Le 11 avril 1994, les casques bleus belges se retiraient de leur campement dans le sud de Kigali (Kicukiro), laissant derrière eux près de 2.000 rwandais, à majorité tutsis, qui avaient trouvé refuge auprès d’eux sans aucune protection face à des hordes de tueurs. Quelques heures plus tard, après quelques tentatives de fuir ou de se cacher, un grand nombre allaient être sauvagement assassinés, Peu purent en échapper. En avril 2018, Jambonews en publiait le récit. En juin 2018, la Cour d’Appel de Bruxelles se prononçait définitivement dans le procès qui opposait l’Etat Belge à plusieurs familles de victimes abandonnées par les casques bleus belges en avril 1994. Dans cet article, Jambonews revient sur les éléments essentiels de ce procès fleuve, entamé très précisément le 7 avril 2004 et qui aura donc duré un peu plus de quatorze années. L’arrêt de la Cour d’Appel de Bruxelles, long de 46 pages, se prononce sur les « responsabilités » de l’Etat Belge d’une part, et celles des officiers belges de la MINUAR d’autre part, dans les décisions prises il y a 25 ans et qui ont mené au départ des casques bleus belges, laissant derrière eux plus de 2.000 déplacés sans défense.
L’arrêt, très technique sur le plan juridique et abondement détaillé, conclut in fine que l’Etat Belge ne serait pas responsable et que la responsabilité du départ des casques bleus « incombe à l’O.N.U. ».
Pour ce qui est du rôle des officiers belges de la MINUAR, le Colonel Luc MARCHAL ainsi que le Lieutenant-Colonel DEWEZ, la Cour a tout simplement considéré que ceux-ci ne pouvaient être poursuivis devant la Justice Belge, étant entendu qu’ils agissaient exclusivement sous les ordres de l’O.N.U.
Cet arrêt de la Cour d’Appel réforme ainsi la décision du premier jugement prononcé le 8 décembre 2010, qui avait à l’époque estimé que les trois officiers pouvaient être poursuivis en Belgique.
L’essentiel de l’arrêt de la Cour d’appel ainsi que du premier jugement
Du coté des demandeurs
Le 7 avril 2004, soit dix ans jour pour jour après les faits, la famille de feu Boniface NGULINZIRA entame une action en justice à la fois contre l’Etat Belge et à la fois contre les trois officiers belges de la MINUAR.
L’O.N.U. n’est pas mise en cause puisqu’elle jouit d’une immunité de juridiction totale qui la protège de toute action en justice devant n’importe quels Tribunaux de niveau national.
La famille NGULINZIRA doit alors établir deux choses :
Que la justice belge est compétente pour recevoir cette affaire (recevabilité de la demande)
Que l’Etat Belge et les trois officiers ont commis une faute et que cette faute est à l’origine du dommage moral qu’elle a subi (fondement de la demande).
Pour la recevabilité, la famille soutient que les casques bleus belges étaient passés sous commandement exclusif de la Belgique avant le 11 avril, et que par conséquent c’est bien l’Etat Belge qui a donné l’ordre de quitter l’ETO et que l’affaire peut dès lors être traitée par la Justice Belge.
Pour le fondement, la famille reproche à l’Etat Belge d’avoir donné cet ordre alors qu’il connaissait le sort qui serait réservé aux réfugiés de l’ETO. De même, la famille reproche aux officiers belges d’avoir tout de même exécuté cet ordre alors qu’ils savaient également que quitter l’ETO était synonyme d’arrêt de mort pour les 2.000 civils qui y avaient trouvé refuge. A titre de dommage, la famille réclamait à être indemnisée « du préjudice moral subi par chacun d’eux pour la perte de leur mari/père/membre de la famille et pour les menaces d’assassinat sur leur personne » pour un montant total avoisinant les 380.000EUR, à majorer des intérêts depuis le 11 avril 1994.
Le 4 décembre 2007, Madame UMWALI, entame une action quasiment similaire mais uniquement contre l’Etat Belge. Elle ne met pas en cause les trois officiers belges.
Elle réclame de son côté « un euro provisionnel à valoir sur un préjudice moral évalué à 100.000EUR pour la tentative d’assassinant qu’elle a subie, ainsi que pour l’assassinat de sa sœur, de son beau-frère et de ses deux neveux en date du 11 avril 1994 ».
Du coté des défendeurs
L’Etat Belge et les trois officiers belges se défendent en affirmant que les Tribunaux Belges ne sont pas compétents pour juger cette affaire, étant entendu que tous les agissements des casques bleus belges étaient commandés par l’ONU et non par la Belgique.
L’Etat Belge et les trois officiers belges ajoutent en outre que dans tous les cas, les faits seraient prescrits dans le système judiciaire belge, puisque le code civil belge prévoit que des demandes sur base de la responsabilité civile soient formulées dans les cinq ans (pour le cas d’espèce avant le 11 avril 1999) et demandent donc que les actions de la famille NGULINZIRA et de Madame UMWALI soient déclarée irrecevables.
Quant au fondement de la demande, l’Etat Belge et les trois officiers arguent qu’ils ont agi conformément à leur mandat et aux ordres reçus de la part des services du Secrétaire Général de l’O.N.U. et que dans tous les cas, le fait d’avoir quitté le cantonnement de l’ETO n’est pas la cause des préjudices subis par les demandeurs.
Le jugement en première instance
Le Tribunal de première instance était donc appelé à statuer sur deux éléments :
1° L’affaire est-elle recevable dans le système judiciaire belge ?
2° Le départ des casques bleus belges est-il une des causes ayant entrainé les assassinats et tentatives d’assistanats des 2.000 personnes qui avaient trouvé refuge auprès deux ?
Le 8 décembre 2010, le jugement est prononcé par le Tribunal de 1ère instance de Bruxelles.
Le jugement, assez complexe, considéra in fine que les demandes de la famille NGULINZIRA sont recevables pour juger les responsabilités des trois officiers en Belgique et celle de l’Etat de Belge.
Pour ce qui est du fondement de la demande, le Tribunal considéra que « le rôle immédiat joué par l’évacuation de l’ETO sur les massacres des réfugiés est démontré à suffisance […] » mais, avant de statuer définitivement, ordonna d’abord le visionnage du film « Shooting Dogs » comme l’avait demandé la famille NGULINZIRA.
Le jugement en appel
En février 2011, L’Etat Belge ainsi que les trois officiers ont immédiatement fait appel du jugement principalement contre la décision de recevabilité prise par le premier Juge, mais également contre les considérations du premier Juge qui avaient estimé que l’évacuation de l’ETO avait eu un rôle « immédiat », dans le massacre des réfugiés de l’ETO.
A titre principal, l’objet de leur appel était de déclarer toutes les demandes irrecevables en Belgique en vertu de l’immunité de juridiction de la MINUAR étant donné que « le départ de l’ETO et toutes les opérations qu’ils ont menées au Rwanda, et notamment le départ et l’abandon de l’ETO, sont exclusivement imputables à l’O.N.U. »
Du côté de la famille NGULINZIRA ainsi que de Madame UMWALI, un appel est également formulé dans le but d’obtenir un jugement « complet » sur la responsabilité de l’Etat Belge et des trois officiers.
Sept ans plus tard, La Cour d’Appel prononça son arrêt le 8 juin 2018 en déboutant toutes les demandes de la famille NGULINZIRA et de Madame UMWALI, principalement en vertu de l’immunité de juridiction dont bénéficiait la MINUAR ainsi que les officiers qui étaient sous ses ordres.
La Cour d’Appel a d’abord établi que tous les ordres ayant conduit les casques bleus belges à abandonner les réfugiés de l’ETO avaient été donnés par la chaîne de commandement militaire et politique de l’O.N.U., à savoir le Général Roméo DALLAIRE ainsi que Messieurs Koffi ANNAN et Iqbal RIZZA et non par les militaires ou les politiques belges.
Ensuite, la cour d’Appel a considéré que c’est « en leur qualité de membres de la MINUAR, que le colonel MARCHAL et le lieutenant-colonel DEWEZ, ont autorisé le Groupe SUD à quitter l’ETO et lui ont ensuite enjoint de participer aux opérations de regroupement et de rapatriement en cours. Les ordres donnés à la MINUAR par le Conseil de sécurité étant de veiller aux opérations de rapatriement, le colonel MARCHAL et le lieutenant-colonel DEWEZ sont restés dans le cadre de l’action de la MINUAR ainsi fixé en donnant les instructions relatives au regroupement de KIBAT, en ce compris le Groupe SUD, et sa participation aux opérations d’évacuation. »
Autrement dit, si les réfugiés civils Rwandais ont été abandonnés, c’était pour aller évacuer les expatriés…
Que faut-il retenir ?
Palais de Justice de Bruxelles
Concernant le massacre de l’ETO, la Justice Belge a considéré que l’Etat Belge ainsi que ses officiers militaires, ne peuvent être tenus pour responsable de l’abandon des réfugiés car c’était l’ONU qui les commandait.
La famille NGULINZIRA et Madame UMWALI ont donc simplement été déboutées pour avoir mis en cause « la mauvaise partie » et malheureusement été condamnées à payer plus de 6.000EUR à l’Etat Belge pour Indemnité de procédure, mais rien au Colonel Luc MARCHAL ni au Lieutenant-Colonel DEWEZ qui n’avaient réclamé aucune indemnité de leur côté.
Sachant que l’ONU jouit d’une immunité de juridiction aux niveaux national, il y a très peu de chances qu’une victime des actions ou omissions de la MINUAR au Rwanda en 1994 puisse un jour obtenir justice. Gustave Mbonyumutwa Jambonews.net
Le 06 avril 1994, alors qu’il était en phase de descente, l’avion qui transportait le Président Habyarimana est abattu au dessus de Kigali. Dans la matinée du 7 avril 1994, Pauline Kayitesi qui se trouvait en Pologne reçoit un appel de son père particulièrement inquiet et angoissé « il y’a le chaos au pays, on vient d’abattre l’avion du Président, ça ne va pas ,à Kigali on entend des fusillades, on entend des bombardements, nous ne savons pas quoi faire ». Avant de raccrocher, il souffle à sa fille « sois courageuse, sois forte, tu sauras ce qui va se passer. » Ce seront les derniers mots que Pauline entendra de la part de son père. Aujourd’hui, 25 ans plus tard, Pauline, qui a « toujours voulu parler de son histoire mais sans jamais trouver une plateforme adéquate pour le faire» revient sur la tragédie qui a emporté sa famille.
Le 7 avril au soir, quelques heures après avoir parlé avec son père, Pauline recompose le numéro de son domicile familial« le téléphone sonnait sans arrêt, sans arrêt, sans arrêt et personne ne répondait ». La jeune femme pense alors que sa famille a peut être fui, mais continue à essayer de rappeler jusqu’à ce que les communications au Rwanda soient coupées.
Pendant trois mois à partir de cette date, Pauline sera aucune nouvelle de ses parents et de ses frères et sœurs. Elle consacre alors l’essentiel de son temps libre à regarder les images diffusées par les médias et concernant les rwandais qui fuyaient leur pays« le matin, à midi, le soir, je regardais ces images, avec l’espoir de reconnaitre quelqu’un de ma famille parmi toute cette foule qu’on montrait, mais je n’ai reconnu personne » se rappelle Pauline.
C’est au début du mois de juillet 1994, soit trois mois plus tard que la jeune femme reçoit des nouvelles de sa famille au travers d’une lettre que lui tend le concierge. Elle reconnait l’écriture de son frère dans cette lettre qu’elle déchire avec empressement. Au milieu des nouvelles contenues dans la lettre, une phrase l’hypnotise « je m’en veux de n’avoir pas pu retourner à Kigali pour enterrer les corps de nos parents. » à ce moment làpour Pauline « tout était clair que mes parents étaient décédés.»
La jeune femme s’évanouit sous le choc de la nouvelle et se réveille quelques temps plus tard dans la chambre d’une amie. Après avoir repris ses esprits et son courage, elle continue la lecture de la lettre et finit par comprendre qu’en plus de l’assassinat de ses parents « tous ceux qui étaient à la maison avaient été tués.» Les membres sa famille ayant survécu ont du leur survie« au fait qu’ils n’étaient pas à la maison.»
Par la suite, elle parvient à parler à son frère qui a entretemps pu gagner le Togo. C’est ce dernier qui lui raconte les macabres détails du drame qui a frappé sa famille. Le 7 avril au matin, ses parents se trouvaient à leur domicile de Remera «ils étaient à la maison et tout le monde a entendu un bruit sur le portail, un bruit terrible, le domestique est sorti pour voir ce qui se passait, et les agents du FPR sont rentrés dans la maison et se sont rendus dans notre salon. » Les militaires avaient en mains « une liste de partisans du MRND » sur laquelle figurait son père. Ce dernier rejette cette allégation en expliquant être directeur de « Kinderdorf », une ONG allemande s’occupant d’enfants orphelins. De par son statut, explique le père de famille, il lui est interdit d’être partisan d’un parti politique.
Les explications n’y feront rien, et les militaires demandent rapidement sous la menace au père de famille de tuer sa femme et ses enfants. Face au refus de ce dernier «ils ont assassiné ses enfants sous ses yeux (…) puis ils ont tué ma mère ». Les militaires lui demandent ensuite les clefs de la voiture, lui demandant de leur servir de chauffeur, comme il était titubant « il a été assassiné devant la maison, ils ont pris la voiture et ils sont partis » nous raconte Pauline.
La famille de Pauline Kayitesi
C’est le domestique qui avait pu se retirer avant le carnage qui a pu témoigner de cette tragédie. Ce jour là, en plus de son père et de sa mère, Pauline a perdu trois frères, sa petite sœur ainsi que deux cousins qui étaient dans la maison le jour des faits.
« ça s’est mon histoire » insiste Pauline, « ma famille a été assassinée le 7 avril, ma famille a été assassinée tout au début de cette guerre, ce que j’aimerais faire comprendre de ça, c’est que quand on parle de ceux qui ont été tués, quand on parle du génocide des tutsi, j’aimerais aussi qu’on reconnaisse qu’il y a des Hutu tués durant cette période par le FPR-Inkotanyi » ajoutant au sujet de sa famille « ils étaient innocents.»
Aujourd’hui, exilée en Belgique, Pauline n’oublie pas son pays natal et plaide pour que les rwandais se disent la vérité sur leur histoire. A côté de la vérité sur l’histoire, Pauline souhaite se tourner vers l’avenir « j’aimerais que chaque rwandais puisse contribuer à la reconstruction du pays, ne pas rester spectateur mais se dire qu’est ce que je peux faire pour que mon pays puisse retrouver la paix, pour que l’injustice disparaisse, pour que la justice prenne racine ».
Pour Pauline, même si sa génération risque de ne pas connaitre cette situation de paix et de justice à laquelle elle aspire, la lutte mérite d’être menée « pour que les générations à venir puissent connaitre cet avenir, puissent avoir un pays qui les reconnaisse comme rwandais, qui les accepte, qui les accueille, qui rassemble les rwandais. »
Article d’opinion soumis pour publication par Teta Sineyase
Introduction
A l’occasion de la 25ème commémoration du génocide contre les Tutsi, de nombreux rwandais ainsi que les citoyens du monde en général ont encore une fois répété « plus jamais ça ». Cependant, on peut se demander ce qu’on fait pour prévenir et éviter un autre génocide ou toute autre atrocité de masse dans laquelle un groupe de rwandais pourrait être la cible d’extermination. De nombreux académiciens, hommes politiques et auteurs rwandais et non rwandais ont tenté d’analyser les causes du génocide contre les Tutsi. La plupart des analyses portent sur la politique qui caractérisait le Rwanda avant 1994. D’autres abordent la question en se basant uniquement sur les réalités politiques et géopolitiques de l’ère coloniale, et de la première et la deuxième républiques. Cependant, pas assez d’analyses ont été faites sur les dimensions sociales avant, pendant et après l’ère coloniale, qui ont peut-être amené le Rwanda au génocide contre les Tutsi.
Cet article se focalise sur les causes historiques et psycho-sociales du génocide contre les Tutsi et essaie d’analyser la manière dont elles peuvent être traitées pour prévenir un autre génocide contre n’importe quel groupe de Rwandais.
Dans l’objectif de donner une explication à ce qui s’est passé en 1994, le gouvernement actuel, à dominante Tutsi, a tendance à simplifier son récit au fait que les dirigeants d’anciens gouvernements à majorité Hutu avaient incité les Hutu à la haine contre leurs compatriotes Tutsi, et souligne que ces dirigeants avaient un plan d’extermination des Tutsi, qu’ils ont finalement exécuté en 1994. Ce récit officiel par le gouvernement actuel semble être incomplet et fallacieux.
D’autre part, des sympathisants des anciens gouvernements à majorité Hutu font valoir qu’il n’y avait jamais eu de plan d’extermination des Tutsi. Mais, ils ne parviennent pas à expliquer ce qui a conduit les extrémistes Hutu, principalement des civils, à massacrer leurs voisins, leurs parents et leurs amis Tutsi. Que se passait-il dans l’esprit de ces tueurs ?
Je crois que nous, les rwandais et tous ceux qui souhaitent comprendre ce qui s’est réellement passé en 1994, ont encore du travail à faire.
C’est possible que plusieurs Rwandais souffrent toujours des mêmes syndromes qui ont causé le génocide contre les Tutsi, et qu’ils ont peur de se regarder dans un miroir, d’analyser objectivement leur société et de résister à la simplification suggérant que le mal n’existe que chez les autres.
J’ai conscience que je ne peux pas tout couvrir en un seul article. Donc, je vais essayer d’analyser brièvement ce qui d’après mon analyse sont les causes psycho-sociales du génocide contre les Tutsi et conclure en indiquant ce que les politiciens devraient faire pour s’attaquer aux véritables causes du génocide, au lieu de se concentrer uniquement sur ses symptômes.
C’est seulement en éliminant ces causes profondes que nous pourrons éviter la survenance d’un nouveau génocide contre n’importe quel groupe de Rwandais.
1. Historique du groupe ou les dogmes « eux » et « nous »
La manière dont les gens pensent d’eux-mêmes et de ceux qui les entourent peut influer sur le risque de violence à l’encontre de personnes perçues comme des membres de l’autre groupe. Le groupe avec lequel ils s’identifient devient un élément important de leur identité sociale.
Ces groupes ne doivent pas forcément être basés sur des ancêtres ou des lignées. Même les citoyens d’un même pays qui parlent la même langue ou qui ont des cultures similaires peuvent se voir comme des groupes distincts en fonction de leur histoire.
Par exemple, les Tutsi, les Hutu et les Twa, qu’ils soient des mythes, des classes sociales ou des ethnies existaient même avant l’ère coloniale. Ce qui s’est passé pendant et après la période coloniale, c’est tout simplement le fait que ces groupes plutôt sociaux sont devenus des groupes politiques, qui se combattaient pour le pouvoir.
Avant la politisation de ces groupes par les colonisateurs belges, les Tutsi et les Hutu ne s’étaient jamais battus pour le pouvoir. En dehors des guerres visant à envahir d’autres royaumes et à conquérir d’autres communautés, il n’y avait jamais eu de guerre opposant les Hutu contre les Twa ou les Tutsi.
Cependant, cela ne signifie pas qu’il n’y avait pas d’historique de groupe. Dans les paragraphes à suivre, nous allons comprendre pourquoi et comment les Tutsi se considéraient comme supérieurs (pas nécessairement oppressifs) et les Hutu et les Twa se considéraient comme des groupes inférieurs (pas nécessairement opprimés). Les Tutsi apprenaient à leurs enfants comment être de bons maîtres et les Hutu apprenaient à leurs enfants à être de bons serviteurs afin de gagner la sympathie des Tutsi.
Lorsque les colonisateurs belges ont introduit les livrets d’identification ‘Ibuku’ en 1933, regroupant les Rwandais en fonction de ces groupes sociaux, ils s’appuyaient sur des stéréotypes sociaux (basés sur le nombre de vaches) et sur des stéréotypes morphologiques (en mesurant la taille, le crâne et le nez). C’est probablement parce qu’il n’y avait pas d’autres moyens concrets de différencier les Tutsi, les Hutu et les Twa, que ce soit par leur langue ou par leur localisation géographique.
L’introduction d’une identification basée sur le statut social et la morphologie a fait des Tutsi, des Hutu et des Twa des groupes distincts et a conduit à la politisation de ces identités en tant que des groupes raciaux, et par après comme des groupes ethniques, malgré le fait que les Rwandais partageaient la même langue, la même religion et les mêmes traditions.
La période qui a conduit à la révolution de 1959, au référendum de 1961 et à l’indépendance de 1962 a accentué le fossé entre ces groupes. C’était clairement des groupes politiques qui se combattaient pour le pouvoir. Les associations qui s’étaient originellement enregistrées en tant qu’ organisations de la société civile qui se battaient pour les droits civils de leurs membres sont finalement devenus des partis politiques dotés d’idéologies et d’ambitions politiques.
Il y avait un parti politique qui défendait les droits des Hutu. Il y avait un parti politique qui défendait les droits des Twa. Il y avait des partis politiques, qui n’indiquaient pas explicitement quels droits ils défendaient, mais qui soutenaient soit la monarchie, une idée qui était principalement soutenue par les élites Tutsi, soit la République, une idée qui était principalement soutenue par les élites Hutu.
La politique des années 50 a creusé le fossé entre les groupes de Rwandais. Ça a accentué l’esprit de « eux » et « nous ».
La révolution sociale de 1959, qui avait initialement des causes légitimes, s’est révélée sanglante et enfumée. De nombreux Rwandais ont été tués par leurs compatriotes. Beaucoup de maisons ont été incendiées. C’était un affrontement entre les partisans de la monarchie et ceux qui voulaient que le Rwanda devienne une république. Cela s’est terminé par la victoire de ceux qui souhaitaient la république, tandis que des centaines de milliers de ceux qui soutenaient la monarchie, principalement des Tutsis, étaient envoyés en exil.
Les années qui ont suivi la révolution sociale ont été caractérisées par des troubles politiques, qui ont continué à opposer les Hutu contre les Tutsi et ont ensuite donné naissance à d’autres sous-groupes d’Abakiga et d’Abanyenduga.
Parmi ces troubles, on peut citer :
Les attaques des années 1960 par de groupes rebelles formés par des Rwandais en exil, principalement des Tutsi. Ces attaques étaient toujours suivies par des massacres de Tutsi qui étaient restés au Rwanda par des partisans de la nouvelle république.
Le coup d’Etat de 1973 au cours duquel un Hutu du Nord a renversé le pouvoir d’un Hutu du Sud et a tué de nombreux membres de son gouvernement, principalement de Nduga (Gitarama). Cela a créé les sous-groupes Hutu d’Abakiga (Nord) et d’Abanyenduga (Sud).
La guerre civile des années 1990-1994 a été lancée par le FPR Inkotanyi, un groupe rebelle formé en majorité par des exilés Tutsi. Après le début de cette guerre, le gouvernement à majorité Hutu s’est tourné vers les Tutsi restés au Rwanda, les accusant d’être des alliés de leurs parents Tutsi en exil. Beaucoup de Tutsi ont été arrêtés et mis en prison. Cela a amené de plus en plus de Hutu à les considérer comme des ennemis souhaitant rétablir la monarchie.
Bien qu’il y ait des facteurs politiques et géopolitiques qui ont motivé ces attaques, agressions et guerres, mon objectif est de souligner comment ces guerres ont déchiré encore plus le tissu social rwandais et accentué l’esprit de « eux » et « nous ». Chaque guerre se terminait toujours par un groupe de Rwandais étiqueté comme les vainqueurs célébrant la victoire et par l’autre groupe comme des perdants à la recherche d’une nouvelle occasion de reprendre le pouvoir.
Par exemple, le 25 septembre 1961, après la révolution sociale de 1959, le chant de Parmehutu (composé en majorité de Hutu) répétait « Turatsinze ga ye », traduit par « La victoire est en fin la nôtre, » malgré le fait que des centaines de milliers de Tutsi ainsi que quelques Hutu et Twa loyaux à la monarchie, avaient quitté le Rwanda pour l’exil.
Dans la même logique, trente ans après la révolution, lorsque le FPR Inkotanyi (principalement des Tutsi) a déclenché la guerre civile de 1990-1994, ils ont chanté « Instinzi bana b’u Rwanda », traduit par « Victoire, enfants du Rwanda » et qui est devenu une chanson populaire après la victoire du FPR Inkotanyi en 1994, malgré le fait que plus de deux millions de Rwandais (principalement des Hutu) avaient quitté le Rwanda pour l’exil.
En 1973, lorsque Habyarimana a pris le pouvoir et a créé le parti MRND, il proposa le slogan « Amahoro, Ubumwe n’Amajyambere, » traduit par « Paix, unité et développement, » mais a conservé une politique de nature à diviser.
Aujourd’hui, le gouvernement actuel ne prêche pas seulement « l’unité, » il a même proposé un slogan intitulé « Ndi Umunyarwanda, » afin de promouvoir l’identité nationale en lieu et place de ces identités ethniques, Tutsi, Hutu et Twa. Ces mots ne sont plus mentionnés dans les cartes d’identification.
Cependant, nous savons tous que les slogans ne suffisent pas.
Si nous voulons que les Rwandais soient plus fiers d’être Rwandais que Tutsi, Hutu ou Twa, les politiciens devraient veiller à ce que tous les Rwandais exercent leurs droits de manière égale et aient accès à des opportunités égales.
Aussi longtemps que certains groupes agissent comme s’ils avaient plus de droits au Rwanda alors que les autres se sentent marginalisés dans leur propre pays, le Rwanda ne pourra jamais combattre les dogmes « eux » et « nous ».
2. Suprémacisme, stigmatisation et déshumanisation
Les relations sociales entre les Rwandais avant et pendant l’ère coloniale ne se caractérisaient pas uniquement par les relations de « maître » et de « serviteur ». Il y avait aussi l’esprit de suprémacisme parmi les différents groupes sociaux, les Tutsi, les Hutu et les Twa.
Pour comprendre ce suprémacisme, on peut probablement examiner les différents aphorismes de la langue kinyarwanda, qui tendent à contenir des stéréotypes sur les Tutsi ou les Hutu.
Les exemples d’aphorismes sur les Hutu sont principalement liés à la honte, le manque de mœurs et la frivolité. Ils comprenaient :
Inkunguzi y’Umuhutu yivuga mu Batutsi : Ce qui pourrait littéralement être traduit par ‘Un casse-cou hutu chante ses propres louanges lorsqu’il est entouré de Tutsi’ parce que cela causerait sa propre mort ou la mort des membres de sa famille.
Umuhutu agira inzara ntagira inzika : Ce qui suggérait qu’un Hutu peut avoir faim mais il n’est pas rancunier.
Utuma Abahutu atuma benshi, qui signifiait que si on souhaitait envoyer un message quelque part, afin de s’assurer qu’il atteigne sa destination, on devait peut-être envoyer plus d’un Hutu. Ainsi, si un Hutu ne transmet pas le message, d’autres pourraient, parce que les Hutu ne sont pas efficaces.
D’autre part, les Tutsi, bien que perçus comme supérieurs, avaient des aphorismes liés à l’hypocrisie et à la ruse. Ils comprenaient :
Umututsi umusembereza mu kirambi akagutera ku buriri : cela signifiait littéralement que lorsque vous invitez un Tutsi dans votre salon, tôt ou tard, il vous remplace même sur le lit. C’est à dire qu’il prendra plus tard le contrôle de toute votre maison et gagnera votre femme.
Umutusi umuvura amenyo ejo akayaguhekenyera : ce qui voulait dire que lorsque vous traitez les dents d’un Tutsi aujourd’hui, il les utilise pour vous mordre, demain. Cela suggérait que les Tutsi pourraient trahir même une personne qui leur aurait fait du bien.
Il y avait d’autres aphorismes qui ne mentionnaient pas les mots « Hutu » ou « Tutsi », mais « peuple noble » et « peuple de classe inférieure ».
Ces aphorismes étaient utilisés par tous les Rwandais pour désigner ceux qu’ils considéraient comme étant supérieurs ou inférieurs à eux dans leurs propres groupes ou en dehors de leurs groupes.
Selon leur statut dans la société, certains Tutsi se considéraient plus nobles que d’autres Tutsi, et certains Hutu se considéraient supérieurs aux autres Hutu.
Cependant, il serait peut-être important de noter qu’aucun Hutu ne serait considéré plus noble qu’un Tutsi. Ainsi, « noble » ou « imfura » serait généralement utilisé pour désigner les Tutsi, et « classe inférieure » pour désigner généralement les Hutu, bien qu’il y eût des exceptions.
Les aphorismes concernant les « nobles » inclurent, par exemple :
Aho imfura zisezeraniye niho zihurira : ce qui signifie que les « Les nobles honorent toujours leurs promesses ».
Imfura zisangira amata ntizisangira amaraso : comme l’indique le dicton, « Il n’existe ni allié permanent ni ennemi permanent, mais des intérêts permanents », ce qui suggère qu’une personne noble peut même trahir un proche pour ses propres intérêts.
Par ailleurs, les aphorismes concernant les « Rwandais de la classe inférieure » peuvent inclure, par exemple :
Umutindi ntakira n’iyo akize ntakira uko yabaye : ce qui est comparable à « une fois pauvre, toujours pauvre ».
Outre les stéréotypes liés au statut social, certains spécialistes continuent de faire valoir qu’il existait des différences morphologiques entre les Tutsi et les Hutu en fonction de leur origine.
Je n’aurais pas assez de temps pour discuter les limitations de cette théorie. Cependant, je peux simplement dire que les Tutsi, les Twa et les Hutu, soit comme des groupes sociaux, légendaires, ou ethniques, ont vécu géographiquement mélangés pendant des milliers d’années, et j’aime les considérer comme le même peuple.
Il est probablement important de noter que les Rwandais, dans leurs chansons et leurs poèmes, n’ont jamais lié leurs différences morphologiques aux identités Tutsi ou Hutu, mais au régime alimentaire et au mode de vie. Par exemple, dans la chanson « Nyiratunga » de Byumvuhore, il est écrit que « Uwanyoye inka ntayoberana, umubwirwa n’imbavu ndende », ce qui signifie que les personnes nourries au lait ont tendance à être plus grandes et élancées.
Il convient de noter que, même si les Hutu n’avaient pas beaucoup de vaches, ils appréciaient également les vaches et incluait dans leur alimentation le lait, soit de leurs propres vaches, soit des vaches de leurs maîtres.
Par contre, certains Tutsi pourraient être « aboro », ce qui signifiait des Tutsi pauvres sans vaches.
Une autre réalité intéressante est qu’un Hutu, après avoir fait preuve d’être aussi noble que les Tutsi, pouvait devenir Tutsi dans un processus communément appelé « Kwihutura ».
La différence morphologique est donc un mythe qui s’explique plutôt par la manière dont les conditions de vie du passé ont peut-être affecté la structure corporelle et l’apparence physique de certains Rwandais.
Dans une société où la majorité des familles aisées étaient des Tutsi et où la majorité des familles pauvres étaient des Hutu et des Twa, la morphologie pouvait être affectée, bien que, pour des raisons que j’ai déjà expliquées, il pouvait y avoir des exceptions.
Ces stéréotypes sur les Tutsi, les Hutu, les nobles et les gens de la classe inferieure, sont-ils vrais ? Ma réponse est non.
Cependant, nous pouvons noter que ce que nous, les gens ordinaires, appelons les stéréotypes, les scientifiques les appellent des « généralisations empiriques », car ce sont des conclusions basées sur des échantillons.
Dans toute société, les gens inventent des stéréotypes associées à certains groupes comme des marques qui résument ce qu’ils ressentent lorsqu’ils interagissent avec les membres de ces groupes.
Ainsi, en tant qu’analyste, les stéréotypes ne me donnent pas autre chose qu’une simple idée de ce que les Tutsi et les Hutu ressentaient à propos de leurs interactions.
Il convient de noter que, même quand les interactions et les expériences changent à cause des nouvelles circonstances et conditions de vie, les stéréotypes parfois demeurent. Donc, aujourd’hui ces différences sociales entre les Tutsi et Hutu ne sont plus évidentes, mais il y a pas mal des Rwandais, Hutu, Tutsi, ou Twa, qui croient toujours en ces anciens stéréotypes.
Par exemple, même après que le Rwanda soit devenu une société plus « civilisée », certains Rwandais ont continué à fonder leur jugement des autres sur ces stéréotypes.
Lorsque certains groupes se sentent supérieurs à d’autres ou plus dignes que d’autres, ils ont tendance à déshumaniser et à stigmatiser ceux qui sont considérés comme inférieurs. Les manières des groupes considérés « inférieurs » sont toujours qualifiées de viles ou de basses.
Les élites Tutsi traitaient leurs compatriotes Hutu comme leurs serviteurs. Les Hutu devaient toujours servir, respecter et obéir aux Tutsi. D’un autre côté, les Hutu, qui ont fini par croire qu’ils appartenaient à la classe inférieure, honoraient et respectaient les élites Tutsi en tant que leurs maîtres.
Certains Hutu étaient très loyalistes vis-à-vis de leurs maîtres Tutsi : ils prenaient même leur nom, pouvaient être adoptés par leurs clans et obéissaient à leurs ordres sans résistance.
Pour certains, cela a été fructueux, car certains maîtres Tutsi récompensaient la loyauté de leurs serviteurs Tutsi et Hutu par de nombreuses vaches. Ils pouvaient aussi donner finalement au serviteur Hutu la possibilité de changer son statut social d’un Hutu à un Tutsi, en ce qu’on appelait « Kwihutura », c’est-à-dire se débarrasser de son identité Hutu. Donc, ceux qui restaient Hutu se sentaient comme s’ils n’avaient pas fait assez pour mériter l’identité Tutsi.
Avec cette relation entre Hutu et Tutsi, être un Hutu était devenu une source de honte et de stigmatisation. Un Hutu était considéré comme une personne de la classe inférieure, un homme mal élevé ou un serviteur qui n’avait pas été assez loyal pour gagner l’identité Tutsi (kwihutura).
Il convient probablement de noter que, avec le temps, le mot « Hutu » avait pris un sens différent. Certains Tutsi traitaient d’autres Tutsi comme leurs « Hutu », même si, dans la société, ces personnes étaient généralement reconnues comme Tutsi. Avec ce nouveau sens, quand quelqu’un disait : « M. X est le Hutu de M. Y, » cela pourrait signifier que M. X était sous le contrôle ou le parrainage de M. Y.
Avant l’ère coloniale, à l’exception de la stigmatisation des Hutu en joignant leur identité à celle des abatindi (personnes de la classe inférieure) ou des abanyamusozi (personnes aux manières barbares), aucun groupe n’égalisait l’autre à des animaux ou à des objets.
Dans toute société, lorsque certaines personnes se sentent inférieures, toute occasion de se lever conduit parfois à une sorte de complexe de supériorité préjudiciable. Les psychologues voudront peut-être approfondir leurs recherches pour savoir si cela explique pourquoi, après s’être battus pour leur émancipation dans ce qu’on appelle la révolution sociale de 1959, au lieu de rétablir l’égalité des droits civils pour tous les Rwandais, les Hutu ont fini par créer des régimes puissants et dictatoriaux, en marginalisant d’autres groupes de Rwandais, en particulier les Tutsi.
Après la révolution de 1959 et l’indépendance de 1962, les Tutsi ont été stigmatisés pour tous les méfaits de la monarchie. L’histoire était enseignée de manière sélective pour donner l’air mauvais à la monarchie et aux élites Tutsi. Tandis que, en revanche, les Hutu qui s’étaient battus pour la révolution et qui dirigeaient le Rwanda après l’indépendance étaient présentés comme des héros qui avaient libéré le peuple Rwandais de la suprématie Tutsi.
Déshumaniser les Tutsi en les traitant de cafards et de serpents n’a pas commencé dans les années 90.
Selon cet article publié dans The New Times du 13 mars 2014, le terme « Inyenzi » aurait été inventé par des Tutsi eux-mêmes pour désigner les groupes rebelles (à majorité Tutsi) qui ont attaqué le Rwanda dans les années 1960. Il aurait peut-être été utilisé pour suggérer que ces rebelles infiltraient le pays de la même manière que les blattes infiltrent un endroit.
Cependant, au fil des années, tous les Tutsi ont été appelés « Inyenzi », d’abord pour suggérer qu’ils étaient tous des complices des rebelles, et plus tard comme mot péjoratif pour les déshumaniser.
Déshumaniser les Tutsi en les appelant des serpents était le résultat des stéréotypes déjà expliqués. Dans l’esprit des extrémistes Hutu, les Tutsi étaient aussi sournois que des serpents.
Les spécialistes en génocide et autre atrocités de masse témoignent que ce type de déshumanisation des êtres humains, en les égalisant à des animaux ou à des objets, précède toujours tout nettoyage ethnique ou génocide.
Ce n’est pas seulement des Tutsi qui ont été déshumanisés par leurs compatriotes.
Après la guerre civile de 1990-1994 et le génocide contre les Tutsi, les Hutu ont subi et subissent jusqu’aujourd’hui différentes sortes de stigmatisation et de déshumanisation.
Au lendemain du génocide, les Hutu étaient appelés « ibipinga » (indociles) ou « abaginga » (ignares). Dans les médias et les médias sociaux, les Hutu sont déshumanisés en les égalisant à des animaux en général, ou à des chimpanzés ou gorilles, ou parfois aux cochons.
Le pire de tous, certains appellent tous les Hutu, sans aucune distinction, des tueurs et des génocidaires. Nous entendons ou lisons des discours du type « Les Hutu ont tué les Tutsi » sans essayer d’ajouter un qualificatif, extrémiste ou milicien, à ceux qui ont participé au génocide des Tutsi, afin d’éviter la stigmatisation de tous les Hutu, y compris ceux qui ont aussi subi des menaces pendant le génocide parce qu’ils étaient soupçonnés d’être des Tutsi, ou leurs parents, alliés ou simplement tentaient de protéger des tutsis.
Ce n’est pas seulement dans la sphère sociale que les Hutu sont déshumanisés et stigmatisés. Nous entendons également des responsables politiques qui demandent aux enfants des Hutu de s’excuser des actes supposément commis par leurs parents ou leurs grands-parents, alors que ces enfants étaient encore très jeunes ou n’étaient pas encore de ce monde en 1994.
Nous constatons également que seuls les Hutu sont accusés de l’idéologie génocidaire, mais nous nous demandons pourquoi les Tutsi qui sont traduits en justice pour avoir prononcé des mêmes propos de haine, ou avoir commis des actions jugées être motivées par la haine, sont accusés de sectarisme ou de divisionnisme, mais jamais de l’idéologie génocidaire. Cela suggère-t-il que seuls les Hutu peuvent avoir des idées ou des plans génocidaires ?
En conclusion, le Rwanda doit mettre fin à la stigmatisation des Hutu et/ou des Tutsi pour les erreurs du passé, ainsi qu’à la déshumanisation de certains Rwandais en les égalisant à des animaux ou à des objets ou en les qualifiant de mauvais par essence.
Le Rwanda devrait également mettre fin à la promotion d’un groupe comme étant culturellement plus digne que l’autre ou morphologiquement supérieur à l’autre.
3. Hégémonie, Assujettissement, et marginalisation Institutionnalisée
Avant l’ère coloniale, les Hutu et les Twa étaient non seulement stigmatisés socialement, mais aussi économiquement marginalisés. Cela n’a pas commencé avec les colonisateurs, comme certains hommes politiques actuels rwandais veulent le faire croire.
Le Rwanda n’était ni civilisé ni industrialisé. La terre était la seule source de richesse. Les Rwandais avaient besoin de terres pour leurs activités agricoles ou pastorales ou pour leurs aventures de chasse. Il y avait des Rwandais qui étaient soudeurs, poètes, danseurs, mais personne ne pouvait gagner sa vie de ces professions, surtout que ces services étaient offerts gratuitement aux maîtres.
Ubukonde signifiait un terrain appartenant collectivement à un groupe des Rwandais de même lignage ou ascendance.
Cependant, vers la fin du XVIIIe siècle, le roi Yuhi IV Gahindiro introduisit « ibikingi » comme étant des zones réservée aux élites Tutsi ou aux éleveurs de bétail. Les Rwandais qui habitaient une zone désignée comme igikingi (ibikingi au pluriel) à un chef Tutsi étaient immédiatement soumis à la protection de cet élite Tutsi à qui ils offraient des services et des redevances de toutes sortes.
Il serait probablement important de noter que l’élite Tutsi ou l’éleveur de bétail à qui Igikingi était donné n’était pas forcément un membre de ce clan ou de cette lignée. Un élite Tutsi de l’est pouvait se voir attribuer igikingi à l’ouest du pays et vice-versa, et il devait s’imposer en tant que dirigeant de ceux qui habitaient son igikingi. L’introduction d’ibikingi a creusé de plus en plus le fossé entre les pauvres Hutu et Tutsi et leurs chefs Tutsi.
Outre ibikingi, il existait également un système de Ubuhake. Ceci peut être défini comme un contrat non écrit entre un individu de statut inférieur (Serviteur) et un individu de statut supérieur (Maître), le premier offrant ses services au second en échange de vaches et de protection.
Bien que tous les maîtres fussent des élites Tutsi, les serviteurs pouvaient être des Tutsi (de rang inférieur), des Hutu ou des Twa.
Ce qui différencie Ubuhake de ce que l’on appelle actuellement emploi, ce sont les conditions, qui incluaient le fait que lorsqu’un serviteur faisait quelque chose qui ne plaisait pas à son maître, en plus de mettre fin au contrat, le maître pouvait reprendre toutes les vaches qu’il avait précédemment données au serviteur et revenir sur sa promesse de protection.
Selon le statut du maître Tutsi dans la société ou sa proximité avec le roi, le serviteur pouvait même être contraint de s’exiler ou se faire tuer.
Le pire de tous ces systèmes était uburetwa, qui signifie « travail forcé ». Dans l’histoire du Rwanda telle qu’écrite par la Commission Nationale d’Unité et de Réconciliation (NURC), nous lisons que même si on ne sait pas quand l’uburetwa a été introduit au Rwanda comme un système dans lequel tous les Rwandais servaient leur pays, c’est à la fin du dix-neuvième siècle que ça a été imposé uniquement sur les Hutu par le roi Kigeli IV Rwabugiri, afin de les punir de sa défaite à Ankole.
Contrairement à Ubuhake, qui était récompensé par des vaches et de la protection, l’uburetwa était imposé aux Hutu, les forçant à offrir des services de main-d’œuvre aux chefs Tutsi. Ces services étaient généralement d’un intérêt commun ; par exemple construire des ponts ou des routes.
En raison de la multiplication des projets d’intérêt commun au cours de l’ère coloniale, les colonisateurs n’ont pas seulement gardé le système d’uburetwa, ils l’ont aussi rendu encore plus insupportable. Les familles Hutu qui étaient soumises à uburetwa n’avaient plus le temps de cultiver leurs propres terres et de prendre soin de leurs familles.
Pour punir ceux qui tentaient d’éviter l’uburetwa, les colonisateurs ont introduit la canne ou la chicotte, communément appelée en Swahili ‘Ikiboko’. Ils demandaient aux chefs Tutsi, ainsi qu’à certains autres Tutsi et Hutu qui leur étaient fidèles, de battre leurs compatriotes Hutu avec la chicotte ‘Ikiboko’. Cela a été une source d’un grand conflit entre Hutu et Tutsi. Uburetwa était plus insupportable et impardonnable qu’Ubuhake et ibikingi.
Après l’ère coloniale, des règles commerciales ont été établies. Pour acquérir plus de terres, une personne devait les recevoir comme son héritage, ou les acheter d’un autre Rwandais.
Après la révolution sociale de 1959, les Tutsi ont été à leur tour marginalisés sur les plans aussi bien économique que politique par les régimes post-indépendance, à majorité Hutu. C’était comme si certains politiciens Hutu voulait imposer une sorte d’hégémonie sur leurs compatriotes Tutsi.
Sur le plan politique, moins de trois ans après l’indépendance, le parti Parmehutu au pouvoir dirigé par le président Kayibanda avait déjà interdit l’opposition et fait du Rwanda un État à parti unique. C’était le premier signe que les Tutsi étaient marginalisés de la politique du Rwanda.
Dans le but d’augmenter le nombre de Hutu dans les écoles et dans la fonction publique, la première République dirigée par Kayibanda avait introduit un système de quotas. Lorsque Habyarimana a pris le pouvoir en 1973, il était initialement réticent à mettre en œuvre certaines des politiques du gouvernement précédent, notamment le système de quotas. Cependant, cela n’a pas duré longtemps. En moins de deux ans, les quotas étaient à nouveau appliqués.
Bien que l’objectif des quotas fût d’atteindre la proportionnalité ethnique dans les écoles et les emplois, le système désavantageait les Tutsi, qui n’étaient autorisés à occuper que 9% des sièges dans les écoles et des emplois dans la fonction publique.
Dans un pays en proie à des tensions ethniques, il n’est peut-être pas totalement faux de penser que même les 9% de sièges dans les écoles ou des emplois dans la fonction publique qui étaient attribués aux Tutsi, pourraient rarement appartenir aux meilleures spécialisations ou aux plus hauts niveaux de direction.
Au cours de la première et de la deuxième républiques, prêchant que les Hutu étaient majoritaires et au pouvoir, certains hommes politiques soutenaient leur supériorité et dominance. Ce qui était à l’origine un complexe d’infériorité se transformait petit-à-petit en une attitude de supériorité qui cachait des sentiments d’infériorité et d’échec.
Bien que, dans les villages, certaines familles Tutsi aient continué à être respectées (pas nécessairement aimées) par leurs compatriotes Hutu, dans les villes où les Hutu dominaient les arènes politiques et professionnelles, certains Hutu rappelaient qu’ils avaient pris le pouvoir. Certaines personnes se souviennent de « Uzi ico ndi co ? », Qui signifiait littéralement « Savez-vous qui je suis ? » un dicton attribué aux Hutu du Nord, région de naissance de l’ancien président Habyarimana. Les Hutu avaient l’habitude de rappeler aux autres groupes qu’ils formaient la majorité dominante. C’est peut-être pour cette raison que lors d’un rassemblement politique, un des politiciens du parti d’opposition, MDR, a utilisé le slogan « Hutu power » dans son discours afin de rappeler ces camarades qu’ils ne devaient pas trahir l’hégémonie des Hutu.
Le déclenchement d’une guerre civile en 1990 par le FPR Inkotanyi, à majorité Tutsi, était reçu chez certains Hutu comme un signal que les Tutsi voulaient reprendre le pouvoir et réaffirmer leur suprématie. Le gouvernement et / ou les journalistes ont également signalé que des soldats du FPR Inkotanyi massacraient des civils, principalement des Hutus, dans les provinces du nord du Rwanda. Cela était aussi confirmé par des Rwandais déplacés par la guerre qui se trouvaient dans les camps de Nyacyonga, non loin de la ville de Kigali. Des politiciens ont utilisé cette panique pour persuader les Hutu à considérer des Tutsi comme leurs ennemis.
En revanche, lorsque le FPR Inkotanyi a remporté la guerre civile et pris le pouvoir en 1994, il a mis en place un gouvernement de transition qui se disait d’unité. Ce gouvernement était constitué non seulement de Hutu et de Tutsi, mais également des membres de partis politiques différents. Bien que la nouvelle armée fût à majorité Tutsi, le gouvernement central comptait un bon nombre de Hutu. Un président Hutu était nommé et secondé par un vice-président Tutsi.
Moins de deux ans plus tard, plusieurs politiciens Hutu avaient déjà été forcés à quitter le gouvernement de transition et de s’exiler hors du pays. En 2000, Le Président Hutu, a également été contraint de démissionner. Lorsqu’il a par la suite tenté de former une opposition, il a été arrêté et emprisonné pendant cinq ans.
Après la mise à l’écart des politiciens Hutu de premier plan, d’autres Hutu, qui ont souvent une aura politique moindre, sont parfois nommés à quelques postes dans le gouvernement central. Cependant, les postes clés au sein du gouvernement central et du gouvernement local sont toujours occupés par des Tutsi.
Vingt-cinq ans après la guerre de 1990-1994, l’armée nationale reste essentiellement composée de Tutsi, aussi bien dans la catégorie supérieure que dans la catégorie des sous-officiers.
En conclusion, les Rwandais se sont toujours battus pour le pouvoir depuis des décennies et chaque fois qu’un groupe gagne le pouvoir, il se donne comme objectif la marginalisation, et même l’oppression de l’autre groupe.
Les Hutu ont été marginalisés et subjugués pendant la monarchie Tutsi. Les Tutsi ont été marginalisés et opprimés au cours des première et deuxième républiques dirigées à majorité par des Hutu. Même aujourd’hui, malgré la propagande au sujet de l’unité et de la réconciliation, les Hutu sont marginalisés par le régime actuel à prédominance Tutsi.
Les Rwandais doivent mettre fin à ce cercle vicieux.
4. Crimes de haine, impunité et violation des droits de l’Homme
Lorsque certains groupes de citoyens sont marginalisés et opprimés, ils perdent non seulement leurs droits civils, mais également leurs droits fondamentaux. Les crimes de haine et les abus restent impunis. Cela affecte plus tard la psychologie des futurs auteurs et victimes du génocide.
Au Rwanda, différents groupes de Rwandais ont non seulement été soumis à la déshumanisation, à la stigmatisation, à la marginalisation et à la subjugation, ils ont également été victimes de crimes de haine et de violences, et la pire réalité est que l’impunité totale a toujours régné.
La révolution sociale de 1959 a été caractérisée par le sang et la fumée. Des maisons, principalement des huttes, ont été incendiées. Des vies humaines ont été perdues.
Cependant, les vainqueurs Hutu de cette révolution n’ont mis en prison que ceux qui étaient partisans ou fidèles de la monarchie tutsie. Les jeunes Tutsis ou certains jeunes partisans Hutu de la monarchie impliqués dans ces émeutes, du moins ceux qui ne s’étaient pas exilés, ont été emprisonnés. Certains dirigeants de partis politiques à majorité Tutsi ont également été emprisonnés, d’autres se sont exilés et peu d’autres sont devenus membres du premier parlement avant d’être complètement écartés en 1963.
D’autre part, les partisans des partis politiques dirigés par les Hutu qui ont pris part aux émeutes, qui ont brûlé des maisons et tué des partisans de la monarchie Tutsi n’ont jamais été punis.
Cette impunité a régné pendant toutes les années qui ont suivi la révolution sociale de 1959.
Pendant les années 1960, chaque fois que les groupes rebelles à majorité Tutsi (qui étaient en exil) attaquaient du Nord ou du Sud, ils tuaient des éminents Hutu, soit des hommes politiques ou des hommes d’affaires. Les anciens membres de ces groupes rebelles n’ont jamais été condamnés pour leurs crimes. En fait, au Rwanda d’aujourd’hui, ces atrocités ne sont ni dénoncées ni condamnées.
D’autre part, chaque fois que ces groupes rebelles attaquaient, les dirigeants et les soldats à majorité Hutu prenaient d’assaut les villages habités principalement par des Tutsi, et tuaient des milliers de civils Tutsi qui n’avaient rien à voir avec ces rebelles. Les tueurs n’ont jamais été traduits en justice.
Il ne s’agissait pas seulement de tuer des Tutsi ; insulter un Tutsi, rompre un contrat de travail avec un Tutsi, renvoyer un Tutsi de l’école et tous les autres crimes de haine étaient toujours impunis par les gouvernements à prédominance Hutu.
De la même manière que les Hutu se sentaient comme si leur vie importait peu à l’époque de la monarchie Tutsi, les Tutsi éprouvaient aussi ce sentiment de ne pas avoir le droit de vivre sous les régimes à prédominance Hutu. Ce qui est encore plus décourageant, c’est que les Tutsi qui abusaient leurs compatriotes Hutu à l’époque de la monarchie ou les Hutu qui abusaient leurs compatriotes Tutsi à l’époque de la République avaient tous l’impression qu’ils en avaient parfaitement le droit.
En 1994, lorsque des milices et des civils à majorité Hutu ont massacré leurs compatriotes Tutsi, ils l’ont fait en sachant qu’ils bénéficiaient du soutien de leurs dirigeants politiques ainsi que des forces militaires. Ils ne pensaient peut-être même pas qu’ils pourraient être punis pour ces crimes.
Après la guerre civile de 1990-1994 et le génocide contre les Tutsi, de nombreux suspects du génocide ont été arrêtés et emprisonnés, y compris les hommes politiques, membres des anciens gouvernements à majorité Hutu, qui ont été jugés par le Tribunal pénal international pour le Rwanda.
Les juridictions Gacaca, en dépit de leurs nombreuses limitations et imperfections, ont au moins permis de rendre justice à certaines victimes et aux survivants du génocide contre les Tutsi. Cela aurait dû envoyer un message à tous les Rwandais que si l’un d’entre eux se livrait à un crime similaire, il pourrait tôt ou tard faire face à la justice.
Cependant, de nombreux autres Rwandais, surtout les anciens membres du groupe rebelle FPR Inkotanyi, à majorité Tutsi, qui ont tué leurs compatriotes Hutu ou Tutsi pour différentes raisons ; représailles, appropriation illicite, vengeance, crimes de guerre ou projet d’extermination d’une partie de la population Hutu, n’ont jamais été traduits en justice. Beaucoup d’entre eux marchent librement. Les survivants de ces crimes ou les familles affligées ne sont même pas autorisés à raconter leurs histoires. Les auteurs de ces crimes se sentent comme s’ils ont le feu vert pour tuer. Ils l’ont fait avant et ils peuvent le faire encore et encore sans être inquiétés.
Aujourd’hui, nous lisons ou écoutons souvent des nouvelles de Rwandais qui se font abattre par la police ou les soldats pour différentes raisons. Cela se produit presque toutes les semaines ou toutes les deux semaines. Nous n’avons jamais entendu parler du moment où ces policiers ou soldats sont traduits en justice.
Nous devrions tous comprendre que lorsque la violence n’est pas punie, elle devient une solution acceptable à tout problème et tout malentendu parmi les différents groupes de Rwandais pourrait conduire à des atrocités de masse similaires au génocide perpétré contre les Tutsi.
5. Résistance, insurrection et rébellion
Lorsque des citoyens d’un pays sont physiquement agressés et assassinés et qu’aucune justice ne leur est rendue, les groupes opprimés atteignent un point où ils se sentent comme s’ils n’avaient plus rien à perdre. Ils décident de se soulever contre leurs oppresseurs. Ils le font en résistant à se comporter selon les instructions de leurs oppresseurs, en manifestant, en organisant des émeutes, ou en lançant une rébellion.
Les personnes au pouvoir exercent souvent des représailles avec plus d’agressions et de violences, ce qui peut conduire à ce que le Rwanda a connu dans les années 90.
Ce que certains sympathisants des anciens régimes Hutu ne comprennent pas, c’est que les dirigeants de la première et de la deuxième république auraient pu éviter la guerre civile de 1990-1994 s’ils avaient mis fin à tout ce dont nous avons parlé ci-dessus.
Ils auraient par exemple du :
Mettre fin au suprémacisme et condamner la déshumanisation et la stigmatisation de tout Rwandais ou groupe de Rwandais, Tutsi, Hutu Twa ;
S’assurer que tous les Rwandais, Tutsi, Hutu et Twa, puissent exercer des droits égaux et accéder aux chances égales ;
Condamner et punir les crimes de haine, les agressions et les assassinats
sans distinction aucune ;
Créer un environnement propice et sûr pour le retour des rwandais qui étaient en exil et faciliter leur retour au pays.
Si les régimes dirigés par les Hutu avaient fait le nécessaire, le groupe rebelle FPR Inkotanyi n’aurait peut-être pas existé et, si malgré les efforts de ces gouvernements, la rébellion avait été lancée, elle n’aurait peut-être pas obtenu l’appui de nombreux autres Rwandais à l’intérieur du pays et en exil, qui avaient l’impression que finalement ils allaient être libérés de l’oppression.
La première réaction du régime Habyarimana (à majorité Hutu) à l’attaque de 1990 par le FPR Inkotanyi (à prédominance Tutsi) a été d’arrêter beaucoup, sinon tous les Tutsi importants, leurs femmes et leurs enfants. Parmi les prisonniers, il y avait de jeunes adultes dans la vingtaine. Ils ont passé des mois dans des prisons non conventionnelles, la plupart dans des stades. Quand ils ont été libérés, même si beaucoup d’entre eux ont continué à vivre dans la peur et sont restés en dehors de la politique, d’autres se sont sentis comme n’ayant plus rien à perdre. C’est le moment où certains jeunes Tutsi ont décidé de rejoindre la rébellion.
Lorsque Habyarimana a finalement adopté le système multipartite en 1991, certains Tutsi et Hutu qui en avaient assez de sa dictature ont rejoint les partis politiques de l’opposition et la scène politique est devenue celle de rassemblements, de manifestations et parfois d’émeutes.
Certains politiciens Hutu qui étaient contre Habyarimana, mais pas forcément pour la rébellion du FPR Inkotanyi, reprochaient à certains de leurs camarades politiques de vouloir utiliser l’opposition à l’intérieur du pays pour affaiblir le régime Hutu et céder le pas à une rébellion à prédominance Tutsi.
Je tiens à rappeler que certains Hutu avaient même rejoint la rébellion FPR Inkotanyi en pensant qu’ils avaient tous le même ennemi : Habyarimana et son entourage.
Si le Rwanda était une société unifiée, malgré la guerre civile qui opposait l’armée nationale à la rébellion du FPR Inkotanyi, les massacres de millions de civils n’auraient peut-être pas été possibles.
Mais malheureusement, le Rwanda n’était pas une société unifiée. La guerre civile de 1990 et les rassemblements politiques ont réveillé tous les démons du passé. Les tensions ethniques sont devenues violentes. La haine contre les Tutsi était exprimée ouvertement et publiquement. Les radios chantaient et prêchaient la haine. Les journaux publiaient des articles pleins de discours de haine. Le populisme était à son apogée. Certains politiciens Hutu de l’opposition étaient finalement étiquetés comme des sympathisants du pouvoir Hutu et d’autres comme des complices du FPR, qui devaient être condamnés au même sort que les Tutsi.
Le génocide contre les Tutsi et les Hutu traités comme des traîtres, communément appelés Hutu modérés, frappait aux portes du Rwanda.
Aujourd’hui, le Rwanda fait face à une opposition qui devient de plus en plus forte. Il y a une trentaine de partis politiques d’opposition, non enregistrés officiellement, dont la plupart des dirigeants opèrent à l’extérieur du pays.
De la même façon, le régime Habyarimana, dans les années 1990, traitait de ses opposants comme étant des ennemis du pays qui voulaient réinstaurer la monarchie Tutsie et subjuguer les Hutu à leur dominance, le pouvoir actuel dit que le but de ses opposants est de promouvoir l’idéologie génocidaire, malgré le fait qu’un bon nombre de ces opposants sont plutôt les anciens membres du FPR Inkotanyi, identifiés comme Tutsi. Les Hutu qui s’opposent au régime actuel sont souvent traités de génocidaires, et les opposants Tutsi sont traités des traitres qui collaborent avec des génocidaires.
Du coup, toute personne qui ose s’exprimer est assassinée ou mise en prison. Cela ne résout aucun problème mais plutôt crée plus de dissidents qui pourraient être prêts à saisir n’importe quelle occasion pour se débarrasser du régime dictatorial actuel.
Il serait souhaitable que le gouvernement actuel ne commette pas les mêmes erreurs du passé. Il faudrait dialoguer avec tous ces opposants politiques et les membres de la société civile, afin de trouver des solutions pacifiques et durables aux problèmes de la nation.
6. La psychologie des foules et le génocide
Un phénomène que beaucoup de gens ne comprennent pas est pourquoi et comment autant de civils Hutu ont participé au génocide contre les Tutsi en 1994. Où étaient les Rwandais de bonnes vertus ? Où étaient les politiciens impartiaux ? Qu’en est-il de bons gendarmes et soldats qui devaient protéger la population contre les militaires et les milices ? Qu’est-ce qui a conduit les masses à participer au génocide contre les Tutsi et les Hutu modérés ?
La réponse peut venir des psychologues des foules qui analysent comment le comportement d’une personne peut être influencé par le comportement de la foule, et vice versa.
Les psychologues des foules suggèrent qu’un groupe de personnes peut rationaliser des crimes bien plus odieux que ce que n’importe quel membre de ce même groupe peut faire individuellement. Ils nous enseignent qu’un comportement de la foule peut être fortement influencé par la perte de responsabilité de l’individu et/ou l’impression d’universalité du comportement, deux faits qui s’élèvent avec la taille de la foule.
Dans quelles circonstances la perte de responsabilité de l’individu influence-t-elle le comportement de la foule ? Ou, dans quelles circonstances l’individu développe-t-il l’impression de l’universalité du comportement ? Que s’est-il réellement passé au Rwanda en 1994 ?
Les psychologues pourraient à nouveau trouver leurs réponses dans ce que l’on appelle la « panique sociale », définie comme un état dans lequel un groupe social ou communautaire réagit négativement et de manière extrêmement irrationnelle aux changements inattendus ou imprévus dans son environnement.
Mon but n’est pas de justifier les actes de ceux qui ont commis le génocide contre les Tutsi, mais de montrer que, pour des raisons d’incertitude déjà expliquées ci-haut, les populations étaient déjà dans un état où toute situation émergente et inattendue pouvait déclencher des réactions extrêmement irrationnelles de la part des foules.
Malheureusement, les personnes qui avaient le pouvoir de mettre fin aux massacres avaient, soit perdu leurs responsabilités, soit choisi de ne pas les assumer.
Tout donnait l’impression d’universalité de la décision d’exterminer des Tutsi et de tous ceux qui étaient soupçonnés d’être des alliés du FPR Inkotanyi et, avec le temps, de plus en plus d’extrémistes Hutu se joignaient aux foules. Dans l’esprit de nombreux extrémistes Hutu, tout se passait comme si les Tutsi et les « Hutu modérés » avaient été condamnés à mort et que tout le monde était appelé à participer aux massacres, sans quoi, il pourrait être soupçonné d’être un traître. Il a fallu de l’héroïsme et du courage pour résister au comportement de la foule.
Une autre raison, encore plus importante, pour laquelle bon nombre d’extrémistes Hutu ont participé aux massacres, c’est qu’ils avaient consciemment ou inconsciemment conclu que tuer les Tutsi et les partisans du FPR était approuvé par les dirigeants politiques. Les politiciens et les dirigeants communautaires qualifiaient d’ennemis tous les Tutsi. Les médias diffusaient des discours de haine contre les Tutsi.
Nous pourrions probablement noter que la psychologie des foules ne s’appliquait pas seulement aux auteurs du génocide, mais également aux victimes.
De nombreux Tutsi réagissaient à la panique sociale en se réfugiant dans des églises. D’autres allaient se cacher dans des buissons. Mais le plus gros effet que cela a eu sur eux, c’est qu’ils n’ont même pas résisté, ni riposté, car leur première réaction était d’accepter la mort. Dans leur esprit subconscient ou inconscient, ils pensaient qu’ils avaient été condamnés à mort.
C’est ainsi que les Rwandais ont massacré leurs compatriotes dans un génocide d’une ampleur inouïe.
L’attentat contre l’avion qui transportait le président Habyarimana, sa mort et celle de ceux qui étaient avec lui dans l’avion ne font pas partie des ingrédients ayant permis au génocide contre les Tutsi d’avoir lieu. Cependant, l’évènement et le chaos qu’il a provoqué en décapitant l’Etat rwandais a accru le niveau de panique sociale et poussé les individus et les foules au plus haut niveau de folie nécessaire pour commettre un génocide de cette ampleur.
Je suis convaincue que si les dirigeants politiques, militaires, sociaux et religieux, avaient assumé leur responsabilité d’empêcher ces massacres ou de les arrêter lorsqu’ils ont commencé, le Rwanda n’aurait pas perdu toutes ces vies innocentes.
Nous connaissons des Hutu qui ont essayé d’agir soit en condamnant la haine, soit en cachant chez eux ceux qui étaient ciblés par les assassins. Cependant, nous n’avons pas ouï dire ou lu des histoires de dirigeants qui ont collectivement tenté, pas seulement de condamner, mais aussi de stopper ces massacres.
Le Rwanda actuel, serait-il capable de contrôler une éventuelle panique sociale si quelque chose était sur le point de se produire aujourd’hui ou demain ?
À mon avis, le gouvernement actuel, dirigé par le FPR Inkotanyi, commet les mêmes erreurs du passé.
Tous ceux qui osent critiquer le gouvernement ne sont pas seulement traités comme des ennemis de l’État, mais aussi comme des auteurs ou idéologues du génocide, ou des terroristes qui ne cherchent qu’à verser le sang des Rwandais.
Les politiciens du régime actuel, prononcent des discours de haine et exhortent les jeunes Rwandais à être toujours prêts à défendre leur pays contre l’ennemi, si nécessaire. De nombreux rwandais, en particulier les extrémistes et les fanatiques, prennent littéralement à cœur cette rhétorique et s’engagent à ne jamais permettre les idéologues du génocide (faisant référence aux opposants politiques, identifiés comme étant Hutu) et leurs alliés (faisant référence aux opposants politiques, identifiés comme étant Tutsi, ou les anciens membres du FPR Inkotanyi, souvent appelés ibigarasha, c’est-à-dire, des cartes sans valeur) une place dans la vie politique ou sociale du pays.
De nombreux jeunes rwandais ont participé à « Ingando », où ils ont reçu une formation militaire de base, notamment l’utilisation des armes à feu. Outre l’armée nationale et la police, il existe au Rwanda plusieurs groupes paramilitaires, par exemple : Inyeragutabara, DASSO et Abanyerondo, et tous ces groupes sont prêts à attaquer ou à contre-attaquer quiconque serait considéré comme l’ennemi.
Les médias contribuent à alerter la population en publiant des articles sur des groupes terroristes rwandais susceptibles d’attaquer le Rwanda en provenance des pays voisins. Ils soulignent que ces groupes travaillent avec les auteurs du génocide et qu’ils ne veulent qu’achever le génocide.
Il est difficile de prédire comment les Rwandais, qui sont déjà alertés, réagiraient si quelque chose se passait, Dieu nous en préserve. Seraient-ils capables de contrôler leur panique ? Quelqu’un, serait-il capable de gérer les réactions de tous ceux qui ont déjà été alimentés par les discours de haine et formés à la violence ?
En conclusion, les dirigeants doivent éviter les discours de haine et tout ce qui met la population dans un état de peur. Aucun Rwandais ne devrait être traité comme l’ennemi de l’Etat. Il faut apprendre aux jeunes que la violence est mauvaise et qu’ils ne devraient jamais s’en servir pour résoudre leurs problèmes.
Conclusion
Pour conclure, si les politiciens, ceux au pouvoir et ceux qui aspirent à prendre le pouvoir, souhaitent vouer un « Plus jamais ça », ils doivent commencer par éliminer toutes les causes profondes des génocides et / ou d’atrocités similaires.
L’histoire du groupe ou les dogmes « Eux » et « Nous » : en plus de promouvoir l’identité nationale par la suppression des mentions Hutu, Tutsi et Twa dans des cartes d’identité, et par l’introduction du slogan « Ndi Umunyarwanda », des efforts plus concrets devraient être fournis afin d’assurer que tous les Rwandais dans des circonstances similaires, indépendamment de leurs antécédents familiaux, exercent les mêmes droits et ont accès aux chances égales. Par exemple, les besoins des familles, en majorité des Hutu, qui ont survécu à la guerre au Rwanda ou les guerres au Congo, où ils étaient partis en tant que réfugiés, ont été ignorées. Ces Rwandais pensent que leurs voisins Tutsi, rescapés du génocide, ont plus de privilèges qu’eux, et concluent qu’ils ne sont probablement pas considérés simplement parce qu’ils sont Hutu. En revanche, certains Tutsi peuvent aussi penser qu’ils sont privilégiés simplement parce qu’ils sont Tutsi. Cela renforce les marques ‘eux’ et ‘nous’.
Idéologie de la suprématie, de la stigmatisation et de la déshumanisation : en plus de rendre tabous certains mots et aphorismes, le Rwanda devrait veiller à ce qu’aucun Rwandais innocent ne soit stigmatisé pour les erreurs du passé, soit celles qui sont attribuées aux groupes avec lesquels ils s’identifient, ou celles qui ont été commises par leurs ancêtres. Aucun Rwandais ne devrait se sentir inférieur en raison de son apparence physique ou de ses comportements culturels. La promotion de certains standards de beauté, similaires aux caractéristiques morphologiques sur lesquelles les colonisateurs se sont basés pour diviser les Rwandais, devrait être évitée. Aucun Rwandais ne devrait être déshumanisé. Il ne faut jamais appeler certains Rwandais des noms qui les égalisent aux animaux ou aux objets, par exemple, des serpents, des cafards, des cochons, des gorilles, ibipinga, abaginga or ibigarasha. Bien que l’identité de ceux qui étaient principalement visés par le génocide soient des Tutsi, il est tout à fait faux de dire que les Hutu ont tué des Tutsi avec le but de stigmatiser tous les Hutu en les qualifiant de mauvais par essence. Les lois contre le divisionnisme, le sectarisme ou l’idéologie du génocide devraient être applicables à tous les Rwandais qui commettent des crimes en rapport avec la haine sans distinction aucune.
Hégémonie, Assujettissement, et marginalisation Institutionnalisée : Même si les mentions Tutsi, Hutu et Twa ne figurent plus dans des cartes d’identité, on ne peut pas encore prétendre qu’aucun groupe de Rwandais n’est marginalisé. Le gouvernement actuel devrait veiller à ce que tous les Rwandais soient pris en compte et aient la possibilité de servir leur pays dans tous les secteurs et à tous les niveaux. Aussi longtemps que l’armée rwandaise continue d’être principalement composée de Tutsi, on l’étiquettera toujours comme étant une armée Tutsi. Malgré, le nombre de Hutu qui sont au parlement et au gouvernement central, on continuera à affirmer que le régime actuel est à prédominance Tutsi, par le fait que les postes clés sont principalement occupés par des Tutsi, et que le gouvernement local continue à être fortement aux mains de Tutsi. Pour parvenir à la parité nécessaire dans l’armée et la fonction publique, le gouvernement peut ne pas avoir besoin de réinventer le système de quotas, mais de mettre en place des processus transparents, équitables et compétitifs à travers lesquels chaque Rwandais qualifié peut être élu ou recruté aux postes de différents niveaux et dans de secteurs différents.
Crimes de haine, impunité et violation des droits de l’Homme : Le gouvernement actuel a la responsabilité de protéger tous les Rwandais. Dans une société qui a été fragilisée par son passé, les crimes de haine contre tout Rwandais, Tutsi, Hutu ou Twa, ne devraient pas seulement être condamnés, mais punis. Lorsque quelques Rwandais sont tués et que d’autres disparaissent et que le gouvernement ne montre aucun intérêt à ce que justice soit rendue, les membres des familles dépourvues concluent que c’est peut-être parce que leurs vies importent peu. Ces Rwandais vivent dans la peur et cette peur peut les conduire à la résistance et à l’insurrection.
Résistance, insurrection et rébellion : L’appel est lancé à tous les Rwandais. Nous devrions tous comprendre que la violence n’engendre que la violence. Le Rwanda en a assez des troubles, des agressions et des guerres. Nous n’avons plus besoin de groupes rebelles. Les Rwandais peuvent résoudre leurs problèmes et parvenir à une réconciliation totale de manière pacifique. J’appelle également le gouvernement actuel à écouter les doléances de certains Rwandais et à y répondre avant qu’ils atteignent un point où ils se sentent comme si le seul moyen de faire entendre leur voix serait à coups de feu.
Psychologie des foules : De nombreux Rwandais ont tendance à raisonner en groupe. Apparemment, les politiciens, soit au pouvoir, soit dans l’opposition, aiment cela. Ils nous disent que nous avons un ennemi commun, càd « l’autre groupe ». Ils nous apprennent à haïr et à attaquer ceux que nous considérons comme « l’ennemi ». Ils nous disent que l’ennemi se prépare à quelque chose de mauvais. Avant le génocide contre les Tutsi, l’ancien régime disait aux Rwandais que le FPR Inkotanyi voulait rétablir la monarchie Tutsi. Aujourd’hui, chaque fois qu’un Rwandais s’oppose à la totalité ou à une partie de la politique du régime actuel, s’il est Hutu, on dit qu’il veut achever le génocide, et s’il est Tutsi, on le traite de traitre qui collabore avec des génocidaires Hutu. Cela met les Rwandais ordinaires, surtout les jeunes qui n’ont pas vécu le génocide, sur le qui-vive. Ils écrivent sur les médias sociaux qu’ils sont prêts à combattre quiconque s’opposera au gouvernement actuel. Je peux seulement dire que j’espère que rien ne se passera pour changer le statu quo. Si, non, j’ai peur que toute situation émergente, qu’elle soit naturelle ou provoquée, puisse mener à une tragédie similaire au génocide contre les Tutsi de 1994.
Pour finir, permettez-moi de conclure en affirmant une nouvelle fois que si nous voulons vouer « plus jamais ça » au génocide contre les Tutsi ou contre tout autre groupe de Rwandais, nous devons nous attaquer à toutes les causes profondes du génocide ou de toute autre atrocité de masse.
Gilbert Nshimiyimana est né en 1985 au Rwanda. A partir du 06 avril 1994 son quartier de Remera va connaitre les affrontements entre les Forces Armées Rwandaises (FAR) et l’Armée Patriotique Rwandaise (APR). Avec sa famille, il va s’exiler au Zaïre, devenu depuis la République Démocratique du Congo (RDC), échappant de peu aux massacres perpétrés dans son quartier de Remera. Lors de l’attaque des camps de réfugiés rwandais en 1996 par l’AFDL/APR, Gilbert fait partie du groupe de réfugiés qui rentrent au Rwanda. Peu de temps après, le 21 janvier 1997, il va vivre l’indicible avec lorsque 13 personnes de sa famille y compris un bébé, sont assassinés, ils sont trois à avoir survécu : son oncle Patrick Horanimpundu[1], sa sœur et lui.
Gilbert Nshimiyimana
De son enfance, Gilbert Nshimiyimana se souvient avoir vécu en harmonie avec ses camarades « On jouait avec tous les enfants du quartier sans distinction, on ne se disait pas qu’un tel venait de telle préfecture ou qu’un autre venait d’un autre pays, surtout que le Rwanda n’était pas habité uniquement par des Rwandais, il y avait des ressortissants étrangers qui y habitaient ». Le 06 avril 1994, quand le Falcon 50 avec à son bord les présidents rwandais et burundais : Juvénal Habyarimana et Cyprien Ntaryamira est abattu, Gilbert et sa famille sont chez eux. A partir de ce jour et les jours qui ont suivi, ils ont vécu au rythme des bruits de tirs nourris. Ils sont restés cloitrés à l’intérieur de leur maison, un jour ils ont essayé de sortir sur la terrasse de la maison et une bombe a été lancée immédiatement sur leur maison « On a vu un gros morceau de métal venir se loger dans le toit de notre maison. Nous avons vu cet objet s’écraser devant nous, nous ne pouvions pas l’identifier. Par après on l’a ramassé et on s’est renseigné et on nous a dit que c’était l’éclat d’une bombe. Nous, nous ne savions pas à quoi pouvait rassembler une bombe ou une balle, nous voyions seulement que c’était un objet avec une certaine longueur ». Deux semaines après l’attentat sa famille quitte Kigali en empruntant la route de l’aéroport de Kanombe suit les autres déplacés jusqu’ au Zaïre. Après avoir quitté leur quartier, les personnes qu’ils ont rencontrées ont manifesté leur étonnement de les voir vivants, en effet « On leur avait dit que le FPR était arrivé dans notre quartier et que les gens qu’ils trouvaient dans les maisons, ils tiraient directement sur eux sans demander qui ils étaient. Et là on s’est rendu compte que par chance nous avions pu quitter le quartier sans que l’un d’entre nous ne soit blessé ».
La première guerre du Congo a commencé en novembre 1996, dans leur progression les éléments de l’Alliance des Forces démocratiques pour la Libération du Zaïre (AFDL) aidés par les éléments de l’APR détruisaient les camps des réfugiés rwandais. Celui dans lequel se trouvait la famille de Gilbert a été détruit aussi. La famille de Gilbert, voulant mettre fin à cette vie en exil et croyant à un retour de paix au Rwanda, a décidé de retourner dans son pays natal : « Quand ils ont détruit les camps des réfugiés, nous sommes retournés au Rwanda. On se disait que si les camps des réfugiés sont détruits, la guerre allait arriver aussi au Zaïre, on s’est dit que nous n’allions pas passer notre vie à fuir dans des pays que nous ne connaissions pas. De plus on s’est dit que la paix était revenue au Rwanda, c’était l’occasion de retourner dans notre pays natal ». Pendant plusieurs jours ils ont marché, tout en étant contents de rentrer chez eux, ils sont passés par les nombreuses barrières tenues par les militaires de l’APR sans difficultés jusqu’à la dernière barrière se trouvant dans leur commune natale Satinsyi à Gisenyi. A cette barrière située à Kabaya, les soldats de l’APR leur ont donné un soldat pour les accompagner jusqu’à chez eux. La famille de Gilbert a alors manifesté son incompréhension de se voir assigner un soldat pour les accompagner alors que le Rwanda était devenu un pays en paix. Les soldats ont insisté en leur disant « Qu’ils devaient nous assigner une personne pour nous accompagner jusqu’à chez nous, assurer notre sécurité et voir où on allait habiter ».
Quand ils sont arrivés chez eux, leurs voisins ont manifesté une certaine crainte de les voir revenir : « Les gens qui nous connaissaient ou qui connaissaient notre famille, nous regardaient et nous disaient avec lamentations « Vous aussi vous rentrez ? Nous pensions que vous étiez décédés ! Pourquoi vous revenez ici alors que tout le monde pensait que vous étiez décédés ? ». Le soldat qui les accompagnait après avoir vu que la population les avait reconnus a commencé à poser des questions qui pour Gilbert étaient de nature à savoir qui ils étaient et non pour assurer leur sécurité. Il a alors pris congé tout de suite sans les accompagner jusqu’à leur maison. Par la suite la famille de Gilbert est partie se faire enregistrer et les autorités rwandaises ont su que son père était un ancien des FAR. Quelques jours après sa famille a commencé à être l’objet d’un harcèlement de la part des militaires de l’APR : «il ne s’est pas passé une semaine sans que des militaires du FPR viennent tous les jours chez nous pour voir si mon père allait bien, sa sécurité ». A plusieurs reprises Gilbert souligne ces visites quotidiennes : « Les gens du village ont commencé à nous dire que ce n’était pas bien que les militaires viennent tous les jours, nous leur avons répondu que ce n’était pas nous qui leur demandions de venir, qu’ils venaient d’eux-mêmes ».
Un jour, les militaires ont emmené leur père à un endroit inconnu : « Le temps est passé, notre père n’est pas rentré. Depuis le jour où ils l’ont emmené il s’était passé un mois sans qu’il ne soit rentré et pendant ce temps nous avions droit aux visites quotidiennes ». A son retour leur père leur a alors informé qu’il avait été emmené dans des camps militaires pour être interrogé sur les aspects militaires et politiques. Gilbert continue son histoire en racontant comment les visites avaient fini par prendre une autre tournure, des étrangers qui disaient être des enquêteurs se sont joints aux soldats de l’APR dans les visites, et des fois son père pouvait être arrêté au milieu d’une messe.
Un jour le père de Gilbert est revenu d’une arrestation et a informé sa famille qu’il avait des inquiétudes sur leur avenir, face à leur incompréhension il a répondu que « Ces dernier temps les gens qui l’interrogeaient lui posaient beaucoup des questions et qu’ils lui disaient qu’il devait coopérer, que dans le cas contraire, les conséquences sur sa famille seraient de sa responsabilité. ». Quelques temps après, le 21 janvier 1997, la famille de Gilbert passait une soirée ordinaire quand ils ont entendu une personne qui forçait l’entrée de la clôture de leur maison sans avoir frappé à la porte. Gilbert et son oncle étaient dans la cour quand ils ont vu une personne sauter par-dessus la clôture, « C’était un homme en tenue militaire et avec une arme. Nous sommes tout de suite entrés dans la maison. On s’est dit qu’une personne qui force l’entrée, qui entre sans prévenir et qui saute par le dessus du portail, qui ne dit pas bonjour, ce n’était pas normal. ». Leur maison était éclairée par une faible lumière, une Itadowa (une petite lanterne à pétrole utilisée dans les villages au Rwanda), Gilbert et son oncle se sont cachés dans une chambre très sombre : Gilbert sous le lit et son oncle dans un coin. De leur cachette ils ont assisté aux événements qui ont suivi : « Mes parents étaient au salon, mon père était assis en train de manger et ma mère était allongée dans le canapé. Quand ils sont entrés, ce sont les premières personnes qu’ils ont vues. Ce dont je me souviens c’est ma mère qui les a salués et leur a demandé avec quoi elle pouvait les accueillir, s’ils voulaient boire quelque chose étant donné qu’ils leur rendaient visite tard dans la soirée. Personne n’a répondu et tout d’un coup, nous avons entendu « pa pa pa pa », les bruits de tirs nourris. Mon oncle et moi là où nous étions cachés, nous ne nous parlions pas, le bruit des tirs nous tétanisait, nous ne savions pas ce qui se passait ». Dans cette soirée, les militaires ont tiré sur chaque personne qui était dans la maison, un bébé a trahi sa localisation en pleurant et « Ils sont partis dans les chambres chercher le bébé qui pleurait, ils ont suivi ses pleurs pour le retrouver et quand ils l’ont vu, ils ont tiré sur le bébé. ».
Deux heures après l’arrêt des tirs et le départ des soldats, Gilbert et son oncle sont sortis de leur cachette « Après 2h de silence on s’est dit que l’on allait circuler dans la maison, mais c’était dans le noir. On se guidait en palpant le mur, on appelait à basse voix une personne pour voir si elle allait répondre, sans résultat. Avec mon oncle nous sommes arrivés à la porte de sortie de la maison. Malgré qu’il n’y eût pas de lumière, nous avons essayé de voir et nous avons vu les corps, nous ne pouvions rien faire à part constater qu’ils avaient été tués. Nous sommes retournés dans notre cachette et nous nous sommes dit que nous allions attendre que les gens du village nous portent secours. » Nous avons demandé à Gilbert combien des siens il avait perdu cette nuit-là : « Au total 13 personnes ont été tuées cette nuit-là. Si je peux ajouter un élément, mais je n’en ai pas été témoin direct, cette nuit-là les membres d’une autre famille auraient été tués dans les mêmes circonstances que ma famille après nous. Je ne vais pas dire qui ils sont, mais c’était une famille amie ». Par la suite Gilbert, sa sœur et son oncle n’ont pas été en paix car les visites quotidiennes des militaires n’ont pas cessé et ils vont être obligés de quitter leur oncle qui les avait pris en charge après le décès de leurs parents pour ne pas mettre la famille de ce-dernier en danger. « Les menaces qui pesaient sur nous étaient telles que nous avons cherché à fuir par tous les moyens ».
Gilbert souhaite aujourd’hui que le Rwanda retrouve un état de paix véritable : « Mon souhait est que notre pays soit en paix. Même si la guerre est finie, pour ma part le pays n’est pas en paix », il explique sa conception de la paix et de la réconciliation « Ce n’est pas normal de mettre une personne en prison parce qu’il a dit quelque chose qui n’est pas en ligne avec la narrative du pouvoir. Pour moi ce n’est pas un signe d’un pays en paix. Mon souhait est que les gens se réconcilient et vivent ensemble comme avant la guerre, les gens qui ont tué les autres qu’ils soient poursuivis par une justice impartiale, sans dire que ceux-ci ont tués et les autres venaient libérer. Non ! Si une personne a tué elle doit être poursuivie. Cela sera un signe d’espoir parce que les gens vont comprendre que ceux qui ont tué sont poursuivis en justice, et les gens vont pouvoir se réconcilier et vivre ensemble. ».
Gilbert espère que son histoire inspirera les autres victimes rwandaises à sortir de leur silence et de témoigner « Pour moi c’est une sorte de thérapie car cela me permet de raconter ma vérité et ma douleur. Pour que ceux qui ne la connaissent pas puissent la connaitre. Peut-être que cela peut encourager une autre personne à venir raconter sa douleur comme tous les autres ». Gilbert a perdu cette nuit-là :
Ainsi que IYAKAREMYE, un bébé de 6 mois
Ce mardi 18 juin 2019 à Bruxelles avait lieu une conférence de presse co-organisée par la plateforme politique du Mouvement Rwandais pour le Changement Démocratique (M.R.C.D.) présidée par Paul Rusesabagina, le héros d’Hôtel Rwanda, et le Rwandan Dream Initiative (RDI-Rwanda Rwiza) présidé par l’ancien Premier Ministre, Faustin Twagiramungu.Cette conférence avait pour but d’annoncer que le parti RDI rejoignait la plateforme politique du MRCD.
Selon le communiqué de presse transmis par les deux organisations en marge de la conférence de presse, les deux parties, après avoir estimé qu’elles « avaient les mêmes objectifs », se sont mises d’accord « pour œuvrer ensemble, dans l’intérêt supérieur du peuple rwandais ».
Le MRCD, désormais composé de quatre partis politiques (CNRD-Ubwiyunge, PDR-Ihumure, RRM et RDI-Rwanda Rwiza), a appelé, dans un communiqué, les membres de la communauté internationale « soucieux de la paix et du respect des peuples à user de leur influence sur le gouvernement rwandais pour permettre au peuple rwandais d’exprimer ses opinions politiques et contribuer ainsi à la démocratisation du pays et à sa réconciliation ».
La Plateforme a par ailleurs dénoncé la « réduction au silence des opposants » et l’arrestation du major Calixte Nsabimana alias Sankara, deuxième vice président du MRCD « kidnappé dans une stratégie de terroriser l’opposition ».
La plateforme a enfin appelé les Rwandais à l’unité pour forcer le dialogue « par tous les moyens » en dépit du mépris qu’affichent « Paul Kagame et le FPR face aux appels au dialogue lancés par plusieurs membres de l’opposition ».
«L’ intervention group », un groupe aux airs de milice, piloté par l’ambassade du Rwanda à Bruxelles a entre autres l’objectif de « Déstabiliser les activités, actions et projets de l’opposition politique » rwandaise comme le révélait hier Jambonews dans l’article « Les activités obscures de l’ambassade du Rwanda à Bruxelles ». Ce groupe n’hésite pas à agresser physiquement les acteurs de l’opposition ou de la société civile rwandaise sur le sol européen. Ce 18 juin 2019, en marge d’une nouvelle manifestation contre la dictature du pouvoir en place à Kigali, trois manifestants ont été agressés. Retour sur ces évènements.
Le 18 juin 2019, Bruxelles a été le théâtre d’une journée mouvementée pour la communauté rwandaise. Le président rwandais Paul Kagame était attendu pour participer aux Journées Européennes Du Développement qui ont lieu ces 18 et 19 juin. En parallèle le R.D.I du Premier Ministre Faustin Twagiramungu annonçait son ralliement à la plateforme M.R.C.D. De plus deux manifestations étaient organisées en marge de la visite du Président rwandais, la première pour soutenir Paul Kagame, organisée par la « Diaspora Rwandaise de Belgique » et la seconde pour dénoncer les violations de droits de l’Homme au Rwanda, la culture de l’impunité et dénoncer la dictature imposée par le FPR de Paul Kagame, organisée par La plateforme Politique « P5 ».
Victoire Ingabire Umuhoza, Bernard Ntaganda et Déogratias Mushayidi.
Cette plateforme regroupe cinq partis politiques d’opposition. La plupart des présidents des partis de la plateforme vivent au Rwanda et sont des anciens ou des actuels prisonniers politiques rwandais. Bernard Ntaganda, président du PS-Imberakuri, a purgé quatre ans de prison, Victoire Ingabire Umuhoza, présidente des FDU-Inkingi, a purgé huit ans de prison, et Deo Mushayidi, le président du parti PDP, purge une peine d’emprisonnement à perpétuité.
La première manifestation pour soutenir la dictature s’est déroulée dans le calme et au terme de celle-ci, l’Ambassade du Rwanda à Bruxelles a remercié les participants par une fête somptueuse organisée en son sein.
Manifestation de soutient à la dictature de Paul Kagame
Pour la seconde manifestation, trois manifestants en ont fait les frais. Cela a commencé par la tentative d’agression d’un des responsables de la jeunesse au sein des FDU. Ce dernier revenait de la conférence de presse organisée par la plateforme M.R.C.D. et se rendait à la manifestation.
« Sur le chemin, une voiture s’est arrêtée à sa hauteur, 2 individus sont sortis de la voiture et l’ont pris en chasse. Il a couru pour leur échapper et a changé de trottoir en direction d’ouvriers qui déchargeaient un camion non loin de là. Lorsque les agresseurs l’ont vu demander de l’aide, ils se sont sauvés pour aller changer de voiture et revenir guetter son retour. Le manifestant les a remarqués et est retourné sur ses pas alerter la police, qui n’a pas pu les retrouver » raconte le Centre de Lutte contre l’Impunité et l’Injustice au Rwanda (le CLIIR).
Manifestation contre la dictature de Paul Kagame
Deux taximen, qui manifestaient, avaient garé leurs taxis à 500m de l’avenue du Port, le lieu où se déroulait la manifestation. Toujours selon le CLIIR : « Les agresseurs sont revenus à pied en empruntant le trottoir boisé et ont cassés deux taxis voitures leur appartenant. Une de deux voitures a eu son pare-brise cassé, tandis que l’autre a eu sa lunette arrière et la vitre latérale à l’arrière côté droit cassées. ». Une personne qui avait assisté à la scène avait relevé la plaque de l’immatriculation de la voiture des agresseurs. Les personnes agressées ont porté plainte auprès de la police belge et la plaque d’immatriculation a été communiquée. Ce n’est pas la première fois, que des ressortissant rwandais, membres de l’opposition ou de la société civile rwandaise sont agressés sur le sol européen.
La communauté rwandaise en vient à se demander si la culture d’impunité dont bénéfice les autorités rwandaises a migré en Europe, notamment en Belgique et si ces actes d’agressions sont possibles en plein cœur de l’Europe, que subissent les Rwandais à l’intérieur du pays ?
Jon CUESTA et Xurxo FERNANDEZ, deux réalisateurs espagnols indépendants, étaient présents ce 20 juin 2019 à Bruxelles lors d’une projection privée de leur dernier documentaire « Victims of Impunity, the other Genocide of Rwanda », qui avait lieu dans la salle numéro 1 du White Cinema, au cœur du tout nouveau centre commercial Dockx à l’occasion de la journée internationale des réfugiés.
Le documentaire, tourné dans plusieurs pays (dont la Belgique, le Rwanda, la RDC et l’Espagne) raconte l’histoire tragique des populations civiles hutu qui ont été victimes, individuellement ou collectivement, des crimes commis par les militaires du FPR dans leur chemin vers la conquête et la consolidation du pouvoir au Rwanda, entre le 1er Octobre 1990 et le 31 décembre 1998.
Se basant sur des centaines d’heures d’images d’archives de la VRT, ainsi que sur des dizaines de témoignages directs, dont ceux d’ Emma Bonino, ancienne Commissaire Européen à l’action humanitaire, Marie Béatrice Umutesi, rescapée de l’ancienne préfecture de Byumba (Rwanda) et auteure du livre « Fuir ou mourir au Zaïre » de Benoit Rugumaho, rescapé du gigantesque camp de réfugiés de Tingi Tingi (RDC) et auteur du livre « L’Hécatombe des réfugiés rwandais dans l’ex-Zaïre », le documentaire nous livre, avec une précision déconcertante, tous les éléments qui sont habituellement passés sous silence dans la version dite officielle de ce qu’il s’est passé au Rwanda au cours de la dernière décennie des années 1990.
On retiendra particulièrement les témoignages attestant d’une certaine « complicité » dont a fait preuve le HCR dans la traque macabre de centaines de milliers de réfugiés hutu dans les denses forêts Zaïroises entre les années 1996 et 1997, à l’issue de laquelle « près de 250.000 personnes, à majorité des femmes et des enfants, manquèrent à l’appel ».
La projection a été suivie d’un échange enrichissant avec les réalisateurs espagnols ainsi que Marie-Béatrice Umutesi et Benoit Rugumaho, deux survivants qui avaient fait le déplacement pour l’occasion, avant de donner lieu à plusieurs réactions du public, dont celle, très applaudie, de son Altesse Royale le Prince Laurent de Belgique qui s’est dit « bouleversé » par le documentaire :
“Les rwandais ont vécu un enfer, des choses éprouvantes que nous ne pouvons pas mesurer, il faut mettre à profit cette expérience pour permettre à d’autres de ne pas sombrer dans les mêmes crimes, le peuple rwandais peut jouer un rôle international fondamental dans la paix» a-t-il lancé au public.
Près de 120 personnes ont assisté avec émotion, et pour certains, avec soulagement à un documentaire qui vient enfin compléter une histoire du Rwanda, trop souvent partiale ou trop souvent partielle, où les rwandais sont sans cesse divisés en bourreaux d’un côté et victimes de l’autre suivant leur ethnie.
Les réactions du public ont été ponctuées par une prise de parole remarquée de Joseph Matata, infatigable défenseur rwandais des droits de l’Homme qui a confié son émotion tout au long du visionnage «je suis déjà intervenu dans plusieurs documentaires consacrés à l’histoire du Rwanda, et j’ai à chaque fois assisté à leurs projections. Tous étaient émouvants, mais c’est la première fois que cela m’arrive de pleurer à chaudes larmes tout au long d’un documentaire. »
Dans son mot de remerciement, Gustave Mbonyumutwa, président de Jambo, l’asbl qui avait organisé cette première projection en Belgique, a déclaré que « ce documentaire est une contribution extrêmement précieuse en vue de permettre à la tragique récente histoire du Rwanda, d’être complète, et ainsi, « restaurer la dignité de toutes les victimes » comme l’expliquait le réalisateur au moment d’évoquer ses motivations à le produire. ».
Sa Majesté le Prince Laurent de Belgique en discussion avec les auteurs du documentaire et le Président de Jambo asbl
« Victimes of Impunty » l’un des films à l’affiche
Les auteurs du film ainsi que des rescapés Hutu ont eu l’occasion de répondre aux questions des spectateurs
Le documentaire a fait salle comble pour sa première
Le White Cinema de Bruxelles, le cadre somptueux qui a accueilli la première du documentaire
Le mardi 25 juin 2013, après avoir passé 1075 jours en prison, la journaliste rwandaise Saidath Mukakibibi retrouvait la liberté après avoir purgé une peine de trois ans de prison pour « atteinte à la sureté de l’Etat, négationnisme, divisionnisme, diffamation du président Kagame ». Ce mardi 25 juin 2019, jour anniversaire de sa sortie de prison, elle a accordé une interview à Jean-Claude Mulindahabi dans laquelle elle revient sur l’état actuel du journalisme au Rwanda. Jambonews reprend quelques points de son interview.
La perte de la déontologie journalistique
Selon elle, le journalisme au Rwanda ne suit plus la déontologie du journalisme, le métier est devenu un journalisme de propagande. C’est un journalisme qui n’est pas indépendant et qui informe selon les souhaits des tiers (Les hommes forts du pouvoir ndlr). De ce fait c’est un journalisme qui ne fait pas avancer les idées comme les autres métiers. Elle souhaite pour sa journée anniversaire que « nous contribuions tous à faire avancer le Rwanda et les Rwandais, que nous nous mobilisions tous pour laisser le monde dans un meilleur état que celui dans lequel nous l’avons trouvé. Nous devons tous nous mobiliser pour que le journalisme fonctionne selon les règles de l’art et obtienne des avancées pour le peuple ».
Les causes de la perte du journalisme indépendant
Pour elle, il y a plusieurs causes à la dégradation de la qualité du journalisme au Rwanda. D’un côté les journalistes ont leur part de responsabilité : « Chaque journaliste doit comprendre que la liberté et l’indépendance ne se demandent pas, elles s’acquièrent. Le journaliste doit déterminer s’il veut informer en toute liberté, à qui est destinée l’information, quel est le bénéfice pour les Rwandais, s’il éclaire les autorités sur ce qui ne fonctionne pas dans le pays pour que cela puisse être corrigé. » D’autre part, elle a observé deux soucis majeurs dans le métier qui sont passés sous silence par les journalistes eux-mêmes. La commission supposée garantir et plaider pour un journalisme indépendant au Rwanda en assurant l’autocontrôle des respects des règles de l’art par les journalistes, la Rwanda Media Commission (RMC), n’est pas officiellement inscrite dans l’administration. Cette commission n’a pas de statut connu qui définisse son fonctionnement. L’organisme pour la bonne gouvernance, le Rwanda Governance Board (RGB), fait trainer les formalités pour définir son statut. « Comment cette commission peut-elle plaider pour les journalistes alors qu’elle n’a pas de statut officiel ? ». Le premier président de la RMC, Fred Muvunyi, avait notamment démissionné en 2015 avant de quitter le pays et fuir en Allemagne.
Le second souci, pour elle, c’est l’association rwandaise des journalistes, la Rwanda Journalists Association (ARJ), qui n’a plus de dirigeant depuis deux ans. L’association fonctionne avec un secrétariat exécutif mais sans comité exécutif la fin du mandat du précèdent comité, il y a deux ans. Pour Mukakibibi, l’absence d’institutions solides supposées garantir la liberté de la presse est une entrave à l’existence d’un journalisme indépendant au Rwanda.
Une répression source de la pauvreté des journalistes
Pour expliquer pourquoi les journalistes rwandais ne parlent pas suffisamment de la pauvreté, l’un des problèmes majeurs de la population rwandaise aujourd’hui, Mukakibibi a donné des exemples d’incidents survenus lors de la présentation de Callixte Nsabimana à la presse le 17 mai 2019. Le porte-parole du Rwandan Investigation Bureau (RIB) Modeste Mbabazi a ordonné à un journaliste présent de supprimer une publication qui ne lui avait pas plu. Devant tous les journalistes, il a aussi pointé du doigt quelques-uns d’entre eux et les a accusés d’être du côté de Callixte Nsabimana et de travailler avec ceux qui vivent en dehors du Rwanda. « Je faisais partie de ces journalistes pointés du doigt », ajoute-t-elle. Pour elle, les journalistes qui veulent gagner leur vie par leur travail n’osent plus informer par peur que leur travail ne soit pas publié (un manque de salaire à gagner pour eux, ndlr), et par peur de représailles. Ainsi, les seuls journalistes qui ont les moyens au Rwanda sont ceux qui collaborent avec les autorités, et ils ne rapportent pas sur tous des sujets contrôlés comme celui de la pauvreté. Et pour les autres, il est difficile de parler de la pauvreté du peuple quand ils sont eux-mêmes pauvres et qu’ils n’ont pas les moyens d’aller investiguer sur le terrain.
En comparant l’état du journalisme en 2010 et en 2019, Mukakibibi a constaté qu’en 2010 les journalistes pouvaient encore écrire leurs idées, et qu’elle a fait partie des derniers journalistes emprisonnés pour leur métier. « S’il n’y a plus des journalistes qui vont en prison pour avoir exercé leur métier, c’est que les journalistes n’osent plus s’exprimer librement. »
Selon Freedom House, une ONG qui étudie l’étendue de la démocratie dans le monde, la presse n’est pas libre au Rwanda, et selon Reporters sans frontières, le Rwanda se classe 155èmesur 180pays en matière de liberté de la presse.
Saidath Mukakibibi a également tenu à remercier son entourage de l’avoir soutenue pendant ses années en prison. Elle tient un journal depuis le 6 septembre 2013, le MontJali News, même si celui-ci est exclu de toutes les aides publiques. Elle déplore que le RGB distribue les aides publiques de soutien au métier dans des conditions opaques. « Les aides sont accordées par téléphone, on entreprend des formalités administratives pour solliciter les aides et on apprend qu’un tel a été informé au téléphone qu’il a été retenu pour recevoir des aides. Les critères d’attributions ne sont pas rendus publics et un journaliste qui n’a rien publié en trois mois peut être retenu. »
Elle a terminé son interview en souhaitant que « les journalistes ne soient plus emprisonnés pour leurs idées, que dénoncer ce qui ne va pas au Rwanda ne soit plus vu comme ne pas aimer son pays mais plutôt comme une façon de mettre en avant ce qui nécessite d’être corrigé. »
Elle souhaite pour le Rwanda, une presse libre et indépendante au service du peuple rwandais.
« Les services Belges ont été informés de l’existence d’escadrons de la mort rwandais en Europe », cette phrase prononcée par le chef du comité de contrôle des services de renseignements belges en juin 2018 a été le déclencheur d’une vaste enquête de la rédaction de Jambonews. Pendant près d’un an, de Bruxelles à Kigali en passant par Paris, nous nous sommes intéressés aux réseaux de renseignements et de sécurité rwandais en Europe que les autorités belges désignent comme des « escadrons de la mort ». Nous avons eu l’occasion de rencontrer une dizaine d’individus impliqués directement ou indirectement dans ces réseaux de renseignement rwandais opaques. Ils ont accepté de nous parler et nous raconter les tenants et les aboutissants des activités obscures menées sous la coordination de l’ambassade du Rwanda à Bruxelles. Leur anonymat a été préservé pour des raisons de sécurité*.
En 2014, sous l’impulsion des autorités politiques et militaires de Kigali, les services de renseignements ont instruit à l’ambassade du Rwanda à Bruxelles de mettre en place un réseau de sécurité et de renseignement en Belgique. Ce projet est nommé « Intervention Group ». Tout au long de l’année, l’Ambassadeur du Rwanda à Bruxelles de l’époque, Robert Masozera a tenu plusieurs réunions au cours desquelles les contours, le fonctionnement et les objectifs de cette « Intervention group » ont été dessinés. A l’initiative, le général-major Jack Nziza a confié ce projet au lieutenant-colonel Franco Rutagengwa et au brigadier-général Francis Mutiganda. Le premier était le chef de la Directorate Military Inteligence (entité devenue Defense Intelligence Department) et le second était responsable des renseignements extérieurs au sein de la National Inteligence Security Services, les deux hommes ont pris en main le projet.
L’ « Intervention group » a vu le jour au courant de l’année 2014 sous la forme d’un service de sécurité et de renseignement officieux pour le compte des autorités rwandaises en Europe. Il a pour vocation d’être déployable sur l’ensemble des états d’Europe occidentale. Il a un quintuple objectif :
– Déstabiliser les activités, actions et projets de l’opposition politique ; – Mener des activités de renseignement au sein de la communauté rwandaise en Europe ; – Mener des activités de renseignement après des personalités ainsi qu’au sein des institutions et organisations politiques locales et internationales présentes en Belgique (pouvant avoir un intérêt stratégique pour le Rwanda) – Protéger les membres de la diaspora qui soutiennent le pouvoir du FPR ; – Assurer la protection des personnalités et surtout celle du Président rwandais Paul Kagame lors de ses déplacements en Europe.
Fin 2014, une dizaine d’individus soigneusement triés ont été envoyés au Rwanda afin d’y suivre une formation idéologique, militaire et en matière de renseignement assez poussée. Parmi eux, on retrouvait Victor Kayumba, Abou Uwase, Gustave Mukunde, Claude Birasa, Claude Muvunyi, Olivier Jyambere, Lewis Murahoneza, Florent Kamanzi ou encore Octave Nyangabo. C’est autour de cette petite dizaine que s’est formé l’ossature de l’« Intervention group ». De retour en Belgique, ces individus se sont structurés petit à petit.
Le groupe est organisé en 3 cellules : Une cellule Mobilisation, une cellule Finance et une cellule Appui qui a en charge toute l’organisation logistique. Le groupe d’intervention a à sa tête Victor Kayumba. A la coordination générale on retrouve un duo : Gustave Ntwaramuheto et Eulade Bwitare. Le premier est Chargé d’affaires à l’ambassade du Rwanda de Bruxelles. Le second est un ancien Capitaine au sein du FPR-APR, démobilisé en 2003, il avait été nommé conseiller à l’ambassade rwandaise à Bruxelles au lendemain de la prise de pouvoir du FPR. Il est resté très influent au sein du parti au pouvoir, c’est un proche de Jack Nziza et il est respecté par les durs du régime. Il se présente aujourd’hui comme « consultant » pour l’ambassade du Rwanda à Bruxelles. C’est un fin connaisseurs des arcanes belges, où il vit depuis plusieurs années, on le décrit comme « un stratège calme et sage mais capable des pires cruautés ».
Les critères de recrutement sont diversifiés, selon Jean*, un des membres qui a rejoint le groupe en 2014, « la majorité a été approchée parce qu’ils partagent la même idéologie de soutien au FPR et à Kagame, mais beaucoup sont attirés par l’attrait financier, les voyages et le statut social que procurent le fait de travailler dans un groupe qui a parfois la charge de la protection du Président ». Mais d’autres rejoignent le groupe pour des raisons plus obscures : « Certains se vantent publiquement d’avoir eu la promesse que les poursuites judiciaires dont ils font l’objet pour leur participation présumée au génocide perpétré contre les Tutsi seront levés. Ils se targuent d’être intouchables par la justice belge car l’ambassade leur a promis de les protéger coute que coute ».
Le Lieutenant-Colonel Ruki Karusisi prend de plus en plus de place dans le pilotage de l’« Intervention group »
Le groupe est piloté et reçoit ses instructions directement des durs du régime. A l’origine, parmi les principaux parrains, on retrouvait le major-général Jack Nziza, ex-Inspecteur général des Forces de défense rwandaises, le brigadier-général Dan Muyunza, Inspecteur général de la Police rwandaise, le lieutenant-général Karenzi Karake, ex-conseiller en matière de défense du Président Kagame, le major-général Joseph Nzabamwita, actuel chef des Services Nationaux de Renseignement et de Sécurité (NISS), ou encore le brigadier-général John Gashayija, ex-commandant de la Reserve Force dans la région du Sud. Depuis quelques années le lieutenant-colonel Ruki Karusisi, ex-chef des opérations au sein de la Republican Guard et récemment promu chef adjoint des forces d’opération spéciales, prend lui aussi de plus en plus de place dans le pilotage de l’« Intervention group ».
Selon Jean*, il arrive même que certains des durs du régime, malgré les mandats d’arrêt internationaux sur le dos de certains émis par la justice espagnole pour génocide, crimes contre l’humanité, crimes de guerres et terrorismefassent le voyage en Belgique. « Parfois certains d’entre eux se déplacent et viennent en Belgique pour des missions bien spéciales mais le plus souvent c’est Didier Rugina qui fait les allers-retours. C’est lui qui fait le messager quand c’est vraiment nécessaire. » Didier Rugina a fait toute sa carrière dans les renseignements rwandais, il est actuellement en charge du desk Europe au sein de la NISS.
L’ambassade du Rwanda à Bruxelles : épicentre de « l’Intervention group »
L’ « Intervention Group » est directement piloté depuis l’ambassade du Rwanda à Bruxelles par Gustave Ntwaramuheto. Originaire de la région du Bugesera, il pilote l’ « Intervention group » depuis 2015 date à laquelle il a été nommé 1erconseiller de l’Ambassade du Rwanda à Bruxelles. Il remplaçait officieusement Joseph Uwamungu qui était anciennement en charge de tout le volet renseignement et sécurité au sein de la représentation rwandaise en Belgique. Au début des années 1990, avant même d’avoir terminé ses études secondaires, il rejoint l’Armée Patriotique Rwandaise où il sera affecté à la branche en charge des renseignements militaires, la Directorate Military Intelligence (DMI). Il restera ratacher aux Services de renseignement toute sa carrière même durant ses études de Sciences sociales à l’Université Nationale de Butare.
Très discret on ne le voit que très peu dans les sorties mondaines de la capitale bruxelloise. « Parfois, il passe en coup de vent au bar Chez Maria, au bar Umbrella ou dans les pubsavec Jean-Bosco Ntibitura pour regarder un match de foot » poursuit Jean*. Gustave Ntwaramuheto semble constamment à la tâche, « si vous le cherchez, vous le trouverez souvent du côté du boulevard Saint-Michel au bar The Open où il a ses rendez-vous professionnels ». « L’Ambassadeur », comme Gustave, se fait appeler par le personnel de The Open, y dispose même de sa table à l’abri des regards indiscrets. « Il travaille beaucoup, il est constamment en train de développer son réseau, je dirais que sa seule distraction c’est ses nombreuses conquêtes féminines » conclut Jean*.
Gustave Ntwaramuheto est proche de Louise Mushikiwabo, actuelle Secrétaire générale de l’Organisation International de la Francophonie et ancienne toute puissante Ministre des Affaires étrangères du Rwanda, il a récemment été promu au rang de Chargé d’affaires à l’Ambassade du Rwanda à Bruxelles.
Gustave Ntwaramuheto et Eulade Bwitare
Les piliers du réseau
En peu de temps Gustave Ntwaramuheto a réussi à se créer un réseau d’informateurs sur lesquels il fonde ses actions. On peut citer Honorine Uwamurera, divorcée d’un ancien officier de l’armée belge, c’est l’un des piliers de son réseau, elle lui est très utile pour ses connaissances approfondies du tissus sociétal rwandais. « Même si Gustave est très dynamique, il a une certaine méconnaissance historique et sociétale de la communauté rwandaise. Il s’appuie beaucoup sur Honorine pour toutes ses zones d’ombres » nous confie Pascal*, un proche de Gustave Ntwaramuheto. Un autre pilier du système de renseignement mis en place par le chargé d’affaires de l’ambassade du Rwanda est Patrick Bwito. Ce collaborateur de Rwandair a réussi à s’infiltrer au plus près des services de l’aéroport de Zaventem. Cela permet à Gustave Ntwaramuheto de récupérer des listes de passagers et ainsi contrôler les allées et venues des ressortissants rwandais à partir de Bruxelles. Gustave Ntwaramuheto, n’hésite pas non plus à utiliser des « muzungu » (blanc en Kinyarwanda) pour des missions spéciales. Par exemple : « Jean-François Cahey, un proche d’Eulade Bwitare, qui a épousé une rwandaise très active dans la diaspora qui s’appelle Nadia Kabalira, est régulièrement utilisé pour approcher les blancs ou pour toute mission qui nécessite une personne non-typée rwandaise » nous confie Marie*, proche du couple Cahey-Kabalira. Lors d’une manifestation de l’opposition rwandaise en mai 2017, Jean-François Cahey avait ainsi été envoyé au sein de la foule pour ramener des photographies des manifestants présents. « Quand nous lui avons demandé qui il était et pourquoi il faisait des photos portraits des personnes présentes, il nous a dit en balbutiant qu’il était journaliste chez Belga et qu’il avait oublié sa carte de presse » témoigne l’un des organisateurs de la manifestation.
Les activités obscures de l’Ambassade et de l’« Intervention group » demandent pas mal de moyens financiers. Afin de contourner les voies traditionnelles de transfert d’argent, « l’Intervention Group » fait appel à Rwanda cash. C’est une association sans but lucratif qui propose des services de paiement et de transfert d’argent entre le Rwanda et la Belgique. En 2013, L’Autorité belge des services et marchés financiers (FSMA) avait mis le public en garde contre les activités de Rwanda Cash asblen enjoignant les usagers à ne pas « donner suite aux offres de services financiers émanant de Rwanda Cash asbl » en raison du non-respect de la réglementation en vigueur[1]. Malgré le fonctionnement opaque et peu transparent, Rwanda Cash a poursuivi ses activités sous la direction de Ramadhani Nsengiyunva et Selemani Niyitegeka, l’asbl a ainsi continué à œuvrer pour le compte de l’ambassade du Rwanda et donc de l’ « Intervention group ».
Lobbying ou trafic d’influence ?
La ligne entre un lobbying légal pratiqué par tous les états et le trafic d’influence semble être devenue inexistante quand il s’agit des activités coordonnées par l’ambassade du Rwanda à Bruxelles. L’utilisation de femmes pour approcher des hauts fonctionnaires et des hauts responsables politiques et économiques belges est une pratiquante courante. Marie*, qui a été approchée par un membre de l’ « Intervention group » pour une mission bien spéciale nous apprend que Gustave Ntwaramuheto dispose « d’une liste de jeunes femmes qui sont prêtes à se donner à qui que ce soit si il leur demande ». Un ancien Collaborateur du sénateur belge Alain Desthexe, soutient de longue date du régime de Paul Kagame, nous a confié qu’il a « longtemps pensé que la proximité d’Alain avec les femmes rwandaises était juste un péché mignon avant qu’une d’elles n’avoue que si elle n’avait pas été payée elle ne serait pas là avec un vieux comme Desthexe ». Diane*, proche de Gustave Ntwaramuheto, nous a confié que « lors des événements officiels, Gustave observe constamment les hommes qui ne sont pas insensibles aux atouts physiques des femmes rwandaises. Quand il en voit un qui a régulièrement les yeux baladeurs, la fois suivante, il fera assoir une belle jeune rwandaise qui sait s’y faire à coté de lui. ». Avant de conclure : « Regardez les placements des personnalités lors du dernier Rwanda day à Gand et vous comprendrez.»
L’Ambassadeur Amandin Rugira le jour de sa remise des lettres de créances au Roi des belges au coté de Jean-Bosco Ntibitura, Premier Secrétaire – en charge des Affaires consulaires et de Gustave Ntwaramuheto
L’ambassade n’hésite pas à recourir à des moyens litigieux pour atteindre ses objectifs. Un des traducteurs au service du secrétariat général des ACP (Groupe des États d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique) nous a raconté une histoire survenue en 2018 au plus haut de la crise diplomatique entre le Rwanda et le Burundi: « Avant chaque événement officiel les orateurs nous fournissent leurs discours afin que nous puissions préparer à l’avance la traduction. Les services rwandais ont reussi à se procurer curieusement le discours du representant burundais auprès d’un de mes collègues. Ils ont alors réussi à changer l’ordre des discours afin que le chargé d’affaires rwandais puisse s’exprimer avant le Burundais. Ainsi le diplomate rwandais a démonté un à un les arguments que la délégation burundaise prévoyait d’exposer dans leur discours qui devait suivre.L’ambassadeur burundais a paru ridicule aux yeux de tous ceux qui étaient présents». Les ACP semblent d’ailleurs avoir beaucoup d’intérêt pour l’ambassade du Rwanda à Bruxelles. Le piratage informatique est une autre arme utilisée par l’ambassade. Selon Pascal*,« Gustave s’était donné l’objectif de pirater les services informatiques du secrétariat général des ACP, je ne sais pas vraiment ce qui l’y intéressait mais je crois savoir qu’il y est parvenu ».
Gustave Ntwaramuheto s’est construit un réseau d’informateurs et de relais dans les différentes institutions internationales présentes en Belgique mais aussi dans les différents ministères et organisations locales belges. Jean* nous a raconté le schéma d’approche mis en place : « Quand nous avons besoin d’une information particulière, on sait où aller la chercher. Dès qu’un Rwandais occupe un poste potentiellement intéressant dans une organisation ciblée, on l’approche subtilement. Parfois la séduction idéologique suffit. Quand la personne est plus coriace, Gustave sait activer différents leviers pour qu’il penche de notre côté. Généralement l’attrait financier est suffisant mais d’autres fois, il recourt au chantage : menace de ne plus fournir de visas, mise en difficulté sur des biens immobiliers et des investissements commerciaux au Rwanda, pression sur un dossier judiciaire,… Tout est bon pour que cette personne puisse être utilisée. On a des gens bien en poste qui nous remontent toute information utile. Ils peuvent également rendre de petits services. Un exemple concret : Il arrive que des gens comme Gaston B. ou Chico N., qui bossent dans des CPAS à Bruxelles, bloquent les dossiers de personnes qui nous dérangent ou fassent passer les dossiers de gars à nous ».
Dans ce dispositif global, l’Ambassadeur Amandin Rugira n’a que très peu d’influence. Sur un ton sarcastique, Pascal* nous a confié « Il n’est pas vraiment respecté et il n’est jamais mis au courant des actions menées. Entre nous, on l’appelle le « singe » mais il accepte cela très bien. » . Il semble néanmoins qu’il ait un peu plus d’influence que son prédécesseur Olivier Nduhungirehe qui « Lui était absolument méprisé de tous». Pour Jean*, l’Amb. Amandin Rugira a néanmoins un peu plus de poigne que son prédécesseur comme quand : « il a tapé du poing sur la table pour le manque de discipline au sein du groupe et contre ceux comme Claude Birasa qui se servent régulièrement dans la caisse de l’Ambassade. » Ces problèmes de discipline ont d’ailleurs conduit Gustave Ntwaramuheto et Vicky Kayumba à décider du renouvèlement d’une grande partie des effectifs du groupe d’ici la fin de l’année 2019 « pour faire rentrer du sang frais » poursuit Jean*.
Des « escadrons de la mort » rwandais en Europe
En juin 2018, Guy Rapaille, l’emblématique et ancien chef du Comité R, organe supervisant tous les services de renseignements comme la sûreté de l’État et son homologue militaire, le SGRS (Service général du renseignement et de la sécurité), a lâché une véritable bombe qui est passée inaperçue à l’époque. Dans une interview accordée au journal Le Soir et au magazine Knack, il révèle que les services Belges « ont été informés de l’existence d’escadron de la mort rwandais en Europe ». Pointant du doigt les services rwandais, Guy Rapaille avait déploré leurs activités illégales en Belgique : « le principe est simple : quand des services secrets étrangers déploient des opérations ici, ils sont censés informer les services belges. Cela se passe bien avec la plupart des pays mais il y a des services étrangers qui ne travaillent pas comme ça ». La situation semble tellement préoccupante, qu’encore hier, le 17 juin 2019, Paul Van de Voorde, le nouveau patron de la SGRS a placé le Rwanda aux côtés de la Chine et de la Russie « dans le top des priorités du renseignement militaire belge ».[2]
En août 2015, le média flamand Het Belang van Limburg a révélé que le régime au pouvoir au Rwanda tenterait d’éliminer des dissidents et des opposants en Belgique. Kigali utiliserait pour cela des commandos performants envoyés en Belgique. Révélant au passage que la Sûreté de l’Etat aurait déjà dû fournir sa protection à plusieurs personnes.Le média a révélé notamment le cas d’une journaliste canadienne, Judi Rever, auteur d’articles critiques à l’égard du régime du président rwandais Paul Kagame qui avait dû lors d’une visite de travail d’une semaine en Belgique, se déplacer en Mercedes blindée accompagnée de deux agents de la Sûreté. La journaliste canadienne avait ainsi confié qu’un agent fédéral l’avaitinformé du fait que : « la Belgique avait de sérieuses informations selon lesquelles l’ambassade rwandaise à Bruxelles constituait une menace pour moi ».
Serge Ndayizeye
Un autre cas est celui de Serge Ndayizeye, coordinateur et journaliste de la Radio Itahuka, média en ligne appartenant au Rwanda National Congress (RNC), parti politique rwandais d’opposition en exil. Cette radio, très critique envers le régime rwandais, est dans le viseur des autorités rwandaises qui ont à plusieurs reprises réclamé sa fermeture par les autorités américaines. En juin 2017, Serge Ndayizeye résidant aux États-Unis, avait exceptionnellement fait le déplacement en Belgique afin de couvrir la visite de Paul Kagame à Bruxelles. Sous la coordination de Gustave Ntwaramuheto et d’un officier de la NISS du nom de Rwahama, une équipe a été constituée afin « d’éliminer » Serge Ndayizeye durant son séjour bruxellois. Cette équipe était composée de membre de la Republican Guard et soutenue logistiquement par « l’Intervention group ». « Nous savions que Serge se rendait souvent chez une proche d’une certaine Marie-Rose Nkezabera. Nous savions qu’il dormait même parfois chez cette proche de Marie-Rose. Nous avions alors demandé à Marie-Rose de s’informer discrètement et à l’insu du logeur à propos des dates et heures où il s’y rendrait. Nous devions l’y appréhender et faire croire à un meurtre pour un règlement de compte» nous a confié Jean*, un membre du groupe.
Heureusement, Serge Ndayizeye, en a été informé: « une équipe de la police fédérale belge s’est lancée à ma recherche pendant plusieurs jours. Quand ils m’ont retrouvé, ils m’ont informé que je courrais un risque très élevé. J’avais le choix entre rester constamment sous leur protection et loger dans une safe house ou alors je devais rentrer par le première avion aux États-Unis. Ils n’ont pas voulu me donner plus de détails » nous a confié le journaliste.
Incidents en marge des visites de Paul Kagame en Europe
Systématiquement à chacune des visites de Paul Kagame en Europe occidentale, la Republican Guard qui accompagne le président rwandais dans chacun de ses déplacements, fait appel à l’ « Intervention group ». Par exemple, en mai 2018, Paul Kagame est invité en France pour une visite qui devait marquer le réchauffement des relations entre le Rwanda et la France. Pour l’occasion, ce n’est pas moins d’une vingtaine de membres de l’ « Intervention group » qui ont fait le déplacement de Bruxelles vers Paris pour porter main forte à la Republican Guard. Parmi eux, on retrouvait : Vicky Kayumba (Chef de l’équipe), Florent Kamanzi, Gustave Mukunde, Prosper Rutayisire, Vincent Kabagema, Olivier Berlamont-Kayiganwa, Eric Muhirwa, Felix Rukundo Butera, Clovis Nkubito, Ndekezi Chico, Kennedy Bizimana, Claude Birasa et Lewis Murahoneza.
A l’occasion de la visite conjointe que devait mener les Présidents Macron et Kagame au Salon des nouvelles technologies de Paris, Vivatech, près d’une centaine de personnes avait été recrutée par les services rwandais pour surveiller les alentours, cadenasser les manifestants et veiller à ce que la visite se déroule sans accrocs. « Nous avions des hommes à chaque coin de rue, dans chaque bar, on maitrisait la situation » nous a confié Alain*, un de ceux qui avait été recruté pour l’occasion. Des équipes mixtes entre membres de la Republican Guard de l’ « Intervention group » avaient été organisées sous la coordination du lieutenant-colonel Migabo Callixte, ex-chef des renseignements au sein de la Republican Guard et désormais en charge des opérations et par Tom Gasana, ex-major au sein de la RDF. Didier Rugina, responsable du desk Europe au sein de la NISS, était une nouvelle fois présent pour chapeauter le tout.
Plusieurs incidents se sont déjà déroulés en marge des visites de Paul Kagame à Europe. En mai 2014, alors que le groupe était en train d’être formé, des membres de l’ « Intervention Group » et de la Republican Guard ont attaqué une réunion de membres de l’opposition et de la société civile rwandaise qui se tenait au Parc Royal de Bruxelles. Brave Bahibigwi, ancien Président de Jambo asbl et présent sur les lieux nous a raconté : « Une vingtaine d’individus nous a encerclé, petit à petit ils ont commencé à nous menacer et certains ont sorti des couteaux pour nous intimider. La réunion a coupé court car bon nombre des participants se sont enfuis. ».
Gustave Mukunde, salarié de l’Ambassade du Rwanda à Bruxelles arrêté à Londres en possession d’un poignard
Le 21 octobre 2014, alors que Paul Kagame rencontrait ses soutiens à Londres. Un important dispositif de sécurité avait été mis en place et les membres de l’ « Intervention group » y jouaient un rôle prépondérant. Les manifestants d’origine congolaise étant très nombreux, la Republican Guard de Kagame a décidé d’intervenir pour les intimider. Très virulents et en possession d’armes blanches pour certains, un bon nombre des membres du groupe, sous la coordination d’ Innocent Ndacyayisenga, membre de la Republican Guard, ont été appréhendés par les services de Scotland Yard.Parmi eux figuraient : Gaston Basomingera (Belge), Jean-Bosco Rutaganga (belge), Gustave Mukunde (belge), Olivier Barlamont-Kayiganwa (belge), Jean-Claude Uwagitare (belge), Jean Aimé Nkundabagenzi (belge), et Edwin Mutabazi (rwandais).
Ce n’est pas la première fois que les services britanniques avaient à faire des agents rwandais supposément envoyés à Londres depuis Bruxelles pour des activités obscures. Le 13 mai 2011, Norbert Rukimbira,chauffeur de bus bruxellois et ancien agent des services secrets rwandais avait été interpellé à Folkestone par des officiers de police de lutte contre le terrorisme britanniques avant d’être expulsé, car soupçonné de complot contre deux critiques rwandais vivant à Londres.
En octobre 2015, lors d’un Rwanda Day à Amsterdam, des membres de Jambo asbl et une équipe de journalistes de la VRT (télévision publique flamande) ont été attaqués, menacés et un membre du groupe s’est fait dérober son téléphone par la force. D’après, Norman Ishimwe, à l’époque rédacteur en chef de Jambonews, présent sur les lieux pour couvrir l’évènement pour le compte de Jambonews : « ils nous ont encerclés, ont commencé à nous insulter, à nous menacer et à nous traiter de tous les noms. Ils étaient surexcités.». Les individus ont tenté en vain de s’emparer de la caméra de l’équipe de reporters de la VRT.Ils réussiront malgré tout à s’emparer du téléphone portable de Brave Bahibigwi. Les journalistes Anneke Verbraeken et Serge Ndayizeye se feront plus tard eux aussi dérober par la force respectivement leur téléphone et leur tablette électronique. Enfin, alors que plus tard dans l’après-midi se tenait une manifestation aux abords du centre de conférence qui accueillait le Rwanda Day, Antoine Niyitegeka, commissaire chargé de la mobilisation au sein des FDU-Inkingi, qui animait les manifestants, a été violemment frappé par un groupe de 5 individus mené par Lewis Murahoraneza et un certain Safari Mubenga, deux belges membres de l’ « Intervention group ».
En juin 2017, à l’occasion d’un Rwanda day organisé à Gand, plusieurs opposants rwandais ont été attaqués lors de cette semaine où Kagame était en Belgique. Le Père Athanase Mutarambirwa a été agressé, roué de coups et s’est fait voler son appareil photo dans une embuscade qui visait Thomas Nahimana, ex-candidat déclaré à l’élection présidentielle de 2017. Le Père Mutarambirwa est très engagé sur les questions des droits de l’Homme au Rwanda. Cette attaque a eu lieu aux alentours de Tour & Taxis alors que le Père Mutarambirwa rentrait chez lui après une manifestation hostile à la présence de Paul Kagame en Belgique. Lui et son compère ont été victimes d’une section d’une dizaine de membres de l’ « Intervention group ». Parmi eux se trouvait une nouvelle fois Lewis Murahoneza. D’autres opposants ont vu leur voiture caillassée ou ont été victimes de coups et de provocation sans gravité heureusement.
« Intervention group, » une milice rwandaise en pleine capitale de l’Europe
Le dictionnaire Larousse définit le terme « Milice » comme une « organisation paramilitaire illégale effectuant des actions de commando pour le compte d’un mouvement politique. » Organisé, méthodique et avec un culte du secret très poussé, l’ « Intervention group » a tous les attributs d’une milice. Depuis maintenant 5 ans, cette milice a grandi pour aujourd’hui atteindre près de 100 membres.
Les personnes originaires du Rwanda sont estimées à près de 50000 en Belgique. S’il est compréhensible que les autorités rwandaises s’intéressent à cette communauté, la nature des actions menées à leur encontre allant même jusqu’à la mise en place d’ « escadrons de la mort » est plus que préoccupante.
Certains des membres de l’Intervention group
Traffic d’influence auprès de politiques et fonctionnaires belges, menaces et attaques physiques, vols de téléphones portables, piratage informatique, intimidations en toutes sortes,… les méthodes du réseau de renseignement et d’intervention mis en place par le Rwanda sur le territoire belge inquiètent.
En 2012, Olivier Nduhungirehe, l’ancien ambassadeur du Rwanda en Belgique, aujourd’hui numéro deux de la diplomatie rwandaise avait été interpellé sur les inquiétudes de la sûreté belge à l’égard de la « crispation » du régime Rwandais. Sa réponse ? « On s’en fout de la sûreté belge ». Les autorités politiques belges partagent-elles la même conception ? Au regard de leur silence face à la mort suspecte de deux jeunes belges en Afrique du Sud et de leur inaction face au development d’une milice sur leur territoire, la question mérite d’être posée.
*Tous les noms suivi d’une astérisque sont des pseudonymes utilisés pour préserver l’anonymat des personnes qui ont accepté de nous parler.
Jean : Membre de l’«Intervention group » depuis 2014 Marie : Membre actif de la diaspora rwandaise en Belgique Alain : Membre de l’ « Intervention group » en France Diane : Très proche de Gustave Ntwaramuheto Pascal : Connaissance de longue date de Gustave Ntwaramuheto
[2]LAMFALUSSY, C., (2019, 17 juin) « Le service de renseignement de l’armée dans la tourmente de l’espionnage russe », in La Libre Belgique,n°168, p.10.
Contribution externe: Article d’opinion soumis pour publication par Steve Kabagema
Le président Paul Kagame a été encore une fois égal à lui-même en montrant le mépris qu’il a pour les droits humains qu’il ravit à son peuple. Dans une entrevue diffusée sur France 24 entre le Président Paul Kagame et Neven Mimica, Commissaire européen à la coopération et au développement, le numéro un rwandais s’est emporté quand fut soulevée par la journaliste la question de l’état des droits humains au Rwanda.
Pourtant, les graves violations des droits humains par le régime rwandais sont fort bien documentées tant et si bien que les rapports alarmants s’accumulent années après années. Un groupe de jeunes rwandais ont même récemment lancé un site internet www.rwandanlivesmatter.site pour alerter l’opinion publique sur les violations graves et continues des droits de l’Homme commises par le régime rwandais. Sur cette question, l’homme fort de Kigali défend énergiquement la position que le Rwanda est un pays à part qui n’est en rien concerné par les droits humains universels. Manifestement, à lui seul appartient le privilège de déterminer la définition à donner aux droits humains quand il s’agit de son peuple. La journaliste lui a présenté des questions très simples qui sont posées à tous les présidents rencontrés dans un contexte d’entrevue.
Au lieu d’y répondre en donnant une explication sur les arrestations abusives, les tueries et disparitions sans enquêtes (Assinapol Rwigara, Boniface Twagirimana ; Illuminée Iragena…), les bavures de la police qui tue des réfugiés manifestant pacifiquement et les petits voleurs de nourritures et de bétails, il s’écarte des sujets abordés en s’attardant à d’autres questions : développement du pays, mutuelle de santé pour tous, produits d’exportations augmentés, et j’en passe. Et quand la journaliste insiste pour obtenir les réponses attendues, en esquivant les manœuvres de diversion, le président s’emporte en l’attaquant de front. Sa réaction est digne d’un chef belliqueux confrontant ses opposants et tous ceux qui osent contester son autorité :
« Vous devez arrêter avec votre complexe de supériorité, toute cette absurdité sur les droits de l’homme. Nous, on s’est battu pour les droits de l’homme et la liberté de nos peuples, plus que quiconque, y compris vous qui continuez à parler de cette absurdité. Là, souvenez-vous d’où venait notre pays et où on l’ a emmené, cela parle pour nous. Vous devriez arrêter de dire aux autres quoi faire ou ne pas faire, même si ce n’est pas à votre goût. Mais pour qui vous prenez-vous ?»
Analysons sa réponse : on lui pose la fameuse question sur l’état des droits humains au Rwanda et il s’emporte en se cachant derrière la tragique récente histoire du Rwanda. Mais qu’importe, tel un monarque absolu acclamé par sa Cour, après cette phrase, la toile s’est déchaînée, le Président a été félicité par ses supporteurs. Mais peu parmi eux ne se voient forcés de subir les abus de son pouvoir. On constate que la plupart sont des privilégiés du régime ou comptent parmi la diaspora qui, pour la plupart (et c’est là que réside l’ironie), a probablement fui ce pays pour conserver leurs droits qu’ils chérissent tant qu’ils sont en occident mais qu’ils refusent de reconnaître aux rwandais de l’intérieur. On aurait pu penser que la réponse de Paul Kagame à la journaliste aurait dû embarrasser son vis-à-vis, Neven Mimica, Commissaire européen à la coopération et au développement. Il n’en est rien. Il lui a même donné un appui de taille en ajoutant une couche au mépris envers les droits humains par un tweet de soutien inconditionnel : « Ne créons pas de fausses polémiques. Je ne me suis pas du tout senti attaqué par le Président Kagame lors de notre dialogue sur France24 car ses propos ne m’étaient pas adressés. Notre dialogue est constant, cordial, et constructif, et il le restera.‘’
Le pouvoir absolu du monarque Kagame sur les vies humaines dépasse les frontières du Rwanda. Il s’étend du Rwanda à l’Afrique centrale et Australe jusqu’en Europe dans une violation des droits des citoyens de ces pays (rwandais naturalisés et réfugiés). Il viole en toute impunité la souveraineté de ces pays alors que leurs services de renseignements sont parfaitement au fait de ces agissements. En effet, il y a quelque chose que le Général Kagame sait pertinemment bien. Quand les leaders mondiaux occidentaux parlent des droits humains, il s’agit de leur peuple : ils n’ont aucun respect envers les droits humains des pays africains ou des autres contrées du tiers-monde. Sinon, l’ancien chef rebelle ne serait pas leur cheval de Troie pour aller piller le Congo en se foutant complètement de la perte des vies humaines qui dure depuis des décennies.
Des supporters de Paul Kagame manifestant à Bruxelles en juin 2019
Est-ce dire que Kagame ne connait pas le principe du droit humain? Non, tout simplement, ce concept dans le « pays de Paul Kagame » est à géométrie variable. Les principes universels des droits humains ne concernent que lui ou son entourage(aussi longtemps qu’il se tient tranquille). Pour preuve, lorsqu’il est dos au mur et qu’il doit absolument répondre sur le sujet, il fait remarquer que personne ne parlait de ses droits pendant ses 30 années passées comme refugié. Et maintenant qu’il est au pouvoir, les droits humains se déclinent en termes de développement du pays à savoir les buildings de Kigali (n’a-t-il pas juré qu’il tuerait quiconque oserait détruire le Kigali Convention Center ?), l’augmentation de l’exportation, le pourcentage élevé des femmes au parlement, le bannissement des sacs en plastique, etc… C’est sa réponse toute entendue à chaque question relative aux droits humains au Rwanda.
Personne ne semblait vouloir questionner cette réponse répétée à chaque question dérangeante. Selon les statistiques du gouvernement, depuis 1994, le pourcentage de rwandais sous le seuil de la pauvreté est passé de 77% à 39%, tandis que l’espérance de vie a augmenté de 29 à 67 ans. Ces chiffres sont utilisés et acceptés par la communauté internationale y compris les grandes organisations internationales comme la FMI et la Banque mondiale. Or, il a été démontré que le Rwanda manipule les chiffres sur son niveau de pauvreté et quand bien-même les chiffres présentés ci-dessus seraient vrais, on oublie qu’en 1994 le Rwanda sortait d’une guerre de quatre ans qui s’est soldée par un génocide. Comparer le Rwanda de 1994 au Rwanda de 2019, pour ce qui est de l’espérance de vie et de la pauvreté comme base de comparaison entre le régime de Paul Kagame et celui de son prédécesseur est complètement erroné.
Mais le Rwanda paye des millions et des millions aux firmes de communications internationales les plus réputées pour souligner ses réalisations économiques afin de dissimuler la répression qu’il fait subir à son peuple sous un manteau de paillettes. Pire encore, il faut reconnaître que le développement du Rwanda n’a rien d’extraordinaire quand on compare son dernier indice de développement humain (2018) à celui des pays qui l’entourent.
Les droits fondamentaux des rwandais réclamés par tous font rire à Kagame. Il n’en a cure de ces orphelins qu’il a privé de leurs parents, de ces veuves qu’il a privé de leurs maris, de ces familles qui vivent dans l’espoir de voir un jour revenir un membre de leur famille disparue. À quoi s’attendre en matière de droits humains d’un président qui se targue de tuer ses adversaires, qui menace son peuple de tirer sur lui en plein jour, qui humilie ses ministres et son armée devant la population. Alors que la pauvreté est extrême au pays et que le chômage frappe les jeunes avec des taux records jamais atteints, le Président est en train de remplir ses comptes en banque en vidant les caisses de l’État. Il fait du lobbying pour être invité dans les événements internationaux pour y prendre la parole et ceci pour deux raisons: siéger aux tables d’honneurs dont il raffole et brasser des affaires à son compte. À ses détracteurs qui se moquent de lui en faisant remarquer qu’il n’est jamais au pays, il les nargue outrageusement en multipliant les vols hors-frontières, plusieurs dizaines sur la seule année écoulée. Les rwandais peuvent aller crever, ce n’est pas son problème. C’est un homme d’affaires qui se déplace pour son propre business et qui n’a à rendre des comptes à personne.
Les rwandais doivent prendre leur mal en patience car le respect des droits humains n’est pas pour demain dans le pays de Paul Kagame. En effet, la force du Général rwandais lui permettant de se comporter en vrai tyran est renforcée par une seule chose : la faiblesse des partis d’opposition et ceci pour longtemps encore. Les droits humains au Rwanda sont encore relégués aux calendres grecques.
Un fait inédit, à le voir s’emporter et s’agiter pour une simple question de droits humains dans son pays, cet enfant chéri de l’occident, leader visionnaire et démocrate selon Bill Clinton et Tony Blair, ne tiendrait pas cinq minutes dans un débat électoral et ce même lorsque confronté à un novice de la politique.
King
James, Bruce Melody, Jeanne Butera, Meddy, The Ben Yvan Buravan, le public
rwandaphone s’est habitué aux musiques qui lui divertissent. Depuis septembre
2018, une nouvelle chanteuse a fait une entrée fracassante sur la scène
musicale rwandaise. Elle s’appelle Clarisse Karasira, elle a à peine 21 ans et
a conquis les cœurs des rwandais en seulement quelques mois. Jambonews vous
fait découvrir quelques-unes de ses chansons et revisite quelques chansons classiques
du Rwanda.
Qui est
Clarisse Karasira ?
Les rwandais ont d’abord découvert Clarisse
Karasira comme journaliste, en effet elle a travaillé pendant trois ans à Flash news, elle a notamment fait un
reportage poignant intitulé : « Une journée avec les enfants vivants dans la
rue à Kigali». Elle a décidé d’arrêter sa carrière de journaliste
pour se lancer dans la chanson au moment où elle était une étoile montante du
journalisme rwandais et appréciée par le public. Elle a accordé plusieurs
interviews pour expliquer son choix. Elle a été passionnée par le métier de
journalisme, ce métier lui a ouvert l’esprit sur la société rwandaise et lui a
inspiré les thèmes qu’elle souhaite aborder dans ses chansons. Elle aime
chanter et considère ce talent comme un don que Dieu lui a donné. Elle écrit
elle-même ses chansons, s’inspire de la société et des valeurs traditionnelles,
« elle aime les gens, Dieu et prier,
elle mène une vie simple et aime chanter, un don qu’elle a reçu de Dieu »[1].
Son
style musical
Elle est l’une des rares artistes de sa
génération qui ont fait le choix de la musique traditionnelle « indirimbo gakondo ». Sa voix est
douce, les mélodies de ses chansons sont envoutantes et entrainantes pour ceux
et celles qui pratiquent la danse rwandaise « Urushara – le port des
bras gracieux ». Elle a sorti sa première chanson « Giraneza –
Vis avec bonté » en septembre 2018. Elle a tout de suite conquis le public
rwandophone et est souvent comparée à deux grandes chanteuses rwandaises, dont
les ouvres musicales constituent une richesse et un héritage pour la culture
rwandaise, Cécile Kayirebwa et Annonciata Mutamuliza connue sous le nom de
Kamaliza. Ces deux chanteuses ainsi que Philémon Niyomugabo sont ses chanteurs
favoris.
Quelque
unes de ses chansons
Avant d’entrer dans le vif du sujet, on peut
noter que dans la culture rwandaise la vie est vue comme un voyage sur la
terre. La naissance est une arrivée et la mort est un départ, entre les deux on
effectue un voyage dont on ne connait pas quand arrivera sa fin, les gens que
l’on côtoie sont considérés comme des compagnons de route « abanyarugendo ». Pour faciliter votre lecture, vous pouvez
noter que les paroles de chansons sont retranscrites en Kinyarwanda et traduites en français.
C’est sa première chanson sortie en septembre
2018, elle a un rythme posé. En l’écoutant on apprécie la profondeur des
paroles et il est difficile de résister à effectuer quelques pas de danse. Les
paroles du refrain : « Uzagire neza wigendere, ibyisi n’ibanga
ritaziguye, uzagire neza wigendere ineza izagusanga imbere » veulent dire
« vis avec bonté tu partiras, la
vie sur terre est un secret indéchiffrable, vis avec bonté car c’est la bonté
que tu retrouveras ». Tout au long de la chanson, Clarisse
Karasira appelle les gens à bien vivre avec les autres, à éviter d’alourdir leurs
cœurs avec les choses de ce monde car un jour ou l’autre ils vont quitter ce
monde, elle souligne que vivre bien avec les autres est un héritage que le
peuple rwandais tient de ses ancêtres.
Cette chanson, rappelle celle de Byumvuhore
Jean Baptiste, un autre grand chanteur rwandais qui fait partie du patrimoine
culturel rwandais « Usize
Inkuru Iki ? – Quel
souvenir laisses-tu ? ». Cette chanson rappelle aux rwandais
qu’ils sont de passage sur terre et qu’il ne sert à rien de courir derrière les
choses de ce monde en effet le souvenir qu’ils laisseront est celui qu’auront
d’eux ceux qui partiront après eux. Un
extrait de la chanson : « Wahemukiye
benshi, ufungisha benshi, kandi ubaziza urwango, abasangirarungendo, none
urigendeye ! Warangwaga n’urwango, ishyali n’amatiku, inzika no gohora,
kwirata no gusuzugura, none urigendeye ! – Tu as fait beaucoup de mal à beaucoup des gens, tu as mis beaucoup
de gens en prison et ta seule motivation était la haine, tes compagnons de
route, et te voilà parti ! Tu étais connu pour ta haine, ta convoitise et tes
palabres, tu étais connu pour ta rancune et tes vengeances, tu étais connu pour
ton arrogance et ton mépris pour les autres et te voilà parti ! »
Cette chanson est sortie en février 2019, il
s’agit d’une mère qui donne des conseils à son enfant pour qu’il garde les
valeurs de la tradition rwandaise comme un fondement de sa vie. « Ntizagushuke – que le monde ne te distrait
pas » a pour refrain : « Ntizagushuke
isi nimbi singombwa ngo iguteshe inzira – Que la terre ne te distrait pas,
le monde est mauvais il n’est pas nécessaire qu’il te distraie de tes valeurs ».
Dans la continuité de Giraneza la chanson véhicule les valeurs de la
société rwandaise : L’humilité, le respect et la considération des autres,
la persévérance face aux difficultés de la vie, la résilience « nyuma yubwo buzima hari ubundi buzima
bukomeza umutima – après une page sombre dans une vie, il y a une phase qui
guérit le cœur ».
Cette chanson évoque une chanson de Phocas
Fashaho des années 90 «Ishiraniro – ça passera »,
un père qui racontait à son fils, qui quittait son village pour la capitale
Kigali, les distractions de cette nouvelle vie, la vie de Kigali des années
1990. Il lui demandait de rester lucide sur la fausseté d’une vie basée sur la
richesse matérielle «umuvandimwe na mbere
yitwa ifaranga – ton frère le plus proche sera l’argent ! ». Un extrait de la chanson : « Oh ntugashukwe n’amatara yatse imiturirwa
itatse uruyanjye ngo ucyeke ko ari paradizo. Oh ntugashukwe n’ibizungerezi
N’abagendana n’ibigezweho nyamara imitima ntigerweho Ibyo byose ni agahu ni mu ishiraniro
– Ne te laisses pas distraire par les feux d’artifices en pensant que c’est
le paradis. Ne te laisse pas distraire par les beautés fatales ou ceux qui
suivent la mode, tout cela est superficiel et passera »
Phocas Fashaho a conquis le public rwandais
avec la chanson Ishiraniro sortie
quelques mois avant le génocide. Il est retourné en studio en 2017 et a
expliqué pourquoi il avait suspendu de chanter : « J’étais découragé parce que quand le génocide contre les Tutsi en 1994
a commencé je venais d’avoir les moyens de sortir mon premier album. C’est
tombé à l’eau alors que j’avais entamber des projets de 3 chansons seulement. »[2]
« Twapfaga
iki ? – Que nous est-il arrivé ?» est sortie en avril 2019.
Comme pour « Giraneza » les paroles sont profondes et touchantes. On
ne peut pas résister à l’appel de cette mélodie pour danser. On se questionne
sur son relationnel avec les autres. Les paroles de son refrain sont : «Twapfaga iki? Byamaze iki? Kutajya imbizi
byasize iki? Ntacyo dupfa iby’isi ari ubusa, yeee twapfaga iki?– Que nous
est-il arrivé ? Qu’avons-nous gagné à nous mésentendre ? Nous n’avons rien
l’un contre l’autre quand les choses de ce monde n’ont pas de valeur, que nous
est-il arrivé ? ». Les paroles de cette chanson parlent des
origines des mauvaises relations entre les gens : la rivalité, les places
d’honneur, la haine, la méchanceté, la rancœur… C’est un appel aux rwandais pour
prendre conscience qu’à sa mort, un individu laisse tout cela derrière lui. La
chanson encourage à se reconcilier avec les autres dans le cas d’un
différend : «Ikiruta, dusase inzobe
dusesengure umuzi w’inzigo, ibyo
kurenzaho tukinubira ntabyo ubundi tubimare maze imitima ibohorane twongere
twizihirane ibiduhuza bijye imbere, ibidutanya byimwe intebe – Le mieux disons-nous
la vérité toute nue, analysons la racine de notre mésentente, arrêtons de faire
semblant et crevons l’abcès et dès lors nos cœurs s’apaiseront et nous recommencerons
à bien nous entendre, nous mettrons en avant ce qui nous unit et il n’y aura
pas de place pour ce qui nous sépare».
Le message porté dans cette chanson s’inscrit
dans la continuité d’une question que Jean-Baptiste Byumvuhore avait posé aux
Rwandais dans sa chanson « Bibananiza iki ? – pourquoi vous n’y arrivez pas ? ».
Dans cette chanson Byumvuhore demendait qu’y avait-il de difficile à bien vivre
avec les autres : Aider les autres, avoir la foi, donner le bon exemple,
respecter les autres, aimer les autres… Le chanteur avait souligné que c’est à
la portée de toutes les bourses et de tous les niveaux intellectuels. Un
extrait de la chanson : «Hariho abantu
bahorana urwango, ndetse bakanga abo batazi, hariho abandi bagira amatiku, bagira
ishyari bagasebanya, mbibarize ko amashuri mwayaminuje, n’amafaranga mukayagira,
Roho nzima muyiburira he ? Mbibarize muyiburira he ? – Il y
a des gens qui ont la haine tout le temps, ils en arrivent à détester ceux
qu’ils ne connaissent pas. Il y a les autres personnes qui aiment les palabres,
qui sont jaloux au point de médire sur les autres. Je vous demande, vous êtes
des universitaires, vous avez beaucoup d’argent, pourquoi n’avez-vous pas un
bon état d’esprit ? qu’y a-t-il de difficile ? »
Clarisse Karasira vient de sortir une nouvelle
chanson « Ubuto – la Jeunesse »,
une chanson a-capella que nous vous invitons à découvrir.
La musique traditionnelle rwandaise regorge de
belles chansons qui font les éloges de la société rwandaise : sa beauté,
ses mœurs, ses défauts et ses réalisations. Souvent les chansons encouragent
les Rwandais à s’attacher aux valeurs traditionnelles héritées de leurs
ancêtres. On peut citer « umubano – vivre ensemble ». C’est
Francois Nkurunziza, un grand chanteur rwandais aux chansons profondes au
Kinyarwanda soutenu, qui l’avait chanté, en rappelant qu’il est primordial de
bien vivre avec les autres. Ils sont quelques artistes à souligner que le seul
diplôme requis pour véhiculer ces valeurs est le diplôme de la vie, cette vie
qui ne nous n’appartient pas.
Masabo Nyangezi, ce chanteur connu et aimé par les Rwandais, avait notamment chanté la beauté de chaque ancienne préfecture du Rwanda, pour répondre à ceux qui l’avaient interrogé sur l’essence de sa musique, il avait composé et chanté la chanson « Ndaririmba – Je chante » et de dire « Ndaririmba Ubuzima – Je chante la vie ! ».
Ce 28 juin 2019, un nouveau site rwandais a vu le jour. Rwandanlivesmatter, un cri pour la justice, est une initiative portée par la nouvelle génération de Rwandais, celle qui avait moins de 15 ans en 1994, lassée et désolée de voir que des vies rwandaises sont ôtées au vu et au su de tout le monde dans une indifférence générale. Par exemple fin mai 2019, la police rwandaise a tiré sur deux Rwandais en Ouganda et le sujet retenu par les médias et les diplomates a été de savoir si le territoire ougandais avait ou non été violé par le Rwanda, plutôt que se préoccuper du fait qu’une nouvelle vie humaine venait d’être prise[1]. De nombreux jeunes rwandais ont déploré que l’assassinat de deux Rwandais ait été passé au second plan ou inaperçu, comme si au fil des années l’assassinat de Rwandais était devenu un fait « normal ». Jambonews a rencontré les porteurs de cette initiative pour en savoir plus sur ce projet.
Rwandanlivesmatter : Nous sommes des jeunes rwandais, la notion des jeunes renvoie à une génération qui avait moins de 15 ans en 1994. Pour la plupart nous sommes membres d’associations qui militent pour le respect des droits de l’Homme au Rwanda telles que Jambo ASBL, CLIIR ou encore le Global Campain for Rwandans Rights.
Jambonews : Pourquoi le rendre public en ce moment ?
C’est parce que c’est aujourd’hui que nous le jugeons prêt à être publié après de longs mois de préparation et de mise à jour du contenu. Le site était prêt à sortir et puis est venu le momentumavec l’interview de Paul Kagame sur France 24 qui a choqué beaucoup de Rwandais. C’était sidérant de voir le président du Rwanda considérer que personne n’avait le droit de lui poser des questions sur ces personnes qui disparaissent, qui sont abattues, ou sont arbitrairement détenues au Rwanda. Si Paul Kagame en demandant “Who are you…”pense que les étrangers n’ont pas le droit de lui poser une question sur les droits de l’Homme au Rwanda, alors nous, la nouvelle génération de Rwandais, nous prenons les devants et nous lui rappelons que toutes ces vies ont une valeur et qu’elles aspirent à la justice.
Jambonews : D’où est venue l’idée ?
En 2014 après avoir observé et constaté que quand le gouvernement Rwandais assassine, force à l’exil ou à la disparition une personne ou un groupe de personnes, ces faits sont évoqués dans les médias pendant quelques jours, quelques semaines tout au plus et ensuite les gens arrêtent d’en parler. La ou les victime (s) et/ou l’injustice commise ne sont plus évoquées. Ils tombent aux oubliettes et cela ne fait que fortifier celui qui est derrière ces violations des droits de l’Homme. Nous avons alors décidé de créer un répertoire ou une compilation de toutes les victimes de violations des droits humains par le gouvernement post génocide.
C’est ainsi qu’une liste de victimes par type (Assassinats, tentatives d’assassinats, emprisonnements politiques et Massacres de masse), et par catégorie de victimes (homme d’affaires, médecins, militaires, défenseurs des droits de l’Homme, politiciens, etc) a commencé à voir le jour.
Une première publication a même été faite en 2015 en collaboration avec Jambo ASBL et Global Campain for Rwandans Rights et sous le nom de Kagame’s Death Squads Murder Trail (Les traces des escadrons de la mort de Kagame). Cette première publication consistait en une compilation info graphique des noms, dates et circonstance des faits.
Premièrement ce site envoie un message aux autorités rwandaises et dresse leur macabre bilan sur le plan des droits humains. Ces victimes qui sont listées demandent légitimement que justice leur soit rendue. Ces victimes ne doivent pas être oubliées.
Deuxièmement, ce site sert à montrer au monde entier qu’au Rwanda le gouvernement post génocidea fait et continue à faire d’innombrables victimes depuis qu’il est au pouvoir après la guerre et le génocide contre les Tutsi de 1994. Il sert donc d’aide-mémoire pour ceux qui défendent les droits de l’Homme au Rwanda ou s’intéressent à la situation.
Jambonews : La plupart des victimes semblent être des cas connus, souvent qui ont été couverts par les médias, existent-ils des critères pour qu’une victime figure sur le site ?
Oui, ce sont des cas connus qui ont été couverts par les médias, mais comme cité précédemment, cette couverture n’a duré qu’un maximum de 3 semaines et la justice n’a pas été rendue. La douleur des proches et des membres des familles des victimes demeure, eux comme tous les Rwandais attendent des réponses convaincantes de la part de l’Etat rwandais.
Alors, les informations qui sont contenues dans le site sont tirées du domaine public, dans les médias, dans les rapports de Human Right Watch ou d’Amnesty International et parfois de proches de victimes ou des organisations dont elles faisaient partie. Maintenant que le site est en ligne, nous comptons sur les citoyens rwandais pour nous faire parvenir les informations. Nous espérons qu’ils seront nombreux à participer pour le bien de leurs proches et leurs concitoyens. Pour les critères, nous nous posons quelques simples questions pour commencer. Prenons l’exemple d’un assassinat, étant donné que le Rwanda a aboli la peine de mort depuis 2007, nous nous posons des questions comme : Est-ce que cette victime aurait dû être assassinée ? La réponse est toujours non, car rien ne peut justifier un assassinat. Est-ce que son assassinat était un accident ? Est-ce que les circonstances de cette perte de vie ne laissent pas une place aux doutes ?Et en plus de cela on prend le temps de comparer les versions de ce qui a été rendu public (dans les médias ou par les proches des victimes) et quelques fois nous constatons d’énormes écarts.
Un autre critère est que les faits se soient produits dans la période post génocide.
Nous jugeons utile de souligner que les autorités rwandaises ont la charge de protéger les citoyens. Au lieu de protéger sa population, cesautorités rwandaises ont commis et continuent à commettre des atrocités sur elle.
C’est un # inspiré du mouvement aux Etats-Unis Black lives matter. Nous avons réfléchi à un nom de domaine, et lorsque ce # nous est venu en tête, nous n’avons pas hésité car le message qu’il véhicule est exactement celui que nous voulons véhiculer au travers de ce site.
Nous l’avons déjà dit plus haut, les Rwandais sont régulièrement abattus par la police, par l’armée, ou disparaissent. La plupart du temps cela se fait dans l’indifférence générale. Lorsque les médias en parlent cela dure quelques jours, trois semaines au maximum et la vie continue comme si ces personnes n’avaient jamais existé, comme si leurs vies n’avaient aucune importance.
Le # est d’abord un hommage aux victimes, ne pas permettre qu’elles tombent dans l’oubli. C’est ensuite un message aux familles des victimes, leur dire qu’elles ne seront plus seules face à leur peine, car la douleur des familles ne s’estompe pas après trois semaines, en particulier lorsqu’elles n’ont jamais obtenu de réponses sur ce qui est arrivé à leur proche.
C’est enfin un message au gouvernement rwandais, lui signifier qu’on ne lui permettra plus de continuer à faire des victimes dans l’indifférence générale, pour chaque victime nous lui demanderons de répondre et de rendre des comptes. Le gouvernement a pour rôle de protéger sa population et il n’est pas normal qu’au Rwanda ce soit ce dernier qui soit la première cause d’insécurité auprès des citoyens.
Jambonews : Comment peut-on soutenir cette initiative ?
En diffusant, en vulgarisant et un utilisant l’information contenue sur ce site web pour plaider pour le respect des droits de l’Homme au Rwanda. Le gouvernement Rwandais doit arrêter de verser le sang rwandais et créer des victimes. Par exemple, en nous suivant sur les médias sociaux Facebook ou Twitter.
Nous invitons les Rwandais et les amis du Rwanda à contribuer aux informations qui sont à publier sur ce site web, s’il manque une victime ou si pour une victime les informations ne sont pas complètes (une date, les circonstance etc…manquent), nous leur invitons à nous communiquer ces informations.
Nous invitons les Rwandais et les amis du Rwanda à utiliser ce site web pour dresser le bilan des autorités rwandaises en matière du respect des droits de l’Homme et plaider pour que justice soit rendue pour chaque victime.
Nous tenons à remercier toutes les personnes qui se sont impliquées dans ce projet. Depuis que le site a été rendu public, nous recevons beaucoup des messages d’encouragement des Rwandais et des conseils pour une meilleure visibilité de notre site, alors nous disons merci et que ce site s’inscrit dans la continuité.
Ce n’est pas une affaire de quelques semaines ou quelques mois et ce que nous voulons faire savoir aux rwandais est que ce site n’appartient pas à quelques personnes ou quelques organisations, mais appartient à tous ceux qui sont sensibles à cette question de la nécessité de respecter chaque vie humaine au Rwanda.
Ce mardi 9 juillet 2019, le journaliste rwandais Semana Ndorimana, plus connu sous son pseudonyme de Christophe Kanuma est soudainement décédé à l’hôpital universitaire de Nairobi, ville dans laquelle il vivait en exil et d’où il animait le média ihame.org qu’il avait fondé.
Selon le journal The rwandan qui annonce la nouvelle, le journaliste de 42 ans, a été soudainement pris de malaises non expliqués ce mardi 9 juillet avant d’être conduit à l’hôpital Aga Khan University Hôpital de Nairobi d’où il est décédé.
Dernière publication de Semana Ndorimana sur Facebook
Semana Ndorimana avait travaillé pour différents médias au Rwanda avant de fuir et de s’installer à Nairobi d’où il animait le média Ihame.org qu’il avait fondé.
Il était également connu pour être très actif sur les réseaux sociaux sous le pseudonyme de Christophe Kanuma avec lequel il publiait régulièrement des informations et analyses concernant la situation au Rwanda ainsi que sur le conflit qui traverse la République Démocratique du Congo.
Il était en outre connu pour ses prises de position particulièrement hostiles à Kigali.
Hier le 15 juillet 2019, dans la soirée, les Forces Démocratique Unifiées, les FDU-Inkingiont lancé une alerte pour la disparition d’un de leurs membres au Rwanda. L’alerte a été faite par la voie d’un communiqué de presse.
Eugène Ndereyimana, responsable ad-interim des FDU-Inkingi dans la province Est du Rwanda habite dans le district de Ngoma. Ce lundi 15 juillet 2019, Il devait rencontrer des membres potentiels des FDU habitant dans les districts Nyagatare et Gastibo en province Est du Rwanda. « A midi il était à Bugaragara à 5km du lieu de la rencontre et a informé ses camarades de sa position »Selon Victoire Ingabire, la présidente du parti. C’est la dernière fois qu’il a donné signe de vie. Ses camarades ayant cherché à le joindre sur tous ses téléphones sans succès ont donné l’alerte à 17h00. C’est dans la matinée qu’il avait communiqué avec sa femme pour la dernière fois.
Avant lui, Anselme Mutuyimana avait été retrouvé assassiné le 08 mars 2019, Boniface Twagirimana est porté disparu depuis le 08 octobre 2018, le corps sans vie de Jean Damascene Habarugira a été retrouvé l’hôpital de Nyamata le 8 mai 2017, Illuminée Iragena est portée disparue depuis le 26 mars 2016 et 10 autres membres des FDU-Inkingi restent en prison.
Les FDU-Inkingi expriment leur inquiétude et demandent au gouvernement rwandais de mettre tout en ouvre pour retrouver Eugene Ndereyimane et de poursuivre ceux qui l’auraient enlevé.
Avant cet incident, Eugene Ndereyimana avait été arrêté par des responsables locaux et des militaires le 3 septembre 2018 et avant d’être relâché dans la foulée.
Face aux cas répétés de disparitions et assassinats non élucidés au Rwanda, un site a récemment été lancépour sensibiliser l’opinion sur ces cas et réclamer des actions concrètes pour leur arrêt.
Ce jeudi 18 juillet 2019, les membres des FDU Inkingi arrêtés au début du mois de septembre 2017 ont à nouveau comparu devant la justice toujours en l’absence de Boniface Twagirimana, vice-président du parti qui a disparu depuis le 8 octobre 2018, alors qu’il venait d’être transféré dans la prison haute sécurité de Mpanga.
Devant le tribunal de Nyanza, dans une salle d’audience sous haute surveillance, les avocats des opposants poursuivis ont à nouveau réclamé la libération provisoire de leurs clients qui sont en détention provisoire depuis près de deux ans.
Après qu’un des juges ait fait remarquer que certains accusés avaient avoué les crimes qui leur sont reprochés, Maître Gatera Gashabana a déclaré que ces aveux devaient être écartés au motif qu’ils ont été obtenus sous contrainte.
Selon leur avocat, cité par la BBC, ainsi qu’un partisan des FDU ayant assisté au procès, les membres des FDU ont été torturés, certains présentant des marques de tortures sur leurs corps.
Durant leurs interrogatoires, les partisans des FDU se sont alors vus offrir deux choix par leurs tortionnaires : « avouer les crimes qui leur sont reprochés, ou mourir ». La plupart ont opté pour la première option afin de sauver leurs vies.
288 jours après la disparition de Boniface Twagirimana, le sort du leader de l’opposition reste un mystère. Le vice président des FDU Inkingi aurait-il refusé d’avouer?
Fabrice Epstein est un avocat trentenaire, connu aussi pour être un novateur du droit en l’ « uberisant »[1]. Il a publié en 2019 un livre « Un génocide pour exemple », c’est dans ce cadre qu’il a accepté de nous accorder un interview.
Jambonews : Maître Epstein, merci de nous accorder cette interview, pourriez-vous vous présenter brièvement ?
Fabrice Epstein : Bonjour, merci de m’accorder cette interview. Je suis avocat depuis plus de dix ans. Ma pratique quotidienne s’inscrit dans le droit des affaires. J’interviens également comme avocat de la défense dans des procès de droit pénal international, pour des Rwandais accusés en France de génocide et de crimes contre l’humanité.
Jambonews : Pourquoi ce titre « Un génocide pour l’exemple » quand l’histoire du livre est beaucoup plus qu’un génocide ? On pourrait même dire que c’est l’histoire d’une vie dans laquelle les génocides s’invitent.
Fabrice Epstein:Votre remarque est très juste. Ma vie, si l’on peut dire, est irriguée par le génocide. L’originalité du livre est d’entrelacer la shoah et le génocide des Tutsi, et surtout, de passer d’une position de victime héritée à celle, choisie, d’un avocat de la défense de « présumés génocidaires ». Au départ, le livre devait s’appeler le génocide en héritage. J’avais « hérité » la shoah et le génocide des Tutsi entrait dans ma vie professionnelle et aussi personnelle car, pour de tels sujets, l’un ne peut aller sans l’autre. Après, focalisé sur l’affaire Simbikangwa, le titre a changé pour se concentrer sur le fait que le procès de Simbikangwa avait été un exemple d’une justice pour apaiser les consciences. Premier condamné en France pour génocide, premier condamné en France dans le cadre du génocide rwandais, sur le fondement de témoignages fallacieux, il avait été un génocidaire pour l’exemple. Aussi, la France condamnait un étranger pour génocide, alors qu’elle avait « seulement » condamné les Français ou étrangers impliqués dans la shoah, pour crimes contre l’humanité. Le génocide rwandais était dès lors un génocide pour l’exemple.
Jambonews : Vous avez découvert le Rwanda en 2007 lors d’un voyage dans le cadre de vos études de droit ; avant cette date aviez-vous entendu parler du Rwanda ?
Fabrice Epstein : Oui, j’ai découvert le Rwanda et la Tanzanie à l’occasion d’un voyage d’études. J’ai deux souvenirs très précis de moments télévisuels, lorsque j’étais jeune (c’est-à-dire moins de 13 ans, l’âge où le judaïsme fait de l’enfant un homme) : l’assassinat d’Itzhak Rabin, et les tristement célèbres images d’un interahamwe massacrant des personnes à terre. C’est donc en avril 1994 que j’ai entendu parler du Rwanda, pendant le génocide. Tout le monde était indifférent, cela semblait loin, à la différence de la Yougoslavie. A ce moment-là, je ne pensais pas qu’un jour, je serai proche du Rwanda et des Rwandais.
Jambonews : Quand vous êtes allé au Rwanda, aviez-vous des attentes particulières ?
Fabrice Epstein: Lorsque je suis allé au Rwanda, c’était en 2007, juste après que Bruguière ait rendu son ordonnance. D’ailleurs, nous devions partir en 2006, le voyage a été reporté à cause de l’évolution de l’enquête sur l’attentat de Habyarimana. J’étais vierge de toute connaissance, j’avais simplement lu un livre de Gourevitch, « Nous avons le plaisir de vous informer que, demain, nous serons tués avec nos familles ». Je me posais beaucoup de questions sur la psychologie des Rwandais. Je me demandais si les Tutsis étaient, comme les Juifs, (dans mon imaginaire), les éternelles victimes. Mon voyage au Rwanda et en Tanzanie allaient susciter de nouvelles questions ; surtout l’envie d’en savoir plus car on ne parlait pas du génocide, des ethnies. Et puis, j’avais le sentiment que cette histoire comportait une dose de complexité que je ne réussissais pas à appréhender.
Jambonews : Qu’est-ce qui vous a le plus marqué au Rwanda ? A la fois dans le sens positif ou moins positif ?
Fabrice Epstein :Je suis parti au Rwanda avec des étudiants, ainsi qu’avec un ancien bâtonnier du barreau de Pontoise très impliqué dans la reconstruction du barreau de Kigali, et plus profondément encore dans l’histoire du Rwanda.
J’ai été très étonné de voir un pays où il ne fallait pas parler du génocide. Lorsque je rencontrais des gens dans la rue, je leur demandais quelle était leur ethnie, et aucun ne répondait. Je me disais que c’était étonnant de vouloir mettre tout ça de côté. La parole semblait cadenassée, et j’étais aussi très surpris par le comportement des gens, notamment vis-à-vis des Églises. Le dimanche, le bâtonnier, chrétien pratiquant, nous avait forcés à aller à la messe, et là je voyais des gens qui entraient dans les Églises comme des moutons alors que quelques années auparavant, ils y avaient été massacrés.
Ce qui m’a semblé très positif, étaient les témoignages très nobles des victimes que j’avais pu rencontrer, très différents de ceux auxquels j’ai pu faire face plus tard à la cour d’assises. Peut-être que l’intimité d’une pièce close permettait de dire les choses d’une meilleure façon que dans une enceinte judiciaire où il est question de la responsabilité d’un accusé.
J’espère avoir répondu à la question. Aujourd’hui, on a le sentiment qu’il faut complimenter le Rwanda pour ses avancées technologiques et son positionnement en tant que start-up nation. Ce mythe de la chance pour tous entretient aussi ce nouveau Rwandais, qui ne se définirait plus par son ethnie. Tout cela, c’est un mensonge éhonté, et je crains que ce ne soit pas la bonne solution pour réconcilier des positions antagonistes.
Jambonews : Quand vous avez découvert les tribunaux rwandais, les juridictions Gacaca et le TPIR, auriez-vous imaginé ou parié que quelques années plus tard vous défendriez un accusé de génocide devant une cour d’assisses en France ?
Fabrice Epstein : Non absolument pas. De manière générale, je ne m’imaginais pas forcément en avocat plaidant. A priori, j’allais plutôt passer mon temps dans un bureau à rapprocher des entreprises pour qu’elles se marient et prospèrent dans le bonheur (ce que je fais la plupart de mon temps). Mais je sentais qu’il y avait quelque chose pour moi dans ces procès, car cela dépassait le cadre purement pénal. Un crime a été commis, l’accusé est-il celui qui l’a commis ? Là, il y avait l’histoire, la sociologie, le crime de masse, la réconciliation. C’était comme un cours qui convoquait une multitude de thèmes, d’idées et pour tenir le rôle, il fallait, dans ma compréhension, être plus qu’un avocat, une sorte de professeur, qui explique beaucoup, pédagogue et je me voyais bien dans ce rôle. En écrivant le livre Un génocide pour l’exemple, j’ai retrouvé le rapport de stage que j’avais rédigé à l’issue des voyages au Rwanda et en Tanzanie et je disais assez benoîtement que, quand je serai plus grand, je défendrai un présumé génocidaire. Je ne connaissais pas Pascal Simbikangwa, j’avais assisté à un procès à Arusha, j’étais incapable de me souvenir du nom de l’accusé. Mais j’avais cet espoir d’entrer dans ce génocide, dans ces dossiers. C’était ancré.
Jambonews : Qu’est-ce qui vous a poussé à défendre Pascal Simbikangwa ?
Fabrice Epstein : Lorsque j’étais secrétaire de la conférence (concours d’éloquence organisé par le barreau de Paris, au terme duquel douze « jeunes » avocats sont, pendant une année, désignés comme commis d’office dans les dossiers criminels), j’ai entendu parler du dossier du « capitaine Simbikangwa ». Je raconte cette scène dans le livre, autant qu’il m’en souvienne. Alexandra, notre dixième secrétaire, avait fait savoir aux autres membres de la conférence qu’un Rwandais demandait des avocats commis d’office. Nous avions vaguement entendu parler d’une loi de compétence universelle applicable en cas de crimes de masse. Simbikangwa voulait des avocats parisiens car il était défendu par un avocat toulousain qui ne pouvait se rendre disponible lorsque le mis en examen l’exigeait.
J’ai tout de suite sauté sur l’occasion. Je n’ai jamais vraiment réfléchi au pourquoi. Mais deux raisons me paraissaient évidentes. La première c’est qu’il était question de l’infraction de génocide, et je voulais m’y confronter. La seconde est que j’avais été au Rwanda et en Tanzanie, j’avais le sentiment que cela me rendait légitime pour traiter ce dossier, comprendre la complexité des enjeux etc…Après un vote, où dans mon souvenir le génocide ne suscitait que de l’indifférence ou du désintérêt, Alexandra et moi, nous nous auto-désignions.
Jambonews : Vous dîtes à plusieurs reprises que c’est un dossier où il y a plus de coups à recevoir qu’à donner. Qu’est-ce que vous entendez par là ?
Fabrice Epstein : Oui, c’est une expression que j’ai employée, et qui n’est pas très jolie. Mais l’idée est claire. Aujourd’hui, le discours est univoque. Ce qui n’était pas le cas vingt ans auparavant. Aujourd’hui donc, la doxa est claire : le Rwanda est un pays modèle, qui s’est très sérieusement reconstruit. Depuis 25 ans, Kagame et sa bande de coupe-jarrets sont au pouvoir, ils font le nouveau Rwanda et cela implique de catégoriser utilement et de dresser une peinture aux contours extrêmement précis : les Tutsi sont des saints, massacrés, parce qu’ils étaient Tutsi, les Hutu sont des monstres et ils méritent d’expier leurs crimes jusqu’à la fin des temps. En France, le débat est polarisé de cette façon et qui oserait en prendre le contre-pied serait traité de négationniste. J’ai le défaut de ne pas penser comme la doxa, et encore dans mon approche, j’ai le sentiment d’être très peu dogmatique ou extrémiste, et ce d’autant que mon nom et mon histoire m’autorisent à dire des choses que d’autres ne peuvent pas dire. Pour autant, je suis, avocat de Simbikangwa ou Ngenzi, considéré, par des bienpensants, souvent méchants et agressifs, comme un négationniste. Les coups reçus sont nombreux, je ne les accepte pas, mais je dirais presque qu’ils font partie du jeu. Ce que je regrette, c’est que de l’autre côté, on ne veut pas jouer. On ne veut pas débattre, on ne veut pas discuter, on a peur de confronter ses idées et cela s’est beaucoup ressenti dans le traitement médiatique de mon livre, pas ou peu de presse. Une volonté de ne pas évoquer ce qui au fond est un témoignage, qui embrasse le génocide des Tutsi (et qui embarrasse également !), mais également une histoire personnelle qui essaie de transcender une position victimaire héritée.
Une dernière réflexion. Les coups pris ne font que renforcer, et malgré la déception, il m’est impossible de sortir de cette question rwandaise. Les coups rendent donc plus forts !
Jambonews : Si la France juge des présumés génocidaires c’est parce qu’elle s’est dotée d’une Compétence Universelle. Quels sont les points forts et les points faibles de cette CU ?
Fabrice Epstein : Bien sûr, la compétence universelle est une bonne idée. Juger un étranger pour le crime des crimes, bien que commis à l’étranger, lorsque la personne accusée du crime réside sur le territoire français, c’est une idée importante, belle et qui peut trouver beaucoup de justifications. Le problème de la compétence universelle, du moins en France, c’est son application, voire son applicabilité. C’est-à-dire que la France n’a pas les moyens de ses ambitions. Le code de procédure pénale n’est pas adapté pour la tenue d’un tel procès. L’exemple des droits de la défense est le plus saillant : les avocats de la défense ne disposent pas des mêmes moyens que l’accusation : moyens financiers ou procéduraux. La conséquence est que parfois, la cour qui juge en vertu de la compétence universelle, pourrait se retrouver dans une impasse. Demandez à la cour d’assises de se déplacer au Rwanda pour juger des distances entre les habitations, ou tout simplement pour voir, s’imprégner, elle ne peut le faire car les textes de droit français ne le lui permettent pas. C’est absurde, et cela ne semble choquer personne. Ce qui est gênant avec la compétence universelle telle qu’elle existe, c’est que le procès devient un procès pour l’exemple. C’est l’idée de génocide que l’on condamne, le droit n’est plus d’aucun secours, et ça, l’accusé le ressent.
Je ne dis pas que la compétence universelle est une mauvaise chose, elle devrait être réformée, si elle ne veut pas devenir l’incompétence universelle.
Jambonews : Dans votre livre on comprend que vous aviez mis plusieurs mois à comprendre la complexité du contexte rwandais, pensez-vous que dans une cour d’assises les jurés ont le temps de la saisir ?
Fabrice Epstein : C’est une question importante. J’ai mis de très nombreux mois à comprendre l’accusé, sa rhétorique, sa façon de penser, de répondre aux questions. J’ai voulu l’oublier pour comprendre le contexte. Par exemple, j’avais beaucoup de mal à percevoir que le génocide s’inscrivait dans une guerre, parfois une guérilla. Mon modèle était celui de la Shoah, les Juifs ne combattaient pas contre le régime nazi. Ils étaient les victimes désignées par décret. C’était différent, et à la différence d’un certain nombre de livres que je lisais, je ne voulais pas plaquer ma réflexion sur celle qui m’était familière depuis le plus jeune âge et qui, à mon sens, pour les chercheurs, représentait une certaine facilité, un éclairage trop commode pour expliquer un phénomène à la fois unique et singulier.
J’ai mis beaucoup de temps ; toutes les parties prenantes au procès ont été dans l’obligation de faire un travail très important. Mais cela ne veut pas dire que les jurés ou les magistrats professionnels (seul le président de la cour d’assises bénéficie de la copie du dossier à l’avance ; ses deux compères le découvrent en même temps que les jurés) n’ont pas le temps ou ne peuvent pas comprendre. La magie de la cour d’assises, c’est l’oralité de la procédure et à procès exceptionnel, procédure exceptionnelle. Dans une cour d’assises comme celle-ci, des experts viennent pour expliquer ce qu’est un génocide, l’histoire du Rwanda, les massacres de Tutsi précédant le génocide, les guerres, les interventions de l’armée française etc…Cela permet d’accumuler des connaissances rapidement. Ce n’est pas cela qui me pose problème ; ce qui me gêne, c’est qu’il n’est pas possible d’inviter à témoigner des personnes, historiens, journalistes, qui ne sont pas du goût des bienpensantes parties civiles. Quel cirque lorsqu’en appel, nous avons fait citer le journaliste Pierre Péan, qui avait des choses très intéressantes à dire sur un sujet qu’il connaît très bien. De même, lorsque j’ai fait lire des extraits du livre de Bernard Lugan, Un génocide en question, à mon sens excellente synthèse du TPIR, les avocats des parties civiles ont dit que j’avais un livre diabolique entre les mains. C’est cela qui a manqué aux différentes cours d’assises auxquelles j’ai pris part : un débat, une controverse.
Fabrice epstein
Jambonews : Un spécialiste du Rwanda, un historien que la presse française voit comme le plus légitime sur le Rwanda, n’est à priori ni spécialiste du Rwanda, ni spécialiste du génocide. La notion des experts français sur le Rwanda ne pose-t-elle pas un problème ?
Fabrice Epstein :Oui, bien sûr, j’y ai un peu répondu par avance. Entre les experts qui ne veulent pas venir (alors qu’ils connaissent vraiment le sujet et sont de vrais intellectuels avec une vision critique) et ceux qui sont des militants avec le Rwanda, nous n’avons pas beaucoup de chance. Dans le livre, je me suis concentré sur l’intervention d’un expert cité par l’accusation qui n’est ni un spécialiste du génocide, ni du Rwanda. Il a d’ailleurs eu la franchise de le reconnaître à l’audience, mais attention, pour rien au monde, il n’aurait refusé de venir éclairer une cour d’assises « historique ». Cela pose un très grand problème, car la cour d’assises a condamné Simbikangwa, Ngenzi et Barahira, en avalisant les dires de cet expert, alors qu’il ne connaît le Rwanda que depuis peu et que surtout, il est un militant. Mais je dois avouer que je peux comprendre que l’on devienne militant, lorsque l’on s’intéresse au Rwanda. Comme pour toute dictature, le discours est séduisant. Je comprends qu’il y ait des acheteurs, le Rwanda d’aujourd’hui, c’est un excellent produit marketing, l’influence anglo-saxonne n’aura peut-être pas servi à rien.
Jambonews : Dans le livre on comprend que le procès de Simbikangwa a reposé sur les témoignages, cependant certains témoignages ont visiblement soulevé des doutes sur leur véracité, le doute n’a-t-il pas profité au parquet ?
Fabrice Epstein :Oui, peut-être, pour une raison, c’est que le génocide a été commis et là-dessus, il n’y a aucun doute possible. Simbikangwa a été la victime d’un procès du génocide, de la nécessité pour un tribunal français, et indirectement le gouvernement, de dire que plus de vingt ans après, l’impunité ne pouvait demeurer, et qu’il fallait condamner et reconnaître le génocide des Tutsi. Comme vous le savez, à Gisenyi, les témoignages n’ont pas tenu devant la cour d’assises, les témoins se souvenant près de vingt ans plus tard, du numéro de la plaque d’immatriculation de la voiture que conduisait Pascal Simbikangwa. D’une manière générale, les témoignages avaient posé problème dans le cadre de l’instruction. Les témoignages en tant que tels bien entendu, mais aussi les conditions du recueil de ces témoignages. C’est un peu comme en médecine, les résultats sont faussés si l’expérience n’a pas respecté un certain nombre de prérequis. Que dire de ceux qui ne reconnaissaient plus l’accusé, de celles et ceux qui demandaient pardon avant de prendre la parole, ou s’enquerraient des frais occasionnés par leurs témoignages ; et enfin de celles et ceux qui dans la même phrase exprimaient une idée et son exact contraire, tranchant en expliquant que c’était un peu des deux. Le parquet d’ailleurs avait tenté une expérience intéressante, présenter un faux témoin devant la cour [N.D.L.R : un témoin, interrogé pendant l’instruction, avait été identifié comme un menteur patenté ; le parquet avait cependant souhaité le citer devant la cour pour répondre au credo de la défense : « les témoins sont tous des menteurs »], pour expliquer qu’il n’était pas exclu que certains mentent complètement. Ce n’était pas très probant, et cela avait plutôt tendance à susciter des questions chez les jurés : pourquoi de faux témoignages ? Dans quel but ? Y a-t-il réellement une pression pour ceux qui témoignent ? Pourquoi Simbikangwa n’a-t-il fait citer aucun témoin à décharge alors qu’il dit avoir sauvé des Tutsi ?
Jambonews : Dans le procès de Pascal Simbikangwa la justice a à la fois acquitté et condamné, n’est-il pas un signe d’une justice apolitique et impartiale ?
Fabrice Epstein : On pourrait le dire. J’ai plutôt tendance à voir une justice incohérente. D’abord dans le quantum de la peine. Condamner un homme à 25 ans de prison, alors que la cour le déclare génocidaire, j’aurais tendance à dire que ce n’est pas assez. Cela montre plutôt qu’il y avait (et qu’il y a toujours) un malaise. Il était trop dur d’acquitter jusqu’au bout. Je suis persuadé que des jurés, en trop faible nombre peut-être, ont voté pour l’acquittement plein et entier. J’ai eu, au terme du procès, le sentiment d’une justice qui ne regardait pas l’accusé en face.
Je n’emploie pas le mot de politique, car je ne suis pas à l’aise avec celui-ci. J’ai le sentiment que la justice est, par essence, politique. Une certaine politique, en condamnant Simbikangwa, a gagné. Enfin, on ne peut dire que cette justice a été impartiale, elle a accordé une place à la défense, c’est certain, mais n’est pas allée au bout du raisonnement. Peut-être était-ce trop dur, trop triste, je ne sais pas.
Jambonews : Vous avez une façon particulière de faire le portrait des hommes ou des femmes qui croisent votre chemin, n’avez-vous pas peur que votre livre vous crée des ennemis ?
Fabrice Epstein : Dans le livre, j’ai cité une phrase de Robespierre pour décrire Simbikangwa : « j’aime bien que l’on m’accuse. » Moi, c’est différent. J’ai plutôt peur que l’on m’accuse, mais je vis très bien avec. Surtout, en réfléchissant à votre question, je m’aperçois que je n’ai pas d’ennemi. Un ennemi veut se battre, il veut un duel, un débat, enfin une rencontre, pour s’assurer de son ennemi. Ici, c’est très différent, personne ne veut débattre avec moi à l’occasion d’un colloque, d’une radio, d’une télé ; on ne veut entendre que le même point de vue. Par conséquent, je n’ai que des amis.
Le livre est un témoignage, j’ai voulu raconter les choses telles que je les avais vécues, avec honnêteté, sans fard, sans complaisance vis-à-vis des autres, mais aussi sans complaisance vis-à-vis de moi-même.
Jambonews : Selon Alain Gauthier, Vous avez des comptes à régler avec vous-même. Qu’en pensez-vous ?
Fabrice Epstein : Tout le monde a des comptes à régler avec son passé, son présent. J’ai voulu dans ce livre, et dans ce combat, mener une enquête pour aller à l’origine des choses pour moi. Je ne sais pas vraiment si Alain Gauthier est en mesure de prodiguer des conseils intelligents, mais comme j’ai de l’humour (juif), j’ai lu avec plaisir le compte-rendu de mon livre sur son blog, et j’espère que ses lecteurs l’ont acheté fissa. Par ailleurs, je comprends son combat mais je n’apprécie pas ses méthodes. En tout cas, je considère ne pas avoir de comptes à régler avec lui.
Jambonews : Le sujet Rwanda polarise et vous le décrivez bien dans votre livre. Avez-vous attrapé le virus Rwanda : pourriez-vous défendre un autre dossier rwandais devant la cour d’assises ou pour vous le Rwanda c’est définitivement terminé ?
Fabrice Epstein : Je ne sais pas si c’est un virus, mais il est certain que cela ne me quitte plus. Oui, j’accepterai de défendre un autre dossier devant la cour d’assises, mais je n’accepterai qu’un acquittement potentiel ! Mais plus sérieusement, il y a une question qui me paraît très importante, et sur laquelle j’aimerais travailler, c’est celle de la réconciliation. La réconciliation, c’est un sujet qui me touche, j’ai parfois l’impression de ne pas être réconcilié avec mon passé et celui-ci me paraît trop loin pour que je puisse m’accorder avec ceux qui ont tué ou souhaité la mort des miens. Pour les Rwandais qui ont mon âge, ou un tout petit peu moins, la réconciliation est à portée de mains, elle passe par des mariages, mais peut-être dans un premier temps des amitiés, des débats, des projets communs. J’aimerai participer à ce débat, si ma femme m’y autorise !
Jambonews : Pourquoi avoir utilisé, sur la quatrième de couverture, les termes « Le génocide des Tutsis par les Hutu », c’est une stigmatisation de tous les Hutus, que diriez-vous aux Rwandais qui vont lire votre livre ?
Fabrice Epstein : Oui, vous avez raison, on pourrait le comprendre comme une stigmatisation. Et c’est un exemple supplémentaire de la difficulté de parler du génocide et de ramasser les faits dans une formule générale. C’est un choix éditorial, pour tenter d’expliquer et permettre aux lecteurs de se situer. Mais au fond, c’est un mauvais choix car il ne réussit pas à trouver une synthèse. Il aurait uniquement fallu parler du génocide des Tutsi ou du génocide des Tutsi et des Hutu modérés sans viser les éventuels commanditaires.
Aux Rwandais qui voudraient et pourraient lire mon livre (j’espère qu’il fera l’objet d’une traduction en kinyarwanda), je voudrais leur dire, peu importe la quatrième de couverture, il faut lire ce témoignage d’un non-Rwandais, car il donne des clés pour comprendre la réception du génocide en France. Il raconte également l’itinéraire d’un Juif qui essaie de se réconcilier avec son histoire, trois générations plus tard. Il y a peut-être des chemins à emprunter, des expériences à partager, pour ceux qui se sentent loin de leur pays, de leur culture, et d’un apaisement que l’expérience d’un génocide ne peut donner. Comme le disait mon grand-père, parler sans haine (ce que je réussis parfois dans le livre ; je dis bien parfois), c’est déjà une part de bonheur.
Jambonews : Dans le livre on comprend que, d’avoir défendu Pascal Simbikangwa vous a valu le fait d’être taxé de négationniste. Cette accusation n’est pas banale et comporte une forme de violence, comme l’avez-vous vécue ?
Fabrice Epstein : Oui, vous avez raison, comme toutes les accusations, celle-ci comporte une forme de violence. Je ne serais pas le premier à vous dire qu’un procès pénal est violent par principe. Ce qui est pervers dans cette accusation, c’est l’angoisse qu’elle peut receler, mais l’angoisse est un moteur également et dans un procès comme celui de Pascal Simbikangwa, ce qui est intéressant et fondateur c’est, pour un avocat comme moi, la possibilité de changer d’avis, d’évoluer dans sa vision du génocide, de l’accusé, des parties civiles etc…Si être négationniste, c’est l’usage de sa faculté à remettre en cause un certain nombre de poncifs, à se détacher de ceux qui hurlent avec les loups, de ceux qui veulent condamner à tout prix par ce qu’ils souffrent, alors cela ne me gêne pas d’être négationniste.
Vous savez, on m’a aussi taxé d’ « uniciste ». Dans la bouche de ceux qui l’ont prononcé, cela veut dire que l’on considère que la shoah est unique, et cela fait de vous un négationniste, car vous ne mettez pas le génocide des Tutsi sur un même plan. Je persiste et signe, on ne peut comparer ces deux catastrophes. Et si c’est cela être négationniste, là encore j’assume. D’ailleurs, les gens qui m’accusent d’être négationniste n’ont qu’à me poursuivre, j’ai un très bon avocat (mon associé).
Jambonews : Et la Biélorussie dans cette histoire ? Aviez-vous besoin de passer par Murambi pour découvrir Kletsk ?
Fabrice Epstein: La Biélorussie s’inscrit en pointillés dans cette histoire. Ce n’est que pendant le procès de Pascal (entre la première instance et l’appel) que j’ai su que la famille de mon grand-père paternel venait de Kletsk. J’ai aussi appris à ce moment-là qu’ils n’étaient pas morts dans un camp, mais dans ce que l’on appelle la shoah par balles. C’était une révélation. Après, j’ai voulu y aller. Je voulais y « retourner » depuis toujours. La Biélorussie, c’est un pays aussi sacrifié par les Russes et les Allemands, un pays sur le sol duquel les uns et les autres se sont essuyés.
Et lorsque j’avais été à Murambi, je dois dire que je ne connaissais pas mes origines. Combien de Juifs ashkénazes pensent qu’ils viennent de Pologne, sans connaître les villages où sont nés leurs aïeux. Ce qui est curieux, c’est qu’il est assez facile de retrouver les traces, car les Juifs du Livre ne jurent que par les livres. Chaque shtetl possède son yitzkor book, livre de souvenirs, compilation qui fait revivre les gens qui peuplaient le shtetl, ce petit village juif. Le lien est évident avec les collines du Rwanda.
Et oui, pour rejoindre Kletsk, je devais très certainement passer par Murambi. Après le verdict de mars 2014, j’étais encore plus à la recherche de mon identité. Je devais savoir et partir et j’ai mis en application la maxime du rabbin : « Ne demande ton chemin à celui qui te connaît, tu risquerais de ne pas t’égarer ».
la maison familiale de la famille de Fabrice Epstein à Kletsk
Jambonews : Pouvez-vous nous dire quelques mots sur votre grand-père ?
Fabrice Epstein : Mon grand-père est mort quelques mois après ma naissance. On dit qu’il voulait absolument me rencontrer. Je sais qu’il avait les yeux bleus, et parlait de nombreuses langues. Je sais qu’il était un humaniste à l’extérieur et quelqu’un de difficile à l’intérieur (dans le silence du foyer). Mon regret est de ne pas avoir pu prendre le temps de lui parler, d’échanger. Lorsque j’étais jeune, je manquais de culture ou plutôt d’interlocuteur pour qui la culture, la connaissance, le savoir étaient des valeurs cardinales. Mon grand-père ne parlait pas des autres, mais de la Bible, d’Israël, de sujets autres que les petites jalousies du quotidien. Peut-être que je l’idéalise un peu, mais sa présence me manque. Ce livre est un hommage que je lui rends, à notre culture, à nos mémoires, à sa langue, à son cœur. Curieusement, le livre ne lui est pas dédié. Outre ma femme (qui est et a été un ange pendant la rédaction anxieuse du livre), le livre est dédié à la mémoire de mon grand-oncle, Léon dit Léo Klausner, un homme que j’imagine grand et fort, mécanicien, mort à Auschwitz, dans les dernières semaines de la vie du camp. J’aurais aimé le connaître. Léo était le frère de ma grand-mère. On dit qu’après la shoah, à Lons-le-Saulnier, quelqu’un conduisait un camion au nom de son entreprise. Je ne suis pas certain de la véracité de cette information. D’ailleurs, le livre pose la question de la mémoire, mais aussi de l’imaginaire qui permet de réconcilier plusieurs visions des choses.
Jambonews : Dans le livre on vous sent un peu Rwandais, ce n’est qu’une impression ?
Fabrice Epstein : Un peu ! Vous voulez dire complètement. J’aurais aimé que l’on me surnomme « Inyaryenge » !
Jambonews : Souhaitez-vous ajouter quelques mots ?
Fabrice Epstein : J’espère avoir tout dit. Merci beaucoup de m’avoir accordé cette interview.
« Un génocide pour l’exemple » en bref
En 2007 Fabrice Epstein, 25 ans, a forcé le destin pour faire partie du voyage à vocation juridique et humanitaire au Rwanda et en Tanzanie organisé par son professeur et bâtonnier du barreau de Pontoise. A cette occasion il a découvert la beauté du Rwanda, ce pays qui se remettait du génocide contre les Tutsi, un pays en reconstruction. Ce voyage a eu des allures d’un « pèlerinage » écrit-il, le Rwanda des mémoriaux, le pays des mille visages, les pays de mille églises, ces sanctuaires dans lesquels le sang des Tutsis a coulé. Ils se sont arrêtés sur le site du mémorial de Murambi, sur ce site Fabrice Epstein a surpris le guide en lui posant une question sortie de nulle part : « Je lui demande de m’expliquer ce qu’est-ce qu’un crâne, un fémur, un tibia Tutsi ? ». La réponse et le contexte de cette question se trouvent dans le livre ! Du Rwanda à la Tanzanie, des tribunaux rwandais au TPIR en passant par les juridictions populaires Gacaca, la perspicacité de Fabrice Epstein lui a permis de déceler la comédie, le mensonge ou l’hypocrisie de ces justices.
Si on se fie au titre « Un génocide pour l’exemple » on pourrait croire que ce livre est un énième livre sur le génocide au Rwanda. Ce livre se distingue des autres livres sur ce sujet par la diversité de son contenu. On y découvre l’environnement judiciaire : la prison, les juges d’instruction, le parquet, les avocats, les magistrats, les parties civiles. Cet environnement est décrit de telle façon que le lecteur peut se projeter dans la peau d’un avocat. Fabrice Epstein a le don de mettre les mots, en utilisant les métaphores, sur les concepts complexes. On l’accompagne dans sa découverte de l’Histoire du Rwanda, de la version simpliste et manichéenne (les bons contre les méchants) à la version nuancée : «Je me refusais à laisser s’écrire une histoire binaire où les Hutu sont les méchants et les Tutsi les saints ».
« Un génocide pour l’exemple » est aussi un voyage au travers de plusieurs pays : l’Italie, la France, la Tanzanie et la Biélorussie. Une histoire d’une victime héritée de la shoah, une identité cosmopolite et un regard atypique sur le monde. Pour finir, c’est une rencontre déroutante entre deux hommes : Pascal Simbikangwa, accusé des crimes de génocide et qui pense que son avocat ne pourra jamais comprendre la complexité de son dossier et Fabrice Epstein, avocat commis d’office dont le grand-oncle a été déporté à Auschwitz et la famille de son père exterminée en Biélorussie. Le premier a fini par avouer à son avocat « Maître je suis heureux, vous semblez maîtriser de plus en plus le dossier » et le second a fini par croire en l’innocence de son client.
Lassée d’être diabolisée par certains médias rwandais, Victoire Ingabire a porté plainte à la fin du mois de juillet 2019 contre Tom Ndahiro, auprès du Bureau d’enquête judicaire rwandais.
Dans une lettre datée du 21 juillet 2019 et qui a fuité sur les réseaux sociaux ce jeudi 1eraout, Victoire Ingabire, par la voix de son avocat, Maître Gatera Gashabana, demande à la justice rwandaise de poursuivre Tom Ndahiro, détenteur du blog « Friends of Evil » et qui se présente comme un chercheur sur le génocide. Selon certaines sources au sein du régime, ce dernier travaillerait officieusement pour la présidence du Rwanda, sous la supervision directe de Yolande Makolo, conseillère du président.
Dans sa lettre, la leader de l’opposition rwandaise demande à la justice de poursuivre Tom Ndahiro pour diffamation et injures estimant que dans différents articles, ce dernier avait porté atteinte à son honneur dans l’objectif d’essayer de la décrédibiliser auprès de l’opinion publique.
Victoire Ingabire cite notamment un article du 13 mai 2019 intitulé « accepter qu’Ingabire fasse de la politique revient à encourager le génocide » dans lequel, Tom Ndahiro, régulièrement pointé du doigt pour insuffler la haine au sein de la société rwandaise accusait Victoire Ingabire d’avoir « l’idéologie génocidaire » et pratiquait la discrimination ethnique au Rwanda.
Ce lundi 5 août 2019, le Groupe d’Initiative France-Rwanda a lancéune pétitionvisant à dénoncer et condamner les « propos scandaleux d’un membre du gouvernement rwandais qui s’est réjoui de la mort de Pierre Péan, écrivain et journaliste d’enquête français » dans une publication facebook du 26 juillet 2019 « un négationniste de moins ça fait du bien. Le million de Tutsis victimes du génocide ne le laissera pas reposer en paix ».
Dans cette pétition qui a déjà recueilli près de 400 signatures en quelques heures, les auteurs demandent au gouvernement rwandais de « présenter des excuses publiques et officielles à la famille de Monsieur Pierre Péan choquée par tant d’inhumanité de la part d’un membre de ce gouvernement. »
Le groupe d’Initiative France-Rwanda demande enfin au président français Emmanuel Macron « qui a su trouver les mots justes pour rendre un hommage appuyé à Monsieur Pierre Péan, de saisir Son Homologue rwandais le président Paul Kagame, afin qu’il prenne les mesures nécessaires pour rappeler son ministre à l’ordre. »
Ce n’est pas la première fois que le ministre rwandais Olivier Nduhungirehe, numéro deux de la diplomatie rwandaise, souvent vu comme « l’homme à tout dire de Kigali » et surnommé « le Ministre des réseaux sociaux » par la communauté rwandaise, suscite l’indignation par des prises de paroles indécentes. En décembre 2018, l’un de ses tweets avait été à l’origine de tensions diplomatiques entre Pretoria et Kigali.
Dans cet article, Jambonews revient sur les cinq tweets d’Olivier Nduhungirehe qui ont le plus marqué la communauté rwandaise par leur manque de professionnalisme et qui ont suscité son indignation.
1. Mort de Pierre Péan « ça fait du bien »
La palme de l’indécence du secrétaire d’Etat aux affaires étrangères du Rwanda revient sans aucun doute au message publié par ce dernier suite au décès du journaliste d’investigation français Pierre Péan le 26 juillet 2019 « un négationniste de moins ça fait du bien. Le million de Tutsis victimes du génocide ne le laissera pas reposer en paix. »
L’ironie du sort observe un rédacteur au sein de Jambonews dans un billet d’humeur publié sur le média The Rwandan est que ce Ministre qui pousse l’indécence jusqu’à s’arroger le droit de parler au nom des « âmes du million de morts du génocide perpétré contre les tutsis » exprime en prive les mêmes positions que Pierre Péan au sujet des événements tragiques au Rwanda depuis 1990 et qui valent au journaliste français d’être aujourd’hui qualifié à tort de négationniste par le virevoltant diplomate.
2. Décès de Camir Nkurinziza « la police a agi de manière professionnelle »
Toujours dans le registre macabre, le tweet publié par l’ancien ambassadeur du Rwanda en Belgique le 31 mai 2019 au sujet de la mort de Camir Nkurunziza en Afrique du Sud mérite une place de choix dans ce funeste classement.
Dans l’après-midi du jeudi 30 mai 2019, des hommes tentaient d’enlever Camir Nkurunziza, un ancien garde du corps de Paul Kagame, chauffeur Uber à Cape Town. La voiture roulait à vive allure, et comme l’ancien militaire d’élite rwandais devenu opposant politique se débattait, la voiture s’est mise à zigzaguer, ce qui a attiré l’attention de la police sud-africaine qui s’est alors mise à sa poursuite. Des coups de feu ont ensuite été tirés par la police et la victime ainsi qu’un assaillant ont été abattus. Les deux autres hommes ont été arrêtés et un procès devrait s’ouvrir à la rentrée 2019.
Alors que dans d’autres pays, l’Etat dont la victime a la nationalité est en général le premier à demander que la lumière soit faite sur de tels événements, le gouvernement du Rwanda, via un tweet de son homme à tout dire, s’est exprimé quelques heures seulement après la mort de son citoyen et a félicité la justice sud-africaine « Les tirs émanant de la police de Goodwood en Afrique du Sud contre des car jackeurs qui n’obéissaient pas aux injonctions de la police, qui ont accidenté d’autres voitures et qui sont sortis de la voiture avec des couteaux ne peuvent jamais être qualifiés d’« exécutions extra judiciaires ». La police sud africaine a agi d’une manière professionnelle. »
Peu de temps auparavant le diplomate avait déjà donné le ton sur la position de son gouvernement sur ce décès « Alors, Camille Nkurunziza, un membre de l’organisation terroriste RNC de Kayumba Nyamasa puis du FNL de Callixte Nsabimana, était aussi un car-jackeur en Afrique du Sud. Il a été tué hier soir par la police de Goodwood alors qu’il résistait avec un couteau à son arrestation. Criminel un jour, criminel pour toujours».
En août 2013, le frère de Camir Nkurunziza, Innocent Kalisa, également ancien garde du corps de Paul Kagame, avait été enlevé en Ouganda alors qu’il était sous la protection du HCR. Quelques mois plus tard il était réapparu dans les geôles rwandaises avant d’être jugé et condamné à 15 ans de prison.
Depuis le début du mois de juin 2019, quelques jours après la mort de Camir Nkurunziza, son autre frère, Fred Mugarura qui travaillait comme comptable au sein de Crystal Ventures à Kigali est porté disparu.
3. Les congolais : un « peuple candide »
A côté des tweets macabres, le secrétaire d’Etat aux affaires étrangères s’est souvent distingué par des tweets s’en prenant à des peuples étrangers comme la population congolaise qualifiée dans son ensemble de « peuple candide ».
Le 10 janvier 2014, une rumeur du décès Paul Kagame se repend comme une trainée de poudre dans la ville de Goma. En quelques heures à peine des centaines de citoyens congolais descendent dans les rues de Goma, Bukavu, ou encore Beni afin de « célébrer » la nouvelle et les images se rependent sur les réseaux sociaux.
A la vue de ces images, le sang du diplomate, ne fait qu’un tour et ce dernier s’en prend à l’ensemble de la population congolaise qu’il qualifie de « peuple candide vivant toujours à l’ère primitif » et communiquant par « pigeon voyageur ».
4. Les belges : « descendants de Leopold II et assassins de Lumumba»
Les belges en ont également pris pour leur grade lorsque le 21 mai 2013, le ministre belge de la Coopération au développement, Jean-Pascal Labille, annonce son intention de se rendre à la mi-juin au Rwanda et en juillet en République démocratique du Congo (RDC), en appelant Kigali à adopter une « attitude constructive » dans la région des Grands Lacs.
La réponse du bouillant diplomate ne se fait pas attendre, ce dernier estimant que « des descendants de Leopold II et des assassins de Patrice Lumumba » n’avaient aucune leçon de morale à donner sur la RDC.
5. La France un pays où la « chienlit » est érigée en mode d’expression politique
La France, pays dans lequel l’indécent diplomate devrait être accueilli avec les honneurs dans quelques jours à l’occasion du sommet du G7 n’est guère mieux lotie en étant présentée comme un pays ou la « chienlit » est érigée en mode d’expression.
Le 02 décembre 2018, en effet, le virevoltant homme à tout dire de Kigali voyant les images des violences sur l’avenue des Champs-Élysées en marge du mouvement de contestation des « gilets Jaunes » ne se privait pas de réagir.
A la différence des autres diplomaties qui exprimaient leur solidarité au peuple français, le secrétaire d’Etat a vanté le modèle politique rwandais en dénigrant le modèle français « il fait bon vivre dans un pays où la chienlit n’est pas érigée en mode d’expression politique ! »
D’autres tweets comme celui du 31 août 2012 qualifiant Didier Reynders, le Ministre des affaires étrangères belge de « Papa Colon », ou celui du 6 novembre 2018 évoquant « l’amertume de la défaite » de Michaelle Jean qui lui « fait perdre la tête » suite au sommet de la francophonie ou encore celui du 13 septembre 2018 qualifiant quatre anciens ministres français de la francophonie de « nonagénaires mitterrandiens » toujours accrochés à la« francophonie néocoloniale » auraient mérité de figurer dans le classement.
Mais dans les 48 851 tweets postés par le diplomate aux multiples comptes sur les réseaux sociaux en l’espace de seulement 9 ans, un choix devait être opéré.
Ce 02 aout 2019, le public rwandophone a découvert, par la chaine Ukwezi TV, ce qu’un frère et une sœur qui vivaient dans les ruines de leur maison démolie par les autorités locales étaient devenus[1]. Cette démolition forcée aux allures d’une expropriation dans la mesure où la famille est dépossédée de la maison et du terrain, et qui laisse sur les carreaux les plus précaires n’est pas une première au Rwanda.
Le 16 juillet à 6h du matin, le responsable exécutif du secteur de Nyarugunga du district de Kicukiro dans la ville de Kigali, Geneviève Uwamahoro, est arrivé au domicile d’Ancilla Mukayisenga pour faire démolir sa maison. Cette dernière est en prison du district de Muhanga depuis Janvier 2019. Dans sa maison vivait ses deux jeunes enfants Hitamoyesu Chance (23 ans), Kiberinka Soleil (19 ans) et son petit-enfant de 2 ans.
Accompagnée des membres du DASSO (Organe d’appui à la sécurité administrative du district en français), la responsable du secteur est arrivée et a demandé à la fille et l’enfant en bas-âge de sortir de la maison, le grand frère étant absent. Ensuite, elle a demandé aux aides (les hommes qui gagnent leur vie en rendant des services à la population) de démolir la maison de la famille. Ils ont refusé en avançant qu’ils ne voulaient pas démolir la maison d’une personne en prison et mettre ses enfants dans la détresse, surtout que la mère a de bonnes relations avec son voisinage. La dirigeante est partie plus loin dans une localité appelée mu « ndege » située dans un bidonville d’après ce que les voisins de la famille ont raconté aux journalistes et les a payés 35 000 Francs rwandais (environ 35 euros) pour démolir la maison.
Quand Chance et Soleil ont appelé les journalistes, la responsable exécutive du secteur de Nyarugunga est montée dans sa voiture et est partie. La nouvelle ayant fait la une d’un média rwandais Umuseke, la dirigeante est revenue deux semaines plus tard pour proposer un logement en location, pris en charge par le bureau de secteur de Nyarugunga, aux deux enfants, qui devaient déménager dans l’immédiat. Les enfants ont demandé quelques heures pour faire leurs cartons et ont souhaité avoir les papiers signés du secteur leur allouant le nouveau logement et des garanties sur leur devenir après les deux mois. L’Exécutif est revenu accompagnée des membres du DASSO qui ont menotté les deux jeunes, les ont forcés à monter à l’arrière de leur camionnette, dans laquelle ils ont été battus jusqu’à leur mise au cachotau bureau de secteur Nyarugunga pour quelques heures.
Le frère et la sœur racontent : « Je ne peux pas compter les coups que j’ai pris sur le trajet, un certain Muyomba me frappait et me disait tu sais pas quel dossier on peut monter contre toi, je vous prends pour témoins car je ne sais pas de quoi je peux être accusé demain » pour le frère et « ils sont venus, m’ont menottée et nous ont emmenés en nous frappant dans la rue, ils nous ont rué des coups dans la camionnette du bureau de secteurNyarugunga, jusqu’à présent ma jambe est fracturée », pour la sœur qui a fondu en larmes en racontant sa mésaventure.
Répondant à la question des journalistes de la chaine UkweziTV, qui lui demandaient quelle leçon elle tirait de cette expropriation, qui n’est ni la première, ni la dernière (les voisins attroupés applaudissant spontanément à cette question), Geneviève Uwamahoro, responsable exécutif du Secteur Nyarugunga, a nié avoir participé à l’expropriation, avoir été présente sur les lieux et a affirmé que c’était une première expropriation. Après son départ les voisins ont approché les journalistes pour démentir ses propos : « Pourquoi est-elle en train de nier ? J’étais là, je travaille ici, quand les voitures de la police et du secteur sont arrivées…je me souviens bien car l’exécutif m’a demandée ce que je faisais là…» a raconte une jeune femme qui travaille à proximité.
La maison a été démolie sur fond d’un différend familial. Le frère d’Ancilla Mukayisenga lui a construit cette maison en 1989. Réfugié en France après 1994, il l’y est décédé, c’est sa femme Marguerité Nkwakuzi habitant en France qui se dispute la propriété avec son ex-belle-sœur. L’incompréhension demeure pour savoir pourquoi le responsable exécutif du secteur Nyarugunga, le DASSO et la police sont si impliqués et prennent partie dans un différend familial.
L’expropriation au Rwanda semble être une affaire courante qui se fait au détriment des populations les plus démunies.
Le 20 juin 2019[2], le public rwandophone apprenait qu’une mère et ses quatre enfants en bas âge vivaient dans un champ des bananiers dans un abri de fortune. «J’avais une maison et les autorités l’ont démolie en me disant qu’elles allaient louer une autre maison pour moi. Après trois mois, le propriétaire m’a mise dehors [pour loyers impayés] et je suis allée voir les autorités et l’on m’a dit que l’on ne me connaissait pas. C’est ainsi que j’ai construit un abri de fortune, je n’avais pas un autre endroit où aller. » Avait raconté Speciose Ntamfurayishavu au journaliste d’Ukwezi.
Le 08 aout 2019, la Campagne RwandanLivesMatter, par le biais de Constance Mutimukeye, sa porte-parole en France, a écrit une lettre ouverte au président français Emmanuel Macron pour l’interpeler sur l’invitation de son homologue rwandais Paul Kagame au sommet du G7 qui se tiendra du 24 au 26 août à Biarritz dans le sud de la France.
Ce sommet a pour objectif la lutte contre les inégalités et c’est à ce titre que les participants à la campagne ont interpellé le président français afin de le solliciter à soutenir également des initiatives africaines comme RwandanLivesMatter dont l’objectif est de redonner valeur à la vie africaine que tant de dictatures ont réduite à néant.
Dans la lettre, le président français Emmanuel Macron est interrogé sur le paradoxe consistant à inviter le président Paul Kagame à participer ou aider les autres nations à lutter contre les inégalités lorsqu’il échoue depuis de nombreuses années à les réduire dans son propre pays.
Selon les participants à la campagne en effet, la première des inégalités est celle d’être privée des libertés fondamentales et le régime dirigé d’une main de fer par Paul Kagame a un bilan particulièrement alarmant sur le sujet.
Rien que durant le mois de juillet 2019 écrivent les participants, un opposant, Eugène Ndereyimana est porté disparu, un journaliste, Constantin Tuyishimire a subi le même sort alors que plusieurs détenus dont Sadiki Habimana ont perdu la vie à la prison de Mageregare suite à la répression exercée par les forces de l’ordre. Par ailleurs, comme c’est désormais de coutume au Rwanda sous l’impulsion du président de la république, au moins deux hommes, parmi lesquels Eric Bucyabwitwejo, 20 ans et accusé de viols multiples ont été abattus par la police alors que menottés, ils auraient tenté de s’échapper.
Si le Rwanda a fait des progrès sur le développement écologique ou de la transformation numérique, pour la grande majorité des Rwandais ces bénéfices passent malheureusement au second plan étant donné qu’elle vit dans un climat de peur permanent. Une peur d’être tué, enlevé, de ne pas revoir un proche parti faire une course, ou encore d’être arrêté, torturé ou tout simplement terrorisé pour avoir osé critiquer les actions du gouvernement rwandais.