lorsqu’un ami burundais du défunt a été blessé par balles alors qu’il se rendait aux obsèques de son ami, rappelant les deuils dans la terreurauxquels les Rwandais sont habitués sous le règne du FPR. Pour Annet Kabasindi, veuve de Camir Nkurunziza et mère des cinq enfants du couple, ces tirs étaient clairement une « menace » et une « tentative d’intimidation » « ceux qui ont tué mon mari, veulent nous faire taire (…) c’est un avertissement à ceux qui viennent présenter leurs condoléances » déclare t’elle dans la foulée à RFI. 

Du côté de Kigali, les réactions n’ont pas tardé à sortir installant une cacophonie ai sein même de la diplomatie rwandaise. 

C’est Olivier Nduhungirehe, secrétaire d’Etat aux affaires étrangères du Rwanda , qui a réagi en premier en félicitant la police sud-africaine pour son action « Les tirs émanant de la police de Goodwood en Afrique du Sud contre des car jackeurs qui n’obéissaient pas aux injonctions de la police, qui ont accidenté d’autres voitures et qui sont sortis de la voiture avec des couteaux ne peuvent jamais être qualifiés d’« exécutions extra judiciaires ». La police sud africaine a agi d’une manière professionnelle ». Peu de temps avant, l’homme à tout dire de Kigali avait été jusqu’à qualifier la victime de « criminel » : « Alors, Camille Nkurunziza, un membre de l’organisation terroriste RNC de Kayumba Nyamasa puis du FNL de Callixte Nsabimana, était aussi un car-jackeur en Afrique du Sud. Il a été tué hier soir par la police de Goodwood alors qu’il résistait avec un couteau à son arrestation. Criminel un jour, criminel pour toujours »  

L’ambassadeur du Rwanda en Afrique du sud, contredira aussitôt le numéro deux de son ministère de tutelle, en confirmant que Camir Nkurunziza était bien un « taximan » qui a été victime d’un « car jacking » ayant mal tourné. 

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Dans un échange WhatsApp avec un autre média sud-africainVincent Karega expliquera que Camir Nkurunziza était un réfugié sous protection de l’Afrique Sud et du HCR, et semblera regretter les propos de son ministère de tutelle « nous ne pouvons pas faire de déclaration au sujet d’une personne qui n’est pas entrée [En Afrique du sud] sous notre passeport et qui s’est déclarée comme réfugiée et non résidente »

Du côté sud-africain, c’est la prudence ; une source proche du dossier a qualifié l’affaire de « sensible » alors que la presse sud-africaine y voyait potentiellement un nouveau test diplomatique entre Kigali et Pretoria

Jambonews.net 

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Rwanda : Un an après, quelle liberté pour Victoire Ingabire et Kizito Mihigo?

Le 14 septembre 2018, le Ministère de la Justice rwandais annonçait la libération de 2140 condamnés parmi lesquels l’opposante politique Victoire Ingabire Umuhoza ainsi que le chanteur chrétien Kizito Mihigo, à la suite à une grâce présidentielle accordée par Paul Kagame. Tous les deux étaient considérés, notamment par les organisations de défense des droits de l’Homme, comme prisonniers politiques. Victoire Ingabire, accusée notamment de minimisation du génocide, est sortie de prison après avoir purgé une peine de 8 ans sur les 15 ans prononcés par la Cour suprême du Rwanda.

Pour sa part, Le chanteur Kizito Mihigo venait de faire quatre ans et cinq mois, sur 10 ans d’emprisonnement prononcés par la haute cour de Kigali pour conspiration contre le pouvoir en place. Un an après leur libération, JamboNews fait le bilan de cette liberté accordée par le Président rwandais.

Les poursuites contre Victoire Ingabire ont commencé en 2010 après son discours au mémorial du génocide à Kigali dans lequel elle appelait le gouvernement rwandais à commémorer toutes les victimes, hutues comme tutsies estimant que c’était la seule voie pour parvenir à une « véritable réconciliation nationale ». Elle a ensuite été accusée de travailler avec les rebelles des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR) en vue de renverser le gouvernement rwandais par la guerre. Quant au chanteur Kizito Mihigo, auparavant très apprécié par le régime en place au Rwanda, c’est la chanson « Igisobanuro cy’urupfu » sortie au mois de mars 2014, un mois avant son emprisonnement, appelant les Rwandais à avoir de la compassion envers toutes les victimes et non pas seulement envers celles du génocide des tutsis, qui a été pour beaucoup d’observateurs la cause de sa disgrâce. Kizito a lui aussi été accusé de travailler avec les groupes d’opposition en exil, notamment le RNC de Kayumba Nyamwasa, en vue de renverser le pouvoir de Kigali.

La grâce présidentielle du Président Paul Kagame en faveur de Victoire Ingabire et Kizito Mihigo, annoncée lors d’un conseil des ministres présidé par le Chef de l’État en personne, avait été interprétée par certains comme un geste politique symbolique visant à soutenir la candidature de Madame Louise Mushikiwabo, à l’époque Ministre des Affaires étrangères du Rwanda, au poste du secrétariat général de la Francophonie. Pour d’autres, le geste politique serait le résultat d’une pression internationale exercée par les grandes puissances sur le gouvernement rwandais, qui est de plus en plus accusé de violations répétées de droits de l’Homme et de libertés fondamentales.

Dans le décret présidentiel qui ordonne la grâce, un article laisse penser que les deux ex-prisonniers politiques ne bénéficient pas d’une liberté totale. En effet, l’article deux dudit décret, précise que non seulement les deux ex-prisonniers doivent se présenter chaque mois au parquet et cela pendant toute la période qui leur restait en prison, mais aussi qu’ils n’ont pas le droit de voyager à l’extérieur du pays.

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Victoire Ingabire à la sortie du Tribunal de Kagarama où elle doit se présenter une fois par mois

Pour Victoire Ingabire:

Pour Victoire Ingabire, en plus de ces conditions imposées après la sortie de prison, plusieurs événements survenus cette année laissent penser que la liberté dont elle jouit n’est que, pour le moins, superficielle.

1. Les menaces du Président Kagame:

Le 19 septembre 2018 (soit 4 jours après la grâce présidentielle), dans son discours devant le parlement, le Président Paul Kagame a tenu des propos menaçants à l’encontre de Victoire Ingabire : « Si vous continuez sur ce ton, vous allez vous retrouver de nouveau en prison« 

2. Disparition de Boniface Twagirimana:

Le 8 octobre 2018 (soit trois semaines après la libération de Victoire Ingabire) Boniface Twagirimana, le Vice-Président des Forces démocratiques Unifiées, les FDU Inkingi, le parti politique de Madame Ingabire, disparaît, 5 jours après son transfert de prison, de sa cellule de prison de Mpanga, la prison la plus gardée du Rwanda. Le gouvernement rwandais évoque une évasion et l’opposition parle d’enlèvement. Près d’une année plus tard, le sort de l’opposant politique demeure inconnu, et sa famille est dans le désarroi.

3. Convocations et interrogatoires 

Le 9 octobre 2018, le lendemain de la disparition de son Vice-Président, Victoire Ingabire a été convoquée et interrogée par la Police Judiciaire rwandaise (RIB) pour ses propos dans les médias. Elle a été questionnée entre autres sur son discours réclamant la libération des autres prisonniers politiques. Au mois de Mai 2019, Victoire Ingabire sera de nouveau convoquée et interrogée par le RIB pour avoir organisé une réunion interdite de son parti politique, durant laquelle elle aurait tenu des propos « divisionnistes ».

4. Assassinat d’Anselme Mutuyimana:

Le 9 mars 2019, l’assistant de Victoire Ingabire, Monsieur Anselme Mutuyimana est retrouvé mort étranglé dans une forêt dans l’ouest du pays, il avait été vu la dernière fois dans une gare de bus en train d’être arrêté par des agents de la police Rwandaise. Le membre des FDU-Inkingi était parti la veille rendre visite à sa famille. Il n’est jamais arrivé à destination.

5. Disparition d’Eugène Ndereyimana

Le 15 juillet 2019, Eugene Ndereyimana, un autre membre des FDU-Inkingi, disparaît sur le chemin vers Nyagatare (District de la province de l’Est) où il se rendait pour une réunion du parti.

Pour Kizito Mihigo

Les apparitions publiques de Kizito Mihigo, chanteur compositeur très connu au Rwanda pour son activisme en faveur de la réconciliation, révèlent aussi des signes d’une liberté pour le moins superficielle :

1. Disparition de sa fondation pour la Paix

La célèbre Fondation Kizito Mihigo pour la Paix (KMP), auparavant très connue pour ses campagnes en faveur de la Paix et de la Réconciliation au Rwanda, n’a plus fonctionné après le retour du chanteur. Pourtant, le jour de sa libération, vêtu en uniforme de son organisation, Mihigo avait annoncé devant la presse qu’il allait se consacrer davantage à sa mission de Paix et de Réconciliation. Durant cette année, la presse locale a publié de nombreux concerts religieux que le chanteur a faits dans les différentes paroisses catholiques à travers le pays.

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Kizito a continué à être très actif dans les activités religieuses

2. Absence très remarquée pendant la 25ème commémoration du génocide.

Le chanteur qui avait l’habitude d’être invité dans des cérémonies officielles organisées par le gouvernement, en particulier les commémorations du génocide des tutsis, n’est pas du tout apparu cette année. Il avait pourtant sorti au mois d’avril une chanson dédiée à la 25ème commémoration, cette fois-ci en ne parlant que de victimes tutsies.

3. Bannissement dans les médias gouvernementaux. 

Au Rwanda, alors que les médias audiovisuels locaux consacrent beaucoup de temps à la chanson rwandaise, la Radio et Télévision gouvernementales ne diffusent jamais les chansons de l’artiste qui reste très populaire et par ailleurs invité par les médias privés. Le bannissement de toutes les activités de Kizito Mihigo dans les médias gouvernementaux avait été officiellement annoncé le 15 avril 2014, par le Directeur Général de l’agence gouvernementale d’information (RBA), Arthur Asiimwe, dans un communiqué adressé aux journalistes. Ce jour-là, après plus d’une semaine de disparition, le chanteur venait finalement d’apparaître menotté et entouré par des officiers de police, plaidant coupable de toutes les accusations pesant contre lui avant même le début du procès.

Sur les réseaux sociaux ou dans des échanges privés, plusieurs citoyens rwandais continuent de se poser des questions sur le bannissement des chansons de Kizito alors qu’il a été libéré suite à une grâce présidentielle, et s’interrogent sur le fait de savoir si cette grâce présidentielle est vraiment complète ou s’il s’agit d’une demie mesure adoptée pour l’image du régime.

Le 14 septembre 2019, un an jour pour jour après l’annonce de la libération de Victoire Ingabire et Kizito Mihigo, Paul Kagame a de nouveau fait référence aux deux ex-prisonniers politiques, dans des propos méprisants et déshumanisants tenus devant les militants du Front Patriotique Rwandais (FPR)

« Il y’a des gens qui étaient emprisonnés et que j’ai gracié. Parfois, je les vois dehors ici, en train de crier; ce genre de petites personnes insignifiantes tu les laisses crier, qu’ils soient victimes d’autres personnes, ils ne seront pas mes victimes. Que cela cesse de nous faire perdre du temps, qu’on devrait consacrer à avancer dans le développement auquel on doit arriver, on vivra avec eux comme ça.»

« Que l’on les laisse, on ne peut pas les changer pour les faire devenir meilleurs que ce qu’ils sont, mais ils sont inoffensifs, laissons-les coincés là où ils sont» a t’il notamment déclaré avec dédain sous les applaudissements nourris des militants du tout puissant parti au pouvoir.

Agnès Uwimbabazi

Jambonews.net 

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Rwanda : Richard Sezibera ou le syndrome Ali Bongo

Il y a presque un an, le président gabonais Ali Bongo a eu un AVC lors d’un voyage officiel en Arabie Saoudite[1]. En absence de toute communication, il s’en est suivi plusieurs spéculations, certains annonçant même son décès. Si avoir un AVC ou un problème médical est commun à tous les mortels, c’est la communication sur un tel évènement qui est délicate. Ça l’est encore plus lorsque la personne concernée est une personnalité publique, voire un chef d’Etat comme Ali Bongo.

Au Rwanda et depuis 2 mois, le ministre des Affaires étrangères, l’ambassadeur Richard Sezibera a disparu de la sphère publique. De plus, lui qui était régulièrement présent sur les réseaux sociaux y a disparu durant quasiment 1 mois et demi entre le 14 juillet 2019 et le 31 août 2019. 

En effet, la dernière apparition publique de Richard Sezibera remonte au vendredi 12 juillet 2019, lorsqu’il était en mission officielle en Angola, où il accompagnait le Président rwandais Paul Kagame. Ils assistaient à un sommet visant à aplanir les tensions entre le Rwanda et l’Ouganda[2].

Comme dans le cas du Président Ali Bongo, plusieurs spéculations vont bon train, tandis que les autorités rwandaises restent totalement silencieuses. 

Le but de cet article est de décrypter cette affaire, comprendre ses enjeux et au-delà, s’interroger sur les difficultés des Etats, en particulier africains, à gérer le sujet sensible et tabou de la maladie d’un dirigeant.

Sans entrer dans le champ privé, voire le secret médical, il est important de communiquer, d’informer l’opinion publique lorsqu’une personne qui exerce des fonctions publiques d’un tel rang se trouve dans une situation qui l’empêche de les exercer pleinement, ne fut-ce que temporairement.

Pourquoi l’affaire Richard Sezibera

L’affaire Sezibera est intéressante et attire l’attention pour deux raisons. La première est la personnalité de Monsieur Sezibera lui-même et sa place dans le dispositif du FPR. La deuxième est le caractère important du ministère des Affaires étrangères qu’il dirige. 

Il est fort probable que si un autre membre du gouvernement rwandais occupant un ministère de moindre envergure avait été dans le même cas que Sezibera, personne n’en aurait parlé.

L’homme Sezibera

Richard Sezibera est un homme politique rwandais né en 1964. Il a grandi au Burundi, puis en Ouganda où il a fait ses études de médecine à la célèbre université de Makerere. C’est un jeune médecin qui, à 26 ans, a rejoint la rébellion du FPR en 1990 à l’insu de ses parents[3]. Sur le front, il était en charge des soins des soldats. En 1993, pour donner suite aux accords d’Arusha prévoyant l’intégration des soldats de l’Armée Patriotique Rwandais (APR) au sein de l’armée régulière, l’APR aligna les grades de ses soldats aux standards internationaux. Ainsi, le Dr Richard Sezibera fut promu au grade de Major[4]comme la plupart des médecins qui avaient rejoint l’APR : le Dr Théogène Rudasingwa, le Dr Emmanuel Ndahiro ou encore le Dr Richard Masozera. 

A la prise du pouvoir par le FPR, le Major Sezibera fut député représentant l’APR à l’Assemblée nationale de transition en 1995. 

En 1997, il était porte-parole de l’APR. A ce titre, il était en première ligne dans les opérations contre les infiltrés abacengezi. Les images de l’agence américaine Associated Press prises le 8 décembre 1997 dans l’ancienne commune de Kanama à Gisenyi, le montre devant les fameuses grottes de Nyakimana où plusieurs milliers de civils furent décimés par les troupes de l’APR[5],[6],.

De 1999 à 2003, Sezibera fut promu ambassadeur du Rwanda aux USA, en remplacement du Major Dr Théogène Rudasingwa qui venait d’être nommé directeur de cabinet de Paul Kagame. 

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C’est à ce titre que Richard Sezibera était aux côtés de Paul Kagame lors de sa première visite et réception dans le bureau ovale du président Bush, le 4 mars 2003. En plus du Dr Muligande, ministre des Affaires étrangères, d’autres militaires à l’époque encore proches de Kagame comme le Colonel Patrick Karegeya, le Lieutenant-Colonel Emmanuel Ndahiro et le Major Théogène Rudasingwa étaient dans le bureau ovale[7].

Prenant encore du poids dans le dispositif du Président Kagame, Sezibera fut nommé son envoyé spécial dans la région des Grands Lacs de 2003 à 2008. A l’époque, cette région était une poudrière. L’armée rwandaise était encore très présente en RDC et sur ce dossier des Grands Lacs, Sezibera semblait avoir le dessus sur le ministre des Affaires étrangères de l’époque, Charles Muligande[8].

En 2008 Sezibera fut nommé au gouvernement comme ministre de la Santé jusqu’en mars 2011 où il fut nommé au poste de Secrétaire Général (SG) de l’East African Community (EAC) pour une période de 5 ans.

En mars 2016, àla fin de ce mandat au SG de l’EAC, son retour au Rwanda fut discret comparativement à la position qu’il venait de quitter. Non seulement aucun poste ne lui fut proposé dans l’immédiat, mais aussi le 8 juillet 2016, il fut mis à la retraite au sein de l’armée rwandaise (Rwanda Defence Forces – RDF)[9].

Il faudra attendre le décès inopiné du sénateur Mucyo, survenu le 3 octobre 2016, pour que Richard Sezibera soit proposé par le FPR comme son remplaçant et « élu » par le collège électoral de la province du Sud le 1erdécembre 2016[10].

Avec le départ programmé de Louise Mushikiwabo pour occuper le poste de Secrétaire générale de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF), il ne serait pas faux d’affirmer que Richard Sezibera n’était pas le plus attendu comme remplaçant de Madame Mushikiwabo, au poste stratégique de ministre des Affaires étrangères du Rwanda.

Le MINAFFET, un ministère clé dans le dispositif de Paul Kagame

Au Rwanda, le ministère des Affaires étrangères est abrégé en MINAFFET. Si à travers ses missions, ce ministère est qualifié de régalien dans plusieurs pays, il l’est encore d’avantage au Rwanda que dirige le Président Kagame. 

Ce n’est pas un hasard si une fois devenu président du Rwanda en avril 2000, Paul Kagame a fait le choix de nommer à la tête de ce ministère les personnes qui ont sa confiance totale et n’a plus fait exercer de contrôle de ce ministère à travers des secrétaires généraux issus du FPR. 

En effet depuis l’avènement du multipartisme et la désignation du 1ergouvernement multipartite le 16 avril 1992, le Minaffet était géré par le principal parti de l’opposition, le MDR (Mouvement démocratique républicain). C’était suite au protocole d’entente sur le gouvernement de transition entre le président Habyarimana et les principaux partis d’opposition de l’époque, en avril 1992.

Il est de notoriété publique que le Président Habyarimana ne s’entendait pas avec les ministres des Affaires étrangères issus du MDR (Boniface Ngulinzira et Anastase Gasana) qui ont dirigé ce ministère entre 1992 et 1994. Dans ses derniers voyages officiels, Habyarimana voyageait plus avec son conseiller diplomatique Juvénal Renzaho (décédé avec lui dans l’attentat contre l’avion présidentiel du 6 avril 1994), qu’avec son ministre des Affaires étrangères.

En juillet 1994, à la prise du pouvoir par le FPR, le premier à occuper ce poste fut l’ambassadeur Jean-Marie-Vianney Ndagijimana, non affilié au FPR et qui démissionna quelques semaines seulement après sa nomination. Le MDR garda le contrôle (relatif) sur le Minaffet jusqu’en 1999, Gasana Anastase, aujourd’hui en exil à l’instar de son prédécesseur, ayant été le détenteur du poste. 

Le Minaffet fut ensuite géré jusqu’en 2000 par un membre du PSD, Augustin Iyamuremye, puis par un membre du PDI (Parti démocrate islamique) Monsieur Bumaya André. A noter que l’ambassadeur Amri Sued Ismaël avait dirigé brièvement ce ministère entre le 8 février 1999 au 7 juillet 1999[11].

Charles Muligande, alors Secrétaire général du FPR, fut nommé ministre des Affaires étrangères le 15 novembre 2012 et depuis ce jour aucun autre parti associé au FPR n’a dirigé ce ministère. De temps à autres, un secrétaire d’état issu de ces partis y est nommé comme le fut Protais Mitali Kabanda du Parti Libéral (PL) ou actuellement Olivier Nduhungirehe du Parti Social-démocrate (PSD).

Le président Paul Kagame est un homme du renseignement et il en maitrise tous les contours. 

Le président Kagame, a besoin de savoir ce qui se passe chez ses collaborateurs ou ses adversaires. Peu importe que les informations qu’il reçoit soient des rumeurs ou non. Paul Kagame questionne et remet en cause tout ce qu’il lui est dit. Pour s’en rendre compte, il faut regarder la multitude de vidéos en ligne où Paul Kagame malmène ses collaborateurs, en retraite annuelle des dirigeants ou devant les administrés lors de ses déplacements en province.

Son pouvoir est bâti sur l’information, qu’elle concerne les Rwandais vivant à l’intérieur du pays ou ceux vivant à l’extérieur où se trouve le plus grand nombre d’opposants. 

Dans cette perspective, le ministère des Affaires étrangères est primordial. Il est à la tête d’un réseau d’ambassades du Rwanda à l’extérieur, que le Rwanda continue d’ouvrir. Ces ambassades constituent le point de contact entre le pouvoir de Kigali et ses ressortissants. Le Rwanda étant un petit pays, généralement beaucoup de Rwandais se connaissent soit directement, soit par d’autres connaissances. Le Rwanda est souverain dans les limites de ses frontières. Au-delà de ses frontières, toute activité de renseignement, espionnage de ses ressortissants entre dans le domaine de l’illégalité. Les ambassades offrent une opportunité au régime d’en savoir plus sur les Rwandais expatriés sous couvert d’un cadre légal.

Depuis 10 ans s’est formée la structure de diaspora. Au départ, ce qui devait être un regroupement d’associations représentant des Rwandais dans chaque pays s’est retrouvée en une seule structure, la diaspora rwandaise, et gérée depuis le ministère des Affaires étrangères à Kigali. Personne ne peut diriger la diaspora rwandaise, tant sur le plan global qu’en déclinaison local, sans l’onction du Minaffet.

Le personnel diplomatique rwandais est en effectif réduit comparé à celui des pays généralement développés. Il ne peut pas être déployé partout surtout pour les pays dont l’ambassade a comme juridiction sont vastes ou abritent un nombre important de ressortissants rwandais. Il est donc important d’avoir au sein des ambassades des personnes de confiances issus du FPR ou qui comprennent et acceptent son fonctionnement, afin qu’ils puissent servir de relais sur et passer auprès des ressortissants rwandais des messages de toutes sortes. 

Ainsi, les membres de la diaspora sont scrutés au niveau de leur pedigree. Si besoin, certains membres ou candidats membres sont parfois invités à prêter serment au sein du FPR. Ceux qui sont concernés par cette prestation de serment sont ceux qui n’ont pas de liens historiques (eux-mêmes ou à travers leurs familles biologiques) avec le FPR. Ce qui est intéressant est que les ambassades recrutent jusque dans les rangs de ceux qui ont fui le FPR et qui ont le statut de réfugiés. Toutes les méthodes, la carotte ou le bâton, sont utilisés. La majorité succombant à la première méthode (dossiers accusateurs gelés ou avantages en nature…) 

Autre atout des ambassades, en particulier au sein du personnel accrédité, c’est l’immunité diplomatique, que ça soit sur le personnel ou le courrier (la fameuse valise diplomatique). Sous le régime du FPR, la plupart des premiers conseillers d’ambassade ou des premiers secrétaires d’ambassade sont des agents de renseignements.

Le Rwanda ne se prive pas de ces possibilités en or pour pouvoir traquer les opposants à l’extérieur et mener contre eux des actions subversives. Depuis la prise du pouvoir par le FPR, plusieurs diplomates ont ainsi été expulsés ou leur accréditation diplomatique non renouvelée par plusieurs pays étrangers en raison de ces activités subversives allant jusqu’aux assassinats en territoires étrangers. Ces activités subversives ont été récemment documentées en Belgique et en Australie. En effet deux enquêtes menées indépendamment en 2019 ont montré à quel point les ambassades rwandaises en Belgique et au Singapour (juridiction sur l’Australie) sont utilisées pour des opérations de renseignements et de traque des opposants au pouvoir de Kagame[12][13].

La disparition dans l’espace public de Sezibera 

Une fois nommé ministre des Affaires étrangères, Richard Sezibera a commencé par détonner : Lors de sa première conférence de presse, Il a feint d’ignorer ce qu’était la coalition P5 (alliances des 5 partis d’opposition Ihuriro RNC, FDU Inkingi, PDP Imanzi, Amahoro People Congress et PS Imberakuri). Ce qui était en parfaite contradiction avec le discours habituel de Kigali de s’opposer à ces partis en particulier, le RNC.

Finalement, peu de temps après il est rentré dans le moule et fut le premier à annoncer la capture du chef rebelle, le Major Calixte Sankara qui avait revendiqué les attaques de son mouvement au départ de la forêt de Nyungwe. 

Sezibera était aussi en pointe, lorsque le gouvernement rwandais a fait une tournée « Visit Rwanda » aux côtés des diplomates accrédités à Kigali au mois de Mai 2019. Cette tournée visait à redorer l’image du Rwanda à la suite des avis défavorables que plusieurs pays occidentaux avaient émis sur la sécurité du Rwanda, déconseillant ainsi à leurs ressortissants de s’y rendre.

Tout en apparence semblait bien aller pour ce ministre jusqu’aux premières nouvelles annonçant ou s’inquiétant de son absence publique. Mais pour les connaisseurs du Rwanda, il faut toujours se méfier des apparences surtout celles affichées par les dirigeants d’un des régimes les plus occultes de la planète.

C’est justement à travers la radio Itahuka, radio du parti d’opposition RNC que fut évoqué dans l’émission du 19 juillet 2019 que la vie d’un des hauts dirigeants rwandais serait en danger. C’est Jean-Paul Turayishimiye, animateur dans cette émission et porte-parole du RNC, qui annonça avoir reçu cette information de la part d’un contact dans le système au pouvoir au Rwanda. Jean-Paul Turayishimiye termina en s’excusant qu’il n’avait pas encore vérifié cette information à 100%[14].

Ce n’est que le 26 Juillet 2019 que le journaliste a annoncé pour la première fois, d’après les informations reçues de ses contacts, que Richard Sezibera aurait été empoisonné sur instruction de Paul Kagame. Selon Turayishimiye, Richard Sezibera aurait été empoisonné au cours d’un voyage officiel en Allemagne et en Grande Bretagne car il n’était pas possible de le faire au Rwanda, le Dr Sezibera y prenant beaucoup de précautions. Toujours selon Turayishimiye, le Dr Sezibera de retour de ce voyage en Allemagne, en France et en Grande Bretagne aurait eu subitement des problèmes de santé inattendus qui auraient été qualifiés d’AVC[15]. Le journaliste, précisant aussitôt ne pas être en mesure d’authentifier ces informations.

En revanche il confirmait le 26 Juillet 2019 que Sezibera n’avait plus mis les pieds au ministère qu’il dirige depuis son retour de ce fameux voyage en Europe. 

Ce qui est aussi sûr c’est que Richard Sezibera était en voyage officiel à Luanda avec Paul Kagame, le 12 juillet 2019.

Il s’en est suivi plusieurs spéculations, certains confirmant cette information, d’autres la réfutant totalement. D’autres prudents, mettent la non apparition en public du Dr Sezibera au fait qu’il pouvait être en vacances. Ce qui ne serait pas illogique en juillet.

Evidemment, aucune communication officielle n’est venue démentir, ni confirmer ou indiquer où serait le Dr Sezibera.

Pour la presse rwandaise (celle à l’intérieur du Rwanda), ce fut un non-évènement ou plus exactement, un sujet tabou. Aucun journal n’a questionné ou posé la moindre question concernant le sort de Sezibera. Le journal ougandais en ligne Command1post, évoqua l’admission de Sezibera dans un hôpital kenyan et ce en conditions critiques[16].

Finalement, les discussions sur la disparition ou empoisonnement de Sezibera ont fini par tomber dans les joutes habituelles entre anti et pro régimes du FPR sur les réseaux sociaux.

L’affaire fut relancée le lundi 12 août 2019 par le journal Jeune Afrique. Pour les connaisseurs de l’actualité du Rwanda, Jeune Afrique est un journal les articles servent souvent de caisse de résonnance du FPR. Un des rédacteurs en chef de Jeune Afrique, François Soudan, est ainsi l’interviewer attitré du Président Kagame. C’est souvent à travers ce journal très lu dans les pays d’Afrique francophone que Paul Kagame passe ses messages, y compris acerbes quand ils sont destinés à la France.

L’article de Jeune Afrique du 12 août 2019 sur la santé de Richard Sezibera est tout sauf un hasard et n’a pas pu se faire sans le consentement du Village Urugwiro (siège de la présidence rwandaise).

Pour la première fois, les soucis de santé de Sezibera sont confirmés par une autre source qui n’est pas rwandaise. A en croire Jeune Afrique : «…Richard Sezibera a bel et bien été hospitalisé à Nairobi et serait actuellement en convalescence, sans que son état de santé ne soit préoccupant. Aucune date n’a encore été précisée pour son retour au ministère mais le scénario évoqué par les médias ougandais est catégoriquement démenti par plusieurs sources officielles à Kigali, lesquelles soupçonnent le RNC d’être à l’origine de la rumeur. »[17].

Comme attendu, les spéculations sur Sezibera vont s’amplifier de nouveau, certains comme Rugema Kayumba, l’activiste et opposant de Paul Kagame et neveu du Général Kayumba Nyamwasa, allant jusqu’à annoncer son décès sur le réseau social Facebook. Ces rumeurs iront crescendo le 14 août 2019, lorsque le ministère des Affaires étrangères annonce le report sine die du Rwanda Day prévu en Allemagne en Allemagne. Ceci d’autant plus que le communiqué est signé par l’adjoint de Sezibera, le secrétaire d’Etat Olivier Nduhungirehe.

Qui en voudrait à Richard Sezibera ?

Une des spéculations est que le Dr Sezibera aurait été empoisonné. Le journal ougandais Command1Post est plus précis. Sezibera aurait été empoisonné à l’ambassade du Rwanda à Londres par un certain Jimmy Uwizeye, un espion rwandais sous couvert de statut diplomatique[18]. Il est évident qu’il est impossible d’avoir la certitude dans ces affaires impliquant les espions, pas seulement au Rwanda mais y compris dans des pays occidentaux. 

Ainsi, la question est de savoir pourquoi le pouvoir rwandais chercherait à éliminer un de ses cadres, d’autant plus sur un territoire étranger. 

Si la question peut être incongrue, le pouvoir rwandais, à commencer par le président Kagame revendique toujours le devoir d’éliminer ceux qui sont considérés comme « traitres », peu importe où ils se trouvent surtout s’ils travaillent ou ont travaillé pour le régime. Nul besoin d’évoquer l’assassinat de Patrick Karegeya où les tentatives d’assassinat sur le général dissident Kayumba Nyamwasa.

Depuis sa nomination en octobre 2018, le Dr Sezibera a voulu imposer un nouveau style diplomatique et moins agressif que celui précédemment incarné par le tandem Mushikiwabo-Nduhungirehe. Selon l’équipe de bloggeurs « Robert Patrick Fati Gakwerere » plus connu sous le nom de « RPF Gakwerere » et qui revendique publier des informations venant de sources proches du régime, Richard Sezibera a entrepris des initiatives qui n’auraient pas plu au président Kagame[19]. Sezibera avait entrepris la normalisation des relations entre le Rwanda et l’Afrique du Sud à travers son homologue de l’époque Madame Lindiwe Sissulu. Mais les efforts déployés par Sezibera ont été anéantis lorsque le journal rwandais et pro régime Rushyashya, avait qualifié Mme Sissulu de prostituée dans un article publié en ligne. Cet article a rapidement été effacé mais l’ancien conseiller particulier de Paul Kagame, David Himbara a pu en conserver la capture d’écran[20]. L’Afrique du Sud et Mme Lindiwe avaient protesté contre ces propos, Ils avaient exigé des excuses et avaient demandé au gouvernement rwandais de prendre des mesures à l’encontre du secrétaire d’état rwandais aux affaires étrangères Olivier Nduhungirehe, qui avait également tenu des propos jugés déplacés par la diplomatie sud-africaine[21],[22].

Toujours selon RPF Gakwerere, habituellement très critique à l’égard de Kigali, Richard Sezibera n’avait pas non plus apprécié la tournure que prenait les relations entre le Rwanda et l’Ouganda. Au moment où Sezibera se démenait pour réchauffer les relations Rwando-Ougandaises en étroite contact avec son homologue ougandais, Sam Kahamba Kutesa, les journaux proches de Kigali, eux diffusaient des propos dégradants, voire insultants sur les dirigeants ougandais. En particulier ces journaux s’en prenaient au Président Yoweri Kaguta Museveni et sa famille y compris les parents défunts du président ougandais. D’ailleurs et avant que Sezibera ne soit nommé ministre des affaires étrangères, le Général James Kabarebe en juin 2018 avait mis en garde les Rwandais contre l’Ouganda qui selon lui est « jaloux » du Rwanda. Le Général avait demandé aux rwandais pourquoi ils allaient faire les poubelles (Guhunahuna) en Ouganda[23]. Il est intéressant de noter que 9 mois plus tard, lors de la retraite annuelle des dirigeants rwandais, le Président Kagame lui-même a approuvé ces propos de James Kabarebe, juste au moment où Sezibera semblait expliquer que la fermeture du poste frontalier de Gatuna l’était juste pour question de travaux[24]. Suite à ce désaveu, le ministère des Affaires étrangères à travers son numéro 2 Olivier Nduhungirehe, a indiqué qu’il fallait séparer la question des travaux à la frontière de Gatuna à celle de l’interdiction faite aux Rwandais de se rendre en Ouganda.

Un autre à avoir avancé les possibles déboires de Richard Sezibera est le journaliste Cassien Ntamuhanga, emprisonné avec Kizito Mihigo en 2014. Ce journaliste s’est échappé de prison vers fin 2017. Selon Cassien Ntamuhanga, Richard Sezibera aurait payé la mauvaise gestion du dossier australien. Curieusement, le Rwanda n’a pas d’Ambassade en Australie bien que ce soit un grand pays, qui de plus abrite une forte communauté rwandaise. La juridiction diplomatique rwandaise sur l’Australie est gérée depuis l’ambassade du Rwanda au Singapour. Sezibera aurait échoué à faire annuler le transfert de deux Rwandais détenus aux USA vers l’Australie. Ces deux rebelles rwandais avaient été accusés d’avoir tué des touristes américains en 1999, mais la procédure fut abandonnée lorsqu’une fois extradés du Rwanda vers les USA, les aveux se sont révélés avoir été obtenu sous la torture, l’enquête désignant plutôt les autorités rwandaises comme possibles auteurs des exécutions. Cassien Ntamuhanga avance aussi que Sezibera n’avait pas su gérer les problèmes de zizanie dans la diaspora rwandaise en Australie[25]

Quelques jours après cet article de Cassien Ntamuhanga, les autorités rwandaises se retrouvaient dans le collimateur des médias australiens, en raison de menaces qu’elles exerceraient sur les réfugiés rwandais en Australie sous la coordination de l’ambassade du Rwanda au Singapour qui a aussi la juridiction sur l’Australie[26]. Richard Sezibera est nommément cité dans l’article d’ABC news, l’une des principales chaines d’informations australiennes. Enfin, lors d’un vaste mouvement des ambassadeurs fait par Paul Kagame, le 15 Juillet 2019, l’ambassadeur du Rwanda au Singapour Guillaume Kavaruganda a été limogé sans autre affectation. 

L’absence de communication du gouvernement rwandais renforce ces spéculations. D’autant plus que si l’absence de Sezibera était due à un problème médical ordinaire, ça ne serait pas une première fois. En effet, Madame Christine Nyatanyi et Madame Aloysie Inyumba sont décédées en 2011 et 2012 alors qu’elles étaient toujours ministres.

Le faux retour de Sezibera 

Malgré l’annonce dans Jeune Afrique du prochain retour de Sezibera, sa convalescence semble durer davantage, son absence résonnant de plus en plus comme un fait anodin. 

Personne ne s’est étonné de ne pas le voir en voyage officiel à Luanda en Angola, le 21 août 2019 où le Rwanda et l’Ouganda ont signé un mémorandum d’entente. 

Personne ne s’est non plus étonné de ne pas le voir au sommet du G7 en France à Biarritz où le Rwanda avait été convié par le Président Macron. Nul doute que pour un ministre d’Affaires Etrangères, cet évènement revêt une importance capitale. D’autant plus que le Rwanda ne fait pas partie des invités traditionnels venant des pays en voie de développement que les pays du G7 invitent à leur réunion. Il ne serait pas faux de dire que cette année, le Rwanda pouvait revendiquer cette invitation au G7 comme spécifique au Rwanda, contrairement à l’année 2018 où le Rwanda était invité en tant que pays présidant l’Union Africaine. 

Personne ne s’est également étonné de ne pas voir Sezibera au sommet triennal de la TICAD (Tokyo International Conference on African Development) dont la 7èmeédition s’est déroulée à Yokohama du 28 au 30 août 2019. 

Et c’est au moment où les habituels observateurs de l’actualité rwandaise commençaient à s’habituer à l’absence de Richard Sezibera, que ce dernier a fait un retour largement commenté sur Twitter le samedi 31 août 2019. 

Tout juste avant, dans la nuit du 30 au 31 août 2019, un faux tweet attribué à l’adjoint de Sezibera, Olivier Nduhungirehe et ayant circulé sur WhatsApp annonçait la mort de Richard Sezibera dans un hôpital de Nairobi au Kenya.

Le 31 août 2019, Sezibera twittait: “ #literarySaturday: today I’m remembering Mark Twain: what’s your favourite quote??? 

Certains se sont posé des questions sur ce tweet, son sens et la référence à Mark Twain. Mais les connaisseurs de Mark Twain ont vite compris qu’il faisait référence à la lettre que Mark Twain a écrite le 31 mai 1897. Il réagissait sur les rumeurs de sa mort en concluant cette lettre par la célèbre citation « The report of my death was an exaggeration. »20

Depuis lors, les rumeurs concernant son absence ne cessent de s’amplifier. Jean-Paul Turayishimiye parle du retour de Sezibera sur Twitter le 31 août 2019 comme une opération ratée organisée par les services de renseignements rwandais. Ce sont ces derniers qui auraient fabriqué le faux tweet de Nduhungirehe annonçant la mort de Sezibera afin de « piéger » l’opposition rwandaise[27].

Cependant, quel que soit l’identité de la personne derrière ce faux tweet, et ses intentions, pas grand monde ne semble avoir mordu à l’hameçon en relayant cette rumeur. 

Au contraire et selon Turayishimiye, certaines personnalités du régime, qui n’étaient pas au courant de la manœuvre avaient commencé des messages de condoléances, de RIP (Rest In Peace). 

Du coup, le tweet de Sezibera et sa référence à la littérature de Mark Twain fut un pétard mouillé. D’une part parce que personne n’a cru à cette mort annoncée par le faux tweet attribué à Nduhungirehe. D’autre part parce que peu de personnes ont pu faire un rapprochement entre la rumeur sur un décès et la citation de Mark Twain.

Ce qui est vrai en revanche est que Richard Sezibera n’est pas apparu en public depuis le 12 juillet 2019. Depuis son retour, du moins sur Twitter, Sezibera n’a pas assisté à plusieurs évènements où sa présence en qualité de Ministre des affaires étrangères est pourtant normalement attendue.

Richard Sezibera est incontestablement dans une situation qui l’empêche d’exercer ses fonctions de ministre rwandais des Affaires étrangères. 

Le président Paul Kagame a reçu le 9 septembre 2019 les ministres des Affaires étrangères du Soudan du Sud et du Gabon. Richard Sezibera n’y était pas. Y était présent Olivier Nduhungirehe, Secrétaire d’Etat en chargé de l’Afrique de l’Est.

Le 9 septembre 2019, Paul Kagame a reçu Madame Blair et l’ancienne sous-secrétaire d’Etat américaine aux Affaires africaines Jendayi Frazer. Sezibera n’y était pas mais le Secrétaire d’Etat Olivier Nduhungirehe oui.

Docteur Richard Sezibera n’était pas en voyage officielle avec Paul Kagame à Brazzaville le 10 septembre 2019.

Richard Sezibera n’a pas non plus assisté à l’audience que le Président Kagame a accordée au Représentant spécial du Secrétaire général de l’ONU dans la région des Grands Lacs, le 12 septembre 2019 à Kigali, région où Sezibera fut pourtant l’envoyé spécial de Paul Kagame entre 2003 et 2008.

Richard Sezibera n’a pas non plus assisté à la réunion du bureau politique du FPR Inkotanyi à Rusororo le 14 septembre 2019. Cette réunion était dirigée par le président du FPR qui est le président Paul Kagame alors qu’en parallèle de cette réunion Sezibera a twitté.

Enfin, et plus frappant encore, Richard Sezibera n’a pas assisté la réunion ad hoc entre le Rwanda et l’Ouganda le 16 septembre 2019 à Kigali où il devait diriger la délégation rwandaise dans les pourparlers avec la délégation ougandaise dirigée elle par Sam Kutesa, le Ministre des Affaires étrangères ougandais 

Conclusion 

L’opacité qui entoure la santé des dirigeants n’est pas un fait propre au Rwanda. La France a connu le cas Pompidou. Pour la petite anecdote, le jour de son décès, le 2 avril 1974, il devait recevoir en tête à tête le président du Rwanda de l’époque, Juvénal Habyarimana[28]. L’ambassadeur du Rwanda à Paris à l’époque, Canisius Karake, fut remplacé car il n’avait pas anticipé cette situation.

La France a connu les bulletins rassurant sur la santé du Président Mitterrand qui étaient loin de la réalité visible. Plus récemment, le cas du président tunisien Caid Essebsi.

A la différence de ces pays, le Rwanda ajoute une particularité. L’omerta sur ces cas est imposée aux contre-pouvoirs comme la presse. 

Il est étonnant qu’aucune communication officielle n’ait été faite sur la situation de Sezibera. Cela aurait pu permettre d’éviter les rumeurs et autres spéculations ou limiter leur portée. La position officielle n’aurait pas eu l’objet d’exposer la vie privée et le secret médical auquel Richard Sezibera a droit mais simplement une communication sur son indisponibilité. Ceci aurait permis d’éviter au gouvernement un procès au sujet de ce manque de transparence. 

Une communication officielle aurait soulagé la famille de Sezibera et l’aurait libérée d’une omerta qu’elle est obligée de subir pour gérer cette situation.

Le gouvernement et les pouvoirs étatiques sont exercés par des personnes humaines qui peuvent comme tout humain avoir des problèmes de santé. D’ailleurs, la constitution rwandaise prévoit comment peut être organisé la vacance du pouvoir à la tête de l’état y compris en cas de maladie.

Il est légitime que l’opinion publique se pose des questions lorsqu’une personnalité comme Sezibera disparait de l’espace publique. Il est du devoir de l’Exécutif d’apporter les réponses sur ce type de situations.

Un petit bémol sur la presse rwandaise, celle à l’intérieur du Rwanda qui depuis deux mois n’a jamais osé évoquer ce sujet. Y compris lorsqu’un journal comme Jeune Afrique a sorti un article dessus. Pas une seule reprise ou citation de cet article de Jeune Afrique, alors que d’ordinaire la presse s’empare des articles de ce journal dès qu’ils traitent du Rwanda.

L’absence physique de Sezibera reste un sujet que le gouvernement rwandais ne pourra pas longtemps occulter. Plus le gouvernement tardera à communiquer, plus il sera pris dans l’engrenage. Toute explication même simple qui sera donnée tardivement aura du mal à convaincre. 

Ceux qui connaissent le Rwanda ont du mal à décrypter cette situation inédite. Si Sezibera a un empêchement valable et légitime, pourquoi, le gouvernement ne communique pas au moins pour dire officiellement aux Rwandais et aux partenaires que Sezibera est temporairement indisponible. Pourquoi ses collègues, les media rwandais sont fébriles quant à l’évocation de Sezibera et son devenir ?

Dans des sociétés modernes ou des entreprises, l’absence d’un collaborateur fait objet d’une communication et des mesures sont prises pour réorganiser et limiter l’impact sur le travail. Il est étonnant que le Rwanda que certains qualifient de Rwanda Inc dont Kagame est le PDG ne fasse rien et que l’absence prolongée d’un ministre soit traitée comme un non-évènement.

Ceci éviterait de commettre des impairs diplomatiques comme ce fut le cas à Kigali le 16 septembre 2019 lors de la réunion ad hoc entre le Rwanda et l’Ouganda. La délégation ougandaise était dirigée par le ministre des Affaires étrangères Sam Kutesa, tandis que celle du Rwanda était dirigée par le secrétaire d’état Olivier Nduhungirehe. 

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C’est encore étonnant qu’un secrétaire d’état ayant le dernier rang protocolaire au sein du gouvernement rwandais, puisse diriger une délégation comprenant des ministres régaliens comme Johnson Busingye (Justice) ou encore Professeur Anastase Shyaka (Intérieur). A moins que le Rwanda ait voulu envoyer un message à l’Ouganda concernant l’importance accordée à cette réunion et à la délégation ougandaise.

Pour dissiper toutes les rumeurs, spéculations, opacités ou omerta, le gouvernement du Rwanda devrait communiquer sur le sort de Richard Sezibera. La crédibilité du gouvernement et la confiance qu’il est en droit d’attendre des Rwandais en valent la chandelle. Il est légitime que tant que le gouvernement ne s’exprime pas, les citoyens continuent d’exiger les informations sur Sezibera car la transparence doit être la base d’un exercice supposé être démocratique où le Rwanda a encore de sérieuses lacunes. « L’homme peut croire à l’impossible, il ne peut jamais croire à l’improbable ». (Oscar Wilde dans le déclin du mensonge, Intentions 1891)

Nyangoga Oscar


[1]https://www.lemonde.fr/afrique/article/2018/11/06/victime-d-un-avc-ali-bongo-demeure-hospitalise-en-arabie-saoudite_5379712_3212.html

[2]http://www.angola.or.jp/wp-content/uploads/2019/07/2019_07_16_1PDF-FN.pdf

[3]https://www.newtimes.co.rw/section/read/87864

[4]http://theprofile.rw/spip.php?article201

[5]http://www.aparchive.com/metadata/youtube/37eda8cbfef0106585037ef7f2c159cd

[6]https://www.jambonews.net/actualites/20181024-nyakimana-apres-kibeho-un-autre-srebrenica-au-rwanda/

[7]https://georgewbush-whitehouse.archives.gov/news/releases/2003/03/images/20030304-14_p27360-12a-515h.html

[8]https://reliefweb.int/report/democratic-republic-congo/grand-lacs-les-rebelles-hutus-rwandais-ont-jusquau-30-septembre

[9]https://allafrica.com/stories/201607140142.html

[10]https://www.newtimes.co.rw/section/read/205910

[11]http://www.ua.ac.be/objs/00111076.pdf

[12]http://www.ua.ac.be/objs/00111076.pdf

[13]https://www.jambonews.net/actualites/20190630-belgique-les-activites-obscures-de-lambassade-du-rwanda-a-bruxelles/

[14]https://www.youtube.com/watch?v=sjIufz6Dro0

[15]https://www.youtube.com/watch?v=PKxOsASPCZQ

[16]https://command1post.com/index.php/2019/08/07/rwandan-foreign-minister-dr-richard-sezibera-admitted-in-critical-conditions-after-poisoning/#prettyPhoto

[17]https://www.jeuneafrique.com/815468/politique/rwanda-labsence-prolongee-du-ministre-des-affaires-etrangeres-richard-sezibera-alimente-les-fausses-rumeurs/

[18]https://command1post.com/index.php/2019/08/07/rwandan-foreign-minister-dr-richard-sezibera-admitted-in-critical-conditions-after-poisoning/#prettyPhoto

[19]https://rpfgakwerere.org/2019/08/06/dr-richard-sezibera-on-death-bed-in-nairobi-after-being-poisoned-by-dmi-at-the-orders-of-criminal-paul-kagame/

[20]https://medium.com/@david.himbara_27884/kagames-propaganda-machine-viciously-attacked-south-africa-uganda-and-burundi-941e703b4337

[21]https://www.bbc.co.uk/news/world-africa-46510282

[22]https://www.iol.co.za/news/africa/outrage-as-rwanda-takes-no-action-over-ministers-insults-levied-at-sisulu-18506996

[23]https://chimpreports.com/gen-kabarebe-to-rwandans-why-are-you-scavenging-in-uganda/

[24]https://www.youtube.com/watch?v=t2vSLlECUAk

[25]https://www.abaryankuna.com/iperereza-dr-richad-sezibera-yaba-arazira-iki/

[26]https://www.abc.net.au/news/2019-08-25/spies-in-our-suburbs-alleged-spy-web-silencing-rwandan-refugees/11317704?pfmredir=sm

[27]https://www.youtube.com/watch?v=FAcjRxSPV1Q

[28]https://www.siv.archives-nationales.culture.gouv.fr/siv/rechercheconsultation/consultation/ir/pdfIR.action?irId=FRAN_IR_005069

Le Général Sylvestre Mudacumura tué lors d’une opération conjointe RDF – FARDC

Au cours de la nuit du 17 au 18 septembre 2019, Sylvestre Mudacumura, commandant des Forces armées combattantes, la branche militaire des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR) a été abattu, annoncent les FARDC sur leur compte Twitter.

« La neutralisation de Sylvestre Mudacumura est une bonne nouvelle pour l’armée congolaise car il était à la tête de la branche radicale des FDLR qui s’est opposée au rapatriement volontaire au Rwanda. Sa neutralisation est un signal fort pour les autres rebelles » a déclaré Léon-Richard Kasonga, porte-parole de l’armée congolaise dans des propos retranscrits sur le compte Twitter officiel des FARDC.

Toutefois, selon des informations parvenues à Jambonews, rapportées également par la journaliste allemande Simone Schlindwein, le Général Mudacumura aurait été tué lors d’une opération conjointe menée par les Forces Spéciales Rwandaises (RDF) et les FARDC. Celui-ci a été abattu portant un des uniformes militaires de l’armée rwandaise, probablement parmi ceux dérobés lors d’une opération des FDLR à Busesamana en décembre 2018.

Sous mandat d’arrêt délivré par la CPI le 13 juillet 2002 qui le soupçonne d’avoir une responsabilité dans des crimes de guerre commis « entre le 20 janvier 2009 et à la fin du mois de septembre 2010 dans le cadre du conflit dans les Kivus », Sylvestre Mudacumura s’éteint à l’âge de 65 ans. 

Sylvestre Mudacumura est né à Gatumba, préfecture de Gisenyi au Rwanda en 1954.

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Une Unité des FDLR après une opération mené à Busesamana en décembre 2018

Il a fréquenté l’école primaire à Gatumba et le Petit Séminaire de Nyundo à Gisenyi pour ses études secondaires. Il faisait partie de la 16ème promotion de l’Ecole Supérieure Militaire (ESM) et en est sorti avec le grade de sous-lieutenant. Il s’est ensuite rendu en Allemagne pour poursuivre ses études et est revenu avec le grade de capitaine. De retour au Rwanda, il est incorporé à la Garde présidentielle et devient l’un des officiers chargés de la sécurité du Président Habyarimana. Plus tard, il devient le S3 (responsable des opérations) du bataillon de la Garde présidentielle. Durant la guerre ayant opposé au début des années 90 les Forces Armées Rwandaises de l’époque (FAR) à la rébellion du Front Patriotique Rwandais (FPR-APR), il était commandant du 31ème bataillon (bataillon de Rutare), qui avait sa base à Rutare et faisait partie du secteur opérationnel de Byumba.

En juillet 1994, suite à la défaite des FAR et au passage de l’ex-armée rwandaise au Zaïre, il a occupé le poste de G4 (Responsable logistique au sein de l’Etat-Major), commandant du bataillon Alpha et commandant de l’Ecole Supérieure Militaire au sein des FAR en exil.

Avec d’autres anciens FAR, il combattra aux côtés des troupes de Sassou Nguesso et, à partir de mars 1999, aux côtés des troupes congolaises de Laurent-Désiré Kabila contre les troupes du FPR-APR lors de la deuxième guerre du Congo.

Nommé Chef d’Etat-Major de l’Armée de libération du Rwanda (ALIR, ancêtre des FLDR)  en 2000, il sera ensuite nommé commandant en chef des FDLR en 2003 après la défection du Général Paul Rwarakabije.

Dans un communiqué du 18 septembre 2019, Victor Byiringiro, le Président des FDLR a demandé « à chacun, en particulier à la famille du défunt de rester fort » tout en réaffirmant sa volonté « de poursuivre la bataille jusqu’à la victoire promise ».

La disparition de l’un des piliers de la création des FDLR est un coup dur porté à l’organisation car le Général Sylvestre Mudacumura représentait une autorité morale et une figure respectée au sein du mouvement.

De la même génération que certains des officiers fondateurs ex-FAR tels que le Colonel Tharcisse Renzaho, le Géneral Paul Rwarakabije, le Colonel Aloys Ntiwiragabo ou encore le Lieutenant-Colonel Leonard Nkundiye, sa disparition tourne une page et en ouvre une autre au sein de la rébellion armée. 

Néanmoins, d’un point opérationnel et logistique, l’impact de la disparition du Général Mudacumura devrait être limité dans la mesure où depuis de nombreuses années, ce dernier ne faisait plus partie des principaux décideurs.

Depuis la défection en 2013 du CNRD qui a emporté une partie des troupes situées au Sud-Kivu et au Masisi, l’influence du Général Mudacumura s’était en effet largement amoindrie. Agé de 65 ans et affaibli par les années dans les forêts congolaises, il avait conservé ses fonctions de Commandant en chef des FDLR-FOCA beaucoup plus pour son ancienneté que par l’influence qu’il exerçait au sein du mouvement.  

Jambonews

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RDC – Denis Mukwege appelle à l’établissement d’un tribunal pénal international

« Il est temps de réaffirmer nos valeurs de solidarité et de fraternité africaines». C’est en ces termes que le Dr Denis Mukwege demande aux chefs d’Etats africains de soutenir « l’établissement d’un tribunal pénal international »pour les crimes répertoriés dans le rapport du Projet Mapping. 

C’était à l’occasion de la première édition du forum panafricain pour une culture de la paix en Afrique qui s’est tenue à Luanda en Angola le 18 septembre 2019. Invité à prendre la parole, le prix Nobel de la paix affirme que c’est en revenant aux valeurs panafricaines, qu’il a détaillées, notamment celle de la culture de la paix,  que l’Afrique réussira « un développement endogène permettant la satisfaction des besoins de tous ».

Dans son discours, après avoir rappelé la place qui était accordée au partage des richesses, aux femmes, ou encore aux débats publics pour résoudre les palabres dans les sociétés africaines avant l’ère de la colonisation, le prix Nobel de la paix dénonce la répartition inéquitable des richesses ainsi que la place accordée par les sociétés africaines aux femmes, reléguées au statut« d’êtres de second rang». 

Le Docteur Denis Mukwege évoque également le recul de la liberté d’expression : « Le débat public où les citoyens prenaient leurs informations et exprimaient leurs doléances» ayant «laissé la place à l’ère de la manipulation des masses et de l’oppression de la pensée libre. »

L’«homme qui répare les femmes »alerte sur les risques d’une troisième colonisation. «Après le temps de lesclavage, puis celui de la colonisation par les Occidentaux, la Chine est en passe de tout saccaparer dans le cadre dune globalisation non inclusive, bien souvent en collusion avec nos autorités qui bradent nos ressources naturelles et vivrières, en veillant plus àleurs intérêts personnels quau bien-être de leurs peuples. »

En faisant le constat qu’un fossé existe entre les valeurs traditionnelles africaines et les valeurs de la mondialisation à sens unique, le prix Nobel de la paix souligne l’impact pour les peuples africains qui en ressortent traumatisés et appelle à revenir à une identité africaine authentique : « Nous profitons de cette tribune pour réaffirmer que pour construire la paix, l’Afrique a avant tout besoin de puiser dans ses ressources culturelles et humaines et d’adapter ses valeurs à ses origines pour se réapproprier une véritable identité, et enfin permettre le développement humain, social et économique de notre continent et de ses peuples ».

Pour le docteur, « une large partie de la population »africaine ne bénéficie pas des « services de base comme l’éducation et la santé, considérés universellement comme des droits fondamentaux et inscrits dans la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples, ainsi que dans nos Constitutions nationales ». En encourageant les dirigeants africains àapporter des solutions àcette problématique, il les encourage àrester optimiste et rappelle que c’est possible. « L’espoir deviendra une réalité tangible lorsque les dirigeants africains et les élites du continent se feront soigner et mourront sur la terre de leurs ancêtres plutôt que dans des hôpitaux occidentaux, et enverront leurs enfants dans des écoles et des universités du continent plutôt qu’à Paris ou à Lisbonne. Nous en avons les moyens humains et matériels. Tout est question de volonté politique ».

Le Docteur Mukwege a terminé son discours en revenant sur un thème qui lui est cher, la paix et la justice transitionnelle. En reprenant une formule qu’il avait déjà utilisée le 10 décembre 2018,  il a réaffirmé que « la paix ne se construit pas sur des fosses communes » mais sur un socle de justice, et a appelé à la création d’un Tribunal pénal international pour « soutenir la mise en œuvre des recommandations du Rapport Mapping du Haut Commissariat des Nations Unies pour les droits de l’Homme sur les graves violations des droits humains et du droit international humanitaire commises entre 1993 et 2003 en RDC, publié il y a presque 10 ans . ».

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Rwanda – FDU : Nouvel assassinat d’un opposant

Syridion Dusabumuremyi, coordinateur national des FDU Inkingi, a été tué ce lundi  23 septembre 2019 au centre de santé de Shyogwe, son lieu de travail, dans le district de Muhanga.

Aux alentours de 21 heures, l’opposant politique a été attaqué par deux hommes qui se déplaçaient à moto. Ces derniers l’ont sauvagement poignardé à plusieurs reprises. La victime, père de deux enfants, est décédée sur le champ. 

 « Notre camarade a été sauvagement poignardé par 2 individus ce 23 Septembre, peu après 21h. Après plusieurs assassinats non élucidés de nos militants, nous n’avons pas d’espoir que son meurtre sera élucidé. Monsieur Dusabumurenyi Syridion était père de deux enfants. » a sobrement commenté Victoire Ingabire sur son compte Facebook. 

Ce nouvel assassinat survient au moment où Victoire Ingabire Umuhoza ne cesse de demander au Rwanda Investigation Bureau (RIB) de fournir les résultats d’enquêtes sur les assassinats de membres de son parti.

Le parti politique FDU-Inkingi n’est pas encore autorisé à fonctionner en tant que parti politique au Rwanda. Cependant, les membres émergents de ce parti politique sont régulièrement tués, emprisonnés ou disparaissent mystérieusement.

En l’espace d’un an, il s’agit du quatrième membre de ce parti politique qui est assassiné ou disparaît mystérieusement alors que le procès de 10 autres cadres emprisonnés depuis le 6 septembre 2017 est actuellement en cours.

Le RIB a annoncé avoir ouvert une enquête et deux suspects auraient d’ors et déjà été arrêtés.

Rwanda : Syldio Dusabumuremyi, un enterrement sous tension

L’enterrement de l’opposant politique Syldio Dusabumuremyi, assassiné lundi, s’est déroulé hier le 26 septembre 2019 à Shyogwe dans le district de Muhanga. C’était une cérémonie émouvante « il y avait beaucoup de tristesse et de douleur » raconte anonymement une personne qui a assisté à l’enterrement à la radio Inkingi à laquelle les circonstances de la mort de l’opposant ont laissé beaucoup d’incompréhension.

La famille attendait le corps à 9h du matin et l’a finalement eu peu après 14h. En attendant le corps, ceux qui étaient venus accompagner Syldio ont pu se rendre sur les lieux du crime, situés à 40m de son domicile comme l’avait publié Igihe. Ils ont découvert que : 

  • La cantine, dans laquelle Syldio a été assassiné, est situé à moins de 5 mètres du bureau de celui qui s’occupe des mutuelles et qu’il était présent au moment du crime. 
  • Lundi, au moment du crime, les médecins et les malades étaient au centre de santé, les bureaux des médecins ou les salles des malades sont aussi situés à près de 5m de l’endroit où se trouvait Syldio. 

La population, la famille et les amis de Syldio se sont déplacés en masse pour assister à l’enterrement et beaucoup s’interrogeaient sur les circonstances de la mort de Syldio. « Comment ont-ils pu venir dans un centre de santé, choisir une seule personne, la poignarder malgré la présence à proximité des malades, des médecins, des gardiens et des responsables de la sécurité » ? S’interroge ainsi la personne. La population reste interloquée, effrayée que cela ait pu se produire et a un sentiment d’insécurité.

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Les autres questions que l’assistance s’est posée est comment les deux hommes ont pu venir en moto, poignarder Syldio et repartir sur leur moto sans éveiller l’attention de tous les gens qui étaient au centre de santé. « C’est l’incompréhension totale, tout le monde se demande si ce qui est raconté est ce qu’il s’est produit ? Il y a eu beaucoup des pleurs et de chagrin provoqués par le fait qu’une personne puisse être tuée au milieu des autres comme une fourmi ». La personne a continué « hier les Rwandais, à l’enterrement, nous nous sommes demandés si notre pays est en paix ou si on ne nous assassine pas violement sans que l’on sache pourquoi ? Nous n’avons pas compris ce qu’il avait fait pour mériter une mort horrible, il n’est pas le seul, nous perdons beaucoup de nôtres dans des circonstances mystérieuses ».

Une autre personne habitant dans le district de Muhanga a informé le journal The Rwandan, que les autorités rwandaises auraient explicitement demandé, en utilisant la pression et les menaces, à la famille du défunt de ne pas autoriser Victoire Ingabire, la Présidente des Forces Démocratiques Unifiées, les FDU-Inkingi, à participer à l’enterrement « Si elle avait assisté à l’enterrement, la famille aurait été responsable des conséquences » écrit le journal.

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Syldio Dusabumuremyi était le coordinateur national de FDU-Inkingi, il avait pris le relais pour gérer le parti quand le vice-président du parti, Boniface Twagirimana, aujourd’hui porté disparu, a été emprisonné.

Victoire Ingabire n’a pas participé à l’enterrement, pour des raisons qui demeurent inconnues. Elle n’a pas souhaité confirmer ou infirmer cette information.

Rwanda : Famille Samvura, « 25 ans après, nos plaies restent ouvertes »

Il y a 25 ans, la famille Samvura perdait 18 personnes, tuées par les soldats de l’Armée Patriotique Rwandaise. Théodore Mpatswenumugabo, le fils du patriarche Samvura, nous raconte la tuerie qui a emporté les membres de sa famille. Il a aussi souhaité étendre son témoignage –hommage aux autres membres de la famille qui sont décédés, victimes directes ou indirectes des évènements tragiques qui ont ravagé le Rwanda à partir du 01 octobre 1990.

Mathias Samvura, ses enfants et petits-enfants avaient fui la guerre et trouvé refuge dans la zone humanitaire Turquoise, sécurisée par l’armée française. Pensant que « la victoire militaire du FPR, signifiait la fin de la guerre et que des citoyens paisibles pouvaient rejoindre leurs collines et vaquer à leurs occupations sans crainte », ils ont quitté la zone turquoise pour rentrer chez eux à Gitarama, mais ne sont jamais arrivés à destination.

La tuerie du 29 juillet 1994

Théodore Mpatswenumugabo qui s’exprime au nom de la famille, vivait à l’étranger au moment du génocide. Après la guerre, les survivants de la famille au Rwanda sont partis sur les traces des leurs et ont pu apprendre les conditions dans lesquelles les leurs avaient péri.

Le 29 juillet 1994, dix jours après la proclamation unilatérale de la fin de la guerre au Rwanda par l’Armée Patriotique Rwandaise, la famille Samvura a vraiment cru que la paix était revenue au Rwanda. C’est avec la confiance en un nouveau pouvoir démocratique que le Front Patriotique Rwandais (FPR) n’avait cessé de clamer que la famille a loué une camionnette auprès d’un certain Nyilimanzi, et y a embarqué pour retourner chez elle à Rutobwe, dans l’ancienne préfecture de Gitarama.

Arrivés vers Butare, les membres de la famille et d’autres occupants du véhicule ont été arrêtés par les soldats du bataillon n° 157 de l’APR, sous le commandement de Fred Ibingira, secondé par le major Zigira, alors préfet de Butare, du Capitaine Dan Gapfizi, responsable des opérations et du Lieutenant Claude Kazungu, responsable du tri des gens. Il y avait beaucoup de véhicules et les militaires séparaient les Hutu des Tutsi. Le triage était effectué à l’ancien bureau de la commune urbaine de Ngoma. Les gens étaient ensuite conduits à un endroit nommé Kabutare où la torture et le massacre des Hutu étaient systématiques.

Remarquant que c’étaient les Hutu qui étaient visés, le patriarche de la famille, Mathias Samvura, a interpellé les militaires : « je vois que vous ne tuez que des Hutu, comme dans ma famille il y a aussi des Tutsi (il parlait de sa compagne, de sa belle-fille et de deux enfants des familles amies qui étaient avec eux), je vous prie de les épargner ». Les militaires allaient sans doute les laisser en vie, si les dames Tutsi n’avaient pas demandé aux militaires « que deviendrons- nous quand vous aurez tué cette famille qui est la nôtre, alors que de l’autre côté nos familles ont été massacrées par les Interahamwe? ». Les militaires ont fait le choix de tuer tout le monde, à l’exception de deux enfants épargnés parce qu’ils étaient Tutsi. Ils ont d’abord torturé leurs victimes au Kandoyi, une forme de torture que le FPR a ramené de l’Ouganda, qui consiste à attacher les mains et les jambes de la victime à l’arrière de sorte à tendre la personne comme un arc, et comme elles hurlaient, ils les ont achevées à coups de feu.

La famille survivante ne sait pas où les corps des leurs ont été déposés. Il semblerait que les corps des victimes de Kabutare aient été brulés.
La famille a notamment porté plainte au Rwanda et au TPIR, mais aucune des deux justices n’a donné de suite.

Les victimes

Mathias Samvura (80 ans, le patriarche / sa compagne Beatrice Mukarubayiza (50 ans)

Pour Théodore, son père, Samvura Mathias a marqué son époque. Il était engagé dans la vie chrétienne et a été un des premiers chrétiens de la région. Baptisé à Kabgayi, il a contribué à l’implantation des paroisses Kamonyi, Kanyanza et Janja et a par la suite joué un rôle majeur dans la mise en place et le développement de la centrale de Giko. Dans les années 50, Il a également contribué à l’éveil des populations et à l’animation de la démocratie naissante. Il était réputé être un homme juste et droit qui ne pouvait pas tolérer l’injustice d’où qu’elle vienne. De ce fait, beaucoup de gens recouraient à lui pour des conseils. En 1990, il avait perdu sa première épouse, Kakuze Verena, la mère de ses dix enfants dont Théodore était le troisième. Ce décès l’a considérablement affecté et la situation s’était améliorée quand il s’est mis en couple avec sa nouvelle compagne Béatrice, toutefois ce répit a été de courte durée.

Le couple André Mutabazi (le fils, 50 ans) / son épouse Dorocella Nyiransengimana (49 ans) et 6 de leurs enfants :

Tuyishimire (22 ans), Mukanyandwi (17 ans), Kanani (14 ans), Niyondamya (12 ans), Nzabonikuza (11 ans) et Murwanashyaka (2 ans).

Le grand frère de Théodore, André Mutabazi était l’aîné de la fratrie, il avait marché dans les pas de leur père en honorant le rôle attendu de l’aîné d’une famille rwandaise, être le second de la famille. Il était doté d’une « ouverture d’esprit » qui avait marqué ceux qui l’ont connu, et était d’une grande rigueur « Ces qualités l’avaient accompagné dans ses différents emplois, que ce soit à la Banque nationale, aux affaires étrangères et ailleurs », nous raconte son petit frère. Sa femme Dorcella était bien intégrée dans sa belle-famille au point d’être considérée par cette dernière comme une seconde maman.

Quelques enfants qui par chance n’étaient pas avec eux ont survécu.

Le couple Augustin Bagambana (le fils, 36 ans) et son épouse Berthe Kinyarwandakazi (31 ans) et leurs 4 enfants:

Niyigena Berthilda (10 ans), Uwiragiye (8 ans), Uwilingiyimana (5 ans) et Munyeshyaka (2 ans)

Augustin Bagambana, après avoir essayé de travailler en ville, avait fini par préférer le travail de la terre. Son frère nous raconte qu’il était devenu un paysan modèle. L’ainée du couple Niyigena Berthilda, également tuée ce jour-là, a laissé à sa famille survivante l’image d’une petite fille courageuse qui, à 10 ans à peine, a porté sur le dos sa cousine dans toutes leurs pérégrinations. Toute cette branche familiale a été tuée.

Mukakibibi (la petite-fille- 12ans)

Mukakibibi, la nièce de Théodore, était la fille ainée du deuxième grand frère, Kimonyo Félicien, et de Schola. Ils ont échappé à l’assassinat collectif car ils n’étaient pas avec le reste de la famille. Kimonyo Félicien est décédé par la suite de chagrin.

Le couple Philoména Uwamungu (la belle-fille) et son époux François Sibomana

Le couple n’a pas été tué avec le reste de la famille, la belle-sœur de Théodore, Philoména Uwamungu, enseignante modèle, était décédée de maladie au cours des premières semaines d’exil. Son mari, le petit frère François Sibomana, également enseignant, la suivra plus tard n’ayant pas pu supporter la vie en exil.

Nicodème Bwenge (le fils, 34 ans)

Nicodème Bwenge, le benjamin de la famille avait échappé à la tuerie collective de la famille car il n’était pas avec elle. Il était rentré au domicile familial qu’il avait trouvé désert. Comme la majorité des intellectuels hutus (il était agronome), le nouveau pouvoir ne l’a pas laissé en paix. Il a tenté de fuir et a été assassiné dans sa fuite en 1994.

Théodore a tenu à rendre hommage aux autres membres de sa famille, sans pouvoir tous les nommer, qui ont péri dans les événements tragiques au Rwanda. Il a eu une pensée particulière à ceux assassinés sous prétexte de lutte contre les abacengezi ainsi qu’à ceux qui ont perdu la vie, assassinés par les Interahamwe.

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« Nous gardons espoir qu’un jour l’apartheid mémoriel en cours dans notre pays prendra fin »

25 ans après, les survivantes et les survivants de la famille Samvura sont sur le chemin de l’auto- construction, le chemin qu’ils qualifient de « long chemin de la vraie paix ». Leurs plaies sont toujours ouvertes mais ils espèrent la guérison « 25 ans après l’assassinat des nôtres, le chagrin, la colère, le ressentiment, nos plaies, nos blessures du cœur sont toujours vivaces. Nous aspirons à guérir, à cicatriser, à retrouver notre intégrité émotionnelle ».

 Néanmoins, c’est une famille résignée à ne pas subir leur souffrance, « nous sommes une famille survivante grâce à notre force intérieure, à notre solidarité et à notre refus du rôle de victime passive. Aujourd’hui, nous avons recouvré les capacités de la résilience, nous vivons bien notre vie, sans déni, sans rester bloqués sur nos blessures. Nous nous construisons matériellement, mais surtout moralement. Et c’est notre meilleure revanche sur les assassins des nôtres ».

Pour l’avenir, la famille est lucide sur le chemin qui leur reste à parcourir, « Il nous reste à présent à recouvrer nos capacités à vivre pleinement, à être en joie, à aimer. Cela ne sera possible cependant que quand nous serons capables de pardonner, mais sans oublier les pauvres bourreaux qui ont enlevé la vie aux nôtres. Nous pourrons jouir entièrement de la vie, nous pourrons ressentir sincèrement la vraie joie, nous pourrons réellement prendre plaisir quand nous serons rentrés dans notre berceau familial de Nyarunyinya et de Kasemujongi, la terre sèche néanmoins imbibée du sang des nôtres à Kabutare.

Pour la famille Samvura, la justice pour toutes les victimes est primordiale pour apaiser les survivants. «Nous pourrons aimer en pleine conscience, et nous nous y attelons, quand nous aurons obtenu justice et quand notre lutte pour un Rwanda hospitalier à tous les Rwandais et à toutes les Rwandaises, sans exception, aura abouti ».

Pour la réconciliation «nous gardons l’espoir que tôt ou tard, toutes les victimes de la folie meurtrière qui a décimé notre pays seront rétablies dans leurs droits et que la Justice finira par triompher. C’est notamment ainsi qu’on mettra fin à l’apartheid mémoriel dans notre pays ».

Constance Mutimukeye

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Des rescapés Tutsi qui interpellent Paul KAGAME.

Comment cela est-il possible ?

Tout a commencé avec la lettre ouverte de Diane RWIGARA du 15 juillet 2019[1].

Dans cette lettre, l’ex-candidate aux élections présidentielles osait interpeller le Président rwandais Paul KAGAME au sujet des assassinats extrajudiciaires qui font actuellement rage au Rwanda, ainsi que dans sa diaspora, et qui touchent de plus en plus les rescapés Tutsi du génocide de 1994[2].

La lettre, qui n’a reçu aucune réponse officielle du Président, lui a valu des réactions virulentes, notamment de la part de la Commission Nationale pour la Lutte contre le Génocide (CNLG) ainsi que d’IBUKA, les deux organismes officiels censés défendre la mémoire des victimes du génocide, la justice pour les survivants ainsi que leur protection. Diane RWIGARA avait nommément cité ces deux organismes pour avoir failli à leurs devoirs[3].

Deux semaines plus tard, le 3 août 2019, une deuxième lettre ouverte[4], cette-fois-ci signée par près d’une trentaine de Rwandais en exil tous rescapés du génocide contre les Tutsi, venait appuyer les reproches formulés par Diane RWIGARA. Dans cette deuxième lettre, ces rescapés demandaient également des comptes à Paul Kagame pour les crimes qu’il « laisserait commettre » à l’encontre de ceux qui ont échappé au pire il y a 25 ans.

Auprès d’un public non averti ces courriers peuvent soulever la question de savoir comment il est possible que Paul Kagame, lui-même Tutsi et qui se crédite d’avoir mis fin au génocide de 1994, puisse se retrouver dans le collimateur des rescapés du même génocide ?

Pour tenter de répondre à cette perturbante question, nous vous proposons une analyse en trois points.

La société rwandaise, plus complexe qu’elle n’y paraît ?

Tout d’abord, il faut savoir que les courants socio-politiques au Rwanda ne sont pas basés sur les ethnies, contrairement à ce qui a été vulgarisé ces dernières années, où l’on ne cesse de marteler qu’il y aurait les Tutsi d’un côté et les Hutu de l’autre[5].

La société rwandaise est beaucoup plus complexe que cela, en témoigne par exemple la déclinaison Kiga/Nduga[6]chez les Hutu, ou encore la déclinaison Abega/Abanyiginya[7] chez les Tutsi, dont les épisodes de luttes pour le pouvoir ont été très sanglants dans l’histoire du pays d’avant 1990.

A partir de 1990 s’est également ajoutée la dimension « Tutsi de l’intérieur », dont faisait partie Diane RWIGARA et « Tutsi de l’extérieur », dont faisait partie Paul KAGAME, les premiers ayant été les victimes du génocide de 1994 et les seconds, ayant été crédité de l’avoir arrêté et parfois-même, pointés du doigt pour l’avoir provoqué[8].

Par ailleurs, même parmi les Tutsi dit « de l’extérieur », une certaine déclinaison existe également entre ceux ayant été réfugiés en Ouganda et tous les autres. Ainsi, les dynamiques socio-politiques du Rwanda finissent par se réduire à des « clans » composés de quelques groupes qui partagent tout simplement les mêmes intérêts à un moment donné.

La cassure entre le clan KAGAME et le clan NYAMWASA, tous deux ex-militaires Tutsi de l’armée ougandaise, est un exemple particulièrement parlant dans les années 2000.

Avec un tissu socio-politique aussi complexe, il n’est donc pas surprenant qu’il puisse y avoir des citoyens Tutsi « ayant survécu » au génocide qui s’adressent à un Président Tutsi « ayant mis fin » au même génocide pour lui réclamer des comptes à propos de la « bienveillance » qu’il était censé garantir aux rescapés, en plus de la protection classique auquel tout citoyen rwandais a droit.

Le FPR des années 90 vs le FPR des années 2000 ?

Un deuxième élément qui pourrait expliquer les reproches des rescapés Tutsi au Président Paul Kagame est sans aucun doute la métamorphose du FPR depuis 25 ans. Il est passé d’un mouvement de retour des réfugiés Tutsi (en apparence du moins) à un parti-Etat ayant la mainmise sur tous les appareils étatiques ainsi que sur les activités les plus lucratives du secteur privé[9].

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Cette mainmise qui n’a pu se faire que par une aile dure du parti, avec la complicité de l’armée et de la police, ne tolérerait aucun écart de conduite de ses membres et réprimerait toute dissidence dans la terreur et la violence, peu importe l’ethnie, le statut de rescapé ou même la contribution passée à la cause du FPR.

Le cas d’Assinapol RWIGARA, le père de Diane, est certainement le meilleur exemple.

Ce richissime homme d’affaire Tutsi « de l’intérieur » du Rwanda des années 80 a longuement soutenu le FPR avant, pendant et après la guerre de 90-94. Malgré son immense contribution à l’effort de guerre, Assinapol RWIGARA aurait été, selon sa famille, « assassiné » à Kigali le 4 février 2015 par les forces de police.[10]

Ainsi donc, de plus en plus d’anciens Tutsi « de l’intérieur », rescapés du génocide, ne se reconnaissent plus dans la gouvernance « mafieuse » du FPR et le fait d’avoir été récemment traités de « collabos » ou de « négationnistes » par la presse pro-FPR[11] est un signe supplémentaire qui vient marquer cette cassure.

Quant aux anciens Tutsi « de l’extérieur », venus d’Ouganda ou d’ailleurs et qui se désolidarisent du « nouveau » FPR-Inkotanyi, ils sont tout simplement considérés comme des « traitres » ayant « brisé leur serment » et classés parmi les terroristes qui portent atteinte à la sureté de l’Etat, à l’instar de David HIMBARA, Tribert RUJUGIRO, ou encore Théogène RUDASINGWA[12].

La garantie du « PLUS JAMAIS ÇA » ?

Enfin, un troisième élément qui pourrait expliquer pourquoi les rescapés Tutsi osent dorénavant braver le FPR-Inkotanyi, c’est que d’autres organisations politico-militaires se positionnent de plus en plus pour garantir un « PLUS JAMAIS ÇA » à tous les Rwandais.

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Depuis sa victoire militaire contre les anciennes Forces Armées Rwandaise en juillet 1994, le FPR-Inkotanyi s’était érigé comme la seule organisation politico-militaire sur cette planète capable de garantir au Rwandais, aux Africains, ainsi qu’au monde entier d’ailleurs, que les événements tragiques que venait de connaître le Rwanda, et les Tutsi en particulier, ne se reproduiraient plus jamais.

Au-delà de sa responsabilité éventuelle dans les évènements ayant provoqué ou amplifié le génocide contre les Tutsi (de l’intérieur), le FPR s’est vite positionné comme celui qui y a mis fin, et de facto, celui qui peut empêcher que cela puisse à nouveau se produire. 

Toutefois, les alliances des organisations politico-militaires opposées au FPR depuis ces dernières années, ont démontré que la garantie du « PLUS JAMAIS ÇA » n’est plus l’exclusivité du FPR-Inkotanyi.

Au contraire, là où le FPR-Inkotanyi exacerbe les tensions « ethniques »[13] en cultivant l’apartheid de la mémoire, la culpabilisation collective des Hutu et la falsification de l’histoire, d’autres formations politico-militaires proposent un message réellement réconciliateur et qui tient compte de toutes les tragédies que le peuple rwandais a connus dans les années 1990.

C’est le cas par exemple de la Plateforme P5, qui rassemble aussi bien des Hutu que des Tutsi telle que Victoire INGABIRE, leader emblématique du parti FDU et porteuse d’un des plus beaux messages de paix, ou de Etienne MASOZERA président du parti AMAHORO PC.

C’est également le cas du Mouvement Rwandais pour le Changement Démocratique (MRCD), issu d’une coalition politico-militaire entre le rebelle Tutsi Calixte NSABIMANA dît « Sankara », aujourd’hui emprisonné et le rebelle Hutu Wilson IRATEGEKA.

L’enjeu du « PLUS JAMAIS ÇA » est souvent relégué au second plan des priorités socio-politiques du Rwanda et pourtant, c’est l’argument principal qu’utilise le FPR pour garder les Tutsi sous son emprise, surtout « ceux de l’intérieur » ayant survécu aux massacres de 1994.

Pour résumer

Depuis la conquête militaire du pouvoir par le FPR-Inkotanyi en juillet 1994, c’est la première fois que le Président de la République, également Président du FPR, parti-Etat, est publiquement interpellé sur le sort qui est réservé aux Tutsi rescapés du génocide, autrement dit, aux « anciens » Tutsi de l’intérieur.

C’est un signe sans équivoque que le FPR-Inkotanyi, qui avait réussi à rallier même au-delà des Tutsi dans les années 1990, n’est plus considéré comme la seule organisation politico-militaire capable de défendre une « minorité » ethnique tout en offrant une gouvernance démocratique au Rwanda.

Bien au contraire ; la démocratie au Rwanda est totalement dans le coma depuis 25 ans, les Tutsi ont plus peur que jamais et les Hutu sont haïs en tant que tel [14]. Seuls ceux qui marchent avec le FPR sont laissés tranquilles et peuvent profiter de leur pays, mais gare au moindre faux pas. 

Combien de temps une telle situation peut-elle encore durer, en sachant que de plus en plus de voix, toutes ethnies confondues, s’élèvent contre ce système, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays ?

Après 25 ans de règne, n’est-il pas temps pour le FPR-Inkotanyi de désamorcer toutes ces tensions « socio-politiques » entre Rwandais en ouvrant l’espace politique comme cela est constamment réclamé par l’ensemble des partis politiques d’opposition et de la société civile en exil [15] ?

Une fois de plus, la balle est dans le camp du FPR-Inkotanyi.


[1] http://dianerwigara.com/lettre-ouverte-au-president-paul-kagame

[2] http://www.rwandanlivesmatter.site

[3] http://fr.igihe.com/politique/la-jeune-politicienne-diane-rwigara-confond-les.html

[4] http://www.therwandan.com/fr/lettre-ouverte-au-president-kagame-par-les-rescapes-du-genocide/

[5] https://blogs.mediapart.fr/faustin-kabanza/blog/090517/hutu-et-tutsi-pour-une-reecriture-de-l-histoire-du-rwanda

[6] Kiga/Nduga sont deux régions du Rwanda (Nord/Sud) atour desquelles une fracture socio-politique entre « Hutu » a vu le jour lors du coup d’Etat de juillet 1973, dans lequel le Général-Major HABYARIMANA, un Mukiga, a chassé du pouvoir Grégoire KAYIBANDA, un Munyenduga. 

[7] Abega/Abanyiginya sont deux clans de lignée royale chez les « Tutsi » dans le Rwanda précolonial, qui se sont affrontés pendant des générations pour le contrôle du trône.

[8] http://www.slateafrique.com/841726/genocide-rwandais-un-ancien-rebelle-tutsi-detaille-ses-accusations-contre-paul-kagame

[9] https://www.lepoint.fr/economie/rwanda-crystal-ventures-fer-de-lance-economique-du-parti-au-pouvoir-30-07-2017-2146858_28.php

[10] http://www.rfi.fr/afrique/20150314-rwanda-mort-assinapol-rwigara-famille-denonce-assassinat-kagame.

[11] http://www.therwandan.com/fr/rwanda-qui-est-genocidaire-qui-est-negationniste/

[12] https://www.newtimes.co.rw/news/kayumba-terrorist-not-democrat-he-wants-world-believe

[13] https://www.levif.be/actualite/belgique/des-rwandais-denoncent-l-apartheid-de-la-memoire/article-normal-1085073.html

[14] Voir notes d’Olivier Nduhungirehe sur le sujet : http://www.therwandan.com/rwandan-diplomat-in-great-turmoilolivier-nduhungirehes-true-nature-has-been-exposed/

[15] http://www.rfi.fr/afrique/20181114-rwanda-opposition-paul-kagame-lettre-p5-plateforme-victoire-ingabire

Rwanda : Un an déjà depuis la disparition de Boniface Twagirimana

Un an vient de s’écouler sans trace de l’opposant politique Boniface Twagirimana, vice-président du parti FDU Inkingi. Disparu depuis le 8 octobre 2018, alors qu’il venait d’être transféré dans la prison de haute sécurité de Mpanga au sud du pays,il est à craindre que le numéro deux du parti de Victoire Ingabire, ait été enlevé de sa cellule, avant d’être assassiné.

Boniface Twagirimana fut interpellé en septembre 2017,dans le cadre d’une vaste répression après les élections présidentielles d’août 2017,jugées calamiteuses par nombreux observateurs internationaux et partis d’opposition. Boniface Twagirimana avait lui-même qualifié le scrutin de 2017 de « simulacre d’élection » visant à asseoir la légitimité du général Paul Kagame aux yeux de la communauté internationale. 

En s’engageant dans l’opposition au Rwanda, Twagirimana connaissait le risque qu’il encourait. Dans une interview qu’il a accordée à Jambonews en avril 2017, le responsable adjoint des FDU-Inkingi avait notamment déclaré ceci : « Être membre de l’opposition dans ce pays c’est comme perdre sa citoyenneté. Toutes les forces publiques, que ce soit la police, l’armée ou les services administratifs, se chargent de vous persécuter et vous pourrir la vie. Ils commencent par vous faire renvoyer de votre travail, que vous soyez employé dans le public ou le privé. Le système tel qu’il est conçu ne permet à personne d’adhérer à un autre parti que le FPR ».

Avant sa disparition, le vice-président des FDU-Inkingi avait été inculpé, en même temps que plusieurs autres membres de son parti, d’atteinte à la sécurité de l’État. Au cours du procès de ces derniers, le 18 juillet 2019 devant le tribunal de Nyanza au sud du Rwanda, certains présentaient des marques de tortures sur leurs corps, d’après les déclarations de leur avocat, cité par la BBC, ainsi qu’un partisan des FDU ayant assisté au procès « les membres des FDU ont été torturés« .

Durant leurs interrogatoires, les partisans des FDU se seraient vu proposer deux options par leurs tortionnaires : « Avouer les crimes qui leur sont reprochés ou mourir». La plupart a opté pour la première option afin de sauver leurs vies.

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Il est alors probable queBoniface Twagirimana ait été tué pour avoir refusé d’endosser les fausses charges portées contre lui, ou qu’il ait succombé des suites de tortures et de mauvais traitements. Sa femme et mère de leurs deux jeunes enfants ne croit pas en tout cas en la version des autorités selon laquelle son mari se serait échappé.

La disparition de Twagirimana s’ajoute à une longue série de meurtres, de disparitions forcées, d’arrestations d’opposants politiques, le dernier en date étant l’assassinat deSyridion Dusabumuremyi, coordinateur national des FDU Inkingi. Celui-ci a été sauvagement poignardé le 23 septembre 2019 au centre de santé de Shyogwe, son lieu de travail, dans le district de Muhanga au centre du Rwanda.

Jean Mitari

Jambonews.net 

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A découvrir aussi:

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Les réfugiés rwandais à l’est de la RDC en danger ?

Le 2 octobre 2019 les réfugiés rwandais à l’est de la République démocratique du Congo lançaient un appel à l’aide à Mgr Marcel UTEMBI, président de la Conférence Épiscopale Nationale du Congo (CENCO)[1]. En effet, la nouvelle guerre programmée par le commandement des FARDC en collaboration avec tous les autres pays de la sous-région et des forces internationales laisse présager un sort inquiétant pour les réfugiés rwandais, qui sont systématiquement ciblés et amalgamés à des rebelles depuis 25 ans dans la région.

Une guerre imminente dans la région ?

Les 13 et 14 septembre 2019[2], s’est tenue à Goma une réunion qui rassemblait les chefs d’Etats-majors des armées des pays de la sous-région des Grands Lacs : la République démocratique du Congo, le Burundi, l’Ouganda et le Rwanda, sur invitation du général Célestin Mbala, chef d’Etat-major général des FARDC. L’objet de la réunion était de discuter des solutions à l’insécurité qui affecte l’est de la RDC et les pays voisins. A l’issue de cette réunion était décidé de tenir une seconde réunion après un mois.

Selon un document officiel et confidentiel ainsi que des informations parvenus à Jambonews, cette réunion se tiendra à Goma les 24 et 25 octobre 2019 et discutera des opérations militaires à mener dans les provinces Nord-Kivu et Sud-Kivu, sous la coordination d’un Etat-major intégré et composé des commandants des pays « partenaires ». L’arrivée des troupes étrangères sur le sol congolais est prévue entre le 15 novembre et le 15 décembre 2019, la durée de l’opération militaire étant quant à elle estimée par le chef d’Etat-major général des FARDC à trois mois à partir de mi-décembre 2019.

L’Etat-major intégré sera basé à Goma et composé des FARDC (République démocratique du Congo), des RDF (Rwanda), de l’UPDF (Ouganda), des FDNBU (Burundi) et du TPDF (Tanzanie) ; et il aura la responsabilité de mener les opérations militaires des forces spéciales. En plus des forces des pays de la sous-région, il intégrera également des officiers de la MONUSCO et de l’AFRICOM. La force onusienne apportera principalement un soutien en termes d’appui, de sécurisation et de renseignement. Quant à l’AFRICOM (commandement unifié des USA pour l’Afrique), elle apportera du soutien en matière de renseignement et son concours directement dans les opérations sur le terrain.

L’inquiétude des réfugiés 

Dans leur appel à l’aide, les réfugiés rwandais disent avoir été informés de leur prochaine persécution : «Un plan d’éradication par tuerie est en cours d’exécution. Il s’agit d’attaquer et exterminer les réfugiés rwandais là où ils se trouvent notamment dans les territoires de Kalehe, Mwenga, Fizi et partout ailleurs dans le Sud-Kivu. Les attaques sont prévues au cours de ce mois d’octobre 2019, en commençant par les camps de réfugiés de Kitindiro, dans la localité de Kusisa, groupement Ziraro, territoire de Kalehe, non loin du camp de la MONUSCO de BIBATAMA. » L’extrême inquiétude des réfugiés rwandais vient de l’arrivée imminente des FARDC dans leurs camps, du recrutement à cet effet d’éléments de différentes tribus locales dont les Mai-Mai, et par l’association des Forces rwandaises de défense (RDF) à ce que le réfugiés qualifient d’« ignoble action ».

Les réfugiés rwandais rappellent que leur statut de réfugié est reconnu : « Nous sommes reconnus comme réfugiés au regard de la Loi No 021/2002 du 16 octobre 2002 portant Statut des réfugiés en République démocratique du Congo, loi conforme à la Convention de Genève du 28 juillet 1951 ainsi qu’à la Convention de l’OUA du 10 septembre 1969. La Commission Nationale pour les Réfugiés (CNR) et la représentation régionale du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés (UNHCR) nous ont délivré à chacun une attestation de réfugié valable jusqu’au 31 décembre 2021. »

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Réfugiés Rwandais dans les environs de Kalehe (Sud-Kivu/RDC) en Janvier 2019

Ce n’est pas la première fois que des forces étrangères vont pénétrer sur le sol du Congo par l’est avec le prétexte d’annihiler des forces rebelles. A partir de 1996, l’armée rwandaise ainsi que celles de l’Ouganda (UPDF) et du Burundi (FAB) dans une moindre mesure ont pénétré sur le territoire congolais sous couvert d’un mouvement congolais dénommé AFDL (Alliances des forces démocratiques pour la libération du Congo) pour démanteler les camps de réfugiés rwandais de l’est du Congo qui abritaient à l’époque plus d’un million de réfugiés. Kashusha, Inera, Mugunga, Tingi-Tingi et bien d’autres localités où se trouvaient des camps de réfugiés rwandais au Congo sont par la suite devenus tristement célèbres pour avoir été les lieux de massacres de milliers de réfugiés rwandais. Tous ces camps ont été attaqués à l’arme lourde et à l’arme légère et les réfugiés qui ont survécu et fui ont été poursuivis jusqu’au fin fond des forêts congolaises. Le Rwanda, avec le soutien de plusieurs parrains occidentaux, a justifié ses actions comme de la légitime défense visant à annihiler les forces génocidaires qui se réorganisaient dans les forêts congolaises. L’ensemble des exactions commises à l’époque a été compilé dans le rapport du Projet « Mapping » établi par le Haut-Commissariat des Nations Unies aux Droits Humains. Il y est décrit pas moins de 617 crimes de guerre et crimes contre l’humanité dont certains pourraient être qualifiés de crimes de génocide.

Depuis 25 ans, cette région abrite donc les réfugiés rwandais qui ont fui l’avancée du FPR-APR en 1994. Amalgamés à des génocidaires hier, assimilés à des rebelles aujourd’hui, ils n’ont jamais pu revendiquer leur droit. Le Haut-Commissariat des Nations Unies et la Commission Nationale pour les Réfugiés a estimé à au moins 245.000 le nombre de réfugiés rwandais en RDC lors d’un recensement en 2015. Ces réfugiés sont les premières victimes de l’assimilation qui est faite par la communauté internationale avec les groupes politiques et militaires rwandais à l’Est de la RDC. En 25 ans, les politiques prêchant un retour volontaire ont été peu concluantes, les réfugiés craignant pour leur vie en cas de retour au Rwanda. En effet, des cas des violations des droits fondamentaux au Rwanda sont régulièrement dénoncés par les organisations de défense des droits de l’Homme. 

Ces réfugiés sont sous la protection du Haut-Commissariat pour les Réfugiés, ainsi que de la Monusco qui participe aux réunions de préparation de cette nouvelle guerre. Le HCR et la Monusco vont-ils encore une fois fermer les yeux sur les tueries des hommes, des femmes, des personnes âgées, des personnes vulnérables, des enfants si cette opération était réalisée ? 

Document confidentiel – Etat major intégré

Ci-bas des photographies prises en janvier 2019 de réfugiés rwandais ayant fui les attaques et massacres commis dans les camps de réfugiés de Rupango, Faringa et Nyarubande dans le Massif par les FARDC en collaboration avec des éléments de la RDF et du groupe rebelle NDC-Rénové. Ces réfugiés ont fuis en direction du Sud-Kivu dans les environs de Kalehe

A lire également:

Depuis plus d’un mois, les réfugiés rwandais dans la région du Nord-Kivu en République démocratique du Congo subissent des attaques régulières de groupes armés dont notamment le Nduma Defence of Congo/NDC Rénové et des éléments des Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC).

Constance Mutimukeye

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[1]http://www.veritasinfo.fr/2019/10/sos-hecatombe-imminente-des-refugies-rwandais-a-l-est-de-la-republique-democratique-du-congo.html

[2]https://www.radiookapi.net/2019/09/13/actualite/securite/rdc-les-chefs-detat-major-des-armees-des-grands-lacs-goma-pour-trouver

Rwanda : Barafinda Sekikubo Fred monte au créneau

Devenu célèbre depuis qu’il s’est rendu à la commission électorale (NEC) afin de déposer sa candidature pour les élections présidentielles d’août 2017, Barafinda Sekikubo Fred est connu comme celui qui a voulu affronter l’homme fort de Kigali, le général Paul Kagame à l’échéance électorale de 2017. Dans une interview accordée récemment à un media en ligne ITYAZO Tv, Barafinda revient sur son parti politique qui n’est pas toujours enregistré, sa séquestration par les services de sécurité et le problème épineux de la taxe sur les terres, un des axes majeurs de son programme politique.

Barafinda Sekikubo Fred, figure connue du grand public au Rwanda pour avoir voulu briguer la magistrature suprême en 2017, refait surface sur la scène publique après des mois d’absence. L’homme est connu pour ses goûts vestimentaires, costumes et cravates trop longs, et surtout pour sa mallette imposante toujours accrochée à son poignet. Cette mallette est rempliée de papiers dont un manifeste de 200 points, dessinant les contours du programme politique de son parti RUDA, selon ses dires.

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Personnalité controversée à causes de ses déclarations souvent amusantes, voire même insensées, parfois présenté comme un fou, l’homme s’est vu propulsé devant les projecteurs quelques mois avant les élections présidentielles d’août 2017. Dans l’attente d’un scrutin sans suspens, qui ne suscitait pas un engouement au sein de la population rwandaise, l’homme est passé au bout de quelques jours de l’anonymat à la personnalité publique au centre de toutes les attentions dans les médias du pays. Sa candidature fut néanmoins rejetée en même temps que celle de Diane Rwigara, une autre personnalité devenue au bout de quelques mois, une des plus virulentes dissidentes du régime en place, après l’assassinat de son père par le régime en place.

Dans sa récente interview, Barafinda explique comment il a été kidnappé à cinq reprises par les services de sécurité, puis gardé enchaîné aux pieds et aux mains dans un endroit connu sous le nom de « chez Gacinya ». Ce centre de détention secret situé au centre de Kigali dans le quartier de Gikondo est dans le collimateur des défenseurs des droits de l’homme à cause des mauvais traitements et tortures infligés aux personnes qui y sont détenues. Barafinda affirme avoir été aussi placé dans d’autres centres de détentions officiels comme à Mulindi (banlieue de Kigali), et sur des sites de détention militaires. Sa séquestration aurait duré au total 120 jours avant d’être relâché, dit-il. 

Concernant l’enregistrement de son parti politique RUDA, Barafinda dit comprendre la situation « si mukeba wawe ukwandika ahubwo ni wowe wiyandikisha ». (« Ce n’est pas ta coépouse qui te reconnait, c’est à toi de t’imposer comme ayant-droit à part entière dans le foyer »). Pour Barafinda, le FPR, un parti unique au pouvoir, n’a pas intérêt à reconnaitre un autre parti politique au Rwanda. « Mon parti est enregistré dans le cœur des Rwandais » déclare-t-il. La présentant affectueusement comme la Première dame, Barafinda a accordé une parole à son épouse qui l’accompagnait, pour elle le parti politique de son mari n’est pas officiellement reconnu au même titre que le FPR, quand il n’était pas au pouvoir, n’avait pas été officiellement reconnu par le gouvernement de Habyarimana Juvénal.

Barafinda dit remplir toutes les conditions requises, notamment les signatures requises, mais elles (les autorités rwandaises) ne veulent pas reconnaitre son parti. Malgré ce refus, l’homme n’est pas très découragé car ce qui compte avant tout « ce sont les idées, les solutions apportées aux problèmes de la population. Ce n’est pas l’inscription du parti qui résout les problèmes de la population » insiste-t-il.

Néanmoins, l’idée qui tient à cœur Barafinda et sur laquelle il revient tout le temps au cours de ses déclarations c’est « la taxe sur la terre » imposée à la population. « Abanyarwanda bagizwe abapangazi ku butaka bw’u Rwanda kandi ari gakondo ». « Les Rwandais deviennent locataires de leurs terres alors qu’ils sont des ayants-droits de leurs terres ». Il a ajouté « quand tu ne sais pas t’acquitter de cette taxe, on vend tes terres, te condamnant à devenir sans abri, avec le risque d’atterrir en prison ».

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Barafinda est revenu sur beaucoup de problèmes, notamment le manque d’eau et d’électricité dans sa maison alors qu’ils payent les factures, les problèmes de voisinage, les persécutions qu’endure la population, etc. « La population africaine n’a pas encore accédé à l’indépendance, il n’y a que les dictateurs africains qui se sont émancipés. La masse populaire est toujours sous l’oppression ; la preuve : on nous réclame une taxe sur des terres héritées de nos ancêtres, ce qui ne devrait pas être le cas » conclut Barafinda.


Rwanda : Procès des réfugiés du camp de Kiziba

Le 24 Octobre 2019, a débuté le procès des personnes jadis représentantes des réfugiés congolais du camp de KIBIZA au Rwanda. Il s’agit de MAOMBI MBANGUTSE Louis le représentant des réfugiés, MUKESHIMANA Clémence représentante adjointe, et 3 autres personnes dont les noms n’ont pas étés communiqués. En 2018 ils avaient organisé une manifestation pacifique pour dénoncer les mauvaises conditions de vie des réfugiés. La police a contenu la manifestation en tirant sur la foule des réfugiés et tuant au moins 11 réfugiés. A l’occasion de ce procès, Jambonews revient sur l’historique de ces camps de réfugiés et les rebondissements médiatiques depuis plus d’un an.

Les manifestations de 2018

Le camp des réfugiés de KIBIZA a été fondé il y’a plus de 20 ans à l’initiative l’ONU. De nos jours plus de 17000 réfugiés à majorité congolais d’origine Banyamurenge, y vivent dans des conditions précaires.

Le 22 février 2018, une foule de centaines de réfugiés congolais a décidé de protester pour dénoncer leurs conditions de vie exécrables et contre la réduction de l’aide humanitaire au camp. C’est alors que des policiers rwandais ont ouvert le feu contre les manifestants faisant au moins 11 morts ce jour-là, 8 à KARONGI au bureau extérieur du HCR et 3 à KIZIBA. Le 1er mai 2018, un autre réfugié a succombé des suites d’affrontements avec la police dans le camp de KIZIBA. Le nombre exact de victimes n’est pas connu car la police rwandaise a empêché les journalistes de prendre des photos ou de faire des enregistrements audio/vidéo, cette interdiction a suscité la colère de Human Rights qui a estimé que le gouvernement rwandais souillait ainsi les tombes des victimes « le gouvernement rwandais piétine les tombes des victimes en refusant de reconnaître le nombre de personnes réellement tuées et d’exiger que les responsables rendent des comptes. »[1]

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En plus de 11 refugiés massacrés, les autorités rwandaises ont arrêté 63 réfugiés pour « participation et organisation de manifestations illégales », « diffusion de fausses informations dans l’intention de créer une opinion internationale hostile contre le gouvernement rwandais » et  » « violence contre les autorités publiques ».[2]

Fin février 2019, la Commission nationale des droits de l’homme rwandaise a publié un rapport sur les manifestations, concluant que le recours à la force par la police était légal et approprié. Aucune recommandation n’a été formulée sur comment prévenir de telles pertes humaines à l’avenir. 

Amnesty international dénonce….

Dans son rapport, du 22 février 2019, Amnesty International exhorte le président rwandais Paul Kagamé à investiguer et faire toute la lumière sur les massacres et les arrestations arbitraires des réfugiés congolais dans les camps de KARONGI et KIZIBA.

Au lieu de poursuivre les auteurs de la tuerie, l’état rwandais accuse les réfugiés, ce que l’ONG regrette estimant qu’« Au lieu d’accuser les réfugiés de ternir l’image du Rwanda, les autorités devraient enquêter afin d’établir comment 11 réfugiés ont pu perdre la vie lors d’une manifestation au cours de laquelle le maintien de l’ordre était assuré par la police et amener les responsables de ces homicides à rendre des comptes »

 Procès des représentants des réfugiés de camp de KIZIBA.

MAOMBI MBANGUTSE Louis le représentant de réfugiés, MUKESHIMANA Clémence représentant adjointe, et 3 autres représentants des réfugiés sont accusés de « diffusion des fausses informations dans l’intention de créer une opinion internationale hostile contre le gouvernement rwandais ». Pour sa défense MAOMBI MBANGUTSE a qualifié ces accusations d’allégations à connotation politique, car il dit n’avoir joué aucun rôle politique dans ses activités. Il rajoute en déclarant qu’en étant le représentant des réfugiés, c’était dans ses responsabilités d’avertir les autorités onusiennes de la situation inhumaine des refugies du camp de KIBIZA[3].

« C’est surprenant et très désolant, de constater que des refugiés comme nous, qui vivent dans la précarité, sommes accusés de crimes aussi graves que ceux dont l’ancien président Pasteur Bizimungu, ou la candidate à la présidence Diane Rwigara ont été accusés. Un pauvre comme moi qui obtient du savon une fois par mois, et consomme pas plus de 10 centimes (0,10 Euro) par jour ne devrait pas être associé à ce genre de crime » Dit-il avant d’ajouter que s’il a affirmé que certains réfugiés congolais ont servi dans l’armée Rwandaise, que ça ne devrait pas être considéré comme un crime car il connait certains accusés qui avaient affirmé devant le juge qu’ils ont servi comme membre de l’armée rwandaise. »[4]

Pour justifier l’utilisation des armes, les autorités rwandaises auraient accusé les réfugiés d’association avec les groupes armés qui déstabilisent la sécurité rwandaise. Ce que rejette MUKASHEMA clémence, car en toute logique elle dit n’avoir aucun intérêt à soutenir ceux qui menace un pays qui les a accueillis.

Le procès reprendra son cours au mois de novembre 2019.

Aucune poursuite n’a été engagée contre les policiers alors que MAOMBI MBANGUTSE et les 3 autres représentants sont placés en détention provisoire. Plusieurs réfugiés se sont déplacés pour venir suivre le procès.

Force est de constater qu’au Rwanda personne n‘est épargné, 11 réfugiés massacrés parce qu’ils dénonçaient le manque de soins et demandaient l’obtention des documents d’identité, ce qui constituent les droits élémentaires des refugies.

William Rukara
www.jambonews.net

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[1] https://www.hrw.org/fr/news/2019/02/23/rwanda-un-plus-tard-aucune-justice-pour-les-meurtres-de-refugies

[2] https://www.amnesty.be/infos/actualites/article/rwanda-les-policiers-ayant-ouvert-le-feu-demeurent-libres-des-refugies

[3] https://www.bbc.com/gahuza/50174837

[4] https://www.radiyoyacuvoa.com/a/5117822.html

Rwanda : Liker, commenter sur YouTube devient un délit

« Un like sera considéré comme un délit », tels sont les propos d’Edwin Mukiza, fonctionnaire auprès du ministère rwandais de l’Information et des Communications, de la Technologie et de l’Innovation. Il mettait en garde les Rwandais sur leur utilisation des réseaux sociaux notamment quand ils s’informent sur des chaines YouTube des médias en ligne bloqués au Rwanda.

Cette information a été mise en ligne le 22 octobre 2019 par la radio Itahuka, qui a publié un extrait audio d’Edwin Mukiza diffusé par la Radio Rwanda. Il est revenu sur l’interprétation de l’article 41 de la loi rwandaise n°60/2018 du 22 aout 2018 portant sur la prévention et la répression de la cybercriminalité. Elle stipule que « toute personne qui établit, publie ou utilise un site d’un groupe terroriste à l’aide d’internet, d’un ordinateur ou d’un système informatique afin de faciliter la communication par son leadership[1]ou ses membres, mobiliser ses fonds ou diffuser ses idées ou connaissances sur la façon dont il mène ses opérations, commet une infraction. ».

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Selon Edwin Mukiza, celui qui suit les chaines YouTube des « groupuscules terroristes » dont il n’a pas cité les noms, celui qui partage ou commente les publications de ces groupes, est par ce fait en train d’« utiliser un site d’un groupe terroriste », au sens de la loi citée au-dessus. Il a insisté sur l’interprétation de l’acte de liker : «C’est partager et adhérer aux actes de ce groupuscule terroriste ». Il a conclu en disant que le Parquet rwandais s’il en a les preuves va poursuivre ceux qui auront liké : « Tu commets une infraction au même titre que celui qui a créé la chaine You tube ».

Les propos d’Edwin Mukiza sont venus appuyer le tweet du n°2 de la diplomatie rwandaise Olivier Nduhungirehe, qui le 19 octobre 2019 a interpellé l’ancienne Miss Rwanda Jolly Mutesi en utilisant son deuxième compte Twitter Ndoli Gitare pour avoir liké un tweet de Fred Muvunyi, ancien président de la Commission Rwandaise des Medias (RMC) qui vit aujourd’hui en exil en Allemagne.

Le 4 octobre 2019, le sénat rwandais rendait public une liste des médias considérés comme faisant la promotion de l’idéologie du génocide. 

Ces sites, la liste n’est pas exhaustive, sont bloqués au Rwanda, leur consultation est implicitement interdite, dorénavant les personnes qui consulteront les chaines YouTube sociaux de ces acteurs de la société rwandaise ou leurs comptes sur les réseaux  sociaux encourront le risque d’une peine d’emprisonnement entre 10ans et 15 ans et une amende comprise entre 10 .000.000 FRW (environ 9 800€) et 15.000.000 FRW (environ 14 700€) .

Jambonews.net

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[1]Texte original de la loi rwandaise. La traduction du texte en Kinyarwanda est la suivante : « Afin de faciliter la communication des dirigeants du groupe terroriste, de ses membres, de mobiliser les fonds ou diffuser les idées ou informer du fonctionnement du groupe terroriste »

Rwanda : Comment le pouvoir espionne ses opposants politiques en exil ?

Depuis quelques années, le Rwanda est décrit comme le symbole de l’Afrique qui gagne, certains décrivent le pays des milles collines comme le Singapour Africain où on inaugure une filiale d’assemblage de véhicules Volkswagen et où on lance les premiers smartphones made in Africa. Sa capitale Kigali est moderne et ordonnée. Mais derrière cette image de pays modèle, on découvre aussi un pays où le pouvoir mobilise tous les moyens pour traquer et neutraliser ses opposants politiques en exil : envoi d’espions à l’étranger, utilisation des réseaux sociaux, mise sur écoute téléphonique, assassinats ciblés. 

Récemment, dans l’enquête des espions parmi nous diffusée le 31/10/2019 sur CBC radio Canada, on découvre l’histoire surprenante d’une jeune étudiante rwandaise Nadège (nom d’emprunt). Nadège a demandé l’asile politique pour raison particulière auprès des autorités d’immigration canadiennes. La jeune rwandaise dit être une espionne. Tout commence en 2010 ; Nadège alors étudiante à Kigali apprend l’existence de bourses pour étudier à l’étranger, elle apprend également qu’elle a obtenu une bourse pour étudier au Canada. Elle pense au début qu’il s’agit d’une récompense pour ses très bons résultats scolaires et son engagement en tant que cadre au sein du FPR, le parti du président Paul Kagame. Avant son départ pour le Canada, elle suit une formation au camp militaire de Gako avec trente autres personnes. La formation est dispensée par des militaires. L’objectif étant de former les jeunes recrues comme Nadège à aller espionner des opposants politiques basés à l’étranger. Concrètement, la formation consiste à savoir collecter des informations, trouver les personnes ciblées, savoir comment les approcher. C’est une mise en situation où les recrues apprennent à être discrètes et à obtenir la confiance d’activistes et leaders de la société civile. Lors de l’interview de Nadège dans le cadre de sa demande d’asile politique, la jeune rwandaise décrit sa mission. Elle explique avoir été envoyée au Canada pour espionner un homme et collecter des informations sur ses parents car on lui avait dit que cet homme collaborait avec des ennemis du Rwanda. Pour accomplir sa mission, Nadège participait aux réunions et fêtes rwandaises. Elle parviendra à entrer en contact avec la cible qui se méfiera.  Elle était en contact avec un représentant du haut-commissariat rwandais à Ottawa qui venait la voir régulièrement pour faire état des informations obtenues. C’est en apprenant la tentative d’assassinat d’un opposant politique qu’elle commence à remettre en question sa mission.

Nadège n’est pas un cas isolé. En effet, depuis 2014 ; des espions rwandais harcèlent des réfugiés. Des espions rwandais ont été signalés en Suède, en Australie, en Belgique, en Grande Bretagne, en Ouganda, au Kenya, au Mozambique et en Afrique du Sud. Au Royaume-Uni, les exilés rwandais avaient été avertis par les autorités britanniques de l’existence d’un complot de Kigali de les tuer. La Suède et l’Ouganda ont expulsé des diplomates rwandais pour espionnage sur des réfugiés rwandais. L’Afrique du Sud et le Kenya ont également expulsé des diplomates rwandais après la seconde tentative d’assassinat du général Kayumba Nyamwasa,le meurtre de Patrick Karegeya en décembre 2013 ainsi que celui de Seth Sendashonga en mai 1998. Le ministre de la justice sud-africain Jeff Radebe affirmait en 2014 que l’Afrique du sud ne devait pas servir de tremplin pour des activités illégales. 

Guy Rapaille, ancien président du comité de contrôle des renseignements belges affirme que les rwandais ont la réputation d’être actifs, efficaces et professionnels. « Ils ont acquis les vraies ficelles du métier d’agent de renseignement ». En 2017 et 2018, il a été informé de l’arrivée d’agents de renseignement rwandais sur le sol belge et ceux-ci avaient pour objectif d’éliminer et faire pression sur les opposants politiques rwandais afin qu’ils se fassent discrets. Les opposants rwandais ne sont pas les seules cibles ; en effet, en 2014 ; Judi Rever, journaliste et écrivaine canadienne alors en visite à Bruxelles est informée par un représentant de la sûreté de l’Etat que sa sécurité serait en danger. A cette époque, elle prépare la rédaction d’un livre qui remet en cause la version officielle de l’histoire du génocide de 1994 au Rwanda selon laquelle « les Hutus seraient les bourreaux et les Tutsis des victimes ». 

Judi Rever affirme avoir été menacée personnellement, sa famille et notamment ses enfants ont été ciblés. Elle affirme avoir reçu des menaces de mort sur son répondeur téléphonique. Elle a confié les enregistrements à la police. Judi Rever affirme que les autorités rwandaises sont prêtes à payer d’anciens officiers pour assassiner des opposants à l’étranger. Ils déploient des moyens matériels et financiers pour approcher les gardes du corps de certains opposants, et infiltrer les opposants. 

Human Right Watch déplore souvent l’assassinat de nombreux opposants politiques au Rwanda, en Ouganda et en Afrique du Sud. En 1996, le ministre de l’intérieur du premier gouvernement du FPR, Seth Sendashonga a été victime d’un attentat. Il en réchappera avec quelques blessures. Seth Sendashonga était un Hutu, militant des droits de l’homme, il était allié au FPR et plein d’espoir quand le FPR a pris le pouvoir à la fin du génocide en 1994[1]. Très vite, il est nommé ministre de l’intérieur. Mais comme le rapporte son épouse Cyrie Sendashonga, il recevait régulièrement des rapports décrivant les crimes des soldats du FPR contre les civils hutus après la fin du génocide.  Il devenait gênant et finira par s’exiler au Kenya. Le 16/05/1998, en plein jour et en pleine rue au Kenya, Il est visé par un second attentat quelques jours avant son passage devant le Tribunal Pénal International pour le Rwanda (TPIR) mais cette fois ci, il n’en réchappera pas. 

Les réseaux sociaux sont aussi régulièrement utilisés par le régime pour espionner discrètement les opposants. 

Récemment, le Financial Times a rapporté que de nombreux activistes et opposants rwandais vivant en exil ont été espionnés via la messagerie cryptée Whatsapp grâce au logiciel espion Pegasus développé par la société israélienne NSO.

L’enquête conjointe de la plateforme citoyenne Citizen Lab et de Whatsapp révèle que des dissidents rwandais et des membres des partis d’opposition comme le FDU INKINGI et le RNC ont été espionnés. Le logiciel Pegasus met sur écoute les téléphones, permet d’intercepter des messages cryptés, et de récolter des images privées. 

Certains activistes rwandais affirment avoir commencé à recevoir un jour des appels WhatsApp non identifiés ; certains appels comportaient un indicatif téléphonique scandinave et à chaque fois l’auteur de l’appel raccrochait immédiatement avant que l’interlocuteur ne réponde. Lorsque l’interlocuteur rappelait, personne ne décrochait au bout du fil. 

Le logiciel Pegasus est une technologie redoutable qui peut être utilisé par des Etats pour espionner, traquer des dissidents qui deviennent ensuite des cibles d’attentats physiques dans le monde réel comme l’affirme John Scott Railton, un responsable du Citizen Lab.

In fine, Le modèle rwandais auquel on attribue la renaissance économique du Rwanda met en évidence des contradictions et révèle des zones d’ombre. Les traques et assassinats ciblés d’opposants politiques en exil sont aussi un aspect moins lumineux du modèle et rappellent les techniques utilisées autrefois par les dictatures d’Amérique Latine. 

Marie Umukunzi

Jambonews.net 

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Aimable Karasira : un prophète au Rwanda

Depuis le début de l’été 2019, un nom cristallise les discussions au sein des Rwandais en exil ou au pays : Aimable Karasira. Enseignant en technologie et information à l’université du Rwanda, ce quarantenaire rwandais doit sa célébrité aux réseaux sociaux, en particulier Youtube où ses très nombreuses interviews cumulent plusieurs millions de vues en l’espace de quelques mois seulement. 

Dans une société gangrénée par la peur, le cynisme, le mensonge, l’hypocrisie, la méfiance, les faux-semblants, les non-dits, les doubles discours, l’individualisme, l’indifférence, l’empathie sélective, la cupidité, l’ethnisme, le matérialisme, la jalousie, la méchanceté, la lâcheté, celui qui s’était autrefois surnommé « Professor Nigga » détonne par son franc-parler, son intégrité, son altruisme et son analyse sans concession de la société rwandaise. 

Pendant plusieurs semaines, Jambonews s’est penché sur l’histoire de ce professeur aux allures de personnage biblique et décode pour ses lecteurs, le message de ce prophète des temps modernes.  

Une famille appréciée du voisinage 

Aimable Karasira Uzaramba est né en 1977 à Mwendo, secteur Rwaniro, commune Rusatira, dans ce qui était autrefois la province de Butare aujourd’hui district de Huye. Il est l’ainé d’une famille de quatre enfants, Goretti Ingabire, de deux ans sa cadette, Emmanuel Tuyisenge, de quatre ans son cadet et Aimé Uyisenga, le dernier de la famille, né en 1990 au début de la guerre. 

Son père, Claver Karasira était agronome au ministère de l’Agriculture et s’occupait essentiellement des usines de thé de Mulindi et Shagasha. « Au ministère, il était réputé pour son intégrité et son caractère pacifique », nous raconte Joseph[1], un ancien collègue au ministère, aujourd’hui réfugié aux Pays-Bas.

Sa mère, Goretti Mukaruzamba, était enseignante en primaire à Ruhashya, avant de travailler à la Caisse d’Epargne du Rwanda. « C’était une famille aisée, plutôt appréciée du voisinage, avec qui ma famille et moi entretenions d’excellents rapports », poursuit Joseph. 

1990 : Retour des fantômes ethniques 

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Aimable Karasira avec son père, sa mère, et ses frères et soeur au début des années 1990.

Le 1er octobre 1990, le Front patriotique rwandais (FPR), mouvement politico-militaire composé essentiellement d’exilés tutsis en Ouganda attaque le Rwanda sous la conduite du général Fred Rwigema, un réfugié rwandais devenu officier au sein de l’armée ougandaise. 

Les fantômes ethniques ressurgissent aussitôt au Rwanda et quelques jours plus tard seulement, en date du 5 octobre 1990, une vague d’arrestations touche près de 10 000 Rwandais soupçonnés d’être des « ibyitso » (espions), et parmi eux beaucoup de Tutsis. 

Au sein de la population, la méfiance s’installe progressivement et la famille Karasira dont le père et la mère sont tutsis et qui avait entretemps déménagé à Gitega en fait rapidement les frais. « Bien que la famille n’eût aucun lien avec le FPR, des tensions ont commencé à surgir avec des voisins et des accusations désobligeantes de connivence avec les assaillants ont commencé à être prononcées. Un jour, des voisins armés de machettes ont débarqué dans leur parcelle, c’était une très grande parcelle contenant beaucoup d’arbres fruitiers. Ils ont coupé tous leurs arbres fruitiers au motif qu’ils voulaient éviter que des « Inyenzi » ne se cachent dedans », nous raconte Ernest[2], un ancien camarade de classe d’Aimable Karasira à qui ce dernier aimait se confier sur sa vie durant leurs deux dernières années d’études secondaires, au lycée de Kigali-Rugunga. 

« L’expérience a été traumatisante pour la famille, etce fut la raison de leur déménagement à Nyamirambo, à quelques centaines de mètres du stade, à proximité de la résidence de Bernard Makuza, où ils se sentaient plus en sécurité », poursuit Ernest.

1994 : l’apocalypse 

Avril 1994: la terreur

Le 4 août 1993, après 3 années d’une guerre civile meurtrière, la délégation du gouvernement de l’époque, dirigée par le président Juvénal Habyarimana, et celle du Front patriotique rwandais, dirigée par Alexis Kanyarengwe, signent un accord de Paix dans la ville d’Arusha en Tanzanie. 

Le 6 avril 1994, alors que les Rwandais pensent être sur le chemin de la paix, l’avion du président Habyarimana est abattu alors qu’il est en phase d’atterrissage à Kigali et le Rwanda bascule immédiatement dans l’horreur.

Quelques heures à peine après l’attentat, des militaires du régime de Habyarimana, le président assassiné, débarquent au domicile de la famille Karasira, tirent des coups de feu sur la porte d’entrée, brisent des fenêtres et après une fouille sommaire de la maison sans en trouver les habitants, ils repartent aussitôt. « Pendant les jours qui suivent, Aimable et sa famille vivent tétanisés dans leur domicile familial les uns cachés dans les cyprès de la demeure, d’autres dans les couloirs, dans la crainte d’un retour des militaires qui pourrait leur être fatal », nous raconte Ernest.  

Mai 1994 : l’Obus du FPR

Malgré la peur et les risques d’être tués d’un moment à l’autre, la famille restera indemne jusqu’au 21 mai 1994. « C’est ce jour-là que l’horreur a atteint la famille nucléaire d’Aimable, lorsqu’un obus tiré par le FPR (Katiyusha) est tombé sur leur maisonEmmanuel, qui avait 13 ans à l’époque, a eu les jambes coupées sur le coup, et il est décédé quelques heures plus tard », ajoute Ernest

La famille décide alors de se disperser pour augmenter les chances de survie de certains membres de la famille. Alors qu’Aimable reste au domicile familial en compagnie de son père, sa mère, son petit frère et sa petite sœur se dirigent vers Butare au sud du Rwanda, leur région d’origine.

« Ils ne sont jamais arrivés à Butare et sont restés à Gatagara après avoir appris que tous ceux qui se trouvaient au village natal de son père avaient été massacrés par les Interahamwe», nous explique Ernest. 

Peu de temps après, les Inkotanyi ont pris le contrôle de la région et la population a été poussée à se regrouper dans des camps de déplacés internes à Bugesera et la famille d’Aimable s’est rendu à Rilima. « Il y avait un grand camp de déplacés internes et comme sa mère parlait français, elle a été engagée comme bénévole auprès de Médecins sans Frontières, pour assurer le contact avec les déplacés », poursuit Ernest. 

Août 1994 : « Ma famille a été emportée d’une manière qui ne peut être racontée » 

En août 1994, au lendemain de la prise du pouvoir par le FPR, une partie de la famille Karasira est à nouveau réunie au domicile familial de Nyamirambo lorsque sa mère et Aimé, le cadet de la famille, reviennent retrouver le père et Aimable. « Leur petite sœur était restée à Rilima pour se soigner du choléra. Comme elle était souffrante, sa mère n’avait pas voulu prendre le risque de faire le trajet avec elle, la pensant plus en sécurité dans le camp de Rilima où elle pouvait être prise en charge par le personnel de Médecin Sans Frontières qui se trouvait sur place en cas d’aggravation de son état », raconte Ernest. 

Une atmosphère de deuil règne au sein du foyer : « Toute la famille paternelle d’Aimable avait été exterminée durant le génocide contre les Tutsis et du côté de la famille maternelle, il ne restait plus grand monde non plus alors qu’Emmanuel avait été tué par un obus », continue Ernest. 

Ce dernier poursuit : « Deux jours après les retrouvailles, voyant que la sécurité semblait revenue à Kigali, sa mère retourne chercher sa fille Goretti à Rilima, malgré les nouvelles qui circulent sur des massacres contre des Hutus par le FPR dans cette région. Elle pensait qu’en tant que Tutsie elle était à l’abri de ces massacres de masse » de Hutus, qui se commettaient « dans l’ombre du génocide des Tutsis»[3]

Sa mère ne reviendra pas. Au début du mois de septembre 1994, Claver Karasira, le père de la famille, décide de s’y rendre à son tour sur les conseils insistants d’un certain Gatari « Aimable m’a souvent parlé de lui. Il en veut beaucoup à Gatari car il est persuadé que ce dernier connait l’identité des assassins de sa famille. Je ne connais pas son deuxième nom mais Aimable le décrivait comme quelqu’un de « connu pour sa boiterie », se rappelle Ernest.

Ne voyant pas son père revenir, Aimable Karasira, encore adolescent à l’époque, décide à son tour de se rendre dans la région sur les traces de sa famille. « Arrivé à Rilima, à proximité du QG de Médecins Sans Frontières, on lui a demandé d’attendre l’arrivée d’un « Afande » et c’est durant cette attente qu’il a appris ce qui était arrivé à sa famille. Un déplacé interne lui a confié que sa mère avait été exécutée par le FPR, qui la soupçonnait, en tant que francophone, d’avoir livré des informations sur les massacres qui se commettaient contre les Hutus à Médecins Sans Frontières. Son père qui était arrivé en la cherchant avait subi le même sort, et Aimable fut invité à déguerpir s’il voulait survivre.»[4]

« Mon petit frère a été tué par un obus, et les autres sont partis d’une manière peu claire, ou plutôt d’une manière claire mais qui ne peut être racontée », explique aujourd’hui Aimable Karasira.[5]

Dans ses interviews, conscient de la sensibilité du sujet et des risques qu’il encourt, Karasira livre rarement son analyse sur le drame rwandais, répétant souvent, « C’est de la politique, je n’en parlerais pas » et se bornant à simplement évoquer le rôle des Etats étrangers dans cette tragédie qui a emporté sa famille. « Les pays étrangers ont eu un rôle dans ce qui s’est passé chez nous, la France, l’Ouganda et les Etats-Unis. La France parce qu’elle soutenait l’ancien régime, les Etats-Unis qui avaient les moyens de tout arrêter, et l’Ouganda est aussi impliqué d’une certaine manière. C’est la géopolitique, ils poursuivaient leurs intérêts. Je ne peux pas les détester à 100% mais ils ont utilisénos compatriotes pour faire le mal. Je déteste les Clinton, si Hillary avait gagné les élections américaines en 2016 j’aurais été triste. »

L’impossible deuil 

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Aimable Karasira lors d’une visite à Aimé Uyisenga, son petit frère dans le centre de réeducation pour personnes atteintes de troubles mentaux
source : Instagram d’Aimable Karasira

Depuis 1994, à l’instar des autres victimes du FPR, Aimable Karasira est contraint au silence au sujet du sort de sa famille. A la douleur de perdre sa famille s’ajoute le poids d’un deuil impossible et d’un silence imposé sur les circonstances de la disparition des siens.

Alors que les Tutsis victimes du génocide sont soutenus dans leur reconstruction par de nombreuses associations rwandaises et internationales, ainsi que par différents organismes étatiques tels que le Fonds d’Assistance aux Rescapés du Génocide (FARG), et que les Hutus victimes des crimes et actes de génocide commis par le FPR contre eux, bien que livrés à eux-mêmes se soutiennent en silence dans leur douleur, Aimable Karasira se retrouve seul au sein de cette société qui discrimine les orphelins en fonction de leur ethnie mais aussi de leur bourreau. 

Dans son interview de septembre 2019 auprès de la VOA, Aimable Karasira raconte cette période : « Je ne savais pas vers qui me tourner. Imagine n’avoir personne à qui te confier, n’avoir personne avec qui discuter, tous te rejetant au motif que vous ne partagez pas la même douleur. » 

Dans une chanson de 2015, « Ndeka undorere » (‘Laisse-moi tranquille)[6], Aimable Karasira raconte avoir « été exclu de la société »[7]et explique dans un langage imagé comment il était rejeté aussi bien par les Tutsis que par les Hutus[8] :« Imagine être réduit à l’état d’épave, ceux partageant ta peine ayant des gens pour parler pour eux alors que toi tu n’as personne pour parler pour toi ». « Je ne sais pas expliquer comment je ne suis pas devenu fou »[9], ajoute-t-il encore dans son interview avec la VOA.

Ernest commente cet épisode de la sorte : « Bien qu’Aimable soit Tutsi, victime du génocide car il a perdu la totalité de sa famille paternelle dans le génocide contre les Tutsis, il n’était pas accepté dans les associations de rescapés du génocide, car les gens savaient que sa famille directe avait été tuée par le FPR, alors que les Hutus rescapés de Tingi Tingi et autres massacres commis par le FPR au nord du Rwanda se méfiaient de lui, le prenant pour un espion. » 

« C’est son histoire personnelle conjuguée au manque de soutien dans la société qui a fait d’Aimable un homme dépressif. Aimé, son petit frère, a quant à lui perdu la tête et vit aujourd’hui dans un centre de rééducation où les visites ne sont autorisées qu’une fois par mois », ajoute Ernest. 

Dans une société rwandaise où la dépression est vue comme une tare, une maladie des faibles ou des « blancs », Aimable refuse d’avoir honte d’être dépressif « Imagine être dans un pays et n’avoir nulle part où aller, au moment des commémorations n’avoir nulle part où commémorer. Perdre les tiens, ton père, ta mère, ne plus avoir de famille paternelle, plus de famille maternelle, alors que tu vis avec certains responsables de ton malheur. Et tu me dis que je peux réfléchir normalement après ça ? Je suis fier d’être dépressif. » 

1994 – 2009 : le chemin de croix 

Les années 1994 à 2009 sont un véritable chemin de croix pour Aimable Karasira, « La cigarette et l’alcool étaient ses meilleurs amis » se rappelle Ernest. Bien qu’orphelin et Tutsi, Karasira ne pourra bénéficier d’aucune aide d’Etat et notamment du FARG, n’ayant pas été endeuillé d’une manière qui permettait à sa douleur d’être reconnue.  

Comme si cette peine ne suffisait pas, Aimable est contraint de boire le calice jusqu’à la lie lorsque l’immense partie de leur parcelle leur est abusivement enlevée : « Aimable me parlait souvent d’un certain Patrice Rwanyagatare, lequel aidé par la police, notamment un officier du nom de Munyaneza, les avait expropriés », explique Ernest. 

Dans une interview auprès du média Igiheen juillet 2019, Karasira décrit sa vie à cette période comme un « chemin de croix » : « Je n’ai pas de père, je n’ai pas de mère, mais si je les rencontrais aujourd’hui je leur demanderais pourquoi ils m’ont mis au monde. J’avais une famille, et presque toute ma famille m’a été enlevée en 1994, il ne me reste qu’un petit frère, qui se drogue et qui est un fardeau pour moi (…) Je ne veux pas d’enfant car ce serait le faire naître dans un océan de problèmes. »

Malgré les années qui passent, la douleur d’Aimable ne s’atténue pas, elle ne fait qu’au contraire s’accentuer. Une fois arrivé à l’université de Butare, Aimable répète à qui veut l’entendre, « Je serais heureux le jour où je pourrais me suicider». Il ajoute dans une autre interview que pour lui, « venir au monde est pire qu’un châtiment, beaucoup de choses dont tu n’es pas responsable t’arrivent ».

Lorsqu’en juillet 2019 le journaliste Sabin Murungi d’Isimbi TVlui rappelle les propos qu’il tenait à l’Université et lui demande s’il pense toujours la même chose, la réponse d’Aimable fuse immédiatement : «J’ai espoir qu’un jour ils autoriseront le suicide (…) Si c’était autorisé, que j’en avais le courage car ce n’est pas donné, et que j’étais sûr de ne pas me louper, je me suiciderais. »

Dans la même interview il ajoute,« Je n’ai jamais fêté mon anniversaire, si un sorcier m’annonçait la date de mon décès, c’est plutôt cette date que je célébrerais chaque année.» 

 2009 : La lueur Tuff Gang

En 2009, alors que la vie d’Aimable Karasira ressemble toujours à un tunnel noir sans fin, alors qu’années après années il se sent toujours aussi seul face à sa douleur, une lueur vient fendre l’obscurité avec l’apparition du groupe de rap Tuff Gang. 

« L’histoire de ma vie est une succession de problèmes, de lourds problèmes, de très lourds problèmes, et je me disais que ces problèmes étaient impossibles à expliquer et j’ai enfoui ça en moi, jusqu’à ce que j’entende parler d’un groupe de jeunes qui s’appelle Tuff Gang (…), ils parlaient des problèmes de la rue, des gens en prison, des gens malheureux » raconte Aimable toujours dans son interview auprès de La Voix de l’Amérique. 

Comme des dizaines de milliers de jeunes Rwandais qui se sentent livrés à eux-mêmes, Aimable Karasira se reconnait dans les paroles du groupe et vibre au rythme des paroles de ce groupe de rap local qui parle pour cette jeunesse contrainte au silence. 

Dans leur chanson la plus populaire, intitulée « Amaganya » (« Lamentations ») et qui frôle les 340 000 vues sur YouTube, le groupe évoque le désespoir de la jeunesse rwandaise : « On a grandi en entendant que le meilleur était à venir, mais les années continuent de passer ». Le groupeévoque aussi le poids de l’histoire,« Vous pourriez penser que nous avons choisi ces périodes sombres mais c’est notre histoire qui nous a rendus ainsi », ainsi que la tristesse, la pauvreté et la faim,« pas de cœur apaisé, pas de biens matériels, rien dans le ventre ». En guise de refrain, le groupe entonne « Nous sommes prisonniers de qui nous sommes et d’où nous venons, si nous ne parlons pas, ce n’est pas parce que nous n’avons rien dans la tête ; dans la vie, chacun se bat pour soi, sache seulement que nos cœurs sont remplis de lamentations. »[10]

2010 : Professor Nigga 

En écoutant les chansons du groupe, Aimable se sent réconforté et inspiré : « Même si je ne savais pas chanter je me suis dit, je vais faire du rap, car personne n’a jamais réussi à comprendre mes problèmes et je voyais la musique comme une façon de me soigner, une thérapie », explique-t-il à la VOA. 

C’est ainsi que sous le nom de scène de Professor Nigga, devenu célèbre depuis, Aimable Karasira trouve un moyen d’alléger son fardeau devenu trop lourd à porter. 

Dans sa première chanson « Mureke kunyitiranya » (« Arrêtez de me confondre ») qui est sortie en 2010 Karasira entonne « Ne me prenez pas pour qui je ne suis pas car le père que vous pensez n’est pas mon père ; » pour dénoncer les rumeurs sur sa famille qui ont circulé afin de le discréditer quand il a commencé à enseigner à l’université. 

Certains prétendaient qu’il était le fils de Froduald Karamira, un ancien Tutsi devenu Hutu selon une tradition rwandaise[11]et condamné à mort pour génocide en 1997, et d’autres prétendaient qu’il était le fils de Martin Bucyana, le président du parti politique CDR qui fut lynché en février 1994 par une foule qui accusait le parti d’être à l’origine de l’assassinat, la veille, de Félicien Gatabazi, l’un des principaux leaders de l’opposition rwandaise de l’époque.  

« Ils m’ont inventé des parents lorsque j’étais professeur à l’Université (…), dans l’objectif de me discréditer, je ne veux pas qu’ils m’aiment, je veux qu’ils me laissent tranquille » raconte Aimable Karasiraau média Ukwezien aout 2019

« Les créatures maléfiques »

En 2014, l’artiste sort une chanson intitulée « Amahembe y’i karagwe » (« Créatures maléfiques ») qui est « la conséquence de sa grande dépression » et dans laquelle il fait pour la première fois référence aux fossoyeurs de sa famille : « Les créatures maléfiques tuent ceux qui brisent le serment, les créatures maléfiques tuent ceux qui sont pointés du doigt, les créatures maléfiques sont celles qui ont exterminé ma famille» se demandant pourquoi il a survécu.[12]

A tout connaisseur de la société rwandaise, le serment évoqué par Karasira fait penser au serment du FPR qu’on prête « au risque de sa vie » et sous peine d’être « crucifié » si on s’aventure à le briser[13]. D’autant plus que quelques mois à peine avant la sortie de la chanson, Paul Kagame avait une énième fois rappelé ce châtiment suite à l’assassinat en Afrique du Sud de son ancien bras droit qui s’était hasardé à briser son serment : « Quiconque trahit notre cause ou souhaite du mal à notre peuple deviendra une victime »[14],avait notamment déclaré le général Kagame dans le cadre d’un déjeuner de prière

En légende de cette chanson « dédiée à sa famille assassinée » l’artiste écrit, « Le contenu de cette chanson explique comment je suis. Lorsque vous me qualifiez de fou ingérable, sachez seulement que ce sont des créatures maléfiques qui m’ont rendu comme ça. » 

« Laisse-moi tranquille »

Dans une chanson de 2015 intitulée « Ndeka Undorere » (« Laisse-moi tranquille »), Aimable Karasira revient à nouveau sur la disparition de sa famille et se fait encore plus précis sur l’identité de ses bourreaux. « Ceux qui étaient les nôtres se sont rendus à une réunion et ont trouvé la mort »[15], en référence à un macabre jeu de mots célèbre parmi les victimes du FPR. 

En effet dans les zones sous le contrôle du FPR et dans les camps de réfugiés Hutu en RDC, les civils étaient souvent convoqués à des réunions dont beaucoup ne revenaient jamais. Cette observation avait fini par créer la légende au sein de certaines couches de la population selon laquelle celui qui se rendait à une réunion du FPR (« Kwitaba inama ») y trouvait la mort (« Kwitaba Imana »).[16]

Comme s’il craignait que l’auditeur ne passe à côté du message de sa chanson, l’artiste prend le soin de préciser en anglais à la fin de la vidéo qu’il s’agit bien là de sa propre histoire : « This song was written based on the artist’s true story. »

https ://www.youtube.com/watch?v=jDZqbRHIkcw

2019 : La prophétie 

En 2019, après la musique, Aimable Karasira trouve dans la parole une nouvelle forme de thérapie. Ses interviews font rapidement le buzz et il est sollicité par une multitude de médias en ligne. « Les gens avaient soif de vérité », explique Karasira lorsqu’on lui demande son avis sur les raisons du succès de ses interviews qui contiennent souvent des leçons de vie aux airs de prophétie. 

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Jamais Karasira ne refuse d’interview, sur une même journée, il lui arrive d’en accorder plusieurs à des médias différents. « Me tendre le micro c’est comme ouvrir un robinet, je parle très vite car j’ai beaucoup de choses sur le cœur, j’ai beaucoup de choses que j’ai enfouies pendant des années et que j’avais besoin d’exprimer. » 

« Les gens peuvent parfois être surpris ou choqués par ce que je dis, mais c’est comme quelqu’un qui doit vomir. Quand tu es pris de nausée c’est difficile de te retenir et quand tu vomis tu te sens soulagé, alors que celui à côté de toi peut trouver ça dégoutant. Je me sens soulagé quand j’exprime ce que j’ai sur le cœur », explique Karasira à ceux qui demandent ce qui le pousse à exprimer sa vérité. 

Les pires ce sont les indifférents

Bien que les commentaires de ceux qui l’écoutent soient souvent positifs, beaucoup pointent du doigt le fait que les thèmes qu’il aborde sont souvent négatifs. Karasira s’en explique :« Dans la tradition japonaise il existe le principe du yin et du yang, qui explique que tout s’équilibre. Il y a des garçons et des filles, le blanc et le noir, la lumière et l’obscurité, mais dans la société rwandaise, en ce qui concerne, le bien et le mal, il n’y a plus d’équilibre, le mal a triomphé. »

Face à la situation de détresse que traverse la population rwandaise, Karasira semble plus en vouloir à la majorité silencieuse, la majorité qui reste indifférente, plutôt qu’aux acteurs de la persécution qu’il ne s’aventure jamais à nommer. « Il y a des gens mauvais qui font le mal, mais les pires, ce sont les gens qui ne disent pas à ceux qui font le mal, qu’ils font du tort. Pendant le génocide contre les Tutsi, il y a beaucoup de gens qui n’ont tué personne mais qui ont regardé sans agir, beaucoup d’entre eux ont été condamnés pour cela. »

Il va par moments jusqu’à s’agacer du silence des Rwandais face à leur propre malheur : « Je parle pour vous et vous dites que j’ai perdu la tête, ça me fait tellement malde parler pour vous et de vous voir aussi inertes.Je devrais peut-êtreme taire, peut-être que je devraisles laisser continuerà vous oppresser (kubakanda),peut-être que s’ils vous oppressaientdavantage vous finiriez par comprendre ce que je disais. »

« L’APR et moi ça fait deux »

Conscient que sous l’une des dictatures les plus répressives du globe, le moindre faux pas peut lui couter la vie ou la liberté, Karasira annonce à qui veut l’entendre qu’il ne « parlera pas de politique ». Mais lorsque dans son interview la plus écoutée un journaliste se hasarde à lui demander s’il supporte une équipe de foot, Karasira déclare « Je ne supporte aucune équipe mais il y a une équipe que je déteste, c’est l’APR. Quand l’APR joue et qu’elle perd, je me sens soulagé. Même si l’APR jouait contre l’équipe de Lucifer, je supporterais l’équipe de Lucifer. » Avant d’ajouter plus loin dans l’interview, « Quand l’APR encaisse un but, je ressens une joie que je ne peux pas qualifier, je ne sais pas d’où ça vient. »[17]

L’interview fait le buzz et dépasse rapidement les 200 000 vues. Même si l’intéressé s’en défend, beaucoup y voient un moyen détourné d’exprimer son opinion sur l’Armée patriotique rwandaise (APR) qui a emporté sa famille et qui porte le même nom que l’équipe de foot qu’elle a fondée. 

La popularité de Karasira touchant toutes les couches de la société rwandaise, plusieurs fans de l’équipe APR qui apprécient ses leçons de vie ont exprimé dans la foulée leur mécontentement sur ce point dans les centaines de commentaires qui suivent l’interview. 

Une semaine après lors d’un nouvel entretien, Karasira est invité à réagir. Alors que l’on pense qu’il va revenir sur ses propos afin de plaire à tous, Karasira déclare dans un style qui lui est propre, « Il faut qu’on accepte qu’on peut ne pas voir les choses de la même façon, j’ai des voisins qui sont végétariens, qui attrapent des urticaires lorsqu’ils mangent de la viande alors que j’aime la viande. Cela ne doit pas faire de nous des ennemis pour autant. L’APR et moi ça fait deux, je ne peux pas jouer à l’hypocrite et dire que je suis fan de l’APR alors que je ne le suis pas. » 

Et il ajoute en s’adressant directement aux fans de l’APR : « Réjouissez-vous lorsqu’on parle de l’APR, digérez l’APR mais sachez que moi lorsqu’il s’agit de l’APR, j’attrape des urticaires, j’ai des allergies », distillant au passage une leçon de tolérance bienvenue dans une société connue pour transformer en ennemis les personnes aux convictions politiques différentes. 

« Je ne veux pas d’enfant, ces interviews sont la trace que je laisserai sur terre » 

Alors que Karasira a plus de quarante ans, on lui demande souvent pourquoi il n’a ni femme, ni enfants. « La raison pour laquelle je ne veux pas d’amour, pas de femme, pas d’enfants, c’est la vie que je vois ici au Rwanda, en Afrique. On nous ment en nous disant que le meilleur est à venir, mais moi je suis professeur et je vois vers où on se dirige, je vois comment les taxes augmentent, je vois comment la population augmente alors que les vivres diminuent (…) Je ne veux pas d’enfant qui se demandera en permanence quel sera son avenir. » 

Si Aimable ne s’inquiète pas de ne pas avoir de descendance, c’est parce qu’il a la conviction qu’on ne se souvient pas d’un homme pour ses enfants mais pour ses actes. 

«L’héritage que je veux laisser au Rwanda ce sont mes réflexions. Dans deux ou trois générations, on se rendra compte de l’utilité de ce que je dis aujourd’hui, (…) je connais les Rwandais, ça prendra du temps, mais un jour la parole va se libérer et les Rwandais diront ce qu’ils ont sur le cœur. » déclare t’il souvent

La légèreté de la société

Au rang des choses qui attristent Karasira figure en premier lieu la perte des valeurs de la société rwandaise et le fait que la jeunesse s’est réfugiée dans la drogue, l’alcool et s’intéresse à des choses futiles. « Notre société est superficielle, nous imitons le capitalisme et nous avons perdu toutes les valeurs de notre société. Le Rwanda est basé sur l’agriculteur, l’élevage, le tourisme mais au lieu d’avoir des vues YouTube sur un agriculteur, un éleveur qui se distingue, ce sont les choses futiles qui attirent la jeunesse. Sur les radios il est impossible d’entendre une émission sur l’agriculture ou l’élevage, on en a que pour la musique et le foot, alors que nous n’avons même pas d’équipe forte. »  

Donnant pour exemple l’incroyablesuccès de la musique« Igisupusupu » et celui de Shaddy Boo, une sorte de Kim Kardashian rwandaise qui accumule les records d’audience sur Instagram. 

« J’aimerais que Dieu brule tout, comme à Sodome et Gomorrhe, que moi-même je sois emporté, que tout soit emporté et qu’on recommence à zéro. »

Les pharisiens

A défaut d’un Sodome et Gomorrhe, Karasira entend bouleverser la société rwandaise et la pousser à changer en lui distillant les vérités qu’elle ne veut pas entendre. « La société me considère comme quelqu’un de bizarre, de comique, mais cela ne me dérange pas, c’est la manière dont Jésus était considéré par les pharisiens, il leur disait qu’ils étaient comme des tombes bien décorées alors qu’à l’intérieur c’est le néant. S’ils trouvaient le moyen de le faire, ils me tueraient car des sociétés comme la nôtre n’aiment pas ceux qui disent la vérité », déclare-t-il dans une de ses nombreuses interviews auprès d’Igihe.

Le mot vérité est le leitmotiv de Karasira, il le mentionne dans chacune de ses interviews, notamment lorsqu’il appelle les Rwandais à dire la vérité et à cesser de se comporter comme « des pharisiens, des hypocrites » s’ils veulent sortir de l’engrenage négatif dans lequel la société est embourbée. 

A côté de l’hypocrisie,Karasira dénonce le matérialisme de la société rwandaise : « Je regrette de ne pas être né en Europe. Ici si tu es professeur notre société veut que tu aies une voiture, que tu portes une cravate, que tu sois en permanence en costume, car dans notre société, même si tu n’as rien à ton actif; la société va être impressionnée, dire que c’est toi le modèle… Je n’ai pas besoin de cravate. »Il confesse toutefois que face à l’isolement social qui est le sien, il pourrait se conformer dans les années à venir, « pour leur faire plaisir ». «Jésus a été crucifié parce qu’il a refusait de se conformer, il disait sa vérité, il disait aux pharisiens que c’étaient de hypocrites, il leur disait des vérités qu’ils ne voulaient pas entendre et au moment de choisir qui devait être sauvé, ils ont choisi de sauver Barabas plutôt que Jésus. Je suis en train d’apprendre à devenir hypocrite, car je ne veux pas être victime comme Jésus ».

Le sens de la formule

Au-delà de ses enseignements, Karasira est apprécié pour son sens de la formule, ainsi par exemple, lorsqu’il est interrogé sur le « Made in Rwanda »prôné et vanté par les actuels dirigeants rwandais, Karasira pointe leurs contradictions : « Si tu parles de Made In Rwanda, fais-en une réalité. Porte des vêtements fabriqués au Rwanda, que ton enfant étudie au Rwanda, toi le dirigeant qui en parles, que tes parents se soignent dans les hôpitaux du Rwanda. Si ta famille se soigne avec la population rwandaise tu vas connaitre ses problèmes, mais si tu prônes le Made in Rwanda, que tu vantes nos universités alors que tes enfants étudient en Ecosse, au Canada, aux USA, my friend, tu ne dis pas la vérité. » 

La folie est relative

Si son sens de la formule et son humour sont ses points forts, son sens de la répartie n’est pas en reste. Ainsi par exemple, lorsqu’il est appelé à réagir aux propos de ceux qui le qualifient de « fou », ilexplique que la notion de folie est relative– et égratigne au passage les dirigeants rwandais qui s’enrichissent sur le dos de la population au point qu’années après années, la classe dirigeante au Rwanda devient de plus en plus riche alors que la population devient de plus en plus pauvre. « Chaque personne a un degré de folie, si nous prenions tous les fous et que nous les amenions à Ndera (commune abritant un asile psychiatrique), il ne resterait plus grand monde. Une personne qui va piller les biens de la population, qui va construire des immeubles avec je ne sais pas combien d’étages alors qu’il finira dans une petite tombe est le plus fou de tous, va-t-on l’amener à Ndera alors que c’est elle qui y amène les gens ? »

Karasira Family, une seconde famille

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Aimable Karasira a été touché par l’engouement que ses prises de paroles ont suscité chez les Rwandais, en particulier par ceux qui lui avaient envoyé des messages pour lui dire qu’ils l’appréciaient comme un grand frère, un fils, un ami, un confident ou tout simplement celui qui exprimait leurs préoccupations. 

Le 17 juillet 2019, cet engouement a poussé Karasira à créer un forum sous la forme d’un groupe WhatsApp réunissant ses fans, un espace de discussion au sein duquel tout un chacun a la parole et un droit de regard sur les règles de savoir-vivre qui le régissent.

Dans une interview diffusée quelques jours après la création de ce groupe, Aimable Karasira explique « Ils ont vu en moi le don de guérir les cœurs (kubohora imitima) et j’ai vu en eux le don d’une famille que je n’avais plus. J’étais resté seul au monde et aujourd’hui j’ai une grande famille aux quatre coins du monde ».

Dans la même interview il répète ne pas vouloir faire de politique et demande à ceux de l’opposition de cesser d’utiliser son nom pour critiquer le régime. Il a clarifié sa démarche, en disant faire de l’« ubuse » (« la critique »), et que dans l’histoire rwandaise les « abase » (ceux qui critiquent) ont de tous temps existé et ont pour rôle de critiquer ce qui ne va pas dans la société pour que ce soit corrigé. « L’objectif de mon action est de dire à celui qui est malade d’aller se faire soigner. » 

La première action spontanée de Karasira Family a été d’organiser une collecte de fonds pour financer la création de la chaîne Youtube d’Aimable Karasira. Ce dernier avait exprimé vouloir lancer sa propre chaine de TV pour répondre à la demande de ceux qui souhaitaient le voir plus régulièrement et aborder différents thèmes, et il souhaitait également un peu plus d’autonomie et de liberté. 

Ce projet est désormais réalité avec le lancement de la chaine « Ukuri-Mbona » (« Ma vérité ») au travers de laquelle Karasira parle pour ceux qui n’ont personne pour parler pour eux, comme les enseignants ou encore les adolescentes qui se font enceinter avant d’être livrées à elles même.

Dans une de ses émissions, il a rendu visite à Verene Nyiraminani, une femme en chaise roulante et isolée. Son histoire a touché des personnes qui vivent à l’étranger qui lui ont envoyé de l’argent. Début novembre 2019, Karasira a aidé Nyiraminani, limitée dans ses mouvements, à récupérer son argent. En marge à cette visite Aimable explique : « Après mes interviews dans lesquelles je parlais des problèmes que j’avais eus dans ma vie, beaucoup de gens m’ont approché et m’ont dit qu’il étaient désormais ma famille, j’ai eu de oncles, des tantes, c’était bien et je me suis dit, pourquoi ne pas profiter de cet engouement pour à mon tour aider concrètement ceux qui sont dans le besoin ? C’est dans ce cadre qu’on a rendu visite à Nyiraminani. On a parlé pour elle et on a pu lui apporter une aide concrète. Tout s’est vraiment bien passé. »

« Je me sens heureuse que la famille Karasira m’ait rendue visite et que j’aie pu leur expliquer mes problèmes. Je n’avais rien, même pas d’instruments de cuisine, et ils ont trouvé des gens pour m’aider. La vie était dure mais maintenant je vois que c’est en train de changer(…) La vie était très amère, j’étais seule, je vivais dans la solitude et quand je les ai vus arriver, j’ai senti que j’avais une famille qui s’occupait de moi, cela m’a rendue très heureuse », témoigne quant à elle Nyiraminani, la bénéficiaire de la bonne action du jour. 

Aimable Karasira qui pendant des années, quand il en avait le plus besoin n’a eu personne pour parler pour lui, est aujourd’hui devenu la voix des sans voix du Rwanda allant jusqu’à utiliser sa notoriété pour récolter des fonds au profit de ceux dans le besoin.

Ruhumuza Mbonyumutwa

Jambonews.net 

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[1]Le prénom a été modifié afin de préserver l’anonymat du témoin. 

[2]Le prénom a été modifié afin de préserver l’anonymat du témoin. 

[3]https://www.liberation.fr/evenement/1996/02/27/rwanda-executions-massives-de-hutus-dans-l-ombre-du-genocide-des-tutsis_161810

[4]Pour un aperçu plus complet des massacres commis dans cette région, voyez, « Violences du nouveau régime rwandais 1994-1995 » publié par Médecins sans frontières. https://www.msf.org/sites/msf.org/files/2019-05/MSF%20Speaking%20Out%20Violences%20du%20nouveau%20regime%20rwandais%201994-1995.pdf

[5]Interview avec La Voix de l’Amérique (VOA) en septembre 2019. 

[6]Ndeka Undorere https://www.youtube.com/watch?v=oeSbOOpeViU

[7]„Nabaye igicibwa murugo“

[8]« Nabaye igicibwa murugo sinizeye abo hanze y‘inkiko, wamurimyi yanyimye imbuto, muhumuza anyima ikivuguto » 

[9]Interview auprès de la VOA de septembre 2019, https://www.youtube.com/watch?v=K3-JXUaTF8c&t=1434s

[10]« Turi imbohe z’abo turi bo naho tuva Kuba tutavuga si uko imitwe irimo ubusa Mu buzima ubundi umugabo arimenya Burya imitima yacu yuzuyemo amaganya»

[11]https://trialinternational.org/fr/latest-post/froduald-karamira/

[12]« Amahembe y’ikaragwe, yica abarenze igihango, amahembe yikaragwe yica abatunzwe akadomo, amahembe yikargwe niyo yamariye umuryango, ntakundi nimwigendere »

[13] « Après avoir bien appris, bien compris et discerné, l’assermenté du FPR prête serment en jurant « au risque de sa vie » de:

1. avoir bien appris, compris et discerné le sens de son engagement au parti avec les autres membres;

2. Sauvegarder et être gardien du parti en combattant contre tous les opposants au pouvoir du parti FPR partout où ils seraient et par tous les moyens (kurwanya abanzi b’u Rwanda aho bazaba bari hose);

3. Respecter sans discuter toutes les directives du parti FPR, actuelles et celles qui viendront;

4. Se préparer à être crucifié (nzabambwe nk’umugome wese) comme tout opposant (mécréant, méchant, malfaiteur) si jamais je venais à (manquer de respect) transgresser une directive du part. »

[14]http://www.rfi.fr/afrique/20140113-assassinat-patrick-karegeya-kagame-trahison-consequences

[15]Abari abacu bitabye inama, bitaba imana »

[16]Voyez À ce sujet, le témoignage de Marie Beatrice Umutesi, auteur du livre “Fuir ou mourir au Zaïre », lors d’une conférence du 11 octobre 2019 à Bruxelles sur la thème du génocide des Hutu, https://www.youtube.com/watch?v=CVPbepuO7sY . 

[17]https://www.youtube.com/watch?v=QmMX-2K4tk8

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Génocide contre les Hutu au Rwanda et en RDC : la fin de l’omerta ?

Retour sur la lettre ouverte des 60 « scientifiques » qui s’étaient insurgés contre les conférences de Judi REVER en Belgique

Le mardi 8 octobre dernier, une lettre ouverte signée par une soixantaine d’ « universitaires, scientifiques, chercheurs, journalistes et historiens » était publiée dans les deux plus grands quotidiens belges francophones, avec pour ambition de faire annuler les conférences et exposés de la journaliste canadienne, Judi REVER, prévus du 8 au 11 octobre 2019 au sein de plusieurs universités flamandes[1].

Les conférences de Judi REVER devaient tourner autour de son livre : « In Praise of Blood : The Crimes of the Rwandan Patriotic Front », réédité en néerlandais en octobre 2018, sous le titre : « De Waarheid over Rwanda ; het regime van Paul Kagame » par Amsterdam University Press[2].

La lettre ouverte, prétextant lutter contre une « négationniste connue du génocide de 1994 contre les Tutsi du Rwanda », demandait ni plus ni moins « aux recteurs des KULeuven, UAntwerpen, VUB et au directeur dʼArtevelde hogeschool Gent, respectivement Luc Sels, Herman Vangoethem, Sicco Wittermans et Tomas Legrand » de fermer leurs portes à Judi REVER.

Toutefois, aucune suite ne fut réservée à cette ambitieuse lettre, pourtant co-signée par de nombreuses personnalités de renom et, bien entendu, toutes les conférences et exposés prévus pour Judi REVER ont bien eu lieu, à Anvers, Bruxelles, Leuven et Gand,allant parfois jusqu’à capter l’attention de centaines d’étudiants dans les facultés de droit et de sciences politiques de ces universités.

Nous souhaitons revenir sur la lettre en question et surtout essayer de comprendre comment et pourquoi celle-ci n’a pas obtenu le résultat espéré par ses signataires, ou plutôt par ses commanditaires.

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Couverture du livre en néerlandais

Une lettre qui se trompe de combat ?

Pour commencer, la lettre du 8 octobre s’est visiblement trompée de combat.

En effet, la lettre disait vouloir lutter contre le négationnisme du génocide des Tutsi, alors que les conférences de Judi REVER portaient sur les crimes commis par le Front Patriotique Rwandais.

Or, il n’y a absolument aucun acte ou parole négationniste dans la démarche de Judi REVER, ou de quiconque d’ailleurs, qui dénonce les crimes du FPR, même en les qualifiant de génocide contre les Hutu.

Il n’y a qu’au Rwanda, dirigé par le même FPR, que la seule évocation des crimes commis contre les populations civiles Hutu par le FPR est considérée comme du « négationnisme », à l’encontre d’ailleurs de toute logique universelle, ainsi que l’a confirmé la Cour Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples, dans son jugement contre l’Etat rwandais en novembre 2017.[3]

C’est donc en suivant la logique de Kigali, que les signataires de la lettre ouverte ont voulu se servir du sentiment d’horreur qu’inspire legénocide contre les Tutsi, afin de faire taire une journaliste indépendante qui a consacré plus de 20 ans de sa vie à documenter et dénoncer les crimes du FPR,crimes qui ontfait des centaines de milliers de victimes au Rwanda et en RDC dans les années 1990, principalement parmi les civils Hutu.

Paradoxalement, c’est précisément dans cette logique du FPR que réside la plus grande minimisation du génocide contre les Tutsi, qui consiste à le réduire à un vulgaire bouclier psychologique, politique et médiatique, brandi à chaque fois qu’il faut défendre le triste bilan du FPR dans les années 1990, ou même encore, pour justifier les violations des droits de l’homme qui font encore rage au Rwanda en 2019[4].

Des signataires controversés ?

Ensuite, la deuxième faiblesse de cette lettre réside précisément dans la longue liste des signataires, dont on se demande s’ils ont eu l’occasion de la relire, et dont certains sont connus pour leur militantisme politique en faveur du FPR, cequi enlève donc tout caractère scientifique à leurs préoccupations. On notera, entre autres :

En 1èreposition, Guillaume Ancel, très controversé, pour ne pas dire contradictoire, ancien militaire français qui courtise le FPR depuis quelques années, allant même jusqu’à déclarer avoir assassiné des miliciens Interahamwe en juin 1994,pour se faire passer pour un héros.

En 3èmeposition, le docteur Philippe Basabose, ancien militaire de l’APR devenu depuis professeur associé au Canada, à la Memorial University of Newfoundland et qui a donc un intérêt naturel à défendre les actions d’une armée au sein de laquelle il a combattu. 

En 9èmeposition, Patrick de Saint-Exupéry, journaliste français, condamné en France par deux fois pour diffamation, alors qu’il tentait de blanchir l’image du FPR.

En 10èmeposition, Alain Destexhe, ex-sénateur belge ayant acquis la nationalité rwandaise et récompensé par le Général Paul Kagame lui-même pour « services rendus » au FPR et qui fait aujourd’hui l’objet d’une plainte pour diffamation et calomnie en Belgique.

En 18eposition, Alain Gauthier, militant français, également de nationalité rwandaise et décoré par le Général Paul Kagame pour « services rendus »

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Richard GISAGARA en tenue de militant FPR, le 30 juin dernier dans uneretraite du FPR qui s’est tenue à Lille – source : igihe.com

En 20eposition, Richard Gisagara, avocat français d’origine rwandaise et membre éminent du FPR opérant sur le territoire Français.

En 49èmeposition, Jean Philippe Schreiber, professeur à l’Université Libre de Bruxelles et dont l’indépendance sur les questions rwandaises est souvent questionnée, notamment après avoir écrit qu’Octavien Ngenzi, ancien Bourgmestre Hutu de Kabarondo avait tué sa femme tutsie et ses enfants devant « l’ensemble de la population de la commune, pour l’exemple » alors que ces derniers sont bien vivantset séjournent en France.[5]

Rien qu’avec ces quelques signataires « politisés », c’est la crédibilité et la neutralité de toute la liste qui est remise en cause, malgré la présence d’autres personnalités renommées, et cela n’a certainement pas échappé aux recteurs des universités flamandes.

Une démarche diffamatoire ?

Enfin, et c’est là l’élément le plus important, les recteurs des universités flamandes, qui supervisent certaines des plus grandes facultés de droit du pays, faut-il le rappeler, ne pouvaient évidemment pas donner suite à une lettre qui qualifie publiquement une journaliste de « négationniste » au seul motif que les signataires n’ont pas eu l’occasion de « contester son point de vue » (SIC) !

C’est de la diffamation en bonne et due forme, punissable en Belgique en vertu des articles 443 et 444 du Code pénal.

De plus, la Belgique dispose, depuis le 25 avril 2019, d’une loi qui punit le négationnisme des génocides établis par une juridiction internationale, dont le génocide contre les Tutsi[6]. Il est donc inconcevable que des Universités aient pu inviter une personne dont les actes ou les paroles pouvaient tomber sous le champ d’application de cette nouvelle loi.

D’ailleurs, si la démarche des 60 signataires étaitprécisément de lutter contre le négationnisme, pourquoi n’ont-ils pas porté plainte ou demandéen référé l’interdiction des conférences ?

La fin d’une instrumentalisation, la fin d’une omerta ?

En définitive, les conférences et exposés tenus par Judi REVER en Belgique la semaine du 7 au 11 octobre, sur les crimes commis contre les populations civiles Hutu ont sans doute ouvert une nouvelle ère dans la reconnaissance du deuxième génocide que les Rwandais ont connu, cette-fois ci, contre les Hutu.[7]

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Conférence du vendredi 11 octobre à Bruxelles – source Twitter
https://twitter.com/gmbonyumutwa/status/1182792677718409216?s=20

N’en déplaise aux complices, soutiens et partisans indéfectibles du FPR, ces crimes contre des centaines de milliers de civils Hutu innocents, ne seront pas éternellement ignorés par l’Histoire.

Le Docteur Denis MUKWEGE, appelle même désormais à la création d’un Tribunal Pénal International pour le génocide commis sur le territoire de la RDC[8].

Est-il négationniste pour autant ?

Ceux qui instrumentalisent le génocide contre les Tutsi pour cacher celui contre les Hutu font du tort à tous les Rwandais et finissent par minimiser tous les crimes dont les Rwandais ont été victimes.

Au plus tôt toute la souffrance des Rwandais sera reconnue, au plus vite la nation rwandaise pourra guérir et se reconstruire, et c’est bien dans cette optique que le travail de Judi REVER prend toute sa valeur.

Gustave Mbonyumutwa

www.jambonews.net

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[1]La Libre Afrique et le Soir du mercredi 9 octobre 2019, avec comme titre : « Génocide des Tutsis : lettre internationale à des recteurs d’universités flamandes »

[2]https://www.standaardboekhandel.be/p/de-waarheid-over-rwanda-9789463723602

[3]http://www.rfi.fr/afrique/20171125-affaire-ingabire-defense-salue-arret-cour-africaine-droits-homme

[4]https://www.hrw.org/fr/world-report/2019/country-chapters/325445

[5]MRAX, Ibuka, « N’épargnez pas les enfants », sous la direction de Radouane Bouhlal et Placide Kalisa, p. 52. 

[6]http://www.jamboasbl.com/droits-de-lhomme/observations-de-jambo-asbl-sur-le-nouvel-article-de-loi-tendant-a-reprimer-la-negation-des-genocides-reconnus-par-une-juridiction-internationale-en-ce-qui-concerne-le-cas-du-rwanda

[7]https://www.lemonde.fr/idees/article/2010/09/30/congo-rwanda-l-autre-genocide-impuni_1417845_3232.html

[8]https://www.jambonews.net/actualites/20190922-rdc-denis-mukwege-appelle-a-letablissement-dun-tribunal-penal-international/

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