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Afrique du Sud : mort suspecte d’un jeune Belge originaire du Rwanda

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Ce samedi 07 juillet 2018 se tenait la cérémonie d’obsèques de feu Docteur Thomas Ngeze décédé le 15 juin dernier dans un hôtel à Johannesburg. Bien que les circonstances entourant le décès inopiné de ce jeune juriste belge d’origine rwandaise restent à élucider, la famille de ce dernier accuse Kigali de l’avoir assassiné.  

Thomas Ngeze

Thomas Ngeze

Agé de 27 ans, Docteur Thomas  Ngeze était un jeune juriste spécialisé dans le droit international qui avait mené ses études à la faculté de droit de l’université de Gent en Belgique. Diplômé en 2016, il s’était envolé pour l’Afrique du Sud où il a travaillé pendant un an à la United Nations Population Fund de Johannesburg. Il avait ensuite décroché un job dans un cabinet international d’avocat. Une brillante carrière se dessinait devant lui avant que son corps sans vie ne soit retrouvé pendu dans une chambre d’hôtel à Johannesburg. La famille de ce dernier affirme que le soir de son assassinat, Thomas avait un rendez-vous avec des membres de l’ambassade du Rwanda en Afrique du Sud. Il aurait appelé sa sœur en état de panique le soir fatidique du 15 juin 2018.

Selon la justice sud-africaine ce décès est suspect.  Une autopsie a été réalisée et une enquête est en cours mais les résultats n’ont pas encore été communiqués. Selon le média The Rwandan, des membres de la famille du défunt auraient confié que des images enregistrées par les caméras de l’hôtel montrent Thomas Ngeze en compagnie d’autres personnes dont l’identité n’a pas encore été communiquée.

Le décès de Thomas Ngeze est survenu 10 jours après qu’une demande de libération anticipée de son père, Hassan Ngeze, ait enflammé les réseaux sociaux et suscité l’indignation de Kigali. Hassan Ngeze, est un des membres fondateur du parti CDR et est connu pour avoir été rédacteur en chef du journal « Kangura »; un journal tristement célèbre pour ses publications extrémistes pour lesquelles  il a régulièrement été emprisonné entre 1990 et 1994.

Le 18 juillet 1997, il a été arrêté à la requête du TPIR et fut condamné à la prison à vie le 3 décembre 2003, pour génocide ; le TPIR estimant, que l’intéressé, en mélangeant « haine ethnique et discours propre à inspirer la peur, d’une part, et appel à la violence qui devait être dirigée contre la population tutsie, qualifiée d’ennemi ou de complice de l’ennemi, d’autre part » dans les écrits parus dans Kangura, avait joué un rôle « non négligeable dans la mise en place des conditions qui ont conduit à des actes de génocide. » Sa peine a été réduite en appel à 35 ans de prison le 28 novembre 2007.  Ayant purgé les 2/3 de sa peine, il rentrait dans les conditions légales pour faire une demande de libération anticipée.

Cette nouvelle avait été accueillie avec beaucoup d’indignation par le Rwanda. « Nous n’acceptons pas que ceux qui sont emprisonnés pour crimes de génocide soient anticipativement libérés. Le cas de Hassan Ngeze est encore plus complexe car il a utilisé son journal pour inciter à la haine et pousser la population à s’entre-tuer » avait ainsi declaré Jean Damascene Bizimana, président de la Commission nationale rwandaise de lutte contre le génocide  (CNLG). L’organisation Ibuka avait également vivement condamné la possibilité d’une libération anticipée de Hassan Ngeze. Naphtal Ahishakiye, secrétaire exécutif d’Ibuka, avait confié au journal Kigali Today, que la peine de Mr Ngeze était bien trop courte au vu des charges retenues contre lui.  C’est donc dans un tel contexte de tension autour du cas de son père que le décès de Thomas Ngeze est survenu.

Dans une lettre posthume adressée à son fils, Hassan Ngeze, regrette que son fils ait été « la victime d’une situation dont il n’a jamais été responsable ».  Ce dernier privilégie la piste de l’assassinat commandité depuis Kigali dans le but de l’atteindre suite à sa récente demande de libération anticipée.

La nouvelle du décès de Thomas Ngeze a déclenché des réactions diamétralement opposées sur les réseaux sociaux.  Certains sympathisants du FPR allant jusqu’à justifier le supposé assassinat.  Ainsi on pouvait lire sous la plume d’Alice qui arbore fièrement la photo de Paul Kagame en couverture « Celui qui a fait tuer les enfants des autres par l’épée verra les siens périr par l’épée, telle une loi de l’attraction », suscitant aussitôt l’indignation de Marie Claire « donc un jeune brillant qui n’a rien fait mérite la mort ? le génocide continue ? heureusement que beaucoup de gens ne pensent pas comme toi »   pouvait-on notamment lire parmi les centaines de commentaires exprimés sur les réseaux sociaux.

Ce n’est pas la première fois qu’un rwandais meurt dans des circonstances suspectes en Afrique du Sud. En 2014, l’opposant Patrick Karegeya avait été retrouvé étranglé dans un hôtel de Johannesburg, les autorités rwandaises avaient été pointées du doigt, provoquant une crise diplomatique entre les deux pays.  Paul Kagame, sans aller jusqu’à revendiquer le meurtre, l’avait justifié dans un déjeuner de prière à Kigali en déclarant que « la trahison avait des conséquences (…) quiconque trahit notre cause ou souhaite du mal à notre peuple deviendra une victime. Il reste seulement à savoir comment il deviendra une victime ».

En Belgique des messages de compassion et d’indignation ont été partagés par les proches et amis de Thomas Ngeze qui était un jeune homme « ambitieux et discipliné » «toujours disposé à aider les autres ».

Irène Nyenyeli,

Jambonews.net

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Rwanda : une nouvelle rébellion revendique les attaques au sud du pays

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Ce dimanche 15  juillet  2018, le Mouvement rwandais pour le changement  démocratique (MRCD), a revendiqué les incursions armées qui se commettent depuis un mois au sud du Rwanda à la frontière avec le Burundi. Même si dans un discours du 13 juillet 2018, le général-major Paul Kagame a affirmé que le Rwanda était prêt à affronter toute personne qui lui déclarerait la guerre, le lieutenant-colonel Munyengango, porte-parole de l’armée, minimise la menace et qualifie les assaillants de « simples bandits ». Dans son article pour le journal belge Le Soir, Colette Braeckman semble plus alarmiste et suggère le prélude d’une  nouvelle guerre régionale en évoquant notamment un possible soutien de l’Ouganda, du Burundi et de la RDC à ces infiltrations armées au point que, comparant le Rwanda à Israël, « des officiels [rwandais] n’hésitent pas à évoquer la guerre du Kippour… »[1].  L’armée burundaise dément pour sa part les informations et affirme  « qu’aucun mouvement, ni trace d’éléments armés n’ont été constatés par les unités de la FNDB déployées sur la frontière du Burundi avec le Rwanda ».  Retour sur la chronologie des événements.

      – 04 juillet 2017 : Création du MRCD

Le  4 juillet 2017, alors que le FPR célèbre la 23ème année de sa prise du pouvoir, le CNRD-Ubwiyunge (Conseil National pour le Renouveau et la Démocratie) et le PDR-Ihumure (Parti pour la Démocratie au Rwanda) annoncent la création d’une nouvelle plateforme, le Mouvement rwandais pour le changement démocratique (MRCD).

Le CNRD est une rébellion rwandaise née d’une scission des FDLR et présidée par Wilson Irategaka. Il est essentiellement composé de jeunes rebelles Hutu qui, bien qu’ayant les mêmes revendications que les FDLR, à savoir un retour au Rwanda dans la dignité et un dialogue politique avec Kigali, divergent sur la stratégie à adopter pour atteindre cet objectif.

Le PDR-Ihumure est un parti politique rwandais opérant en exil et présidé par Paul Rusesabagina,  le héros du film Hôtel Rwanda qui en plein génocide réussit à sauver la vie des 1268 personnes qui s’étaient réfugiées à l’hôtel des Milles collines dont il assurait la gestion.

La nouvelle plateforme se donne pour objectifs de :

  • Combattre la dictature du Front patriotique rwandais et son président, Paul Kagame, pour un changement démocratique;
  • Réconcilier le peuple rwandais meurtri par la guerre de 1990-1994 qui a conduit au génocide et autres crimes contre l’humanité;
  • Résoudre définitivement le problème récurrent des réfugiés rwandais;
  • Instaurer un état de droit avec une vraie démocratie pluraliste;
  • Promouvoir un développement national basé sur les aspirations légitimes du Peuple rwandais ;
  • Développer une politique de bon voisinage et de coopération régionale et internationale basée sur les intérêts mutuels.

    Paul Rusesabagina décoré par le Georges W. Bush

      – 27 octobre 2017 : création du MRR

Le 27 octobre 2017 est annoncée, à Londres, la création du Mouvement révolutionnaire rwandais (MRR).

Notamment créé par des dissidents du RNC, le MRR est présidé par  Callixte Nsabimana, alias « Sankara », un jeune rescapé du génocidedes Tutsis dans lequel il a notamment perdu son petit frère. Au Rwanda, il s’était particulièrement distingué lors de ses études universitaires en défendant à plusieurs reprises les intérêts et droits des étudiants, ce qui lui avait valu le surnom de « Sankara ». Progressivement devenu gênant pour les autorités rwandaises, auxquelles il s’opposait régulièrement dans l’intérêt des étudiants et qui devenaient de plus en plus menaçantes, il a été contraint de prendre le chemin de l’exil et s’est réfugié en Afrique du Sud.

A la fin du mois de mars 2018, dans une interview accordée à la radio « Ubumwe » (uniquement en kinyarwanda) animée par Esperance Mukashema, il avait appelé la jeunesse du Rwanda à se lever face au FPR et à réclamer le respect de ses droits et avait expliqué l’essence de son combat.

Le porte-parole du mouvement est Noble Marara, un ancien garde du corps de Paul Kagame, devenu farouche opposant du régime de Kigali. Dans son livre « Derrière les rideaux de la présidence » publié en kinyarwanda et en anglais, il relate une face particulièrement sombre et « largement inconnue » du chef d’Etat qu’il a étroitement côtoyé durant 8 ans.

      –  31 octobre 2017 : évasion de Cassien Ntamuhanga

Le 31 octobre 2017, Cassien Ntamuhanga, ancien animateur de la radio catholique « Amazing grace », activiste de la réconciliation et co-accusé de l’artiste Kizito Mihigo, s’échappe de la prison de Mpanga à Nyanza. Cette évasion  spectaculaire sera plus tard revendiquée par le MRR.

      – 10-11 mars 2018 : Noble Marara menacé (à nouveau) en Grande-Bretagne

Durant le week-end des 10 et 11 mars 2018, la police britannique s’est rendue au domicile de Noble Marara pour le prévenir de nouvelles menaces pesant sur sa vie et étudier les mesures nécessaires à sa protection.

L’intéressé a relaté à RFI le déroulement des faits et les raisons qui seraient derrière ces nouvelles menaces sur sa personne : « Ils sont venus chez moi samedi vers 9h du soir. Ils m’ont dit que le gouvernement rwandais projetait de m’éliminer et que je n’étais pas en sécurité. Ils m’ont dit qu’ils cherchaient à maîtriser ceux qui voulaient me faire du mal et qu’ils voulaient voir avec moi comment me mettre en sécurité.

Il y a plusieurs raisons qui sont, je pense, à l’origine de cette menace, mais je crois que la traduction de mon livre pèse plus que tout ce que j’ai pu faire avant. Nous sommes environ douze millions de Rwandais, deux millions vivent dans le luxe, et croient savoir alors qu’ils ne savent rien, et les autres,  la majorité, ne peut être touchée qu’en langue locale… Or ce livre va derrière le rideau présidentiel, dans les coulisses de la présidence, et c’est pour ça qu’il donne du fil à retordre au gouvernement. Ce livre va parler à l’esprit des Rwandais parce qu’il est écrit dans notre langue locale. Ne me demandez pas comment mais on est train de faire des efforts pour qu’il puisse atteindre chaque Rwandais. »[2]

      – 18 mars 2018, le MRR rejoint le MRCD

     Le 15 mai 2018 : Herman Nsengimana rejoint le MRCD

Herman Nsengimana, qui vivait jusque-là au Rwanda, apparaît lourdement armé dans une vidéo publiée sur la platforme Youtube et annonce son ralliement au MRCD. Rescapé du génocide et frère de Gérard Niyomugabo, il explique dans cette vidéo ce qui l’a motivé à rejoindre ce mouvement.

Gérard Niyomugabo, un ami de Kizito Mihigo, est également un activiste de la réconciliation nationale qu’il prêchait régulièrement dans ses émissions. En 2014,  durant la même période que celle de l’arrestation de Kizito Mihigo et Cassien Ntamuhanga, et alors qu’il s’apprêtait à publier un livre sur les problèmes auxquels fait face le Rwanda, il a été kidnappé et n’est plus réapparu depuis. Selon son frère, il a été assassiné par les autorités rwandaises.

Dans cette vidéo publiée sur Youtube il explique, à travers notamment des exemples des persécutions dont lui-même et plusieurs membres de sa famille ont été victimes, l’injustice qui selon lui se commet au Rwanda, et face à laquelle « il ne pouvait pas rester assis les bras croisés ».

      – Mai 2018 : menace contre Rusesabagina en Israël

Paul Rusesabagina explique que le 28 mai 2018, alors qu’il s’apprêtait à tenir une conférence à l’Université de Tel Aviv, il a reçu un appel de la police israélienne l’informant qu’elle était en possession d’informations selon lesquelles sa vie était menacée.

Yediot Aharonot, le principal quotidien israélien rapporte que la conférence aura finalement lieu sous haute sécurité, en présence de l’ambassadeur du Rwanda en Israël qui était accompagné de plusieurs jeunes africains dont certains seraient originaires du Kenya. Les échanges auront lieu dans un climat tendu, l’ambassadeur et plusieurs membres du groupe l’accompagnant essayant à plusieurs reprises de discréditer Paul Rusesabagina en le qualifiant notamment de « négationniste ».

      10 juin 2018 : attaque d’une patrouille rwandaise dans le Bugarama

Durant la nuit du 10 au 11 juin 2018, une patrouille de militaires rwandais (RDF) est attaquée dans la région de Bugarama, district  de Rusizi à proximité du Sud-Kivu (RDC). Le journal The Rwandan annonce dans la foulée que cette attaque pourrait être l’œuvre du CNRD-Ubwiyunge

      19 juin 2018 : deuxième  attaque

Le 19 juin 2018, une deuxième attaque a lieu dans la zone de Nyabimata, district de Nyaruguru à proximité de la frontière burundaise. Deux civils sont tués, la voiture du secrétaire exécutif de la zone de Nyabimata est brulée et les assaillants attaquent  l’antenne locale de l’agence bancaire du gouvernement appelée « Umurenge SACCO ».

      04 juillet 2018 : combats dans la forêt de Nyungwe

Le 4 juillet 2018, de violents combats ont lieu dans la forêt de Nyungwe, tout près du district de Nyaruguru. Le journal The Rwandan affirme avoir été informé par une source au sein des autorités rwandaises de la stratégie adoptée par ces dernières, à savoir garder le silence sur ces attaques.

      8 juillet 2018 : le colonel Muhizi avertit la population

Le 8 juillet 2018, l’armée et la police du district de Rubavu dans la province de l’Ouest convoquent une réunion de la population. Le colonel Muhizi appelle la population à ne pas collaborer avec les assaillants et à les dénoncer aux autorités et se montre menaçant envers quiconque se hasarderait à héberger des membres de la rébellion : «(…) On ne veut rien qui puisse nous mettre en conflit avec la population, on ne veut pas devoir venir chercher les gens qui se cachent dans les maisons hébergées par les paysans (…) car quand tu acceptes d’héberger l’ennemi, tu acceptes que ton domicile soit un des sièges de la lutte armée n’est-ce pas ? (…) Ce sont des choses qu’on connait, qu’on a déjà traversées en 1994,  en 1997 lors de la guerre des abacengezi, à chaque fois qu’un paysan hébergeait un ennemi, il subissait le même sort que lui ».

Plusieurs membres de la population ayant assisté à la rencontre ont réagi au discours et affirmé avoir retenu « la leçon » de la guerre des abacengezi qui fut particulièrement meurtrière pour la population,  les autorités rwandaises allant parfois jusqu’à raser des collines entières lorsque des habitants étaient soupçonnés d’avoir hébergé des assaillants.  L’un des citoyens ayant assisté à la réunion a ainsi déclaré à la Voix de l’Amérique : « Au vu ce qu’on a traversé en 1997, en 1998 dans cette région aucun paysan ne peut souhaiter que ce qu’on a connu se reproduise. »

      – 10 juillet 2018 : de jeunes assaillants aperçus dans la zone de Kitabi

Le 10 juillet 2018, de jeunes rebelles sont aperçus dans la zone de Kitabi  dans le disctrict de Nyamagabe. Selon plusieurs sources en provenance du Rwanda, l’armée rwandaise aurait déployé les forces spéciales en direction de Kitabi pour les combattre.

      13 juillet 2018 : l’armée burundaise dément les informations

Dans un communiqué de presse du 10 juillet 2018 mais publié le 13 juillet 2018 sur son compte twitter, la FDNB (Force de défense nationale du Burundi) a réagi aux informations faisant état de « l’existence d’éléments armés qui attaqueraient le Rwanda à partir du Burundi et qui, après leur forfait se replieraient sur le sol burundais ».

L’armé burundaise dément ces informations et affirme « qu’aucun mouvement, ni trace d’éléments armés n’ont été constatés par les unités de la FNDB déployées sur la frontière du Burundi avec le Rwanda.  »

      – 13 juillet 2013 : Paul Kagame réagit et se dit prêt à la guerre s’il y est contraint

Le même jour, dans un discours prononcé à l’occasion de la promotion de 180 nouveaux officiers, Paul Kagame a implicitement réagi à la situation en déclarant que Kigali était prête à la guerre si elle y était contrainte : « Vous avez été préparés à résister dans des circonstances exceptionnelles (il s’agit d’entrer en guerre), le Rwanda ne le souhaite pas mais est prêt à affronter, s’il y est contraint. L’armée est formée pour la guerre mais n’est pas formée pour déclencher la guerre, elle ne souhaite pas la guerre mais est là pour affronter toute personne qui la déclencherait. Quand les autres nous voient comme un problème et nous déclarent la guerre alors nous utiliserons notre conscience, volonté, entrainement et connaissance pour en venir à bout comme il faut. »

Le lieutenant-colonel Innocent Munyengango minimise pour sa part la situation et compare les assaillants à des « bandits » : « Ce n’est pas avec ces provocations que l’armée rwandaise peut entrer en guerre mais ces gens sont des bandits. Il s’agit de petits problèmes habituels concernant les bandits qui viennent voler, d’où qu’ils viennent et quels que soient leurs objectifs nous promettons aux Rwandais qu’ils le sauront, s’il s’agit d’un groupe de malfaiteurs alors il sera puni. »

      – 15 juillet 2018 : le MRCD revendique les incursions armées au Rwanda

Le 15 Juillet 2018, par un communiqué de presse, le MRCD annonce la création d’une force armée dénommée Forces de libération nationale (FNL)  dont la mission est de mettre un terme sans délai « au pouvoir dictatorial FPR-Kagame en utilisant tous les moyens possibles, y compris la lutte armée ». Le porte-parole des FLN, le major Callixte Sankara revendique par la même occasion les attaques menées à Cyangugu, Nyamagabe, Nyaruguru, Bugesera et Huye.

      – 16 juillet 2018 : interview de Sankara sur les ondes de la BBC

Le 16 Juillet 2018, dans l’interview accordée à la radio BBC Gahuza le porte-parole de la FNL Callixte Sankara, affirme que c’est son armée qui mène les opérations militaires  dans le sud du Rwanda contre l’armée rwandaise et indique que  cela va faire un mois que ces combats ont lieu. Il affirme que les rebelles se trouvent dans plusieurs endroits au Rwanda mais essentiellement dans les districts de Nyaruguru et de Nyamagabe, plus précisément dans la forêt de Nyungwe.

A la question de savoir s’ils ont attaqué en provenance du Burundi comme le déclare le Rwanda, il dément catégoriquement et affirme que parmi les rebelles se trouvent des récents déserteurs de l’armée gouvernementale rwandaise (RDF) et de la police, lesquels, suite aux mauvais traitements que Paul Kagame fait subir à la population, se sont organisés pour se défendre. Il termine son interview en expliquant que l’objectif de leur mouvement, qui est composé de toutes les ethnies du Rwanda, est de libérer le Rwanda dans l’intérêt de l’ensemble des Rwandais.

Le même jour, sur les ondes de la Voix de l’Amérique Kinyarwanda (VOA), le nouveau commandant de l’armée rwandaise dans la zone de Nyaruguru, le lieutenant-colonel Nyirihirwe, a confirmé qu’il y avait eu deux attaques armées  dans cette zone. Il a voulu se montrer rassurant et a regretté qu’une partie de la population ait aidé les rebelles en leur fournissant de la logistique et des renseignements. Il les a mis en garde en indiquant qu’ils seront traités comme des assaillants également. Il a déclaré à la population que ces assaillants sont des « vauriens », infectés par des puce-chiques » et « qui ne pourront rien apporter à la population ».

Sur les mêmes ondes de VOA, Callixte Sankara a dénoncé la « stratégie du DMI », le service de renseignement militaire rwandais qui consisterait « à tuer la population à la machette pendant la nuit pour attribuer ces forfaits  au MRCD dans le but de soulever la population contre la rébellion ».

Constance Mutimukeye, Ruhumuza Mbonyumutwa et Grégoire Karekezi

Jambonews.net

[1] « Rwanda : le président Kagame est sur le qui-vive » , Le Soir du 17 juillet 2018.

[2] « Un ancien garde du corps de Paul Kagame menacé en Grande-Bretagne », RFI du 14 mars 2018.

Rwanda-juillet 1994 : que sont devenus les « Hommes d’union nationale »? (1ère partie)

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Première partie: Président et Premier Ministre 

Le 19 juillet 1994, suite à sa prise du pouvoir à l’issue d’une guerre de 4 ans, qu’il avait déclenchée le 1er octobre 1990 et durant laquelle les plus grandes violations du droit international humanitaire, dont le génocide, avaient été commises emportant la vie de près de 1,5 millions de personnes, le FPR annonçait la mise en place d’un gouvernement « d’Union Nationale ».

Dans l’ordre de gauche à droite : Asiel Kabera (Préfet de Kibuye), Théogène Rudasingwa (secrétaire général du FPR), Rose Kabuye (Préfet de Kigali), Aloysia Inyumba (Ministre de la famille), Kayumba Nyamwasa (chef d’Etat-major), Alexis Kanyarengwe (Vice-premier Ministre et Président du FPR), Laurent Munyakazi (chef de Brigade), Patrick Mazimpaka (Ministre de la Jeunesse), Paul Kagame (Ministre de la Défense et vice-Président), Pasteur Bizimungu (Président de la république), Joseph Sebarenzi (Président du Parlement (investi en 1997), Faustin Twagiramungu (Premier Ministre), Seth Sendashonga (Ministre de l’intérieur), Jean Mutsinzi (Président de la Cour suprême) , Jacques Bihozagara (Ministre de la Réhabilitation), Charles Ntakirutinka (Ministre des travaux publics), Alphonse Marie Nkubito (Ministre de la justice), Emmanuel Habyarimana (Secrétaire d’Etat à la Défense), Augustin Cyiza (Président de la Cour de Cassation), Protais Musoni (Préfet de Kibungo)

Après plusieurs décennies de divisions, de violences cycliques sur fond de clivage ethnique hérité de l’époque royale et cristallisé à l’époque coloniale, auquel était venu s’ajouter un clivage régional né au cours de la première république et accentué au cours de la seconde république, les Rwandais et les observateurs espéraient que la fin de la guerre suite à la victoire militaire totale d’une partie à ce conflit qui avait été le plus meurtrier depuis la seconde guerre mondiale allait enfin mettre un terme à cette série de violences cycliques et mettre le pays sur la voie d’une reconstruction durable, paisible et qui serait au bénéfice de l’ensemble des Rwandais.

Cet espoir était entretenu par le FPR lui-même qui bien que victorieux militairement et à même d’imposer unilatéralement sa politique annonçait, dans sa déclaration du 17 juillet 1994 relative à la mise en place des institutions, son attachement « aux principes qui constituent la charpente de l’accord de paix d’Arusha, à savoir :

  1. L’instauration d’un État de droit.
  2. La formation d’une armée nationale ouverte aux Rwandais de tous les horizons et vouée à la défense des intérêts de tout le peuple.
  3. L’instauration d’un partage du pouvoir dans le cadre d’un Gouvernement de transition à base élargie.»[1] 

Afin de respecter ces accords de paix signés un an plus tôt à Arusha et qui devaient être la charpente institutionnelle du Rwanda post-génocide, le FPR a annoncé la mise en place pour le mardi 19 juillet 1994 d’un « Gouvernement d’unité nationale largement représentatif » mais duquel seraient toutefois exclus « les partis MRND, CDR et tous les autres partis ou tendances qui ont été dans une alliance politique avec ces partis ou qui ont manifesté un quelconque soutien au Gouvernement autoproclamé le 9/04/1994»[2], le FPR s’auto-octroyant par la même occasion les sièges qui étaient réservés à ces partis.

Conformément aux accords d’Arusha, le FPR a annoncé que Faustin Twagiramungu, l’un des principaux leaders de l’opposition démocratique rwandaise sous le régime du Président Habyarimana, « conduira l’action du Gouvernement de l’unité nationale comme premier ministre. »

En tant que figures ou sympathisants du FPR depuis plusieurs années, le nom de certaines personnalités s’imposait de lui-même, d’autres en revanche, issus d’autres formations politiques durent être convaincus, parfois difficilement, finissant par accepter car persuadés qu’après l’horreur absolue, une opportunité historique était offerte à la nation rwandaise de renaître de ses cendres.

Du Président de la république aux préfets, en passant par les directeurs des principaux organismes d’Etat, Jambonews reviendra dans cette série d’articles à paraitre tout au long des prochaines semaines, sur le destin, 24 ans plus tard, de cette petite centaine d’hommes et femmes qui aux dires même du FPR, étaient supposés incarner l’union nationale au lendemain du génocide et ont, en conséquence, été investis des plus hautes fonctions de l’Etat.[3]

  1. Président de la République : Pasteur BIZIMUNGU (FPR)

Originaire de Gisenyi, la même préfecture que le Président Habyarimana, Pasteur Bizimungu, ancien directeur d’Electrogaz, rejoint le FPR en août 1990, mouvement au sein duquel il gravit rapidement les échelons pour en devenir l’un des négociateurs à Arusha.

Le 19 juillet 1994, par consensus du bureau politique du FPR, il fut nommé Président de la République, fonction qu’il a exercée jusqu’à sa démission en avril 2000 suite à une énième divergence avec le vice-président de l’époque, Paul Kagame.

Le ticket que Pasteur Bizimungu Hutu, francophone, originaire de Gisenyi au nord du pays, formait avec Paul Kagame, ancien réfugié tutsi en Ouganda et anglophone, était aux yeux des observateurs et certains Rwandais « censé symboliser la réconciliation après le génocide. »[4]

Pasteur Bizimungu, Président du Rwanda, accueille son homologue americain, Bill Clinton, à Kigali en mars 1998

Arrivé au FPR plein d’espoirs de voir le mouvement qu’il rejoignait apporter le changement auquel il aspirait, Pasteur Bizimungu a rapidement déchanté, confiant à Jeune Afrique, peu après sa démission, ses fortes désillusions dans la gouvernance du FPR: « Depuis cent cinquante ans il se passe dans ce pays, de façon cyclique, une lutte pour le pouvoir entre Hutus et Tutsis. Chaque fois que l’un des groupes s’empare du pouvoir, il essaye d’écraser l’autre jusqu’à ce que ce dernier prenne sa revanche. Nous pensions qu’avec le FPR les choses allaient changer, nous avons été déçus. Nous avons combattu le régime hutu de Juvénal Habyarimana qui contrôlait les institutions, la gendarmerie, les banques, etc., mais maintenant, c’est exactement la même chose. »[5]

Le 30 mai 2001, quelques mois après sa démission, il a annoncé la création d’un nouveau parti, le Parti démocratique pour le renouveau (PDR-Ubuyanja) qui entendait « forger une identité nationale pour transcender le clivage ethnique Hutu-Tutsi »[6]  auquel le FPR n’avait pas su mettre fin.

Il s’était dit fermement résolu à mener une opposition pacifique intérieure, et, conscient des risques qu’une telle opposition impliquait sous le règne du FPR, s’était dit prêt à « payer le prix fort » pour aller au bout de ses convictions.

Dans la matinée du 19 avril 2002, « après plusieurs mois de persécution, de harcèlement politique et d’agressions physiques »[7], il finit par payer ce prix et fut arrêté en compagnie de Charles Ntakirutinka pour avoir créé ce nouveau parti politique. Initialement arrêté pour création illégale d’un parti politique, il sera condamné deux ans plus tard à quinze ans de prison pour d’autres charges que celle pour laquelle il avait été arrêté, notamment l’association de malfaiteurs et l’appel à la désobéissance civile.[8]

A l’issue du jugement de première instance, Human Rights Watch avait pointé du doigt les faiblesses de l’accusation et les contradictions dans les témoignages[9], l’association exprimant ses « doutes sur la justice rwandaise » à l’issue du procès en appel.[10] RFI, qui avait également suivi de près le déroulement du procès a qualifié l’ancien président de « prisonnier d’opinion »[11].

Le 6 avril 2007, après 5 ans de détention, il fut libéré suite à une grâce présidentielle dont les raisons n’ont pas été expliquées.[12]

Depuis sa libération il vit au Rwanda. Brisé, il a disparu du paysage politique et ses apparitions publiques depuis lors se comptent sur les doigts d’une main.

  1. Premier Ministre Faustin Twagiramungu (MDR)

Né à Cyangugu dans le sud du Rwanda, Faustin Twagiramungu, gendre du Président Kayibanda renversé lors du coup d’Etat de juillet 1973, devient en 1991 l’un des fondateurs du Mouvement démocratique républicain (MDR), principal parti d’opposition au régime du Président Habyarimana dont il assura la présidence.

En avril 1994, comme tous les principaux opposants s’inscrivant dans la tendance « abajyojyi » et qualifiés alors de « complices » du FPR, Twagiramungu a vu sa vie menacée par la garde présidentielle dès l’assassinat du Président Habyarimana et n’a la vie sauve que grâce à l’intervention de la MINUAR, avant d’être évacué en Belgique. Durant le génocide il a perdu 32 membres de sa famille tués par les interahamwe.

Au lendemain de la victoire militaire du FPR, il fut contacté par Seth Sendashonga qui l’invita à rentrer au pays afin d’exercer la fonction de premier Ministre conformément aux accords d’Arusha. D’abord hésitant, Faustin Twagiramungu a finalement accepté la mission, « encouragé par certaines personnes de la communauté internationale»[13] qui voyaient en lui le symbole de la continuité et de la réconciliation.

Dans une audition du 12 mai 1998 auprès de l’Assemblée nationale de la France, il a expliqué avoir accepté car il était animé par la volonté de « reconstruire le pays et donner l’espoir aux gens » après la sombre période que la population venait de traverser.

A peine installé dans ses nouvelles fonctions, c’est la désillusion, il ressent « aussitôt que la substance des accords d’Arusha n’est plus là » et qu’il ne dispose d’aucun pouvoir de décision, lui à qui on hésite pas à publiquement rappeler qu’il n’avait « pas combattu ». A la mission d’information française, il donne, comme illustration de son impuissance de l’époque, l’exemple d’un ordre de mission pour une personne étrangère au gouvernement qu’il tarde à signer: « Un officier arrive et menace de me frapper pour avoir l’ordre de mission. »[14]

Faustin Twagiramungu

A côté des obstacles quotidiens qu’il rencontre dans l’exercice de sa fonction, il commence rapidement à recevoir quasi-quotidiennement des informations faisant état de massacres de civils Hutu perpétrés par l’armée du FPR aux quatre coins du pays.

Le 6 novembre 1994, alors qu’il est encore en fonction, le MDR dont il assure la présidence dénonce « l’incompétence » du FPR et dénonce dans un document de 32 pages « un second génocide perpétré par le FPR et les méthodes utilisées pour exterminer ses opposants qualifiés tous d’Interahamwe, signifiant pour les extrémistes du FPR, les Hutus d’une manière générale.»[15]

Dès le 8 décembre 1994, il évoque publiquement le gouvernement parallèle que formait l’armée, et devient depuis cette date « même plus une caution mais l’otage du nouveau régime. »[16]

Le 30 mai 1995, d’une voix blanche, il confie son dépit au quotidien français Libération: « Je connais un jeune homme, un Hutu, qui a fait ses études secondaires près de Kigali. En avril 1994, lorsque le pays plonge dans le génocide, il décide de rejoindre les rangs du FPR. Il combat et, comme il a la physionomie tutsie, il finit par être parfaitement intégré. Aujourd’hui, ce garçon veut se suicider : parce qu’il participe à des exactions, parce qu’il a creusé la tombe des Hutus sommairement abattus… Ce garçon ne peut pas quitter la nouvelle armée mais craint, tous les jours, qu’on découvre qu’il est lui-même hutu. »[17]

Malgré cette atmosphère suffocante, Faustin Twagiramungu refuse la fatalité:  «  Je me maintiendrai ici, tant que je pourrai, pour peser sur le cours des événements. Je ne me fais guère d’illusions, mais je n’ai pas peur. Depuis que j’ai échappé aux massacreurs de l’ancien régime, je me considère un peu comme un miraculé, un mort sursitaire. »[18]

Le 25 août 1995, lors de ce qui sera son dernier Conseil des ministres, Faustin Twagiramungu épaulé par Seth Sendashonga, le ministre de l’Intérieur, va au clash avec le Général Kagame, à qui les deux hommes reprochent « les tueries commises par des éléments de l’armée patriotique rwandaise. »[19] 

Le ministre de l’Intérieur, qui en l’espace d’un an aura écrit 762 lettres à Paul Kagame pour l’alerter sur les tueries en cours, déclare alors qu’au vu du silence du numéro un de l’APR face à ces lettres, il a fini par être convaincu que « le FPR a dans sa politique la volonté de tuer la population ».

Le général Paul Kagame, à l’époque ministre de la Défense et qui était assis à l’autre bout de la pièce en train de boire un verre d’eau, dépose le verre violemment sur la table et quitte la réunion.[20]

Le Colonel Joseph Karemera, alors ministre de la Santé, se lève alors dans une colère noire, s’approche de Seth Sendashonga et tout en saisissant le ministre de l’Intérieur par la gorge et lui pointant un doigt sur la tête, lui déclare en plein milieu de ce Conseil des Ministres bien particulier « this big head of yours, we are going to blow it up. »[21]

Les Ministres se dispersent dans un silence de cathédrale, la rupture est définitive. Faustin Twagiramungu qui vient de perdre ses dernières illusions sur la possibilité de peser sur les événements décide alors, avec d’autres ministres, d’une démission collective.

Moins de trois jours plus tard, alors que le FPR a eu vent de ce projet de démission, Faustin Twagiramungu est officiellement révoqué par le parlement qui l’accuse de « ne pas assurer la coordination au sein du gouvernement »[22] en même temps que quatre autres ministres. D’autres ministres qui devaient se joindre à la démission collective, n’ayant pas, par crainte de représailles, osé aller au bout de leur projet.

Faustin Twagiramungu tire un bilan particulièrement « amer » des 14 mois passés au gouvernement dont la pomme de discorde aura été la sécurité de la population, lui et d’autres, en particulier les ministres de l’Intérieur et de la Justice, évoquant pratiquement à chaque Conseil des ministres la question des massacres que l’Armée patriotique rwandaise était en train de commettre contre la population aux quatre coins du pays.

Aujourd’hui exilé en Belgique, Faustin Twagiramungu préside le parti d’opposition « Rwandan Dream Initiative » et dénonce régulièrement les abus du régime du FPR et son président Paul Kagame qu’il accuse d’être derrière l’attentat du 6 avril 1994 et d’avoir planifié et commis « deux génocides, au Rwanda en 1994-1995 et en RDC en 1996-1998 ». 

Il promet de continuer à dénoncer la réalité des crimes du FPR « jusqu’à son dernier soupir ».

 

Ruhumuza Mbonyumutwa, Jean Mitari, Anastase Nzira, Norman Ishimwe, Alfred Antoine Uzabakiliho;

Jambonews.net

 

[1] Déclaration du Front patriotique rwandais relative à la mise en place des institutions du 17 juillet 1994.

[2] Ibid.

[3] Les postes occupés, l’ethnie ainsi que la commune d’origine de la plupart des personnalités mentionnées ci-dessous, sont tirées de l’annuaire « Gouvernements, représentation politique, principaux corps d’Etat, institutions de la société civile » publiée par André Guichaoua.

[4] « L’ancien président rwandais Pasteur Bizimungu a été libéré », LeMonde du 6 avril 2007

[5] Ibid.

[6] « Je suis prêt à payer le prix le fort », J.A., l’intelligent, n° 2112 du 3 au 9 juillet 2001.

[7] « Ex-Président BIZIMUNGU et ex-Ministre NTAKIRUTINKA arrêtés », communiqué 060/2002 du Centre de lutte contre l’impunité et l’injustice au Rwanda, du 21 avril 2002.

[8] « Rwanda : jugement historique attendu pour l’ancien président et sept autres accusés », note d’information de Human Rights Watch, janvier 2006.

[9] Ibid.

[10] Rwanda Condamnation confirmée pour Bizimungu, RFI du 17 février 2006.

[11] Pasteur Bizimungu, prisonnier d’opinion, RFI du 8 juin 2004.

[12] « L’ancien président rwandais Pasteur Bizimungu a été libéré », o.c.

[13] Audition de Faustin Twagiramungu à la mission d’information de l’Assemblée nationale française du 12 mai 1998.

[14] Ibid.

[15] Audition de Faustin Twagiramungu à la mission d’information de l’Assemblée nationale française du 12 mai 1998, p. 11.

[16] « Twagiramungu, martyr de la réconciliation, le Premier Ministre démissionné prônait l’unité entre Hutus et Tutsis », libération du 30 août 1995.

[17] Ibid.

[18]Ibid.

[19] « Quatre Ministres révoqués en plus de Faustin Twagiramungu. La crise au Rwanda compromet le retour des réfugiés », LeSoir du 30 août 1995.

[20] Témoignage de Jean-Baptiste Nkuliyingoma, Ministre de l’information qui assistait stupéfait à la scène, dans le documentaire « Celui qui savait », réalisé en 2001 par Julien Elie.

[21] Témoignage de Cyrie Sendashonga, veuve de Seth Sendashonga, dans le documentaire « Celui qui savait », réalisé en 2001 par Julien Elie.

[22] « Twagiramungu, martyr de la réconciliation, le Premier Ministre démissionné prônait l’unité entre Hutus et Tutsis », libération du 30 août 1995.

La dette du Rwanda: ce que les parties prenantes doivent savoir – (1ère partie)

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La dette extérieure du Rwanda est passée de 900 millions de dollars en 1994 à 1,7 milliard de dollars en 2004. Le pays a bénéficié d’un allégement conséquent de la dette en 2006, ce qui a ramené sa dette à 400 millions de dollars. Cependant, onze ans plus tard, la dette extérieure est montée à 3 milliards de dollars, équivalents à 38,4% du produit intérieur brut (PIB) du pays. En outre, la dette intérieure du Rwanda a presque triplé passant de 300 millions de dollars en 2010 à 850 millions de dollars (9,7% du PIB) en 2017. En conséquence, la dette publique brute du pays s’élevait à 3,9 milliards de dollars – soit 48% du PIB en 2017.

Alors que le niveau croissant de la dette extérieure du Rwanda pourrait paraître précaire, les institutions de Bretton Woods affirment que ce n’est pas le cas. Selon l’analyse de viabilité de la dette (AVD) publiée conjointement par le Fonds Monétaire International (FMI) et la Banque Mondiale en juin 2017, le risque de surendettement extérieur du Rwanda reste faible.

Malgré cela, le pays continue de recevoir des avertissements sur sa frénésie d’emprunt. En novembre 2017, Fitch Ratings, une agence de notation financière, a prévenu que l’incapacité du Rwanda à ralentir la hausse de sa dette extérieure nette et stabiliser la trajectoire ascendante de son ratio dette publique brute / PIB brut pourrait peser individuellement ou collectivement sur la notation financière du pays. En outre, le rapport economic update sur le Rwanda de la Banque Mondiale publié en décembre 2017 a fait état d’une accumulation persistante de la dette parmi les principaux risques qui pèsent sur les perspectives de croissance économique du pays (Page 14).

Les hauts fonctionnaires du Rwanda ont cependant minimisé ces avertissements. Plus tôt en février 2018, le ministre rwandais des Finances a déclaré: « Nous ne pouvons pas prendre plus de dettes que nous ne pouvons en supporter. Nous sommes prudents dans notre gestion de la dette. Aussi, lorsque vous regardez des aspects tels que le service de la dette, l’augmentation des exportations et la réduction du déficit commercial entre autres, nos niveaux d’endettement sont très gérables. »

Deux semaines plus tard, à la mi-février 2018, le chef de la mission du FMI au Rwanda a réaffirmé le discours officiel du pays mais a fixé les conditions. Les responsables du FMI ont déclaré que le Rwanda devrait éviter les dettes inutiles qui ne sont pas rentables et averti que les dettes intérieures sont relativement chères en raison des taux d’intérêt plus élevés qui leur sont imposés.

Face à ce contexte peu explicite autour des dettes du Rwanda, il y a des faits considérables auxquels les citoyens, les futurs décideurs politiques, les investisseurs et les partenaires du Rwanda devraient sérieusement prêter attention.

En mars 2018, le FMI a mis en garde contre un risque croissant de crise de la dette parmi les pays pauvres, catégorie dont le Rwanda fait partie. Le FMI a constaté que 40% des pays en développement à faible revenu sont confrontés à d’importants problèmes de dette. Cependant, les pays spécifiquement concernés n’avaient pas été nommés.

Néanmoins, en mai 2018, Jubilee Debt Campaign, un mouvement basé au Royaume-Uni qui s’efforce de briser les chaînes de la dette, a classé le Rwanda parmi les pays à risque de crise de la dette publique. Cette classification a été approuvée suite à l’évaluation de divers indicateurs économiques qui mesurent le risque lié à l’endettement du Rwanda. Il a été observé que la dette extérieure nette du Rwanda (différence entre actifs et passifs externes) était de -26% du PIB, proche du seuil tolérable de -29%. L’actuel déficit moyen du pays sur trois ans était de 8,4% du PIB, bien au-dessus de la limite normale de 3% du PIB. En outre selon les prévisions, les paiements de la dette extérieure du Rwanda devaient dépasser 15% des recettes publiques sur plusieurs années, alors que la dette extérieure du pays s’élève à 38,4% du PIB, près du seuil acceptable de 40% du PIB. De plus, la dette extérieure du pays s’élève à 262% des exportations, bien au-dessus du point de contrôle de 150%, et son paiement de la dette extérieure est de 9,1% des revenus, proches de la limite acceptable de 10%. Compte tenu des indicateurs soulignés, le Rwanda a été classé parmi les pays à risque de crise de la dette publique.

Malgré cela, la dette publique brute du Rwanda devrait augmenter au cours des années à venir. Dans son rapport de mai 2018, l’agence de notation Fitch Ratings explique que l’augmentation de la dette publique du Rwanda devrait provenir du déficit budgétaire, de l’impact de la dépréciation de la monnaie locale sur la dette en monnaie étrangère, de l’accroissement des emprunts garantis par l’Etat, et la tendance des donateurs à transformer les subventions en prêts concessionnels. L’agence de notation a également prévu que le Rwanda ferait face à un risque de refinancement à l’avenir, soit que le Rwanda ne puisse pas refinancer en empruntant pour rembourser la dette existante.

Un mois plus tard, en juin 2018, la Banque mondiale réitérait ses prévisions sur le risque du refinancement de la dette commerciale du Rwanda. Malgré l’analyse de viabilité de la dette (AVD) indiquant que le surendettement du Rwanda reste faible, le rapport de la Banque mondiale indique que : « L’AVD 2017 a montré, cependant, que les ratios service de la dette par rapport aux exportations et aux recettes enfreignent les seuils des remboursements projetés d’euro-obligations en 2023. Bien que cette infraction semble temporaire et gérable, il illustre les risques auxquels le Rwanda pourrait être confronté pour le refinancement de sa dette commerciale si les conditions sur les marchés internationaux ne sont pas favorables. » (Pge 11)

En fait, l’espace fiscal du Rwanda s’est progressivement rétréci en raison de l’endettement du pays. De ce fait, sa capacité à fournir des ressources pour des objectifs voulu sans compromettre la viabilité de sa situation financière ou la stabilité de l’économie est étrécie (Pge 13). Selon la Banque mondiale, les années fiscales nécessaires pour que le Rwanda puisse rembourser sa dette publique sont passées de 1,7 en 2012 à 2,2 en 2014 et à 3,0 en 2016 (ibid). La banque a ensuite déclaré que cette tendance indique un rétrécissement de l’espace fiscal du Rwanda. Si elle suit cette trajectoire, cela pourrait également compromettre la viabilité de la dette du pays (Pge 14).

Le risque fiscal du Rwanda est exacerbé par les grands projets qui ont été exécutés grâce à des emprunts extérieurs mais qui n’ont pas encore généré les rendements attendus. C’est ce que réaffirme la Banque mondiale, qui a souligné que les rendements économiques des investissements publics importants réalisés pendant la période de 2012 à 2015 pourraient être inférieurs aux prévisions ; et cela soulève des préoccupations quant à la viabilité fiscale du Rwanda. Parmi ces projets figurent la construction du Centre des congrès de Kigali (KCC) et l’expansion de Rwandair. Pour ce dernier, Rwandair a reçu des subventions et des prêts du gouvernement estimés à 440 millions de dollars entre 2013 et 2016. Près de 70% des prêts nets totaux du Rwanda pour l’année 2016-2017 étaient destinés à Rwandair (Pge 9). Malgré cela, la compagnie aérienne n’a pas encore généré un rendement proportionnel à l’investissement réalisé.

Se pourrait-il que les emprunts en cours du Rwanda, qui servent principalement à financer les opérations de KCC et Rwandair, font partie de ces dettes inquiètantes contre lesquelles le FMI mettait en garde le Rwanda à la mi-février 2018? Récemment, Fitch Ratings a également mis en garde le Rwanda contre l’augmentation significative des passifs éventuels, citant la compagnie aérienne publique Rwandair comme l’une des sensibilités de notation financière  du pays.

Ce qui précède soulève de sérieuses questions de la part des parties prenantes sur les politiques monétaires du Rwanda et sur le leadership en charge de définir l’orientation des emprunts du Rwanda et la gestion de ceux-ci. Dans la deuxième partie de cet article, la dette intérieure du Rwanda sera discutée, fournissant des faits révélateurs et des explications pointues. Cette deuxième partie illustrera également le fait que l’endettement est devenu l’une des raisons empêchant le Rwanda de réaliser son programme de développement dît « Vision 2020 ».

Aimé Muligo Sindayigaya

www.jambonews.net

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RDC : La rédemption Bemba !

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Article d’opinion soumis pour publication par l’auteur

Dans sa vie, il aura  connu toutes les facettes : Chef rebelle, Vice-président, Candidat président malheureux, prisonnier… Et nul doute aujourd’hui… Rédempteur. Depuis son acquittement naguère par la Cour Pénale Internationale, CPI, Jean-Pierre Bemba est de retour sur le paysage politique congolais. Personne n’en croyait à ce scénario. Et surtout pas en cette année 2018 où il était a priori non partant.  Le mois dernier, Bemba est apparu quelques fois dans les médias. On voit une image d’un homme qui aurait changé à La Haye. Une série d’imageries sanctificatrices et rédemptrices. L’Homme tient un discours très soigné par ses « Spin Doctors ». Le chairman, comme il aime se faire appeler, affectionne par ses propos la RDC. Même si de manière superficielle, il établit de façon sommaire sa vision pour le Congo, en parlant notamment des défis sécuritaires, des morceaux des discours déjà entendus en 2006. Dirions nous, est-il celui qui devrait venir ?

Ce mercredi 1er août, Jean Pierre Bemba Gombo est rentré au Congo, la terre de ses ancêtres. Onze années se sont écoulées depuis que l’ancien vice-président a quitté Kinshasa. A l’antipode de son départ en cascade à la suite des événements douloureux de 2007, Bemba a reçu un accueil triomphal. Certains congolais déjà amnésiques, lassés par le régime de Kabila, ont  même oublié  dans leur tête l’image négative qu’ils collaient à Bemba du fait de son passé de chef de guerre. L’homme est complètement lavé de toutes les accusations de crimes de guerre. Vraiment ? Seul l’avenir nous le dira. Une question est mérite réponse, quel est cet homme qui fait peur au régime en place. Pourquoi le retour de Bemba sur la scène politique congolaise suscite autant de questions?

L’histoire de la famille Bemba est liée à celle du Zaïre. A l’époque de la deuxième République, le nom Bemba sera étroitement associé aux Apparatchiks du pouvoir. Le père Bemba Saolona, est un riche homme d’affaires. Patron des patrons. Originaire de la Province de l’Equateur, le même territoire que le Président Mobutu Seseko. A la suite de la politique de la nationalisation appelée « La Zaïrianisation », bon nombre d’hommes d’affaires zaïrois (auj., congolais), ont pu profiter du système économique issu de la politique de ladite nationalisation pour s’enrichir. De père en fils, il n’y a qu’un pas. Disons un lien du sang, une marque indélébile. Même si dans la pratique, le fils n’est pas un commerçant rigoureux comme le père. Mais Il se passionne pour le Management appris dans les hautes écoles. Il reprend les enseignes théoriques qu’il a reçues dans les écoles de commerce en Occident. Dans les archives du Zaïre, outre les prouesses du Père, on notera un bref passage du fils dans le cabinet du Président Mobutu. Il sera le conseiller économique du dictateur vers la fin de son règne. Une situation délicate pour Bemba dans ses tâches de restaurer l’économie exsangue du Zaïre.

Août 1998, marque le début de la guerre du Congo. A l’occasion, on a pu retrouver le fils Bemba parmi les belligérants. Il endossait le costume de chef de guerre. Un rebelle. L’image contraste avec sa personnalité, qu’on a toujours présenté comme « un fils à papa », « un enfant gâté aux idées simples.» Une partie de l’opinion congolaise lui reproche, durant cette énième rébellion sa connivence avec l’Ouganda de Yoweri Museveni qui lui fournit des hommes lourdement armés et des munitions. C’est une alliance de trop pour de nombreux congolais, qui n’ont toujours pas compris le deal de la guerre dite de libération de 1996, celle ayant permis au  pouvoir de Kabila de s’installer avec la bénédiction de Paul Kagame. En 2003, suite aux accords signés à Sun City, Bemba intègre le gouvernement d’Union nationale. Il occupe le poste de vice-président chargé d’économie et finance. En 2006, il est candidat malheureux aux élections présidentielles face à Joseph Kabila, le président sortant. En 2007, il part en exil après que ses hommes aient refusé d’être démilitarisés. Accrochages armés entre la garde rapprochée de Bemba et la Garde Républicaine de Kabila. On dénombre plusieurs morts. Les médias nationaux accusent Bemba d’avoir jeté de l’huile sur le feu. Il quitte le pays clandestinement. On le voit désormais dans sa villa de Faro au Portugal. Ou également quelques virées du côté de Rhodes-Saint Genèse, un quartier huppé de la banlieue bruxelloise en Belgique. En 2008, Bemba est arrêté dans la capitale belge et transféré à la Haye aux Pays-Bas, suite à un mandat d’arrêt international émis à son encontre. On reproche à ses hommes d’avoir commis des atrocités en Centrafrique.

Bemba passera dix années dans les geôles de la CPI, avant d’être acquitté et remis en liberté en juin dernier.

 

Maty Mati,

Citoyen congolais

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Rwanda : l’armée menace de s’en prendre aux civils « comme en 1997»

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Le 18 Juillet 2018, Jambonews retraçait la chronologie des évènements relatifs aux attaques dans le sud du Rwanda.  Suite à ces attaques, l’armée rwandaise a convoqué la population à plusieurs réunions afin de la mettre en garde contre une éventuelle tentation de soutenir les assaillants. « Lorsque vous hébergez un ennemi, il y a un proverbe rwandais qui dit que  lorsque tu couvres un empoisonneur, il fait quoi ?… (réponse de la foule : « Il extermine tes enfants ! ») Ce sont des choses que nous avons connues en 1994, en 1997, lors des infiltrations, ceux qui ont tenté de cacher des gens, des proches, tous ceux-là finissaient par être tués avec eux. (…) La plupart du temps vous nous considérez comme de vieux lions sans utilité, mais dès que les combats vont reprendre, vous verrez que nous allons vous écrabouiller, et vous le savez très bien parce que ce n’est pas la première fois que cela se passe. Nous avons été entraînés à traquer l’ennemi. Lorsque l’on attrape un ennemi, il n’y a rien d’autre à faire, c’est nettoyer.»  Tels sont les propos tenus par le Colonel Muhizi devant la population lors d’une réunion à Gisenyi le 08 juillet 2018[1].

 Eric MANIRIHO

Eric MANIRIHO

La population est prévenue, si elle se hasarde à soutenir les assaillants, elle risquerait de revivre la répression sanglante exercée par l’armée à la fin des années 90 lors de la guerre dite des « Abacengezi » (les Infiltrés).  Le discours du Colonel Muhizi rappelle d’ailleurs le climat et les avertissements qui avaient précédé cette campagne sanglante. Dans son rapport « Rwanda – Rompre le silence » publié en septembre 1997, Amnesty International décrivait ainsi la période ayant précédé ces massacres de la population civile principalement dans les zones de Ruhengeri et de Gisenyi : « Les autorités n’ont cessé de mettre en garde la population contre la tentation d’abriter ou d’aider de quelque façon des « infiltrés ». Cela étant, il n’existe aucune preuve permettant de penser que les civils non armés qui ont été victimes d’exécutions extrajudiciaires auraient aidé des groupes armés. » [2]

Dans cette guerre des Abacengezi, plus d’une centaine de milliers de civils seront ainsi tués dans une indifférence quasi-générale[3]. Ainsi, rien qu’entre septembre 1997 et avril 1998, des diplomates présents à Kigali estiment à environ 50 000 le nombre de personnes tuées, la plupart d’entre elles entre les mains de l’APR.[4]   

Jambonews a rencontré Eric Maniriho, un jeune rescapé des massacres qui eurent lieu dans la préfecture de Ruhengeri.  Aujourd’hui exilé en Belgique, il revient sur ses douloureux souvenirs de cette période.

La guerre des Abacengezi – « les Infiltrés »

Les Abacengezi ou infiltrés est un mouvement de rébellion, créé  par une partie d’anciens membres des Forces armées rwandaises. Leur spécificité était de faire des incursions et des attaques éclairs au Rwanda. On peut situer les premières infiltrations vers la fin de l’année 1995 et le début de l’année 1996. Les attaques s’intensifièrent après la destruction des camps de réfugiés à l’Est du Congo. Face à ces attaques, l’Armée patriotique rwandaise mena des représailles contre la population civile, qu’elle accusa d’être complice des infiltrés. Dans son rapport « Rwanda – Rompre le silence » précédemment cité,  Amnesty décrit la réaction de l’armée rwandaises : « Des milliers de civils non armés ont été tués lors d’opérations de ratissage menées par l’APR à la suite d’attaques attribuées à des groupes d’opposition armés ou d’affrontements entre soldats de l’APR et « infiltrés ». Pendant ces opérations militaires, qui ont parfois lieu quelques heures après l’attaque et parfois au cours des jours suivants, l’armée commet souvent des homicides à titre de représailles. La grande majorité de ceux qui ont été tués lors de ces opérations étaient des civils non armés qui ne participaient pas au conflit et ne représentaient aucune menace par exemple des hommes et des femmes âgés, ou de jeunes enfants, qui ont été tués chez eux ou bien à l’extérieur, dans un endroit où les soldats les avaient rassemblés. La stratégie anti-insurrectionnelle de l’APR a pour effet de terroriser la population civile qui vit dans les zones où des rebelles sont supposés se cacher. »[5]

Intérrogé à l’époque par la BBC, le Colonel Kayumba Nyamwasa, à l’époque chef d’Etat-Major de l’APR et en charge de diriger les opérations sur le terrain,  admettait lui-même qu’il y avait eu des bavures mais signalait aussitôt que sa préoccupation était d’écraser les  infiltrés : « Nous avons les moyens, nous avons la volonté. Nous les tuerons (les milices Hutu) jusqu’à ce qu’ils perdent l’appétit pour la guerre ».[6]

Le témoignage d’Eric Maniriho alias « Matata »

Carte de la préfecture de Ruhengeri (actuellement Musanze)

Carte de la préfecture de Ruhengeri (actuellement Musanze)

Eric Maniriho, couramment appelé « Matata », est né en 1988 à Ryinyo, commune Nkuli, préfecture Ruhengeri.  Il a très peu de souvenirs de la période de 1994. Il s’est installé avec sa famille dans les camps des réfugiés de Mugunga après leur fuite du Rwanda.

Lors des premières attaques contre les camps de réfugiés pendant la première Guerre du Congo, Matata et sa tante maternelle sont retournés au Rwanda, avec le groupe des réfugiés qui sont rentrés directement au Rwanda. Arrivés au Rwanda, ils passèrent par le camp de transit de Nkamira, dans la commune de Gisenyi. Transiter dans un camp  était une obligation pour tous les réfugiés. Dans ces camps les réfugiés étaient triés : les hommes soupçonnés d’être des anciens militaires étaient mis de côté et n’étaient plus revus, les femmes et les enfants étant libérés.

Premiers pas au Rwanda, début de la guerre des Abacengezi

Dans un premier temps, la tante de Matata l’amène chez elle à Mukingo. Peu de temps après, elle l’amène dans la famille de son père à Ryinyo. Sur place il retrouve ses grands-parents et ses deux oncles paternels.

Matata raconte qu’à Mukingo dans la famille de sa mère, ils vivaient dans un climat de peur. En effet deux de ses oncles étaient d’anciens militaires et donc la famille de sa mère était potentiellement des cibles du FPR. « C’est comme si les Inkotanyi faisaient des listes des ex-militaires. »

La commune de Ryinyo était éloignée de la position des Inkontanyi à Mukamira, soit à 45 minutes de Ryinyo. Malgré la distance il y avait aussi un climat de peur car il y avait parmi la population des « kadas », les informateurs du FPR, qui venaient se renseigner sur la population. «Nous ne voyions pas d’Inkotanyi, mais il y avait des « kadas » qui venaient se renseigner par foyer, pour savoir qui avait habité ce foyer auparavant et où ces personnes étaient à présent. ».

C’est en 1996 que Matata assista à la première attaque du FPR contre un civil dans son village. Cette attaque marqua le début officiel des tueries des civils à Ryinyo.

Les attaques ciblées

Au travers du récit de Matata, des catégories de massacres menés contre les civils ressortent :

L’élimination des hommes :
  • Dans le camp de transit de Nkamira, les hommes furent séparés des femmes et des enfants et amenés vers un endroit inconnu. Pour la plupart d’entre eux, personne ne sut ce qu’ils étaient devenus. Matata raconte que par la suite, ceux qu’ils ont pu croiser leur ont dit que les uns étaient en prison et les autres morts.  Human Rights Watch (HRW) illustre le propos de Matata dans le paragraphe « Détentions arbitraires, torture et mauvais traitements » de son rapport intitulé « De la recherche de la sécurité aux abus des droits de l’homme » publié en avril 2000. En effet dans cette guerre des Abacegenzi, beaucoup d’hommes furent arbitrairement détenus  et torturés : « Des soldats de l’APR ont emprisonné des civils dans au moins deux centres de détention illégaux à Gisenyi. L’un d’eux est un ancien poulailler situé entre l’hôpital vétérinaire et la brigade de la gendarmerie. L’autre, connu sous le nom de MILPOC, est une jolie maison de stuc jaune, située dans une rue plantée de palmiers, en bordure de la rive du Lac Kivu ».
  • La première victime du FPR à Ryinyo, est aussi un homme. Il était en route vers le marché avec un panier de bananes à vendre lorsqu’il croisa le chemin de militaires de l’APR qui lui demandèrent de manger toutes les bananes. L’homme leur fit remarquer qu’il ne pourrait pas toutes les manger, alors ils lui proposèrent de l’aider. « Quand nous avons trouvé son corps ils avaient ouvert son ventre et versé tout le panier des bananes dedans.»
  • Matata nous raconte aussi le cas d’un jeune homme qui terminait ses études secondaires à Butare. Il était en vacances chez son père et croisa un jour des militaires sur son chemin. N’étant pas au courant de la méthode à adopter pour survivre, à savoir courir et se cacher, il se fit attraper par les militaires. Ils l’enroulèrent dans un matelas et y mirent le feu. Son père, qui avait assisté à la situation caché dans des greniers, sortit de sa cachette et frappa l’un des militaires en disant : «Vous venez de tuer mon fils, tuez-moi aussi ». Il fut tué sur le champ.

Dans son témoignage Matata nous donne de nombreux exemples d’atrocités dont il a été témoin. En une phrase, il résume ce qui est arrivé aux hommes de Ryinyo : «Chez nous il n’y a plus d’hommes. Celui qui n’est pas mort à Nkamira a été tué durant cette période des Abacengezi. Les hommes qui sont là sont ceux de ma génération, les autres ont été exterminés. »

L’élimination de la famille de Nsabimana
Général Nsabimana Déogratias

Général Nsabimana Déogratias

Déogratias Nsabimana, ancien général et chef d’Etat-Major des Forces armées rwandaises (FAR), a été assassiné le 06 Avril 1994 aux côtés du président Juvénal Habyarimana lorsque l’avion présidentiel fut abattu. Matata est de la famille du  Général Nsabimana, qui est le frère de sa grand-mère. Pour ce seul motif,  la famille de Matata a été décimée.

Les informateurs du FPR avaient fait la liste des membres de sa famille et ils furent assassinés les uns après les autres :

  • Sur le chemin du travail, le beau-frère de la grand-mère de Matata, fut abattu par balles. Deux mois après son assassinat, c’est fut le tour de sa femme et leurs trois enfants.
  • Un mois après, c’est la tante maternelle de Matata qui fut assassinée avec son mari et ses trois enfants.
  • Par la suite ce fut au tour de Matata et de sa grand-mère d’être les cibles. Cela se passa lors d’une attaque organisée contre tous les habitants du secteur de Ryinyo. Matata et sa grand-mère se retrouvèrent piégés dans une vallée avec 400 autres personnes. L’attaque commença vers 5h du matin et termina vers 15h. Sur les 400 civils piégés par les militaires, seules 4 personnes dont Matata purent survivre .

Personne ne fut épargné, que ce soit les personnes âgées, comme la grand-mère de Matata, ou les enfants, comme le petit de garçon de trois ans assassiné ce jour-là. Sans entrer dans les détails Matata, raconte l’assassinat de sa grand-mère auquel il a assisté impuissant. Il s’est aperçu que les Inkotanyi l’avaient attrapée : « Elle était à genoux et les suppliait. Ils disaient : « C’EST ELLE », ils la connaissaient, ils appelaient leurs camarades pour leur montrer leur proie : « C’est elle ». Ils festoyaient. Ils se félicitaient. Quant à elle, elle les suppliait : « Mes enfants, ayez pitié de moi » ». La suite est difficile à raconter pour Matata. C’est ce jour-là que sa grand-mère fut assassinée.

Quant au petit  garçon, son père désigné par les Inkotanyi comme l’un des hommes à abattre absolument, se résigna à poser son enfant par terre, fatigué. Quelques minutes plus tard, Matata aperçut le corps de l’enfant. « Ils avaient planté un couteau dans la tête de l’enfant, il était mort. »

  • Plusieurs mois après, les Inkotanyi menèrent une autre attaque ciblée dans le secteur de naissance du général Nsabimana. Un jour, un homme qui essayait de capter la BBC tomba sur la station de radio des Inkotanyi et intercepta ce message : « Quand vous arriverez sur le secteur de naissance de Nsabimana, tirez sur tout ce qui bouge. » C’est dans cette attaque que le grand-père de Matata fut tué.
  • Il y eut aussi un homme, Zaria, un ami du père de Matata. Il fut attrapé par les Inkotanyi et ils dirent, «Voici le frère de Castar (surnom du général Nsabimana).» Ils l’ont découpé en morceaux.

Matata résume la destruction de sa famille comme suit : « Nous avons vraiment été des victimes du FPR. Ils nous ont beaucoup recherchés et ils ont tué beaucoup de membres de ma famille. Celui qui n’a pas été tué est à ce jour refugié. Le FPR a assassiné ma famille, ils ont décimé ma famille. »

Les méthodes utilisées contre la population civile

Les attaques organisées et concertées

Les attaques subies par Matata et les habitants du secteur Ryinyo n’étaient pas le fruit de hasard. Matata raconte en détail l’organisation et la logique implacable, les points communs des attaques qu’ils ont subies.   A titre d’exemple, l’organisation mise en place dans l’attaque qui a couté la vie à la grand-mère de Matata :

  • Des informateurs étaient présents parmi la population pour surveiller les mouvements des habitants. Par exemple, les habitants avaient pris l’habitude de se cacher la nuit pour éviter d’être tués. Lors de l’attaque les Inkotanyi se dirigèrent directement vers leurs cachettes.
  • Les soldats du FPR se divisèrent en plusieurs groupes, profitant d’un environnement montagneux et vallonné pour se positionner de façon à enfermer les habitants dans une vallée, tout en les dominant sur les hauteurs de la montagne.
  • Dans la même nuit Nyamutera, la commune voisine de Nkuli, fut attaquée et les habitants de Nyamutera furent aussi dirigés vers la même vallée.
  • Une fois encerclés, les Inkotanyi massacrèrent presque tous les habitants. Seuls 4 survivants, sur une population d’environ 400 personnes.

On retrouve des similitudes dans l’organisation de toutes les attaques relatées par Matata. Notamment dans celle qui a couté la vie à son grand-père.

Les massacres à l’arme blanche

Au fil des attaques, les habitants du secteur Ryinyo avaient accepté le fait de mourir. La mort était devenue banale, ils ne se faisaient pas d’illusion quant à leur issue, mais voulaient se battre pour mourir par balle et non par l’une des autres méthodes utilisées par les Inkotanyi. Du témoignage de Matata, il ressort ces quelques méthodes utilisées :

  • Brûler vif : « Les Inkotanyi ne se déplaçaient pas les mains vides, mais toujours avec des bidons d’essence, ils ont brulé cette maison et tous ceux qui étaient à l’intérieur y ont laissé leur vie. »
  • Découper en morceaux une personne: « Au fait ils se mettaient à plusieurs pour découper en morceaux une personne, voyez-vous ? Il fallait attacher la personne, avoir le temps de la découper… Ils se mettaient à plusieurs pour le faire. »
  • Assommer une personne dans son sommeil en utilisant l’Agafuni (NDLR : petite houe ou méthode d’exécution commune au FPR) : « Eux (Inkotanyi) étaient là, cachés en attendant que la nuit tombe, et ils sortaient vers 2h du matin, pour qu’ils puissent surprendre un maximum de gens dans leur sommeil et les tuer facilement sans même tirer, en utilisant l’Agafuni.»
  • Enfoncer une fourche dans le crâne d’une personne : « Ils les ont pris et fait asseoir par terre, ils ont commencé par le grand frère et lui ont assené la fourche dans le crâne.»
  • Parfois le viol pour les jeunes filles : « Ils ont commencé par la violer et à la fin ils leur ont planté des couteaux, à elle et à sa petite sœur à Mukingo.»
  • Attaque par avions militaires: Matata nous raconte le jour où ils se sont fait attaquer par des avions militaires. Ce jour-là toute la population fit une course poursuite contre les bombes lâchées par des avions militaires.  « Du coup, nous nous sommes retrouvés, toute une foule, en train de courir,  les avions à notre poursuite tout en nous bombardant. » Dans un reportage  de la RTBF, la présence de ces avions est mentionnée avec la version officielle des autorités de Kigali : « Pour éliminer la guérilla estimée à plus ou moins 20 000 hommes, Kigali  n’hésite pourtant pas à employer les grands moyens, les hélicoptères ont bombardé à plusieurs fois la région. »
  • Piéger les gens dans une grotte: Matata se souvient aussi de la fois où la population pourchassée et piégée par les Inkotanyi est entrée se cacher dans une grotte. Les militaires du FPR prirent du piment et le mélangèrent aux pneus, après brulèrent le mélange et dirigèrent la fumée vers la grotte. La suite, racontée par Matata : « Après ils ont condamné l’entrée de la grotte avec du béton, et c’était fini… Ils sont décédés dedans, à cause de la fumée du mélange piment et pneus. Ils avaient condamné la grotte et y sont restés trois jours pour s’assurer que le béton sèche ».

Selon les autorités de Kigali, dans la version officielle racontée à la RTBF, l’armée rwandaise était en train de repousser une offensive de rebelles hutu. Après les avoir refoulés vers les grottes, l’armée a d’abord gardé les différents accès puis comblé les accès.  Mais dans le même reportage, des témoins anonymes affirment que ce n’étaient pas des rebelles mais des civils, le chiffre de 8000 personnes mortes prises au piège est cité. Un homme raconte : « Mes enfants étaient en train de fuir, ils ont croisé les gens qui fuyaient vers les grottes et les ont suivis. Nous avons essayé de contacter les autorités, quand nous avons expliqué la chose au bourgmestre, on nous a emprisonnés. Après un mois et demi s nous ont relâchés. »

  • Songamane: un acte d’humiliation qui a été utilisé par le FPR pour dominer la population. Le rapport du HRW précédemment cité en parle en ces termes : « La pratique consistant à forcer les gens à s’asseoir en rangs très serrés a fréquemment été utilisée par l’APR afin de démontrer le contrôle qu’elle exerce sur les populations… Ce type d’humiliation délibérée est connu en swahili sous le nom de Songamane  »

Durant trois jours, les habitants de Ryinyo subirent l’humiliation du Songamane. Dans leur cas, les Inkotanyi interdirent aux femmes d’allaiter leurs nourrissons, dont certains finirent par mourir de faim.

La vie après la guerre des Abacengezi

Eric vit actuellement en exil en Belgique

Eric vit actuellement en exil en Belgique

Si Matata a survécu, on comprend dans son récit que c’est par une succession de chances. Dans sa commune et dans les communes voisines, des nombreuses personnes ont été assassinées. Une partie d’entre elles a pu être enterrée : « Les Inkotanyi ont tué beaucoup de gens. Au fait les gens de Ruhengeri sont silencieux mais si vous arrivez à Ryinyo, vous réalisez immédiatement l’ironie de la situation. Devant chaque foyer, il y a une tombe. Si vous croisez une personne, elle ne vous dit rien mais elle rit jaune. »

Pour une autre partie, les corps ont été laissés dans des fosses communes ou à l’abandon : « On retrouvait des corps sans pouvoir les identifier, qu’ils soient de Nyamutera ou autre, sans les connaitre, les corps étaient jetés en bas des falaises  et puis c’était fini. Il y a beaucoup de fosses communes. »

Il y eut aussi ceux dont les corps furent jetés dans les lacs. Matata raconte le cas de ce soldat du FPR qui tuait les gens « quotidiennement » : « Il débarquait avec son bataillon en tirant sur les gens. Par malchance il y avait des marées et des lacs chez nous. Les corps étaient jetés dedans. »

Dans le reportage de la RTBF, commentant l’inefficacité des Nations Unies dans cette guerre, images à l’appui, le journaliste évoque ces corps : « La présence  des membres de la commission des Nations unies pour les droits de l’Homme n’empêche pas le lac Kivu de rejeter presque quotidiennement des nouveaux cadavres ». Interrogé sur ce fait, le Colonel Kayumba Nyamwasa, chef d’Etat-Major de L’APR à l’époque, répond : « J’imagine que partout dans le monde, là où il y a un lac, on peut y trouver des morts, mais je vais essayer de savoir de quoi il s’agit. »

Quand le calme est revenu dans la région, le climat de peur a continué car les Inkotanyi avaient remplacé la chasse à l’homme par un système d’enlèvement de personnes. On obligea Matata à exhumer les corps de son père et son oncle, décédés bien avant l’année 1994, sous le prétexte qu’il y avait des armes cachées dans leurs tombes. En réalité c’était à cause de leur filiation avec le général Nsabimana.

Matata a fini par s’exiler du Rwanda, ne supportant plus de faire face au cynisme auquel il était souvent confronté. « Les gens qui ont massacré les miens venaient, voyaient les tombes et me demandaient ; « Petit qu’est-il arrivé à ces gens ? » sans que je puisse  leur répondre « C’est vous. » »

Pour l’avenir, Matata a un message à passer à tous les Rwandais : « Les Rwandais n’ont pas été créés pour s’entretuer. Mon message est que chaque Rwandais a perdu au moins un membre de sa famille, mon message est que les gens soient tolérants, que tout le monde bénéficie des mêmes droits. Chaque personne qui a eu un membre de sa famille tué, que cela soit par les Inkotanyi ou par les Interahamwe, parce que quand une personne est tuée, elle est tuée. C’est triste de voir les gens penser que les autres n’ont pas perdu les leurs, c’est le nœud du problème pour le futur… Je vais terminer par dire que je suis désolé, et courage à tous ceux qui ont perdu les leurs, que cela soit en 1994 pendant le génocide, au Congo ou même après, chez nous, peu importe la tragédie. Tous ceux qui sont rescapés au même titre que moi, à tout le monde, je suis désolé pour ce qui leur est arrivé. Nous devons aller de l’avant, ouvrir un autre chapitre, nous ne pouvons pas rester éternellement tristes. »

Constance Mutimukeye

Jambonews.net

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[1] https://www.youtube.com/watch?v=VxpJ74XYyak&feature=youtu.be

[2] Amnesty International, « Rwanda – Rompre le silence », septembre 1997.

[3] Dans son rapport « Rwanda- Rompre le silence », publié en septembre 1997, Amnesty International décrivait ainsi la situation « L’ampleur réelle des atteintes aux droits de l’homme continue d’être minimisée par

les autorités rwandaises, qui affirment contrôler la situation, mais également, semble-t-il, par la communauté internationale. Les médias internationaux ne font que rarement état de ce qui se passe aujourd’hui au Rwanda dans le domaine des droits de l’homme, et la plupart des gouvernements étrangers ferment apparemment les yeux sur la dégradation de la situation, continuant de prôner le rapatriement des Rwandais réfugiés dans les pays voisins. »

[4] F. Reyntjens, “Evolution socio-politique au Rwanda et au Burundi, 1998-1999 » in  L’Afrique des Grands Lacs, annuaire, 1998-1999, P. 12.

[5] page 10

[6] BBC, “The dead can no longer be counted” [Les morts ne peuvent plus être comptés],  http://news.bbc.co.uk/2/hi/47807.stm BBC News, 16 janvier 1998

 

Belgique : Remue-ménage à l’Ambassade du Rwanda à Bruxelles

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En cette période estivale 2018, l’ambiance est quelque peu électrique au sein de l’ambassade du Rwanda à Bruxelles. Pour cause, une succession d’erreurs qui ont causé deux licenciements parmi les employés de la représentation diplomatique rwandaise à Bruxelles.

Chouette, une employée modèle

Ambassade du Rwanda à Bruxelles – Avenue des Fleurs 1, 1150 Woluwe-Saint-Pierre

Chouette Mwamikazi, belgo-rwandaise, travaillait à l’ambassade du Rwanda à Bruxelles depuis mai 2014. Diplômée d’un master en communication à l’Université libre de Bruxelles complété par des stages auprès de grandes rédactions belges, elle a, très jeune, eu les faveurs de l’ambassade qui lui a offert un poste que certains croyaient trop large pour elle.

Sous son impulsion toute la communication de l’ambassade a été remise à plat et modernisée. C’est grâce à elle que l’ambassade est désormais très présente sur les réseaux sociaux Twitter et Facebook. Elle s’occupait également de faire le suivi des reportages photos et vidéos de l’ambassade. Chouette était promise à un brillant avenir à l’instar d’Oria Itegeri, sa prédécesseur et désormais bras droit de Louise Mushikiwabo au ministère des Affaires étrangères au Rwanda.

Chouette Mwamikazi a connu 3 ambassadeurs, Robert Masozera, Olivier Nduhungirehe et l’actuel dépositaire du poste, Amandin Rugira. Elle était la protégée du très influent chargé d’affaires Faustin Musare qui a lui aussi quitté son poste cet été après 8 ans de loyaux services.

Une visite mal négociée

L’origine de la brouille entre Chouette Mwamikazi et ses employeurs prend naissance en juin dernier lors de la visite du président Paul Kagame à Bruxelles à l’occasion des Journées Européennes du Développement. Paul Kagame avait passé deux jours à Bruxelles à l’occasion desquels il avait été reçu par le Roi Philippe, le Premier ministre Charles Michel et plusieurs officiels de l’Union européenne. Cette visite préparée de longue date faisait suite à la visite de Paul Kagame et sa délégation à Paris quelques semaines plus tôt. Le séjour parisien fut un succès retentissant pour la diplomatie et l’image du régime rwandais en France, ternie par de régulières violations graves des droits de l’Homme. Trois interviews télévisées de ministres rwandais sur France 24 et TV5, plusieurs articles dithyrambiques dans la presse écrite française et  une opposition rwandaise qui n’a pu se faire entendre ont aidé à polir cette image, sans oublier le réchauffement des relations diplomatiques France-Rwanda et l’officialisation du soutien d’Emmanuel Macron à la candidature de Louise Mushikiwabo au poste de Secrétaire générale de l’Organisation internationale de la Francophonie. Bien que certaines interventions médiatiques , notamment celle du Secrétaire d’Etat aux affaires étrangères, Olivier Nduhungirehe, furent quelque peu balbutiantes, ce fut globalement une opération de charme rondement menée et réussie par la délégation rwandaise à Paris.

La délégation du Pays des Mille Collines a donc retenté l’expérience à Bruxelles quelques semaines plus tard. Les mêmes ingrédients furent utilisés à la préparation des deux visites mais le sort fut sensiblement différent. La communication, cheval de bataille d’un régime qui mise tout sur son image, fut cette fois-ci un fiasco. En effet, pas moins de sept mentions ont été faites aux travers d’articles dans la presse écrite francophone et néerlandophone de Belgique. La quasi-totalité fut plus que critique envers le président Kagame, avec notamment deux tribunes d’activistes de Jambo ASBL dans la presse néerlandophone par Laure Uwase et dans la presse francophone par Norman Ishimwe Sinamenye. Un débat a également été organisé à une heure de grande écoute sur la principale télévision publique flamande où le journaliste Peter Verlinden et l’activiste Laure Uwase ont rappelé les nombreux crimes du FPR et du régime rwandais commis sous les ordres du président Kagame .

Chouette bouc-émissaire ?

Chouette Mwamikazi

Chouette Mwamikazi

La pilule fût particulièrement dure à avaler du côté de la délégation rwandaise qui a plus que très moyennement apprécié le traitement médiatique du séjour du président Kagame à Bruxelles. Elle n’a pas manqué de le faire savoir à l’ambassadeur Amandin Rugira, qui s’est fait tancer par les autorités de Kigali. Conséquence de ce séjour qui fut un échec en matière d’image, l’ambassade a décidé de licencier sa responsable de la communication Chouette Mwamikazi. Pour notre source au sein de l’ambassade du Rwanda, qui a préféré garder son anonymat, « Chouette est loin d’être la responsable de ces erreurs, il y a bien d’autres dysfonctionnement plus graves, elle est simplement le fusible qui permet à d’autres de rester tranquillement en place. »

Cet épisode a créé pas mal de remous au sein de l’ambassade et le divorce ne s’est pas fait à l’amiable. En témoigne la manière dont Chouette a appris la nouvelle, au travers d’un simple message WhatsApp reçu de l’ambassadeur lui-même alors qu’elle s’apprêtait à embarquer pour des vacances à Kigali. D’après notre source : « La pauvre Chouette s’est fait flouer, ils lui ont donné trop peu de considération. Ils n’ont ni respecté son préavis, ni rendu certains arriérés de paiement qu’ils lui devaient. Elle va surement porter plainte au tribunal du travail et j’espère qu’elle aura gain de cause. » Cette affaire désormais dans les mains des syndicats semble donc loin d’avoir rendu son verdict.

Mushikiwabo à l’origine du second licenciement ?

Devota Uwantege

Devota Uwantege

Chouette Mwamikazi n’est pas la seule employée de l’ambassade à avoir dû précipitamment plier bagage au cours des dernières semaines. Devota Uwantege, réceptionniste depuis plusieurs années et épouse d’un ancien ambassadeur du Rwanda à Bruxelles, a également été licenciée. Officiellement l’ambassade invoque une prétendue restructuration du personnel, officieusement il lui a été signifié que son licenciement serait dû à « des manquements et des erreurs dans la gestion administrative des dossiers qu’elle avait à traiter ». En réalité, c’est surtout un dossier en particulier qui lui est reproché. Devota a ainsi, selon notre source, égaré un dossier administratif qui appartenait à une amie proche de Louise Mushikiwabo, actuelle ministre des Affaires étrangères du Rwanda. Cette erreur a conduit l’intéressée à aller se plaindre auprès de l’ambassade, menaçant d’en informer la ministre si rien n’était fait. Ce coup de pression fut fatal pour Devota qui fut sacrifiée par sa hiérarchie.

L’ambassade du Rwanda à Bruxelles a donc perdu ces dernières semaines trois de ses éléments les plus emblématiques. La communauté rwandaise de Belgique, l’une des plus virulentes, à l’étranger, à l’égard du régime de Kigali semble ne pas être exogène au remue-ménage qui secoue actuellement la paisible avenue des Fleurs. La sérénité de façade qu’affiche la « Rwanda House » de Bruxelles couvrirait-elle enfaite des tensions qui n’ont pas encore fini de faire des vagues ?

Emmanuel Hakuzwimana

www.jambonews.net

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Rwanda – juillet 1994 : que sont devenus les « Hommes d’union nationale »? (2ème partie)

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Deuxième partie : le lieutenant-colonel Alexis Kanyarengwe, vice-Premier ministre, ministre de la Fonction publique et président du FPR [1]

Dans l’ordre de gauche à droite : Asiel Kabera (Préfet de Kibuye), Théogène Rudasingwa (secrétaire général du FPR), Rose Kabuye (Préfet de Kigali), Aloysia Inyumba (Ministre de la famille), Kayumba Nyamwasa (chef d’Etat-major), Alexis Kanyarengwe (Vice-premier Ministre et Président du FPR), Laurent Munyakazi (chef de Brigade), Patrick Mazimpaka (Ministre de la Jeunesse), Paul Kagame (Ministre de la Défense et vice-Président), Pasteur Bizimungu (Président de la république), Joseph Sebarenzi (Président du Parlement (investi en 1997), Faustin Twagiramungu (Premier Ministre), Seth Sendashonga (Ministre de l’intérieur), Jean Mutsinzi (Président de la Cour suprême) , Jacques Bihozagara (Ministre de la Réhabilitation), Charles Ntakirutinka (Ministre des travaux publics), Alphonse Marie Nkubito (Ministre de la justice), Emmanuel Habyarimana (Secrétaire d’Etat à la Défense), Augustin Cyiza (Président de la Cour de Cassation), Protais Musoni (Préfet de Kibungo)

Né en 1938 dans la préfecture de Ruhengeri, le lieutenant-colonel Alexis Kanyarengwe était un officier rwandais qui avait occupé les fonctions de directeur de la Sûreté nationale puis de recteur au séminaire de Nyundo sous la première république dirigée par le président Grégoire Kayibanda.

En février 1972, la Sûreté nationale qu’il dirige est pointée du doigt par certains auteurs[2][3], comme étant derrière les « Comités de salut public », un mouvement populaire qui, en réaction à un afflux massif de réfugiés hutus fuyant le génocide commis contre eux quelques mois plus tôt au Burundi[4], a affiché dans les institutions d’enseignement secondaire et supérieur du Rwanda, des listes d’élèves « pratiquement tous tutsis » priés de « déguerpir », « faute de quoi des « commandos » de l’école en question ou d’une école voisine s’occuperaient d’eux.[5] Touchant initialement les écoles, le mouvement s’était rapidement étendu à la fonction publique, aux sociétés ainsi qu’au monde rural, toujours selon le même procédé de listes.[6] Au cours de ces épisodes, «un bon nombre de tutsis furent tués » et beaucoup d’entre eux durent quitter leurs emplois ou leurs écoles pour trouver refuge à l’étranger[7], ce qui avait considérablement affaibli le président Kayibanda.

Quelques mois plus tard, le lieutenant-colonel Kanyarengwe fait partie des « camarades du 5 juillet », un groupe d’officiers qui sous la houlette de Juvénal Habyarimana mène un coup d’Etat le 5 juillet 1973 et s’empare du pouvoir au détriment du président Kayibanda. Après avoir joué un rôle de premier plan dans ce coup d’Etat, Kanyarengwe est nommé ministre de l’Intérieur sous le premier gouvernement Habyarimana et il est officieusement considéré comme le numéro deux du régime.

En décembre 1980, soupçonné à son tour de fomenter un coup d’Etat contre le président Habyarimana, son ancien compagnon de lutte, Alexis Kanyarengwe est contraint de fuir le Rwanda et trouve refuge en Tanzanie.

Kanyarengwe en compagnie du président Habyarimana le 4 août 1993, suite à la signature des accords d’Arusha entre le gouvernement rwandais et le FPR

En 1987 alors que le FPR n’est encore qu’en gestation, il est approché, sur les conseils de Charles Shamukiga et de Damien Sebera par des émissaires de Fred Rwigema, le président du FPR, pour rejoindre le mouvement. C’est finalement au mois de septembre 1990, quelques jours avant l’invasion du Rwanda par le FPR, qu’il rejoint le mouvement après avoir été définitivement convaincu par Aloysia Inyumba lors d’un entretien à Dar es Salaam.[8]

Dès son ralliement spectaculaire, il est nommé vice-président du FPR et adjoint de Fred Rwigema.[9] Quelques jours plus tard, suite au meurtre le 3 octobre 1990 de Fred Rwigema « par son second, Pierre Bayingana, qui a été lui-même tué fin octobre par des rebelles loyaux au « commandant Fred »[10], Alexis Kanyarengwe prend la présidence du mouvement, devenant ainsi le numéro un du FPR.

En coulisses toutefois la réalité est tout autre, Kanyarengwe n’étant considéré que comme un faire-valoir visant à donner une image pluraliste au FPR comme le confiera, dès 1992, le général Paul Kagame, véritable nouvel homme fort du FPR, au journaliste Stéphane Smith. Celui-ci, surpris de ne jamais être amené à croiser Kanyarengwe lors de ses rencontres au sommet avec le FPR, demande à Kagame pourquoi c’est toujours lui, le vice-président, qu’il rencontre quand il doit interagir avec le FPR, et non Kanyarengwe, le président. Il se voit répondre par le Général Kagame : « Ne vous en faites pas, vous rencontrez le patron, Kanyarengwe n’est que notre homme de paille. Vous perdriez votre temps. »[11]

Malgré tout, Kanyarengwe contribua fortement à la victoire militaire du FPR en parvenant à recruter de nombreux proches du pouvoir de Habyarimana originaires de Ruhengeri comme lui.

Pressenti comme futur président de la République suite à la victoire militaire du FPR en juillet 1994, il fut finalement nommé vice-Premier ministre et ministre de la Fonction publique, devenant ainsi le seul homme politique rwandais à avoir exercé des fonctions politiques importantes sous les trois régimes de Kayibanda, de Habyarimana et du FPR. A la fin de l’année 1995, il reprit le portefeuille de l’Intérieur après la fuite de Seth Sendashonga.

Kanyarengwe exerça ses mandats ministériels dans la discrétion, gardant le silence face aux crimes qu’étaient en train de commettre l’APR, la branche armée du FPR, contre les civils hutus aux quatre coins du pays, notamment dans sa région d’origine, et qui étaient régulièrement mis sur la table par d’autres ministres lors des discussions du Conseil du gouvernement. Il garda ce silence jusqu’au jour où les massacres touchèrent sa propre famille, le 4 mars 1997.

Ce jour-là,  Alexis Kanyarengwe, que l’on surnommait le « Chairman » en raison de ses fonctions de président du FPR  se rend dans le village Nyamagumba en compagnie de Ignace Karuhije, le préfet en exercice de Ruhengeri, pour le deuil de Berthe Nyiraruhengeri, sa belle-sœur et épouse de Dominique Bakunzibake, ex-bourgmestre de Kigombe.

Peu après que ces dignitaires aient quitté Nyamagumba, les militaires du FPR en tenue de combat commettent des massacres dans ce village, où habite la famille en deuil, puis dans tout le secteur Kabaya.

Au total, 200 civils principalement des jeunes de 18 à 30 ans seront méthodiquement exécutés, la plupart d’une balle dans la bouche.

Parmi les victimes, plusieurs membres de la famille proche ou élargie d’Alexis Kanyarengwe, le président en exercice du FPR, dont:

– Ses neveux : Léon Munyaneza et Jacques Nambaje, tous deux fils de Berthe Nyiraruhengeri, qui assistaient au deuil de leur maman.

– Plusieurs autres jeunes membres de sa famille élargie, comme Marcel Munderere, Alice Hakorimana, Marie Chantal Hakorimana, Faustin Bitakuliya et Jean Damascène Gasimba, la plupart âgés de moins de 30 ans, certains venant à peine d’atteindre la majorité.[12]

L’antenne de la Commission des droits de l’homme de l’ONU à Ruhengeri est contrainte de quitter le pays car témoin gênant des massacres en cours.

Pour Alexis Kanyarengwe, ce massacre qui avait touché sa propre famille fut le massacre de trop, et le Chairman ne pouvait plus, par son silence ou son inaction, cautionner les crimes du mouvement dont il assurait officiellement la présidence.

En tant que ministre de l’Intérieur, il donna sa bénédiction à Ignace Karuhije, le préfet de Ruhengeri, afin qu’il fasse en sorte que les militaires auteurs des ces massacres soient poursuivis.

La réaction du FPR ne se fit pas attendre, et Ignace Karuhije fut remercié dans la foulée pour « incompétence et incapacité à contenir l’insécurité»[13]  Quelque temps plus tard, Kanyarengwe se voyait apporter dans son bureau une lettre de démission qui n’attendait que sa signature. Selon la version officielle, il démissionna en raison de son souhait de « se consacrer à d’autres fonctions[14] ». Mais la véritable raison de sa « démission » n’échappe pas aux yeux des rares académiciens ayant couvert cet épisode.[15]

Quelques mois plus tard, le 15 février 1998, Kanyarengwe était remplacé par Paul Kagame à la présidence du FPR au terme d’un processus électoral « opaque »[16] avant de complètement disparaitre du paysage public. Ce remaniement au sommet du FPR ne fit « que confirmer l’élimination politique de Kanyarengwe et le rôle central de Kagame.»[17]

En juillet 2005, il refit brièvement l’actualité suite à une interview accordée au journal Umuseso, au cours de laquelle il remercia « le gouvernement pour tout ce qu’il fait pour le pays », mais regretta que « certains oublient trop vite » et lui « manquent de respect ». Kanyarengwe se demandait pourquoi il n’était pas invité aux cérémonies de la journée de la libération, alors qu’il avait dirigé le parti qui en était responsable. « Ils ne respectent pas, ils ne seront pas non plus respectés. »

Le 13 novembre 2006, à l’âge de 68 ans, Kanyarengwe décède à Kigali suite à une longue maladie. Lors de l’interview accordée aux journalistes d’Umuseso, une année avant sa mort, il s’était interrogé sur les raisons pour lesquelles le gouvernement avait refusé de le faire soigner «après tout ce qu’il avait fait pour le FPR et les RDF».

Norman Ishimwe, Ruhumuza Mbonyumutwa, Constance Mutimukeye, Jean Mitari, Anastase Nzira et Alfred Antoine Uzabakiliho

Jambonews.net

 

[1] Le vice-président et ministre de la défense sera évoqué en clôture de cette série d’articles.

[2] Voir entre autres Pierre-Célestin Kabanda, « Rwanda l’idéal des pionniers, les hommes qui ont fait la différence », Lille, Editions Sources du Nil, 2012, p. 276.

[3] D’autres auteurs comme Filip Reyntjens attribuent l’initiative au président Kayibanda et à son ministre de l’Education nationale, ce qui entretient une certaine confusion au sujet de l’origine de ces comités, F. Rentjens, « Le génocide des Tutsis au Rwanda », Que sais-je n°4062, Presses Universitaires de France.

[4] Pour plus d’informations sur cet événement, voyez notre article, « Le génocide de 1972 contre les Hutus au Burundi : 41ème commémoration », http://www.jambonews.net/actualites/20130501-le-genocide-de-1972-contre-les-hutus-au-burundi-41eme-commemoration/

[5] F. Rentjens, « Le génocide des Tutsis au Rwanda », Que sais-je n°4062, Presses Universitaires de France.

[6] Ibid.

[7] Pierre-Célestin Kabanda, « Rwanda l’idéal des pionniers, les hommes qui ont fait la différence », Lille, Editions Sources du Nil, 2012, p. 276.

[8] A. Guichaoua, « Rwanda : de la guerre au génocide, annexe 51, les assassinats des opposants et des témoins des crimes du FPR. Questions sur les libertés civiques au Rwanda », p. 19.

[9] Ibid.

[10] “Rwanda : Rwigyema (sic) tué par ses hommes”, LeSoir du 8 novembre 1990.

[11] Témoignage de Stéphen Smith dans S. Smith, “Rwanda in six scenes”, London Review of Books, mars 2011.

[12] Témoignage recueilli  le 5 août 2018 par Jambonews auprès d’un proche de la famille ayant assisté aux obsèques de Berthe Nyiraruhengeri et qui fut témoin des événements ayant suivi le deuil.

[13] F. Reyntjens, « Political governance in Post-genocide Rwanda” p. 18.

[14] Ibid.

[15] Au sujet de la démission de Kanyarangwe, André Guichaoua, dans son annuaire «  Gouvernements, représentation politique, principaux corps d’Etat, institutions de la société civile » commente «Kanyarengwe avait couvert l’ordre donné par le préfet de Ruhengeri d’arrêter des militaires ayant commis des exactions envers les populations civiles et le limogeage du préfet, auquel il était étroitement lié, l’a contraint à se retirer », Filip Reyntjens, à la page 18 de « Political governance in Post-genocide Rwanda” commente pour sa part «  en réalité, Kanyarengwe a été remplacé après avoir protesté en compagnie d’Ignace karuhije contre les massacres commis dans sa région d’origine »

[16] F. Reyntjens, « Evolution politique au Rwanda et au Burundi, 1997-1998, », Anvers, 1998, p. 15.

[17] Ibid.


Louise Mushikiwabo du Rwanda à la Francophonie ; une fausse bonne idée ?

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Article soumis pour publication par l’auteur

« S’il y a une candidature africaine au poste de secrétaire générale de la Francophonie, elle aurait beaucoup de sens. Si elle était africaine et féminine, elle aurait encore plus de sens. Et donc, je crois qu’à ce titre la Ministre des Affaires étrangères du Rwanda, Louise Mushikiwabo, a toutes les compétences pour exercer cette fonction. »

Louise Mushikiwabo

Cet extrait du discours du président français Emmanuel Macron date du 23 mai 2018. Le président français met fin aux spéculations en officialisant le soutien de la France à une candidature rwandaise à la tête de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) et ce en la personne de Louise Mushikiwabo, ministre rwandaise des Affaires Etrangères en fonction.

En tant qu’Africain, on ne peut que se réjouir d’une candidature africaine à la tête d’un organisme international, surtout du prestige de l’OIF[1]. Au travers d’une telle candidature, c’est l’Afrique toute entière qui rayonne.

Alors que Louise Mushikiwabo arbore un CV qui plaide en sa faveur, paradoxalement, sa candidature suscite de vives polémiques parmi les observateurs avertis. Retour sur ces éléments qui soulèvent tant de questions :

Les agissements du gouvernement rwandais (dirigé par le FPR) dans la promotion des valeurs de la Francophonie et de langue française.

La déclaration de Bamako, adoptée lors du Symposium International sur les pratiques de la démocratie et des libertés dans l’espace francophone (Novembre 2000 à Bamako) sert de texte normatif et de référence de la Francophonie dans ces domaines. Sur le site de l’OIF, on retrouve également les objectifs et les missions qui traduisent ces valeurs.

Il est donc très aisé de constater que, ces dernières années, le régime rwandais a posé des actes en contradiction totale avec les objectifs et missions de la Francophonie :

Par exemple, pour ce qui concerne « la promotion de la langue française et la diversité culturelle et linguistique », on se souvient qu’en 2010, tout l’enseignement officiel rwandais basculait soudainement du français à l’anglais. En 2014, le gouvernement rwandais avait même procédé à la destruction du centre culturel franco-rwandais[2] (lieu symbolique pour la promotion de la culture et de la langue française au Rwanda).

Pour ce qui concerne « la Promotion de la paix, la démocratie et les droits de l’Homme », le Rwanda de Kagame est loin d’être une référence en matière de respect des droits de l’Homme.

Au contraire, les violations régulières de ces droits par les autorités rwandaises sont abondamment documentées et rapportées par des organisations internationales. Le dernier rapport sur ce sujet est celui publié par Amnesty International : le Rapport 2017/2018[3], qui synthétise la situation au Rwanda comme suit : « La répression exercée contre les opposants politiques s’est poursuivie avant et après les élections, s’illustrant par des cas de graves restrictions aux libertés d’expression et d’association, d’homicides illégaux et de disparitions non élucidées. »

Choisir le Rwanda de Kagame pour défendre et promouvoir les missions de la Francophonie soulève inévitablement toute une série de questions.

L’on peut également s’interroger sur l’intérêt soudain du Rwanda pour une organisation à laquelle le même gouvernement ne montrait que peu d’entrain à contribuer au fonctionnement.

Les vestiges du centre culturel français détruit en juillet 2014 sur ordre de la mairie de Kigali

En effet, le Rwanda a fait preuve d’un certain laxisme dans l’acquittement de sa contribution et ce depuis plusieurs années. En 2014, l’Organisation a dû lui accorder une réduction de 50 % et s’entendre sur un calendrier de paiement régulier alors que sa contribution ne s’élève qu’à 30.000 euros annuellement, bien loin des millions engloutis dans le sponsoring d’Arsenal l’année passée[4].

Dans une récente réunion, le Comité sur les arriérés est d’ailleurs revenu à la charge pour exiger le paiement des arriérés pour les années 2015, 2016, 2017 et 2018[5], en vain.

On se demande dès lors, comment Louise Mushikiwabo pourra convaincre ceux qui sont aujourd’hui ses pairs de s’acquitter à temps de leurs obligations financières alors qu’elle-même ne l’a pas fait pour son pays ?

Toutes ces contradictions amènent à s’interroger sur le message envoyé aux autres pays africains qui, non seulement respectent le français, mais sont cités en exemple comme des Etats de droits et de respect des valeurs de la Francophonie ?

Faut‐il « casser du Français » et piétiner les droits de l’Homme pour être reconnu au sein de l’OIF ?

La promotion de la ministre des Affaires étrangères de Paul Kagame à la tête de l’OIF.

Indépendamment des agissements du gouvernement rwandais vis‐à‐vis de la francophonie et de la langue française, choisir la ministre des Affaires Etrangères de Paul Kagame n’est pas sans polémique.

Si elle devait être élue, il ne lui sera pas facile de faire oublier son engagement auprès de l’un des gouvernements les plus répressifs de l’histoire, constamment montré du doigt pour ses violations des droits de l’Homme.

En effet, Louise Mushikiwabo a mis toute son énergie à défendre les exactions de son gouvernement et du FPR, quitte à nier l’évidence et cela au détriment des droits des Humains.

L’exemple le plus flagrant est la lettre que Louise Mushikiwabo adresse, au début du mois d’août 2010, au secrétaire général des Nations-Unies de l’époque Ban Ki-Moon, après avoir pris connaissance du projet DRC Mapping Report des Nations-Unies.

Ce rapport, qui recense les violations les plus graves des droits de l’homme et du droit international humanitaire commises entre mars 1993 et juin 2003 sur le territoire de la RDC , conclut en substance que certaines de ces violations, « pourraient, si [elles étaient] prouvées devant un tribunal compétent, être qualifiées de génocide ».

Dans sa lettre référencée N° 0482/09.01/Cab.Min/2010, Louise Mushikiwabo met d’abord en doute le travail des enquêteurs et des organismes non gouvernementales et conclut en menaçant les Nations-Unies que si ce rapport est publié, le Rwanda se retirera « de ses engagements auprès des Nations-Unies, notamment de ses missions pour les actions de maintien de la paix ».

Finalement, le projet de ce rapport sera fuité par le journal Le Monde le 26 Août 2010 et la version finale sera publiée par les Nations-Unies le 01 Octobre 2010[6].

Un autre exemple est celui de juin 2012, où les autorités rwandaises avaient été accusées de déstabiliser et de soutenir le M23, mouvement rebelle dans l’Est du Congo accusé de crimes de guerre commis à grande échelle, y compris des exécutions sommaires, des viols et des recrutements de force.

Louise Mushikiwabo, sans dire un mot sur ces violations, condamna les « allégations malhonnêtes selon lesquelles de hauts responsables rwandais soutiennent une mutinerie de l’armée en République démocratique du Congo pour faire du Rwanda un bouc émissaire »[7].

Quel crédit peut-on dès lors accorder à une ministre de Paul Kagame pour la défense des droits de l’Homme au sein de la Francophonie ?

A côté de la problématique des droits de l’Homme, il y a les rapports assez étranges que Paul Kagame entretient avec Paris depuis 28 ans.

Mushikiwabo est la doyenne du gouvernement rwandais puisqu’elle en est membre depuis mars 2008

Du côté de Paul Kagame, on accuse ouvertement la France de complicité dans le génocide des Tutsi du Rwanda en 1994 et du côté français, il y a l’affaire de l’attentat contre l’avion du président Habyarimana dans lequel trois Français ont perdu la vie et pour laquelle la Justice Française a toujours une instruction ouverte, contre le même Kagame et son entourage.

Sur ces affaires Louise Mushikiwabo a déclaré au journal Le Monde en Octobre 2017 : « Certains responsables [français] (qui) étaient les soutiens d’un régime qui a commis un génocide, et (qui) essaient depuis vingt-trois ans de cacher leurs traces, de brouiller les pistes ». « Ce soi-disant procès n’a aucune raison d’être. Nous avons collaboré car nous voulions aller de l’avant. Mais on a trouvé du côté de la France une certaine arrogance. »

Dans la même déclaration, Louise Mushikiwabo est allée jusqu’à avancer que la justice française n’est pas indépendante : « Comme par hasard, quand les relations politiques étaient bonnes [sous Nicolas Sarkozy], la justice avançait bien. Ce n’est pas de la justice, c’est de la politique. »[8]

Malgré cela, passant d’ennemis jurés qui se seraient fait la guerre sur le terrain, Emmanuel Macron a décidé de soutenir le seul gouvernement au monde qui accuse la France de complicité dans un génocide…

D’ailleurs, il semblerait que le président français peine à expliquer ce soutien. Selon l’Express, dans un billet publié le 12 Juillet 2018, l’entourage élyséen n’assumerait pas totalement ce soutien: « D’abord, cette candidature serait celle d’une Rwandaise et non du Rwanda, d’une personnalité et pas d’un pays. »[9]

Si tel était le cas, pourquoi le président français a-t-il annoncé le soutien de la France aux côtés de Paul Kagame et non aux côtés de cette « personnalité » ?

Néanmoins, ce n’est pas la première fois que la France surprend en proposant le poste de Secrétaire général de l’OIF contre toute logique. En 2014, alors que la fronde populaire se faisait de plus en plus forte contre le président burkinabé Blaise Compaoré, l’Elysée lui avait proposé le poste comme porte de sortie.[10]

Le tempérament même de Louise Mushikiwabo

Louise Mushikiwabo est réputée pour être dure et assez tranchante dans ses prises de positions. Un tempérament qui cadre parfaitement avec le gouvernement rwandais actuel, mais qu’en sera-t‐il lorsqu’elle sera à la tête de la Francophonie ?

On a tous en mémoire ses déclarations contre Diane Rwigara lorsqu’elle l’a traité de « sorcière » dans une interview accordée à TV5 en octobre 2017.

Ou encore ses réponses cinglantes envers les enfants de Patrick Karegeya lorsque ceux‐ci exprimaient leur désarroi suite à l’assassinat de leur père en janvier 2014. Les propos sont tenus quatre jours seulement après l’assassinat :

 

« Ce n’est pas comment on commence, mais plutôt comment on finit. Cet homme était un ennemi auto-déclaré de mon gouvernement et de mon pays, vous vous attendez à ce que j’éprouve de la pitié ? »

 

« Comme ministre des Affaires étrangères, vous n’avez pas d’étiquette de réseau social, cet homme était mon père, ne mentionnez plus jamais son nom »

 

« Désolée les gars, mon temps de jeu avec des gamins est épuisé POUR LE MOMENT »

 

 

Il y a aussi toute une série de Tweets et de discours assez « va‐t‐en‐guerre » contre diverses personnalités dont la fameuse déclaration :

« J’en ai vraiment assez de ces petits blancs (ou autres petits insignifiants qui ne sont pas blancs) qui écrivent depuis quelques jours des foutaises sur l’Afrique. Et d’ailleurs, qui leur a demandé de parler pour l’Afrique ? »

 

Ou encore cette attaque pour le moins étonnante contre Kenneth Roth, directeur de Human Rights Watch, qui avait dénoncé les pratiques d’intimidations du gouvernement rwandais contre les voix critiques:

« Ken, Ken, Ken… Tu as oublié de prendre tes cachets une fois de plus ? Il y a un endroit qui s’appelle Ndera au #Rwanda, où tu pourrais trouver de l’aide »

(Ndera est le lieu où se trouve l’hôpital psychiatrique le plus célèbre du pays…)

 

Selon la déclaration de Bamako : « Le Secrétaire général se tient informé en permanence de la situation de la démocratie, des droits et des libertés dans l’espace francophone, en s’appuyant notamment sur la Délégation aux droits de l’Homme et à la démocratie, chargée de l’observation du respect de la démocratie et des droits de l’Homme dans les pays membres de la Francophonie. »

Louise Mushikiwabo arrivera-t-elle à établir de bonnes relations avec ceux qu’elle considérait hier comme des « fous » ?

Compte tenu du soutien annoncé de certains pays africains francophones à cette candidature, certains disent que le résultat des élections qui auront les 11 et 12 octobre 2018 à Erevan (Arménie) est déjà scellé, même si Michaëlle Jean, la candidate canadienne sortante n’a pas dit son dernier mot[11].

En somme…

La candidature de Louise Mushikiwabo, ministre des Affaires étrangères de Paul Kagame, est totalement paradoxale si l’on regarde la situation qui prévaut au Rwanda en matière des Droits de l’Homme ainsi que les agissements du gouvernement rwandais vis-à-vis de de la langue française et des valeurs de la francophonie.

De plus, au vu du tempérament dont Mme Louise Mushikiwabo a fait preuve alors qu’elle était aux Affaires étrangères du Rwanda, il ne fait aucun doute que cette candidature, soutenue de manière tout aussi paradoxale par la France, répond à un agenda caché et cela alimente toutes les polémiques :

‐ Est‐ce une façon de sortir Mme Louise Mushikiwabo d’un gouvernement tant décrié en lui offrant ce poste hautement symbolique ?

‐ Est‐ce le fruit d’un marchandage diplomatique entre Paris et Kigali pour tempérer les accusations de complicité dans le génocide des Tutsi ?

– Est-ce le résultat d’un incompréhensible calcul géopolitique de l’Elysée pour retrouver une influence française dans la région ?

Dans tous les cas, l’OIF est déjà perdante. Son image est écornée. Cette candidature passe très mal en raison de toutes ces contradictions et cela fortifie les thèses selon lesquelles l’OIF ne serait ni plus ni moins qu’un vulgaire instrument utilisé pour assouvir les intérêts géopolitiques d’une France souhaitant reprendre une position dominante en Afrique centrale[12].

Pour Kigali en revanche, c’est déjà une victoire. Le soutien de la France et celui d’autres membres de l’OIF arrivent comme du pain béni pour alimenter une nouvelle opération de « blanchiment » de son image.

Quant à Emmanuel Macron, l’opération semble très risquée. En attendant que l’avenir nous le dise, il suffit de regarder son « langage corporel » lorsqu’il a annoncé soutenir cette candidature…

Gustave Mbonyumutwa

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[1] Organisation Internationale de la Francophonie

[2] RFI. Kigali a démoli le centre culturel franco-rwandais [en ligne]. Disponible sur : <http://www.rfi.fr/mfi/20140711-rwanda-france-kigali-demolit-centre-culturel-franco-rwandais-leotard-kagame-habyarimana-trevidic>. (05 Août 2018)

[3] Amnesty International. Rwanda 2017/2018 [en ligne]. Disponible sur : <https://www.amnesty.org/fr/countries/africa/rwanda/report-rwanda/>. (05 Août 2018)

[4] http://www.rfi.fr/afrique/20180529-polemique-sponsoring-arsenal-rwanda-kagame-football

[5] AFRIK.COM La candidature de Louise Mushikiwabo passe mal auprès de principaux contributeurs de l’OIF  [en ligne]. Disponible sur : < https://www.afrik.com/la-candidature-de-louise-mushikiwabo-passe-mal-aupres-de-principaux-contributeurs-de-l-oif>. (05 Août 2018)

[6] Jambonews. http://www.jambonews.net/actualites/20101001-crimes-commis-au-congo-l%E2%80%99onu-refuse-le-chantage-et-maintient-que-les-crimes-commis-par-l%E2%80%99aprafdl-au-congo-pourraient-etre-qualifies-de-genocide/ (11 Août 2018)

[7] Reuters. Rwanda says being made a scapegoat for Congo mutiny [en ligne]. Disponible sur : < https://www.reuters.com/article/us-congo-democratic-rwanda/rwanda-says-being-made-a-scapegoat-for-congo-mutiny-idUSBRE85O17I20120625>. (05 Août 2018)

[8] Le Monde. Le Rwanda met la pression sur Emmanuel Macron pour régler le contentieux lié au génocide  [en ligne]. Disponible sur : < https://www.lemonde.fr/afrique/article/2017/10/29/le-rwanda-met-la-pression-sur-emmanuel-macron-pour-regler-le-contentieux-lie-au-genocide_5207591_3212.html>. (05 Août 2018)

[9] L’Express. Guerre sans merci pour la francophonie  [en ligne]. Disponible sur : < https://www.lexpress.fr/actualite/monde/afrique/guerre-sans-merci-pour-la-francophonie_2024881.html>.

[10] http://www.liberation.fr/france/2014/11/29/sommet-de-la-francophonie-hollande-appelle-les-dirigeants-au-respect-du-jeu-democratique_1153326

[11] https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1115134/francophonie-canada-candidature-france-ottawa

[12] RFI. [Vidéo] Louise Mushikiwabo à l’OIF? Le calcul d’Emmanuel Macron. Disponible sur : < http://www.rfi.fr/hebdo/20180608-video-louise-mushikiwabo-oif-le-calcul-emmanuel-macron-france-rwanda>. (06 Août 2018)

Rwanda – Assassinat de Seth Sendashonga : « la destruction d’un énorme espoir »

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Cet article constitue la troisième partie de notre série d’articles intitulée « Rwanda-Juillet 1994 : que sont devenus les Hommes d’Union nationale ? ». Il porte sur le parcours du ministre de l’Intérieur et du Développement communal qui était également membre du bureau politique du FPR : Seth Sendashonga.

Né le 27 mai 1951 dans la préfecture de Kibuye, Seth Sendashonga se démarque dès ses études à l’Université nationale du Rwanda quand il devient président de l’Association générale des étudiants (AGER). Alors qu’il n’est encore qu’étudiant, il s’oppose au président Habyarimana qui vient de prendre le pouvoir suite à un coup d’Etat quelques mois plus tôt, en critiquant certaines mesures instaurées par le nouveau régime, notamment la politique des quotas ethniques dans les écoles et le principe du parti unique. Le gouvernement ayant peu apprécié ces critiques estudiantines, Seth Sendashonga, sentant  « que la prison n’allait pas tarder », prend le chemin de l’exil en 1975 à l’âge de 24 ans, en compagnie de Cyrie Nikuze qui deviendra plus tard son épouse.[1]

Installé à Nairobi à partir de 1978, il devient haut fonctionnaire pour les Nations Unies tout en continuant son militantisme politique de son lieu d’exil.

En juillet 1990, il est cosignataire de « l’appel pour le multipartisme et la démocratie au Rwanda » plus connu sous l’intitulé de « Manifeste des 33 intellectuels ».

En novembre 1991, Seth Sendashonga adhère au FPR après que ce dernier ait accepté de le laisser réécrire le préambule de son programme, qui contenait un historique décrivant l’ancien Rwanda, celui d’avant la révolution de 1959, « comme un paradis où coulaient lait et miel »[2].

Sendashonga jouissait d’un prestige considérable au sein des différents partis politiques en gestation, dont plusieurs le courtisaient, et son choix politique « où les convictions prirent le pas sur toute autre considération »[3] pour le FPR fit qu’il s’imposa rapidement auprès des militants du FPR comme un leader respecté, au point de devenir un membre du bureau politique « sur lequel personne n’avait prise, à la différence des autres dirigeants hutu ralliés ».[4]

Le 19 juillet 1994, suite à la prise du pouvoir du FPR, Sendashonga fut nommé ministre de l’Intérieur du nouveau gouvernement. « C’était un moment d’espoir et de soulagement, le pays allait enfin renaitre de ses cendres », témoigne sa veuve.[5]

En tant que ministre de l’Intérieur qui bénéficiait de surcroit de la confiance de la population en raison de sa réputation d’homme intègre, il commença très rapidement à recevoir des listes nominatives de personnes en train d’être massacrées par les soldats de l’APR aux quatre coins du pays. Au début, il « essayait de rationaliser, de comprendre, d’attribuer les crimes qui se commettaient à des actes de vengeance commis isolément par des soldats ».[6] Mais en décembre 1994, il se rendit compte que les exactions du FPR, loin d’être isolées, étaient des « massacres massifs et systématiques touchant toutes les préfectures du pays et organisés en plein accord avec la hiérarchie militaire».[7]

Sendashonga lui-même nous donne, au travers de son exemple personnel, une idée de l’ampleur des tueries qui se commettaient : « Au total ma belle famille compte 11 membres tués par le FPR, et ils ont dû sans doute dire au FPR, écoutez, nous sommes de la famille de Monsieur Sendashonga… et malgré tout on ne les a pas épargnés. Cela vous donne exactement la gravité et la mesure de ce qui se passait dans le pays. Si on assassine 11 personnes qui appartiennent à la famille d’un membre du bureau politique du FPR, vous vous dites bien que pour les autres ça a dû être beaucoup plus terrible encore. »[8]

Cyrie Sendashonga

Cyrie Sendashonga

Dans un documentaire canadien de 1996, Seth Sendashonga donne un aperçu global de la situation : « Le pattern général était de s’en prendre aux jeunes gens et aux messieurs encore en âge d’activité. Les leaders, les instituteurs, les moniteurs agricoles, tous ceux qui pouvaient jouer un rôle quelconque au titre d’intellectuel ou de leader local étaient visés de manière particulière[9]

Le massacre de Kibeho perpétré le 22 avril 1995 et au cours duquel, sous le regard des casques bleus et d’une flopée d’ONG, les militaires de l’APR tirent sur la foule à l’arme lourde, faisant plusieurs milliers de morts, marque le début de la rupture définitive entre Sendashonga et le FPR. « Kagame s’est adressé à la presse et a dit que les militaires s’étaient défendus car ils se sentaient attaqués, Seth a trouvé cela inacceptable. On se met d’accord sur une chose, l’armée va et fait autre chose… Il n’était plus le même après ça. Il était abattu, son être était bouleversé, c’était la rupture entre lui et les gens du FPR », raconte Cyrie Sendashonga[10].

En à peine une année en tant que ministre de l’Intérieur, Seth Sendashonga écrira au total 762 lettres à Paul Kagame, ministre de la Défense à ce moment et véritable homme fort du Rwanda. Pas une seule de ces lettres ne trouva réponse. Pour Sendashonga, ce silence fut un aveu que ces massacres étaient planifiés et cautionnés par le plus haut degré du commandement militaire de l’APR. Peu avant son assassinat, Sendashonga racontait ainsi la situation : « J’ai cherché à discuter de ces problèmes avec le Général Kagame, je lui ai dit ce que j’avais sur le cœur, je lui ai dit qu’il était tributaire d’une armée dans laquelle le mensonge avait pris racine dans toute la structure du commandement.»[11] 

Le 25 août 1995 dans ce qui sera sa dernière réunion au sein du gouvernement, il remet une énième fois la question des massacres sur la table : « Vu que j’ai écrit plusieurs fois, que j’ai donné tous les détails, et qu’on n’a jamais voulu corriger les choses, je suis désormais convaincu et je dois dire que le FPR a dans sa politique la volonté de tuer la population.»[12]

Kagame était assis à l’autre bout de la table en train de boire un verre d’eau. « Il a violemment déposé son verre sur la table et est parti », témoigne Jean Baptiste Nkuliyingoma, qui assistait stupéfait à la scène. Cyrie Sendashonga le complète : « En voyant cela, le colonel Joseph Karemera, ministre de la Santé à l’époque, s’est levé très fâché, s’est approché de Seth, et lui a pointé un doigt sur la tête et lui a dit « This big head of yours, we are going to blow it up« . Tout ce que le ministre de l’Intérieur souhaitait était de discuter de ces problèmes, voir comment arrêter ces abus de l’armée. La réponse qu’il a eue était qu’on allait lui faire sauter la tête. Le résultat vous le voyez maintenant».[13]  

Dès le lundi suivant, le 28 août 1995, Sendashonga quitta le gouvernement et se réfugia au Kenya d’où il reprit son activité politique, apprenant à vivre traqué.[14]

Le soir du 26 février 1996, quelques mois à peine après avoir quitté le Rwanda, il est victime d’une première tentative d’assassinat au cours de laquelle lui et son neveu Simeon Nsengiyumva sont blessés. « Sur les lieux de l’attentat, un membre de l’ambassade rwandaise est arrêté, pistolet, silencieux et treize cartouches à la main.»[15] L’homme arrêté est Francis Mugabo, homme de main du FPR et diplomate travaillant comme attaché administratif auprès de l’ambassade du Rwanda à Nairobi. Le Kenya demanda la levée de son immunité diplomatique, ce que Kigali refusa, créant des tensions diplomatiques entre les deux pays.[16]

Deux ans plus tard, en date du 16 mai 1998, alors qu’il s’apprêtait à témoigner au Tribunal pénal international pour le Rwanda, Seth Sendashonga fut assassiné par balles à Nairobi, à l’âge de 46 ans.

Pour Alison Des Forges, chercheuse auprès de Human Rights Watch, l’assassinat de Seth Sendashonga « a bouleversé beaucoup de gens » et détruit « un énorme espoir »  car « Seth était devenu le symbole d’un avenir meilleur.»[17]

Peu de temps après l’assassinat, trois suspects sont arrêtés et présentés à la justice kenyane au motif qu’ils auraient tué Seth Sendashonga pour des motifs de « revanche personnelle » suite à une affaire d’argent.[18]

Le 7 février 2001 durant leur procès, Alphonse Mbayire, attaché militaire auprès de l’ambassade du Rwanda au Kenya au moment de l’assassinat de Sendashonga, est tué à Kigali par plus de vingt balles dans la tête, tirées à bout portant par un jeune militaire de l’APR en uniforme qui « aurait pris offense d’un commentaire de Mbayire à propos de son chien».[19]

Selon le département d’Etat américain toutefois, il ne s’agirait pas d’une querelle personnelle, mais l’assassinat de Mbayire pourrait avoir des liens avec les informations qu’il détenait au sujet de l’assassinat de Seth Sendashonga.[20]

Le 31 mai 2001, la Haute Cour du Kenya rendait son verdict, acquittant les trois suspects présentés devant elle au motif que les preuves présentées ne rendaient pas crédibles cette thèse d’un crime de droit commun. Le juge se dit au contraire persuadé que l’assassinat de Seth Sendashonga était politiquement motivé. [21]

Cet acquittement fut un « grand soulagement » pour la veuve de Sendashonga, parce qu’«en les acquittant, le juge reconnaissait que le crime était politique, Seth a été tué pour des raisons politiques par le gouvernement rwandais ».[22]

Le 1er mai 1999 a été créé à Bruxelles l’Institut Seth Sendashonga pour la Citoyenneté Démocratique – ISCID ASBL, une association visant à « promouvoir, dans la Région d’Afrique des Grands Lacs et spécifiquement au Rwanda, l’idéal de démocratie, de respect des droits de l’homme et de justice sociale porté par Seth Sendashonga »[23], qui organise chaque année une conférence-débat portant sur son objet social.

Le 28 juin 2011, lors de la conférence annuelle  de l’Institut, le docteur Théogène Rudasingwa, ancien directeur de cabinet de Paul Kagame et secrétaire général du FPR au moment de l’assassinat de Seth Sendashonga, a demandé pardon à la veuve et aux enfants de Seth Sendashonga au nom de la « responsabilité collective » car Seth Sendashonga a été tué alors que le docteur Rudasingwa « faisait encore partie du FPR » et était un cadre de l’Etat dirigé par ce parti, tout en réfutant toute implication personnelle dans l’assassinat.[24]

Patrick Karegeya, qui était à la tête des renseignements extérieurs du Rwanda au moment de l’assassinat de Seth Sendashonga et était à ce titre pointé du doigt parmi les principaux suspects de l’assassinat, a pour sa part affirmé que ce genre de missions étaient « effectuées dans son dos » par Jack Nziza, le « pitbull de Kagame », et qu’« une des raisons pour lesquelles Kagame veut nous éliminer est le fait que nous en savons trop».[25][26]

Lors de la dernière conférence de l’ISCID tenue à Bruxelles le 2 juin 2018 à l’occasion de la commémoration du 20ème anniversaire de l’assassinat de Seth Sendashonga, un parterre impressionnant d’éminentes figures du monde associatif ou politique rwandais étaient présents ou représentés. On pouvait entre autres relever Diane Rwigara, représentée par son oncle Benjamin Rutabana qui a rendu hommage à Seth Sendashonga, Victoire Ingabire, représentée par son parti, ou encore l’ancien Premier ministre Faustin Twagiramungu qui a également rendu un hommage appuyé à Seth Sendashonga.

Certains, comme Serge Ndayizeye, journaliste à la radio Itahuka, étaient venus des Etats-Unis spécialement pour l’événement, et plusieurs autres venaient de différents pays européens, ce qui a fait dire à Cyrie Sendashonga en clôture de l’événement que même si l’ancien ministre de l’Intérieur n’est plus physiquement présent, « son combat continue ».

Norman Ishimwe, Ruhumuza Mbonyumutwa, Constance Mutimukeye, Jean Mitari, Anastase Nzira et Alfred Antoine Uzabakiliho

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« Rwanda: que sont devenus les hommes du gouvernement d’ « Union nationale » de juillet 1994 ? » :

   * 1ère partie : Pasteur Bizimungu, président et Faustin Twagiramungu, premier ministre

   * 2ème partie : Alexis Kanyarengwe, vice-Premier ministre, ministre de la Fonction publique et président du FPR

 

 

[1] Témoignage de Cyrie Sendashonga dans le documentaire « Celui qui savait », réalisé en 2001 par Julien Elie.

[2] « Au Rwanda, la disgrâce du «Hutu de service» du FPR. En exil, Seth Sendashonga a échappé à un attentat », libération du 21 mars 1996.

[3] A. Guichaoua, “Rwanda, de la guerre au génocide, annexe 51 : Les assassinats des opposants et des témoins des crimes du FPR. Questions sur les libertés civiques au Rwanda », p. 3.

[4] Ibid.

[5] « Celui qui savait », documentaire  réalisé en 2001 par Julien Elie, https://www.youtube.com/watch?v=gBOYbat3V4E&t=621s .

[6] Ibid.

[7] A. Guichaoua, “Rwanda, de la guerre au génocide, annexe 51 : Les assassinats des opposants et des témoins des crimes du FPR. Questions sur les libertés civiques au Rwanda », p. 25.

[8] Témoignage de Seth Sendashonga diffusé dans le documentaire « Celui qui savait », documentaire réalisé en 2001 par Julien Elie.

https://www.youtube.com/watch?v=gBOYbat3V4E&start=1456

[9] Chronique d’un génocide annoncé, troisième partie, « nous nous sentons trahis » réalisé en 1996 par Yvan Patry.

[10] « Celui qui savait », documentaire  réalisé en 2001 par Julien Elie.

[11] « Celui qui savait », documentaire  réalisé en 2001 par Julien Elie.

[12] Témoignage de Jean Baptiste Nkuliyingoma, Ministre de l’information à l’époque et qui était présent ce jour-là, dans « Celui qui savait », documentaire  réalisé en 2001 par Julien Elie.

[13] Ibid.

[14] A. Guichaoua, “Rwanda, de la guerre au génocide, annexe 51 : Les assassinats des opposants et des témoins des crimes du FPR. Questions sur les libertés civiques au Rwanda ».

[15] « Au Rwanda, la disgrâce du «Hutu de service» du FPR. En exil, Seth Sendashonga a échappé à un attentat. », Libération du 21 mars 1996.

[16]Parliamentary debates, 8 may 1996, Kenya National Assembly Official record (hansard), p . 708.

[17] Témoignage de Alison Des Forges dans « Celui qui savait », documentaire  réalisé en 2001 par Julien Elie.

[18] Haute Cour de la république du kenya siégeant à Nairobi, affaire criminelle numéro 99/1998, arrêt prononcé à Nairobi en date du 31 mai 2001.

[19] « Rwanda: Résoudre les disparitions et les assassinats », Human Rights Watch, 4 février 2001.

[20] Rwanda: Country Reports on Human Rights Practices Bureau of Democracy, Human Rights, and Labor 2001, march 2002.

[21]Haute Cour de la république du kenya siégeant à Nairobi, affaire criminelle numéro 99/1998, arrêt prononcé à Nairobi en date du 31 mai 2001.

[22] « Celui qui savait », documentaire  réalisé en 2001 par Julien Elie.

[23] Statuts d’ISCID ASBL, http://iscide.org/a-propos-d-iscid/statuts.html

[24] http://www.veritasinfo.fr/article-major-dr-rudasingwa-theogene-ati-ndasaba-imbabazi-umuryango-wa-seth-sendashonga-www-leprophet-78020123.html

[25] « Nous avons lutté pendant des années contre un dictateur et nous avons mis au pouvoir un tyran », Mondiaal Nieuws du 19 mars 2002

[26] Le 31 décembre 2013, Patrick Karegeya sera à son tour assassiné dans un hôtel à Johannesburg.

Rwanda: La jeunesse est-africaine contre la tyrannie de Paul Kagame

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Sous l’impulsion des jeunesses kenyane et ougandaise, le hashtag #FreeDianeRwigara a connu ces derniers jours une poussée remarquable sur le réseau social Twitter, parvenant à se hisser à la 7ème place des hashtags les plus populaires pour la journée du 24 août 2018 au Kenya par exemple. 

Le  04 décembre 2016, lors de la cérémonie d’ouverture des jeux interparlementaires de l’Assemblée législative est-africaine (EALA), le sénateur kenyan Omar Hassan déclarait:  « Dans des conventions est-africaines comme celle-ci, nous discutons toujours des mêmes sujets : le Marché commun, la libre circulation des biens ou des personnes, le passeport commun, mais nous ne sommes pas suffisamment armés pour aborder les bases pour un logiciel commun : les normes communes pour la démocratie, las valeurs communes… On ne s’intégrera pas avec vous si vous étouffez la liberté d’expression, si vous ne respectez pas les droits de la femme, si vous emprisonnez vos opposants ; nous ne nous intégrerons pas avec vous. »[1]

Aujourd’hui, la jeunesse est-africaine est en train de faire écho à ce discours. Au travers des réseaux sociaux, notamment sur Twitter, elle a lancé une campagne de solidarité avec les prisonniers politiques des pays de la région, en particulier ceux de l’Ouganda et du Rwanda.

La campagne a commencé suite à l’arrestation le 13 août dernier en Ouganda du célèbre chanteur et député du comté de Kyadondo East, Robert Kyagulanyi Ssentamu, connu sous le nom de Bobi Wine. La campagne a pris forme peu après et le 22 août la jeunesse kenyane s’est associée à la jeunesse ougandaise, via le hashtag #FreeBobiWine, pour réclamer sa libération. La campagne a pris de l’ampleur et des personnalités diverses ont pris part à cette campagne pour soutenir Bobi Wine. On peut notamment citer le Nigérian et prix Nobel de littérature Wole Soyinka, ainsi que des artistes et des militants des droits de l’Homme comme Angelique Kidjo et Chris Martin.[2] La pression médiatique exercée a conduit à une première libération du chanteur.

24 heures plus tard, notamment sous l’impulsion du célèbre bloggeur kenyan Abraham Mutai, un influent militant panafricain, convaincu que les détentions politiques en Afrique de l’Est doivent cesser et que les jeunes doivent pouvoir exercer leurs droits politiques librement[3], c’est le hashtag #FreeDianeRwigara qui a atteint des sommets. L’un de tweets les plus remarquables de Mutai est celui où il lance un appel aux Rwandais : « Cher Rwanda, nous vous offrons notre soutien pour créer un environnement politique libre et propice en réprimandant le président Paul Kagame pour la détention de Diane et des autres. Pourrais-je avoir 1000 retweets pour #FreeDianeRwigara. C’est parti ! »[4]

Cet appel, à défaut d’être relayé par une jeunesse rwandaise tétanisée, le sera par les jeunesses kenyane et ougandaise. C’est ce que l’on découvre au travers de ces tweets et retweets et du hashtag #FreeDianeRwigara.  Elles rappellent au monde que l’actuel président de l’Union africaine est un tyran qui ne tolère pas l’opposition et oppresse toute voix discordante.

Surpris par l’attitude de la jeunesse rwandaise, qui n’a pas suivi son appel sur twitter, Abraham Mutai fournira une explication quelques heures après la diffusion de son premier tweet : « On me raconte que les gens au Rwanda ont fait une capture d’écran de mon tweet et le font maintenant circuler par WhatsApp et d’autres forums par crainte de retweeter ou d’aborder le sujet évoqué dans le tweet. Oubliez Al Bashir, même Museveni, Paul Kagame est le vrai problème. #FreeDianeRwigara »[5].

Dans une déclaration sur Twitter, l’analyste politique kenyan James Mwangi s’est adressé au président Paul Kagame, lui rappelant les valeurs de l’Union africaine sur la bonne gouvernance et les droit de l’Homme, et lui demandant humblement de libérer Diane Rwigara et sa famille car pour lui Paul Kagame n’a aucune raison valide de continuer à garder Diane Rwigara en détention. [6][7][8][9][10]

Les discours de Paul Kagame séduisent souvent la jeunesse panafricaniste tant il prône l’indépendance financière du continent africain, s’adresse à la jeunesse en particulier et défend la solidarité entre les pays africains. On peut le voir dans son discours lors de sa prise de fonction en tant que président de l’Union africaine : «Le défi déterminant de l’Afrique est de créer un chemin vers la prospérité pour notre peuple, en particulier pour les jeunes…. Aucun pays ou région ne peut se débrouiller seul. Nous devons être fonctionnels, et nous devons rester ensemble. La réforme financière et institutionnelle de l’Union africaine tire toute son urgence de ces réalités. »[11]
Toutefois, la plupart des figures les plus populaires des mouvements panafricanistes qui s’intéressent à la réalité rwandaise au-delà du discours se rendent souvent compte que cette réalité rwandaise est à l’exact opposé du discours brandi. En déclarant sur Twitter le 24 août 2018 : « Nous tweetons #FreeDianeRwigara pour rappeler à Paul Kagame et à son régime meurtrier qu’en tant que jeunesse est-africaine nous surveillons. Nous sommes conscients. Et nous nous soulevons face aux dictateurs des pays voisins. Il viendra le temps où il va tomber »[12] , Abraham Mutai rejoint une autre célèbre figure du mouvement panafricaniste, Kemi Seba,  qui interrogea en 2016 : « Qui décrit en priorité le Rwanda comme un exemple ? … Est-ce que le Rwanda est un exemple lorsque les milices rwandaises accompagnées de certaines milices ougandaises créent le chaos au Kivu aujourd’hui ? Est-ce que le Rwanda est un exemple lorsque tous ceux qui s’opposent à Kagame sont incarcérés et sont victimes de violations des droits réels de l’Homme et non pas les droits fantasmés que l’on peut retrouver à Paris, il faut que l’on se pose des questions sur ces modèles imposés par l’extérieur mais qui ne sont pas forcément en harmonie avec nos réalités intérieures… ? »[13]

L’actuel momentum indique peut-être le début d’une prise de conscience collective au sujet de la nature tyrannique du régime de Paul Kagame plus large que le cercle réduit de ceux qui s’intéressent habituellement à la démocratie au Rwanda au-delà des discours et des statistiques savamment manipulés. Ce mouvement serait-il un pas vers la fin de la tyrannie de l’un des régimes les plus répressifs de l’histoire ? Seul l’avenir le dira. La jeunesse est-africaine se dit en tout cas prête à seconder une jeunesse rwandaise tétanisée face à un régime tout-puissant.

Constance Mutimukeye et Alfred-Antoine Uzabakiliho

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[1] https://www.youtube.com/watch?v=wN_crZkhAFo

[2] https://www.nation.co.ke/news/africa/Regional-FreeBobiWine-campaign-shapes-up/1066-4724014-cyx39r/index.html

[3] https://twitter.com/ItsMutai/status/1032942888899031040

[4] https://twitter.com/ItsMutai/status/1032725916194140160?s=19

[5] https://twitter.com/ItsMutai/status/1032971630937600001?s=19

[6] https://twitter.com/MwangiAfrica/status/1032917548386459648

[7] https://twitter.com/MwangiAfrica/status/1032917554954739717

[8] https://twitter.com/MwangiAfrica/status/1032917558863777793

[9] https://twitter.com/MwangiAfrica/status/1032917562756096000

[10] https://twitter.com/MwangiAfrica/status/1032917566069592064

[11] http://www.panoractu.com/2018/01/29/discours-de-paul-kagame-lors-de-nomination-tant-president-de-lua/

[12] https://twitter.com/ItsMutai/status/1032860875307339776?s=19

[13] https://youtu.be/HdB2SNOpRR4

Rwanda – Kizito Mihigo : fin d’un procès à l’image du régime

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Coup de théâtre ce lundi 10 septembre 2018 à la Cour suprême du Rwanda. Alors que devait se tenir le procès attendu de Kizito Mihigo, le célèbre chanteur chrétien rwandais, emprisonné depuis le mois d’avril 2014 en raison d’une chanson, a annoncé qu’il se désistait de son appel, qu’il avait pourtant lui-même interjeté auprès de cette Cour après avoir été condamné en 2015 à 10 ans de prison ferme pour « conspiration contre le gouvernement du président Kagame ». Dans cet article, nous retraçons la chronologie des événements qui ont conduit à cet énième renversement.

Durant les années qui ont précédé son incarcération, le chanteur, rescapé du génocide et arrêté en avril 2014, était devenu un activiste de la Réconciliation. Son emprisonnement après la sortie de sa chanson « Igisobanuro cy’urupfu » (la signification de la mort) fut aux yeux de beaucoup d’observateurs une autre tentative de la part du régime rwandais de museler une voix qui ne plaisait plus en raison de propos qui prenaient de plus en plus leurs distances avec la narrative officielle de Kigali.

Les accusations portées par le Ministère public contre ce musicien qui, était devenu artiste officiel du gouvernement de Kigali depuis la fin de ses études au conservatoire de Paris, étaient basées sur une conversation Whatsapp qu’il avait eue avec un des membres de l’opposition en exil. Le Rwanda de Paul Kagame a depuis longtemps été accusé de poursuivre les opposants jusqu’en exil pour les assassiner, comme cela fût le cas pour l’ancien ministre de l’intérieur Seth Sendashonga assassiné au Kenya en 1998 ou plus récemment le colonel Patrick Karegeya retrouvé étranglé dans un hôtel de Johannesburg en Afrique du Sud.

Pour beaucoup de Rwandais et d’observateurs internationaux, l’emprisonnement de Kizito Mihigo fait automatiquement penser aux autres prisonniers politiques rwandais comme Diane Rwigara, Victoire Ingabire et plusieurs dizaines d’autres.

Dans les lignes qui suivent, nous retraçons la succession des principaux événements ayant marqué cette affaire qui fut suivie de très près par la presse locale et internationale et souvent décrite comme « un procès à l’image du régime ».

4/03/2014: Publication de la chanson « Igisobanuro cy’urupfu »

Le 4 mars 2014, le chanteur Kizito Mihigo publie sur YouTube la chanson « IGISOBANURO CY’URUPFU – Requiem réconciliateur », dans laquelle il appelle à rendre hommage aux victimes du génocide des Tutsis, mais aussi celles d’autres crimes n’ayant pas été appelés « génocide ». Le chanteur fait par là implicitement référence aux victimes des crimes commis par le Front patriotique rwandais, brisant en cela un tabou de la société rwandaise post-génocide, dans laquelle ces victimes n’ont pas le droit d’être évoquées publiquement.

Parmi les nombreux passages de sa chanson, deux passages déplaisent en particulier : « Le génocide m’a rendu orphelin. Mais cela ne m’empêche pas d’avoir de la compassion pour d’autres personnes qui ont été victimes des violences qui n’ont pas été appelées « génocide »… Ces frères-là, ce sont aussi des êtres humains, je prie pour eux…ils ont toute ma compassion…je les porte dans mes pensées … il n’existe aucune bonne mort, que cela soit une mort causée par le génocide, la guerre, ou causée par ceux qui commettent des  crimes des vengeances »

Le 17/03/2014: Paul Kagame fait négativement référence à la chanson de Kizito

Le 17 mars 2014, dans son discours lors de la cérémonie de collation des grades aux officiers de police, à Gishari (dans l’Est du pays), le président Paul Kagame déclare : « Je ne suis pas un chanteur qui est là pour divertir les ennemis du pays,» faisant ainsi référence à Kizito Mihigo dont la chanson est sortie deux semaines plus tôt.

Le 1/04/2014: la chanson disparait de Youtube

Le 1er avril 2014, alors que les Rwandais rentrent officiellement dans la période de commémoration du 20ème anniversaire du génocide, la chanson n’est plus accessible sur internet via la chaîne de l’artiste.

Le 6/04/2014: Disparition du chanteur

Kizito Mihigo est porté disparu, ses proches n’ont plus de nouvelles et le chanteur, pourtant habituellement actif notamment sur les réseaux sociaux, ne donne plus signe de vie.  La police dit ne pas savoir où il se trouve.

Le 7/04/2014: Absence remarquée du chanteur de la 20ème commémoration

Pendant les cérémonies officielles de la 20ème  commémoration du génocide, l’absence du chanteur est remarquée par le public et les observateurs.

Le 14/04/2014:La police avoue détenir Kizito Mihigo

Sous pression de la presse locale et internationale, la police finit par avouer qu’elle détient le chanteur, soit près de 10 jours après sa disparation.

Le 15/04/2014: Kizito Mihigo est paradé devant la presse

Menottes aux mains et entouré de plusieurs policiers, Kizito Mihigo est paradé devant la presse. Durant la courte conférence de presse qu’il donne debout à l’extérieur sous étroite surveillance de la police, le chanteur avoue les crimes qui lui sont reprochés en reconnaissant  avoir eu des échanges par internet avec un membre de l’opposition en exil dans lesquels il tient des propos très critiques à l’encontre du régime.

Lorsque les journalistes tentent en chœur de lui demander si son arrestation n’est pas liée à sa chanson, ce dernier est immédiatement évacué par les policiers.

Le même jour, dans un discours pendant les cérémonies de commémoration, le ministre de la culture Protais Mitali (aujourd’hui lui-même en exil) déclare que Kizito Mihigo devrait être traité non pas comme une star mais comme « tous les criminels ». Les activistes des droits de l’homme dénoncent alors le non-respect de la présomption d’innocence.

Le 18/04/2014: les chansons de Kizito sont officiellement interdites au Rwanda

L’office national de l’information (Rwanda Broadcasting Agency) publie un communiqué officiel dans lequel il interdit aux journalistes de diffuser les chansons de Kizito Mihigo. Selon l’office, il ne conviendrait pas de donner un espace d’expression à une personne « sur laquelle pèsent autant d’accusations et qui a d’ailleurs avoué ce qui lui est reproché ».

 

Le 21/04/2014: Le chanteur plaide coupable

Le 21 avril 2014, lors de sa première comparution devant la cour, le chanteur, sans avocat, plaide coupable. Quelques heures après cette audience, une interview confession du chanteur est mise en ligne, dans laquelle il plaide coupable de tous les chefs d’accusation qui pèsent contre lui et demande le droit de pouvoir être assisté par un avocat.

Le 28/04/2014: 30 de jours de préventive

Le tribunal de Base de Kacyiru décide l’emprisonnement du chanteur et ses coaccusés pendant 30 jours de détention provisoire pendant que l’enquête continue.

Le 6/11/2014: Ouverture du procès

A partir de la gauche: Kizito Mihigo, Cassien Ntamuhanga, Jean Paul Dukuzumuremyi et Agnes Niyibizi.

Le procès de Mihigo est ouvert. Le chanteur plaide coupable de toutes les charges retenues contre lui et demande la clémence du jury. Ses avocats, eux, disent ne pas trouver les éléments constitutifs d’une infraction. Les trois coaccusés du chanteur plaident tous non coupables et annoncent avoir été torturés durant leur détention.

Le 29/11/2014: Kizito renonce à ses avocats

Le 29 novembre 2014, au bout de trois semaines de procès,  Kizito Mihigo renonce à ses avocats « Je souhaite continuer le procès sans mes avocats. Je plaide en demandant pardon, donc afin de mettre l’accent là-dessus, je souhaite me défendre seul, » a-t-il ainsi expliqué.

Le 30/12/2014: Le parquet requiert la perpétuité contre le chanteur
Le 27/02/2015: Condamnation de Kizito à 10 ans de prison

Le 27 février 2015, le chanteur est condamné par la Haute Cour de Kigali à 10 ans d’emprisonnement pour conspiration contre le gouvernement. Il fait appel de cette décision auprès de la Cour suprême.

 

Le 18/07/2015 : Témoignage de Monseigneur Léonard sur Kizito Mihigo

Le 18 juillet 2015, lors d’un entretien accordé à Jambonews, Monseigneur Léonard, archevêque de Malines-Bruxelles et Primat de Belgique témoigne sur la personnalité de Kizito Mihigo, qu’il a personnellement connu lors du séjour du chanteur en Belgique : « Je ne peux pas voir en Kizito Mihigo un homme qui serait dangereux pour la société» nous confie ainsi l’Archevêque.

Le 14/05/2018: ajournement du procès

Le 14 mai 2018, soit 3 ans après son appel, Kizito Mihigo comparaît devant la Cour suprême pour son procès en appel. L’audience est ajournée.

Le 11/06/2018: Nouvel ajournement

La Cour suprême ajourne l’audience à nouveau et transfère le dossier à la cour d’appel, une cour nouvellement créée au Rwanda.

Le 10/09/2018: Le chanteur renonce à son appel

Le 10 septembre 2018, la saga judiciaire du procès de Kizito Mihigo prend fin avec l’annonce, par la Cour, que le chanteur a abandonné son procès en retirant sa plainte.

 

Agnès Uwimbabazi et Ruhumuza Mbonyumutwa

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Rwanda : Paul Kagame menace de réincarcérer Victoire Ingabire

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Alors que les partisans de Victoire Ingabire célèbrent encore la libération surprise de la figure de l’opposition rwandaise intervenue ce samedi 15 septembre 2018 suite à une grâce présentielle, le chef de l’Etat rwandais vient, dans un discours adressé devant le parlement ce mercredi 19 septembre, de doucher les espoirs de ceux qui espéraient que la libération de Victoire Ingabire préfigurait l’ouverture de l’espace politique du Rwanda, un pays dirigé par un des régimes les plus répressifs de l’histoire.

C’est par un tweet laconique, diffusé dans la soirée du vendredi 14 septembre 2018 par le Ministère de la justice rwandais que la surprenante nouvelle a été publiquement annoncée : «  Le réunion du Conseil des ministres a approuvé la libération anticipée de 2140 condamnés. Parmi eux, Kizito Mihigo et Victoire Umuhoza, qui ont reçu une grâce présidentielle pour le restant de leur peine, après leur récente demande de grâce en juin 2018. »

Dans la foulée de cette annonce surprise, des messages de remerciement et de louanges, certains même frisant le fanatisme, adressés à Paul Kagame ont commencé à pleuvoir sur les réseaux sociaux : « Paul kagame n’est pas seulement un nationaliste mais un dirigeant envoyé pour nous par le ciel, » pouvait-on lire sous la plume de William, ou encore « Dieu est bon! Kagame Paul est bon. Que Dieu le bénisse » sous la plume de Julius.

Du côté des voix habituellement critiques, si certains se contentaient d’un sobre « Merci Paul Kagame », d’autres comme Louise étaient plus critiques refusant de remercier une « dictature » pour avoir « libéré quelques prisonniers politiques qui n’auraient jamais du être emprisonnés », d’autres encore, comme Nadine, se voulaient plus incisifs et demandaient « Entre Paul Kagame d’une part et Kizito Mihigo et Victoire Ingabire de l’autre, qui a besoin de demander pardon à qui ?»

Dès le lendemain matin de cette annonce, Kizito Mihigo et Victoire Ingabire, en compagnie de 2138 autres détenus faisaient leurs premiers pas à l’extérieur après respectivement 4 ans et 8 ans d’emprisonnement devant une flopée de journalistes et photographes.

Kizito Mihigo à sa sortie de prison le 18 septembre 2018

Lors d’une conférence de presse improvisée à quelques pas de la prison, l’artiste chrétien a remercié le président Paul Kagame pour sa grâce présidentielle qui montre sa « force de cœur » et déclaré vouloir à titre personnel « se construire », chercher une femme et construire un foyer tout en poursuivant le travail qu’il fait depuis qu’il est enfant et visant à l’unité et la réconciliation des Rwandais.

Interrogé sur la demande de pardon qu’il a adressée au président Kagame, Kizito a déclaré avoir décidé de se désister de son appel et de demander pardon car « Je savais à qui je m’adressais, je connais le Président de la république comme quelqu’un ayant un cœur et à même de m’accorder son pardon. »

Victoire Ingabire a pour sa part d’abord remercié les personnes qui se sont occupées d’elle en prison, son mari et ses enfants, les partisans des FDU ainsi que les autorités carcérales « qui ont apporté beaucoup d’améliorations dont elle a été témoin dans les prisons rwandaises tout au long de ses années d’incarcération ».

Elle a ensuite remercié le Président de la république, pour l’avoir « libéré et remis à la vie normale » déclarant penser que ce geste est un signe démontrant que Paul Kagame « se rend compte désormais lui-même que le mieux pour le pays est que les Rwandais aux positions diverses puissent s’unir pour bâtir ensemble la nation ».  La leader d’opposition rwandaise a ensuite refusé de répondre aux autres questions notamment celle posée de manière pressante par les journalistes concernant la demande de pardon qu’elle aurait adressée à Paul Kagame en juin 2018 et qui serait à l’origine de sa libération.

« Je ne peux pas demander pardon pour un crime que je n’ai pas commis »

Le lundi 17 septembre, au lendemain de sa libération, Victoire Ingabire a exprimé sa joie et sa surprise face à sa libération sur les ondes de la BBC. Interrogée par le journaliste sur sa demande de pardon dont s’est fait écho la presse rwandaise pro-gouvernementale, elle a déclaré: « On demande pardon pour un crime qu’on a commis, je n’ai commis aucun péché, je n’ai jamais reconnu avoir commis le moindre crime ni devant la justice, ni devant aucune autorité, je n’ai pas demandé pardon pour un crime que je n’ai pas commis et qui aurait justifié ma détention,» expliquant que la confusion vient du fait qu’en kinyarwanda, le terme « grâce présidentielle » se traduit par le mot « imbabazi », le même mot utilisé pour « pardon ».

Elle a ensuite expliqué avoir sollicité la grâce présidentielle car elle ne voyait « aucune raison de rester en prison d’autant plus qu’une décision de la Cour [Cour africaine des droits de l’Homme et des peuples] venait de décider qu'[elle] n’aurait jamais du être emprisonnée. »

Dans la même interview elle a également déclaré que son parti n’avait pas d’ambition de prendre le pouvoir, mais de lutter pour l’ouverture de l’espace politique au Rwanda.  Au sujet des risques de retourner en prison si elle continue sa lutte, elle a déclaré ne pas craindre une telle éventualité : « Je ne fais rien de mal, je partage simplement mes réflexions sur comment nous pouvons construire une nation rwandaise encore plus solide et avec un meilleur vivre ensemble que ce qu’on connait actuellement, mais si je dois retourner en prison, j’ai dit aux gens que la prison était une école, la prison est un chemin, ce n’est pas parce que Ingabire est emprisonnée que cette construction d’une meilleure nation doit s’arrêter, je pense même que le fait de m’emprisonner est aussi un passage vers ce meilleur avenir. »

Victoire Ingabire Umuhoza, entourée par Anne Rwigara à sa gauche et Bernard Ntaganda à sa droite.

Elle a conclu en déclarant qu’elle allait continuer sa lutte et demander aux autorités rwandaises de libérer les autres prisonniers politiques, notamment les dirigeants de son parti encore emprisonnés, Diane Rwigara, Déo Mushayidi et plusieurs autres, et qu’elle comptait montrer aux autorités rwandaises qu’« emprisonner quelqu’un pour ses idées politiques donne une mauvaise image du pays alors que cela n’apporte rien à ceux qui les emprisonnent, au moment où on a besoin d’avoir un pays ayant une bonne réputation. »

La question du pardon présidentiel enflamme les débats

Suite à cette interview la question du pardon que Victoire Ingabire aurait ou non invoqué auprès de Paul Kagame a enflammé les débats et fait la une des journaux, en particulier pro-gouvernementaux et a enflammé les discussions sur les réseaux sociaux, plusieurs commentateurs pro-gouvernementaux postant des photos de lettres de demande de « pardon » pour prouver qu’elle mentait.

Plusieurs média pro-gouvernementaux ont ainsi consacré plusieurs articles à ce sujet, Igihe.com titrant par exemple ce mardi 18 septembre 2018 « Pourquoi Ingabire continue à fuir le pardon qu’elle a sollicité afin d’être libérée ? ». La télévision nationale rwandaise s’est également emparé du sujet, faisant même de la question du « pardon/grâce présidentiel(le) » de Victoire Ingabire le sujet de son débat du mardi 18 septembre 2018. Au cours de cet échange avec le journaliste l’ancien opposant Evode Uwizeyimana, invité en sa qualité de représentant de l’Etat rwandais, s’est ainsi longuement exprimé sur la question, déclarant notamment que l’emprisonnement et la libération de Victoire Ingabire et Kizito Mihigo « n’avaient rien de politique ».

« Le Rwanda est imperméable à la pression »

Ce mercredi 19 septembre 2018, c’est Paul Kagame lui-même qui, dans un discours prononcé devant le nouveau parlement, est revenu sur la question. Faisant d’abord allusion aux informations selon lesquelles les libérations de Victoire Ingabire et Kizito Mihigo auraient été dues aux pressions extérieurs, le numéro un rwandais a d’abord clarifié les choses, déclarant qu’au Rwanda, les choses « changeront de la manière dont nous (en mettant la paume de la main sur sa poitrine) le souhaitons et non de la manière dont les autres le souhaitent. »

Faisant ensuite allusion à la libération de Victoire Ingabire, l’ancien chef rebelle a ainsi déclaré: « L’autre jour, nous avons libéré de gens, parmi eux, se trouvaient ces stars politiques, de la politique extérieure et sans aucune base dans le pays, ce n’est pas la première fois que nous le faisons et après tu les entends (mimant de sa main droite et d’un air moqueur et méprisant une personne qui blablate), je n’ai pas demandé pardon , ils ont du nous libérer à cause de la pression; » et d’ajouter d’une voix ferme sur un ton interrogatif, « Pression ici ? » sous les applaudissement nourris du parlement, avant de continuer, « Si tu continues dans cette voie, tu vas te retrouver de retour là bas (en prison) » sous une nouvelle salve d’applaudissement et de rires des députés.

Se faisant encore plus clair dans son propos, l’homme de fer de Kigali a ensuite déclaré, comme en signe d’avertissement: « Si ce dont on a besoin est une preuve que ce n’est pas la pression qui marche, tu peux te retrouver de retour dedans (en prison) ou te retrouver à nouveau en train de vagabonder en exil, car tu n’y feras rien d’autre, » avant de conclure fermement: « Au Rwanda, vu d’où on vient, on a appris beaucoup de leçons nous rendant imperméable à la pression, donc celui qui le veut, ferait mieux de faire profil bas. »

Ruhumuza Mbonyumutwa

Jambonews.net

Rwanda : de quels crimes les Hutus et les Tutsis ont-ils été victimes ?

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Réedition de l’article : « Rwanda : de quels crimes les Hutus et les Tutsis ont-ils été victimes ? »

Le lundi 1 octobre 1990 est sans nul doute l’une des dates les plus marquantes et symboliques dans l’histoire récente du Rwanda mais aussi de l’ensemble de la région des Grands Lacs d’Afrique.

Il y a 28 ans jour pour jour, le Front Patriotique Rwandais a lancé une offensive militaire contre le Rwanda. Ce fût alors le début d’une guerre civile entre cette rébellion et les Forces Armées Rwandaises. Une guerre sans merci qui pendant près de quatre années fera d’innombrables victimes au nord du pays et provoquera le déplacement interne de près d’un million de civils.

Cette guerre sera marquée par la perpétration de crimes de guerre, d’assassinats politiques et de crimes contre l’humanité. Ce conflit civil prendra une toute autre tournure à partir du 6 avril 1994 date à laquelle la rébellion du Front patriotique rwandais a abattu l’avion du Président Rwandais, Juvénal Habyarimana qui transportait également son homologue burundais Cyprien Ntaryamira.

Cet attentat, concomitamment suivi d’une offensive générale du FPR sur le Rwanda déclencha une violente reprise des hostilités qui verra s’écrire, d’avril à juillet 1994,  la page la plus sombre de l’histoire du Rwanda durant laquelle le génocide contre les Tutsi a été perpétré en même temps que se perpétraient des massacres de masse contre les civils hutu.

La période qui suivit sera marquée par l’exode de plusieurs millions de Rwandais vers les pays voisins en particulier vers l’est de l’ex-Zaire. C’est dans cette région que se déroula, à partir de novembre 1996, les principaux épisodes du génocide contre les Hutu. De conflit civil, la tragédie embrasa toute la région.

Depuis 1994, le Rwanda et l’Est du Congo ont été les théâtres réguliers de crimes internationaux en tous genres contre les populations civiles. Les différentes tragédies qui ont endeuillé la région des Grands Lacs d’Afrique depuis le 1er octobre 1990 sont parmi les plus effroyables que notre humanité ait connu, elles ont engendré plusieurs millions de victimes principalement rwandaises et congolaises.

A l’occasion de ce triste anniversaire, Jambonews rend un hommage appuyé à l‘ensemble des rwandais, congolais, burundais et citoyens de nombreux autres pays ayant été victimes directes ou indirectes du conflit et vous invite à (re)découvir l’article « Rwanda : de quels crimes les Hutus et les Tutsis ont-ils été victimes ? » publié le 3 octobre 2017 et qui fait un inventaire non exhaustif des crimes dont les rwandais ont été victimes depuis le 1er octobre 1990.

 

Les crimes qui ont été commis, principalement au Rwanda et au Congo depuis le 1er octobre 1990, contre les Rwandais, Hutus et Tutsis, ne peuvent pas se résumer en une seule expression ou appellation, sous peine de globaliser et de falsifier indéfiniment l’histoire.

Une seule appellation globale pour tous ces crimes ?

A l’heure actuelle, les appellations des crimes qui ont été commis au Rwanda contre les Tutsis ou contre les Hutus sont disparates, contradictoires et dépendent souvent des intérêts immédiats et du point de vue totalement subjectif de celui qui s’exprime.

En effet, la question de l’appellation des crimes qui ont été commis contre les Tutsis ou les Hutus du Rwanda est sans doute celle qui divise le plus tous ceux qui s’intéressent au Rwanda, à commencer par les Rwandais eux-mêmes.

Quelques un estiment ainsi qu’il s’agirait d’un « génocide rwandais ».

D’autres soutiennent que ce fut un « double génocide ».

D’aucuns pensent que le seul « génocide » fut celui des Tutsis et concèdent parfois qu’il y a aussi eu des « massacres de Hutus ».

Les plus décidés évoquent aujourd’hui « deux génocides », « un génocide des Hutus » ou « contre les Hutus » et un « génocide des Tutsis » ou « contre les Tutsis ».

Les plus prudents s’en tiennent à une « tragédie rwandaise » ou un « drame rwandais ».

Les plus classiques parlent simplement de « guerre civile » qui devient une « guerre de reconquête » ou « d’occupation », pour certains, de « libération » ou « d’agression », pour d’autres, en occultant totalement les crimes qui ont été commis pendant cette guerre.

Pour les plus imaginatifs, le génocide commis contre les Hutus serait un « contre-génocide » ou un « génocide sélectif ».

Quelques-uns évoquent parfois des « crimes de guerre ».

Les plus distants se contentent d’évoquer des « massacres inter-ethniques » et parfois même des « luttes tribales ».

D’autres en sont encore à l’appellation incohérente de « génocide des Tutsis et des Hutus modérés » qui aurait été suivi de « représailles et d’exactions contre les Hutus».

Cette appellation est incohérente en effet puisqu’un génocide, dont l’élément essentiel est de vouloir détruire un groupe national en tant que tel, ne saurait avoir été commis par le même auteur en même temps contre des Tutsis et des Hutus, ces derniers furent-ils modérés.

Cette appellation est d’ailleurs la seule, dans toutes les appellations confuses qui existent, à attribuer une caractéristiques aux victimes, déjà catégorisées selon leur « ethnie », en les désignant comme « Hutus modérés », avec la conséquence terriblement néfaste que cette appellation induit implicitement mais nécessairement que les « Hutus », sans autre précision, n’auraient pas été modérés ou, pire, n’auraient pas été victimes.

Le comble est atteint lorsque certains définissent les « Hutus modérés » comme étant ceux qui ont refusé de participer aux massacres, induisant par-là que les Hutus qui n’ont pas été victimes des Interahamwe sont ceux qui ont accepté de participer au génocide des Tutsis.

Et lorsqu’ils parviennent parfois à s’entendre sur l’appellation elle-même et l’identité des victimes, rares sont ceux qui parviennent à s’entendre sur l’identité des auteurs de ces crimes.

Désigner correctement les auteurs de ces crimes

En réalité, c’est même sur l’identité des auteurs de ces crimes que la polémique et les tensions sont les plus vives dans ce débat puisque les auteurs de ces crimes essaient naturellement d’échapper à leurs responsabilités en voulant, au mieux, se confondre aux victimes ou, au pire, salir leurs victimes et inverser les responsabilités.

C’est ainsi que la désignation des auteurs de ces crimes relève dangereusement et le plus souvent de catégories ethniques telles que : « extrémistes Tutsis », « extrémistes Hutus », « miliciens Hutus », « tueurs Tutsis », « régime Hutu » ou « rebelles Tutsis ».

Certains ne s’embarrassent même pas et désignent tout simplement les criminels comme étant « les Tutsis » ou « les Hutus », sans autres adjectifs protocolaires.

Comment voulez-vous qu’un enfant qui a grandi avec un discours qui désigne les « Tutsis » ou les « Hutus » comme ceux qui ont tué les siens ne développe pas une peur et une haine automatique contre ces « Tutsis » ou ces « Hutus » ?

Mais d’autres désignations très répandues mélangent, tout aussi dangereusement, des catégories ethniques et politiques en désignant les auteurs de ces crimes comme étant « les extrémistes Hutus du MRND et de la CDR » ou « les extrémistes Tutsis du FPR ».

Les désignations les plus critiquables et les plus dangereuses sont sans doute celles qui, en plus de stigmatiser une ethnie dans la désignation des auteurs d’un crime, associent cette ethnie à un terme tout droit issu de la propagande politique comme lorsque d’aucuns évoquent allègrement les crimes commis par un prétendu « régime Hutu Power » qui n’a jamais existé.

Nul doute que ceux qui se rapprochent de la vérité, voire des seules appellations acceptables pour la postérité et la réconciliation des Rwandais, sont ceux qui attribuent les crimes à leurs auteurs, sans référence à l’ethnie de ces derniers mais uniquement au groupe politique et/ou militaire auxquels ils auraient adhéré tels que « les Inkotanyi » ou les « Interahamwe ».

Mais la confusion ne pourra définitivement être levée que si l’on évite la globalisation ou au moins la catégorisation ethnique et que l’on s’attache avant tout à rechercher minutieusement la responsabilité individuelle des auteurs de ces crimes plutôt que la stigmatisation de leur ethnie qui, par essence, relève de ce qu’ils sont et non de ce qu’ils auraient fait.

Certains s’accusent mutuellement de négationnisme mais tous partent de la même réalité difficilement contestable, il y a eu plus de deux millions et demi de morts Rwandais dans la région des grands lacs ces 25 dernières années, dont les plus nombreux étaient des Hutus.

Il est difficile de connaître le nombre exact des victimes mais les chiffres eux-mêmes divisent beaucoup moins que l’identification des crimes qui ont été commis et de leurs auteurs.

En réalité, cette division persistante entre nous tous sur la manière de nommer ces crimes et d’identifier leurs auteurs ou de désigner les victimes, est, pour ceux qui sont de bonne foi, le fruit de plusieurs confusions et d’idées reçues, tant concernant les faits eux-mêmes que la définition légale – seule référence – des crimes en question.

De quels crimes s’agissait-il ?

Il convient par conséquent d’identifier d’abord ce qu’il s’est passé, où et quand, en vérifiant en même temps à quelle appellation peuvent correspondre ces faits tels qu’ils se sont produits.

L’identification de ce qu’il s’est passé est nécessairement à circonscrire sur le plan géographique et dans le temps tout en concentrant l’analyse sur les victimes Rwandaises et spécialement sur les Tutsis et les Hutus car de nombreux crimes ont été commis contre les Twas mais ne font pas l’objet de polémiques sur leur appellation.

Sur le plan temporel, l’on pourrait remonter très loin dans l’histoire du Rwanda pour revenir sur toutes les victimes qui l’ont émaillée, mais la date du 1er octobre 1990 est une date charnière et appropriée comme point de départ de la période d’observation.

Si personne ne peut contester que le terreau de la haine et de la violence se trouve dans l’histoire plus ancienne du Rwanda, il est un fait que son dernier éclatement se situe à cette date qui correspond au début de la guerre fratricide déclenchée par le FPR contre le Rwanda.

A cet égard, il paraît primordial de rappeler que tous les crimes qui ont été commis l’ont été pour la plupart en temps de guerre au Rwanda ou en République Démocratique du Congo.

Quant aux territoires sur lesquels ces crimes ont été commis, il paraît adéquat de les limiter – dans le cadre de cet examen – à ceux du Rwanda et de la République Démocratique du Congo qui sont de loin ceux qui ont connu le plus grand nombre de victimes.

L’on pourrait en effet étendre l’analyse à d’autres pays d’Afrique, comme la Zambie, le Kenya, le Cameroun ou l’Afrique du Sud, voire à des pays d’Europe comme la Belgique où des Rwandais ont notoirement été assassinés pour des raisons politiques.

Compte tenu du point névralgique de ce débat, il s’agit de se concentrer essentiellement sur les victimes rwandaises que sont les Hutus et les Tutsis mais cela n’occulte pas le fait qu’il y a eu de très nombreuses victimes étrangères, notamment congolaises, burundaises, belges, françaises, espagnoles, canadiennes ou de plusieurs autres nationalités.

Il est en effet important de circonscrire le débat pour éviter qu’il ne soit biaisé sur une question aussi sensible où les interlocuteurs qui ont des backgrounds différents s’opposent de manière véhémente sans se rendre compte qu’ils ne parlent parfois pas de la même chose.

Il est un fait que l’hommage rendu aux victimes ou le poids politique de ces victimes dépend parfois de la nature du crime dont elles ont été victimes et de son appellation officielle.

Il est aujourd’hui de notoriété publique mondiale que le terme de génocide est émotionnellement et politiquement le plus marquant.

Plus que tout autre, il suscite la compassion envers ceux qui en ont été victimes et la solidarité politique internationale envers leur communauté.

C’est ainsi que l’examen des faits dans ce contexte, laisse apparaître sans grande ambiguïté que les cinq catégories de crimes suivants ont été commis : génocides, crimes contre l’humanité, crimes de guerre, assassinats politique, crimes de droit commun.

Il faut nécessairement les examiner un par un et le faire en fonction des victimes qui sont certaines et qui sont le centre et la raison d’être de tout crime.

Mais avant cela, il paraît indispensable de rappeler d’abord ce qu’on entend légalement par « génocide », par « crime contre l’humanité » et par « crime de guerre » qui sont des crimes dits de droit international humanitaire.

Il ne paraît pas nécessaire de définir ce qu’on entend par « assassinats politiques » et par « crimes de droit commun » dont le sens paraît plus évident.

L’article 2 de la convention de 1948 sur la répression du crime de génocide dont les termes sont repris à l’identique dans tous les autres textes nationaux ou internationaux qui lui sont postérieurs, définit le génocide comme étant le fait de vouloir détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel, soit en commettant des meurtres de membres de ce groupe ou des atteintes graves à l’intégrité physique ou mentale de membres de ce groupe, soit en soumettant intentionnellement ce groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle, soit en entravant les naissances au sein de ce groupe ou soit en transférant de force des enfants du groupe à un autre groupe.

A la lumière de la définition légale qui précède, il est tout de suite aisé de constater qu’il existe deux idées reçues qui font encore long feu actuellement sur les éléments constitutifs du crime de génocide, celle selon laquelle il ne peut y avoir génocide que s’il est l’œuvre d’un Etat doté d’un gouvernement et celle selon laquelle un génocide doit nécessairement être planifié.

Ce sont deux idées reçues totalement fausses mais qui persistent dans l’imaginaire collectif au point que même les débats qui se sont tenus devant le Tribunal Pénal International pour le Rwanda ont longtemps porté sur la question de la responsabilité de l’Etat et du gouvernement ou sur la question de la planification alors que ces deux éléments ne sont pas des conditions exigées pour qu’il puisse y avoir un génocide.

La troisième idée reçue, tout aussi répandue, est que le génocide consiste à vouloir détruire en totalité le groupe en question alors que la définition du génocide vise également le fait de vouloir détruire le groupe en partie seulement.

Quant au crime contre l’humanité, l’article 7 du statut de la Cour pénale internationale signé à Rome le 17 juillet 1998 et entré en vigueur le 1er juillet 2002 en donne une définition assez complète dont on peut retenir qu’il s’agit d’une attaque générale et systématique lancée sciemment contre une population civile que l’auteur, notamment, tue, extermine, emprisonne, torture, persécute ou soumet à des actes inhumains causant intentionnellement de grandes souffrances ou des atteintes graves à l’intégrité physique ou mentale.

Au vu de cette définition, l’on constate que les actes matériels constitutifs de crimes contre l’humanité ne sont pas d’un degré inférieur à ceux qui peuvent constituer un génocide mais sont de même nature et énumérés de manière encore plus complète.

La différence entre le génocide et le crime contre l’humanité réside donc dans l’intention de l’auteur qui doit, pour le génocide, avoir l’intention de détruire un groupe en tout ou en partie, alors que cette intention n’est pas requise pour le crime contre l’humanité, même si ce dernier est souvent dicté par des mobiles politiques, raciaux ou religieux.

Quant au crime de guerre, il est défini à l’article 8 du statut de la Cour pénale internationale qui se réfère lui-même aux conventions de Genève du 12 août 1949 qui protègent les biens et les personnes en temps de guerre contre une partie au conflit.

Le crime de guerre est défini de manière encore plus complexe que le crime contre l’humanité mais on peut retenir d’une manière assez simple qu’il englobe, en cas de conflit armé, le crime contre l’humanité tel que défini ci-dessus, commis par une partie au conflit, auquel il faut ajouter les atteintes spécifiques qui peuvent être commises en temps de guerre par une partie au conflit contre des prisonniers, des blessés, des malades, des services de secours ou des personnes et des biens qui ne prennent pas part au conflit.

En l’espèce, en ce qui concerne le cas du Rwanda, les deux parties au conflit étaient le gouvernement de la République Rwandaise et les Forces Armées Rwandaises (FAR), d’un côté, et le Front Patriotique Rwandais et l’APR (Armée Patriotique Rwandaise), de l’autre.

Les crimes de génocide

Si l’on s’intéresse à la question du génocide pour commencer, et qu’on prend par exemple le cas des victimes Hutus, le fameux Mapping report du Haut-Commissariat des Nations-Unies aux Droits de l’Homme d’août 2010 concernant les violations les plus graves des droits de l’homme et du droit international humanitaire, commises entre mars 1993 et juin 2003 sur le territoire de la République Démocratique du Congo, relate à lui seul qu’il y a bien eu un génocide contre les Hutus dans les camps de réfugiés au Zaïre puisque les actes commis contre les Hutus dans ces camps correspondent à la définition du génocide.

En l’occurrence, l’intention de l’APR à travers l’AFDL de Laurent KABILA fut, entre le mois d’octobre 1996 et le début de l’année 1998, de tuer en tant que tels les Hutus qui étaient restés au Zaïre et qui n’avaient pas pu être rapatriés de force au Rwanda, sinon de les soumettre intentionnellement à des conditions de vie devant entraîner leur destruction totale ou partielle.

Les réfugiés Hutus au Congo qui ont pu être appréhendés par l’APR pendant cette période ont été exterminés en tant que tels sans distinction d’âge ou de sexe, sur plus de 2000 kms de territoire congolais jusqu’à la frontière du Congo Brazzaville.

Il y a aussi eu un génocide contre les Hutus sur le territoire du Rwanda depuis 1991 mais surtout en 1994 et en 1995, donc avant l’attaque des camps de réfugiés en 1996, si l’on s’en tient à la définition du terme de génocide.

En effet, les Hutus ont été tués en tant que tels par l’APR, en 1991 dans le nord du pays, dans les anciennes préfectures de Byumba, Ruhengeri et Gisenyi, en 1994 dans les camps de déplacés comme celui de Nyacyonga et en 1995 dans les camps de déplacés qui parsemaient le pays, essentiellement à l’Ouest, du Nord au Sud, même si son intention, sur le territoire du Rwanda, n’a pas été de détruire les Hutus en totalité.

La condition de vouloir détruire le groupe en totalité n’est pas exigée par la définition du génocide qui requiert seulement que l’auteur ait l’intention de détruire le groupe en partie.

Le génocide commis contre les Hutus l’a été par un mouvement politique et militaire qui n’agissait pas à travers un Etat, c’est à dire le FPR, mais il a continué par ce même mouvement politique et militaire à travers l’Etat après sa prise du pouvoir en juillet 1994.

La circonstance qu’aucun des auteurs du génocide commis contre les Hutus n’ait jamais été traduit en justice n’est pas de nature à atténuer ou à effacer la nature du crime.

Bien au contraire, c’est sans doute ce qu’il y a de plus anormal concernant ce génocide, c’est à dire le fait qu’aucun de ses auteurs n’ait été poursuivi jusqu’à présent.

Certains estiment même que tant qu’un tribunal n’a pas confirmé l’existence d’un génocide commis contre les Hutus, un tel génocide n’existe pas, ce qui est absurde évidemment.

D’ailleurs, la résolution 955 du 8 novembre 1994 adoptée par le Conseil de Sécurité et portant création du le Tribunal pénal International pour le Rwanda n’a pas limité la compétence de celui-ci aux seuls crimes commis contre les Tutsis.

Au contraire, il visait à juger les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire du Rwanda et dans les pays limitrophes entre le 1er janvier 1994 et le 31 décembre 1994.

Ce n’est donc que pour des raisons politiques que le Bureau du Procureur près le Tribunal Pénal International a limité ses poursuites au seul génocide commis contre les Tutsis sans poursuivre les responsables du FPR pour les crimes qui avaient déjà été commis contre les Hutus au moment de la création du Tribunal Pénal International pour le Rwanda.

En ce qui concerne les Tutsis, il y a eu un génocide des Tutsis au moins à partir du mois d’avril 1994, sinon avant cela si l’on observe ce qu’il s’est passé contre la population des Bagogwe en 1992, une communauté Tutsie du Nord du Rwanda qui a été décimée.

En l’occurrence, le génocide des Tutsis n’a pas été planifié, mais il ne faut pas imaginer que l’absence de planification serait de nature à enlever au crime son caractère de génocide.

Cette réalité dérange de nombreux propagandistes qui s’évertuent à défendre l’idée d’une planification qui ne résulte d’aucun élément.

Dans certains milieux, cette propagande est la seule version des faits qui a été circulée alors que l’absence de planification du génocide des Tutsis est une réalité qui saute aux yeux.

Cette réalité a d’ailleurs été confirmée par les constatations sans équivoque du Tribunal Pénal International (TPIR) faites pourtant contre vents et marées.

Le génocide des Tutsis n’a pas été planifié, en tous cas pas par ceux qui ont été condamnés, notamment par le TPIR, pour l’avoir commis, puisque ce dernier a expressément acquitté tous les accusés de la prévention spécifique d’entente en vue de commettre le génocide.

Il ne fallait pas toutes les décisions du TPIR pour pouvoir conclure que le génocide des Tutsis n’a pas été planifié, cela résulte à l’évidence des faits eux-mêmes.

Il paraît pour le moins étrange de soutenir que la manière chaotique et totalement incontrôlée dont le génocide des Tutsis a été commis aurait été planifiée, avec un élément déclencheur, l’attentat contre l’avion du Président Juvénal HABYARIMANA, qui est en totale contradiction avec la thèse d’une planification du génocide par lui-même et ses partisans.

En réalité, la thèse de la planification a été élaborée par la propagande politique du FPR, concomitamment et après sa prise du pouvoir, qui pensait qu’il fallait nécessairement démontrer une planification pour pouvoir parler de génocide alors que tel n’est pas le cas et qu’un génocide ne doit pas avoir été planifié pour pouvoir être qualifié de génocide.

L’absence de planification n’enlève d’ailleurs rien à la gravité intrinsèque du crime lui-même.

Les décisions du TPIR, qu’on ne peut pas accuser de complaisance envers ceux qu’il a jugés, ont sérieusement battu en brèche la thèse de la planification que le FPR avait élaborée pour discréditer ses ennemis politiques et justifier sa prise de pouvoir total à Kigali par les armes.

La thèse de la planification du génocide des Tutsis est à ce point absurde que ceux qui l’ont élaborée sont allés jusqu’à invoquer, comme preuves de cette planification, des éléments qui démontrent en eux-mêmes qu’il ne peut pas y avoir eu de planification.

Par exemple; le génocide des Tutsis a suivi de peu l’attentat commis contre l’avion du Président Juvénal HABYARIMANA le 6 avril 1994 et surtout l’offensive militaire généralisée lancée par le FPR sur tous les fronts dès le 7 avril 1994 à l’aube, ce qui – logiquement – exclut d’emblée que ce génocide ait pu être planifié par le Président Juvénal HABYARIMANA et ses partisans.

Mais la propagande politique du FPR et de ses relais étrangers est telle qu’elle a réussi à développer, depuis bientôt 23 ans, une thèse rocambolesque selon laquelle l’avion du Président Juvénal HABYARIMANA aurait en fait été abattu par ses partisans, dont son épouse, pour pouvoir exécuter le génocide des Tutsis qu’ils avaient planifié de longue date.

Selon cette thèse invraisemblable, le Président Juvénal HABYARIMANA aurait même eu une mésentente avec ses partisans et ces derniers auraient décidé de l’éliminer pour pouvoir exécuter ce génocide auquel il se serait opposé à la dernière minute.

Dans cette propagande, il a donc fallu trouver un « cerveau » du génocide parmi ceux qui ont essayé de prendre les choses en mains avec le gouvernement intérimaire mis en place après le 6 avril 1994, sauf que celui à qui l’on a attribué la planification du génocide des Tutsis a été acquitté par le TPIR de la prévention d’entente en vue de commettre le génocide.

Un autre élément qui démontre qu’il n’y a pas eu de planification du génocide des Tutsis par le gouvernement en place avant 1994 est la manière dont le génocide des Tutsis a été perpétré, c’est-à-dire à l’arme blanche par des hordes de miliciens et de civils dans le chaos le plus total avec des victimes le plus souvent trouvées dans leurs lieux de refuge ou dans leur fuite.

Or cet élément est utilisé par la propagande du FPR pour accréditer la thèse d’une planification, en allant jusqu’à inventer une thèse rocambolesque de commande par l’Etat de millions de machettes en Chine afin d’exécuter un génocide contre les Tutsis.

Il est évident qu’un Etat qui aurait planifié d’exécuter un génocide sur une partie de sa population l’aurait sans doute fait de manière structurée et méthodique.

Le gouvernement aurait sans doute exécuté le crime avec les quelques 50 000 hommes que comptait la force publique composée de l’armée, de la gendarmerie et de la police.

La force publique aurait probablement utilisé des armes à feu ou des méthodes criminelles plus efficaces que les armes blanches et n’aurait certainement pas fait autant de publicité.

Cela ne signifie pas qu’il n’y ait pas eu de militaires ou de gendarmes des FAR qui auraient participé au génocide des Tutsis, il y en a eu mais absolument pas dans le cadre d’une planification qui aurait été faite au niveau de l’Etat, que ce soit avant ou après le 6 avril 1994.

Le TPIR a d’ailleurs acquitté définitivement la plupart des plus hauts responsables militaires de la gendarmerie et de l’armée qui étaient en place avant et après le 6 avril 1994.

Ceci amène directement à la question épineuse de l’identification des auteurs du génocide des Tutsis qui ne sont pas et ne peuvent pas être « les Hutus » d’une manière globale et générale.

Si les auteurs du génocide commis contre les Hutus sont facilement identifiables et étaient d’ailleurs organisés pour le faire au sein du FPR et plus particulièrement au sein de l’APR, sa branche armée qui l’a exécuté avec méthode et efficacité, ceux du génocide commis contre les Tutsis ont été beaucoup plus difficiles à identifier parce qu’ils n’étaient pas regroupés sous une bannière politique ou militaire définie.

Même si des civils ont pu s’improviser et participer à ces crimes, ils ne l’ont fait, ni au nom de toute leur ethnie, ni en tant que Tutsi ou Hutu.

Autant il est incongru d’attribuer les crimes commis par le FPR aux « Tutsis », autant ça l’est d’attribuer les crimes commis par les miliciens Interahamwe aux « Hutus ».

D’ailleurs, même le fait de désigner les Interahamwe comme auteur du génocide n’est pas rigoureusement exact s’il s’agit de viser la jeunesse du parti MRND car cela reviendrait à attribuer injustement la responsabilité du génocide à ce parti alors que le sens du mot Interahamwe après le 6 avril 1994 a désigné tous ceux qui se sont improvisés sous cette bannière sans aucun contrôle.

En effet, de nombreux autres individus qui se réclamaient, avant le 6 avril 1994 de la jeunesse d’autres partis politiques (Les Impuzamugambi du parti Coalition pour la défense de la République (CDR), les Inkuba du parti Mouvement Démocratique Républicain (MDR) et les Abakombozi du Parti Social-Démocrate (PSD)), initialement et officiellement mus pour combattre le FPR après le 6 avril 1994, ont commis de nombreux crimes entre avril et juillet 1994 et notamment le génocide contre les Tutsis.

Mais le fait d’appartenir aux Interahamwe en tant que jeunesse politique du MRND, avant ou après le 6 avril 1994, ne signifie évidemment pas qu’on soit un criminel car la responsabilité pénale doit, quoi qu’il arrive, toujours s’apprécier de façon individuelle, surtout que, dans le cas d’espèce, le président des Interahamwe avant et après le 6 avril 1994 était lui-même Tutsi.

Les crimes contre l’humanité

Les Hutus ont également été victimes de crimes contre l’humanité commis par le FPR, notamment à Kibeho le 22 avril 1995, lorsque l’APR a démantelé le camp de près de 100.000 déplacés qui s’y trouvait, en massacrant plus de 8.000 réfugiés à la mitrailleuse et à l’arme lourde dans le cadre de ce qui constituait une attaque générale et systématique.

Les crimes de guerre

Les Rwandais ont aussi été victimes de crimes de guerre tant que ces attaques contre les populations civiles étaient faites dans le cadre d’un conflit armé ou lorsque les militaires Hutus ou Tutsis étaient par exemple torturés ou achevés dans cette guerre sans prisonniers.

Entre autres crimes de guerre commis par le FPR, il faut placer les nouvelles recrues, pour la plupart de jeunes Tutsis, venus du Rwanda et du Burundi, qui avaient fait des études secondaires et qui ont rejoint le FPR après les accords d’Arusha mais qui ont été assassinées par les cadres ougandais du FPR à l’approche de la victoire finale.

Un autre crime de guerre qui a fini par paraître banal aux yeux des Rwandais entre 1990 et 1994 est celui des « Kadogos », c’est-à-dire des enfants soldats enrôlés par le FPR et participant directement au combat, certains ayant à peine atteint l’âge de 10 ou 12 ans.

Les assassinats politiques

Agathe Uwilingiyimana

A côté de ces deux génocides, de ces crimes contre l’humanité et de ces crimes de guerre, les Tutsis et les Hutus ont également été victimes d’assassinats politiques et même de crimes de droit commun, d’où l’importance de faire les distinctions qui s’imposent.

Tous les leaders politiques qui ont été assassinés, que ce soit avant le 6 avril 1994 (Félicien Gatabazi, Emmanuel Gapyisi etc.), après le 6 avril 1994 (les Ministres Landouald Ndasingwa, Frédéric Nzamurambaho, Boniface Ngulinzira, Agathe Uwiliniyimana, le Président de la Cour suprême Joseph KAVARUGANDA ou les évêques de Gitarama), ont été victimes d’assassinats politiques.

Certains de ces assassinats n’ont pas encore officiellement été élucidés mais d’autres ont été commis soit par la garde présidentielle du Président Juvénal HABYARIMANA après sa mort le 7 avril 1994, soit par l’APR, avant, pendant et après sa prise de pouvoir.

Ces assassinats politiques ont continué au Rwanda et même à l’étranger, bien après la prise du pouvoir par le FPR (notamment Théoneste Lizinde en 1996 au Kenya, Seth Sendashonga en 1998 au Kenya, Juvénal UWILINGIYIMANA en 2005 en Belgique, Patrick Karegeya en 2013 en Afrique du Sud).

Ces assassinats politiques, dont les exemples ci-dessus ne sont pas du tout exhaustifs, ne peuvent pas être englobés dans les trois catégories de crimes décrits précédemment.

Seth Sendashonga

Pour ceux qui connaissent le Rwanda, l’ethnie de ces victimes d’assassinats politiques n’a pas été la raison pour laquelle ils ont été assassinés.

On ne peut énumérer ces crimes sans oublier les milliers d’assassinats politiques commis par les miliciens Interahamwe contre des Hutus, connus ou anonymes, pour leur connivence réelle ou supposée avec le FPR, essentiellement entre le mois d’avril et le mois de juillet 1994.

Mais ces Hutus qui sont ceux que la propagande du FPR a voulu qualifier de « modérés » n’ont évidemment pas été visés en tant que Hutus par les miliciens Interahamwe et tous les autres criminels qui se sont joints à ses miliciens pendant cette période noire de l’histoire.

Les étrangers qui ont été tués au Rwanda ont aussi été victimes d’assassinats politiques, que ce soient les missionnaires espagnols tués par l’APR, de nombreux civils belges tués par des miliciens Interahamwe ou les casques bleus belges tués par des militaires des FAR.

Les crimes de droit commun

De même, il n’y a jamais eu autant de crimes de droit commun au Rwanda qu’entre avril et juillet 1994, dans le cadre du chaos politique provoqué par la reprise de la guerre dans un contexte de génocides et de crimes de guerre.

C’est ainsi que de nombreux criminels en ont profité pour piller leur voisin, tuer et violer dans un but purement vénal et sans motif politique ou tout simplement en prenant la situation politique comme prétexte pour commettre les crimes les plus graves du droit commun.

La situation est donc très complexe et il n’y a qu’en répertoriant correctement et complètement les crimes en fonction des victimes qu’on peut avancer vers la dernière étape qui est d’identifier les responsabilités exactes dans ces crimes et parvenir à une justice pour tous.

Identifier les auteurs et leurs responsabilités exactes

Le FPR qui est au pouvoir actuellement et qui ne veut évidemment pas que sa part dans ces crimes, comme auteur direct ou instigateur, ne soit mise à jour, use de toute la propagande possible pour entretenir la confusion en mélangeant notamment les criminels et les victimes dans une seule catégorie ethnique pour camoufler sa responsabilité.

Une autre idée reçue est celle selon laquelle le FPR aurait arrêté le génocide des Tutsis.

Il n’y a pas d’affirmation historiquement plus fausse que celle-là puisque l’objectif militaire du FPR n’a pas été un seul instant d’arrêter le génocide des Tutsis mais tout simplement de gagner la guerre après l’assassinat du Président Juvénal HABYARIMANA.

D’ailleurs, le FPR a lancé son offensive à l’aube le 7 avril 1994 avant que le génocide des Tutsi ne commence vers la mi-avril 1994 et les témoignages d’anciens militaires de l’APR à l’instar du Lieutenant Abdul J. Ruzibiza et de militaires présents sur place comme le numéro deux des casques bleus des Nations-Unies, le colonel Belge Luc MARCHAL, démontrent que le FPR s’était préparé à attaquer bien avant l’attentat du président Juvénal Habyarimana.

A l’arrivée du FPR sur les lieux, dans sa conquête militaire qui était son objectif principal, le génocide des Tutsis était pratiquement terminé dans la plupart des endroits où il a eu lieu et où les Tutsis n’avaient pas pu être protégés, notamment par les gendarmes des FAR qui y sont parvenus, comme dans l’ancienne préfecture de Cyangugu.

Pire, les témoignages des soldats de l’APR relatent qu’ils étaient focalisés avant tout par leur progression militaire et par les crimes qu’ils étaient eux-mêmes en train de commettre contre la population Hutue plus que par arrêter le génocide des Tutsis.

Sur le plan logistique, il aurait d’ailleurs été militairement impossible pour le FPR d’arrêter le génocide des Tutsis qui a atteint son paroxysme dans le pays en quelques jours.

Eviter les généralisations et les amalgames

Résumer ce qui s’est passé au Rwanda en « génocide rwandais » est impropre parce que cela laisse planer une forme de généralisation ou de globalisation imprécise.

Personne n’a été tué uniquement en raison de son appartenance à la nationalité rwandaise (sauf au Congo lors de la guerre de 1998 entre Kabila et ceux qui l’avaient porté au pouvoir où, notamment à Kinshasa, les rwandais ont été pourchassés en tant que tels).

Résumer le tout au seul génocide des Tutsis ou au seul génocide des Hutus est un non-sens.

Il est vrai que chaque interlocuteur examine ce qu’il s’est passé à partir de son point de vue et relate ou impose sa vérité en fonction de ses intérêts sans s’intéresser à la vérité des autres.

Or nous devons nécessairement apprendre à inclure toutes les vérités dans nos analyses pour pouvoir toucher du doigt la vérité complète sur ces crimes.

Pour cela, il faut se libérer de la propagande et examiner les choses à partir des victimes.

Les victimes sont là parmi les Hutus et les Tutsis, leur existence ne peut être niée.

Si l’on ne se libère pas de la propagande pour s’attacher aux faits et reconnaître la souffrance de toutes les victimes et leurs droits égaux à toutes obtenir justice, nous n’irons nulle part.

C’est ainsi qu’aujourd’hui par exemple, vous avez des Hutus qui sont dérangés par la seule évocation du génocide des Tutsis et qui en nient parfois même l’existence puisque la propagande officielle veut accréditer la thèse selon laquelle les Hutus en seraient les auteurs.

Cela est dû à toutes ces désignations qui stigmatisent les auteurs de ce génocide dans leur ethnie comme ayant été les « Hutus », « le régime Hutu power », « les miliciens Hutus » ou les « génocidaires Hutus » qui ont été intériorisées par nombre d’entre nous.

La désignation qui fait référence au régime « Hutu power » par exemple est particulièrement sournoise car elle fait référence à un régime qui n’a jamais existé.

Seul le mot « Hutu » subsiste finalement dans cette expression dommageable, puisque c’est le seul qui correspond à une réalité, ce qui est inadmissible car cela revient à attribuer le génocide des Tutsis à l’ethnie Hutu dans son ensemble.

Le « Hutu power » est une expression qui n’a jamais été utilisée au Rwanda par qui que ce soit et qui est une invention tout droit sortie de la propagande du FPR postérieure à 1994 qui a prétendu qu’il s’agissait d’un slogan brandi par les miliciens pendant la guerre.

Le Hutu power n’est pas plus une réalité que le fameux Tutsi International Power (TIP) qu’une autre propagande avait érigé à la fin des années 90 mais dont aucune véritable trace n’a jamais été trouvée.

De nombreux Tutsis voire des étrangers qui prétendent s’intéresser au Rwanda, lèvent les boucliers lorsqu’on évoque le génocide des Hutus et vont jusqu’à soutenir que le fait d’affirmer qu’il y a eu un génocide des Hutus serait une manière de nier le génocide des Tutsis.

L’on a encore en mémoire le mot d’un ancien Président d’une association censée défendre les droits de l’Homme qui affirmait qu’ « évoquer le sang des Hutus c’est salir le sang des Tutsis ».

Aussi difficile que cela nous soit d’admettre des phrases pareilles, il faut comprendre qu’elles sont le fruit de cette propagande qui entretient la confusion.

La propagande est telle qu’elle en est arrivée à considérer comme négationniste celui qui affirme qu’il y a eu deux génocides plutôt que celui qui nie qu’il y a eu un génocide des Hutus.

Cesser de culpabiliser les Hutus et les Tutsis

Est-ce à dire qu’aucun Hutu et qu’aucun Tutsi n’aurait commis ces crimes ?

Non, bien sûr que les auteurs directs de ces crimes étaient pratiquement tous Rwandais, Tutsis ou Hutus, mais cela ne justifie pas que l’on doive désigner les auteurs en stigmatisant le fait qu’ils étaient Rwandais, Hutus ou Tutsis plutôt que de les stigmatiser, au moins, à travers les mouvements politiques et militaires auxquels ils ont adhéré pour commettre ces crimes.

La confusion vient du fait que les Interahamwe étaient essentiellement composés de Hutus, là où l’APR était une armée essentiellement composée de Tutsis ou en tous cas dominée exclusivement par des Tutsis, ce qui ouvre les portes de l’amalgame.

Lorsqu’on enseigne la confusion et les amalgames, notamment aux générations futures, il ne faut pas s’étonner qu’elles finissent par diriger leur haine contre une communauté particulière.

Symptomatiquement, c’est ce type d’amalgame terrible qui a entraîné le génocide des Tutsis puisque la propagande en cours dans certains milieux au Rwanda peu avant le génocide des Tutsis avait assimilé les Tutsis à des partisans du FPR.

C’est cette propagande extrêmement dangereuse qui a pris le dessus au sein d’une partie de la population après le 6 avril 1994 lorsque le FPR a lancé une offensive générale pour la conquête du pays et que ces troupes ont progressé sur le territoire national.

Les réfugiés qui fuyaient le FPR furent parmi les Interahamwe les plus virulents et le génocide commis contre les Tutsis a véritablement été attisé par la progression du FPR sur le champ de bataille plus que par l’assassinat du Président Juvénal HABYARIMANA.

Quant au terme de « double génocide » qu’on a parfois entendu, il renvoie à l’idée qu’un seul auteur aurait commis deux génocides en un seul, c’est à dire qu’il aurait à la fois commis un génocide contre les Hutus et un génocide contre les Tutsis.

Cette expression ne correspond à rien de vraiment concret, sauf à retomber dans les errements de la première propagande du FPR d’après 1994 qui avait tour à tour évoqué un « génocide des Tutsis et des Hutus modérés » avant de se rendre compte de l’incongruité de cette appellation.

Le nouveau discours du FPR évoque aujourd’hui uniquement « le génocide des Tutsis », à l’exclusion de toute référence aux victimes Hutus, ce qui laisse une partie des victimes sur le côté mais qui est néanmoins plus cohérent s’il s’agit de commémorer un génocide.

Le terme « contre-génocide » a déjà été utilisé pour expliquer ou même justifier le génocide commis contre les Hutus par le FPR. C’est aussi un non-sens.

Lutter contre la propagande qui sème la confusion

Les termes adéquats qui correspondent à la vérité des faits, à la vérité historique et à la vérité juridique sont les termes de « génocide contre les Tutsis » et de « génocide contre les Hutus ».

Il y a donc eu deux génocides au Rwanda et il ne s’agit pas ici d’une « thèse » mais d’une réalité historique, factuelle et juridique.

Il s’agit encore moins d’une « thèse négationniste » puisque cette réalité affirme justement l’existence de deux génocides et n’en nie pas.

C’est plutôt la propagande qui fait de la réalité du génocide des Hutus une « fiction » alors que l’Afrique, l’Europe et le monde entier regorgent de centaines de milliers de réfugiés Hutus qui ont perdu les leurs au Rwanda et au Congo, tués parce qu’ils étaient Hutus.

Le problème ne tient même pas vraiment de la question de savoir ce qu’il s’est passé exactement au Rwanda et quelle est la qualification que peuvent revêtir ces crimes.

Il tient en fait de la propagande politique qui monte les Tutsis contre les Hutus, et vice-versa, alors que les Hutus et les Tutsis en tant que groupes n’ont aucun conflit entre eux.

A aucun moment dans l’histoire du Rwanda les Hutus ou les Tutsis n’ont été globalement enrôlés les uns contre les autres dans un conflit qui les aurait opposés en tant que groupes.

Pire, cette propagande qui sème la confusion est à ce point pernicieuse que certains Tutsis se sentent obligés de nier qu’il y a eu un génocide des Hutus et certains Hutus se sentent obligés de nier qu’il y a eu un génocide des Tutsis au Rwanda.

Or ce n’est pas parce qu’il y a eu un génocide des Hutus que cela empêche qu’il y ait bien eu un génocide des Tutsis sur lequel la justice internationale et même les justices nationales de nombreux pays se sont déjà penchées.

De même, ce n’est pas parce que le FPR au pouvoir à Kigali a instrumentalisé le génocide des Tutsis à des fins politiques, notamment pour prendre le pouvoir et asseoir sa légitimité jusqu’à présent, que le génocide des Tutsis doit être nié.

Et ce n’est pas non plus parce que le FPR porte une responsabilité dans le génocide des Tutsis, pour l’avoir provoqué ou même attisé, voire pour avoir infiltré les miliciens Interahamwe, que le génocide des Tutsis doit être nié, relativisé ou minimisé.

La propagande est telle qu’on oublie que de nombreux Hutus ont été des victimes indirectes du génocide commis contre les Tutsis et vice-versa, notamment lorsqu’un homme Hutu ou Tutsi a pu voir son épouse et ses enfants tués uniquement parce qu’ils étaient de telle ethnie différente de la sienne.

On comprend mieux d’ailleurs la raison pour laquelle de nombreux Rwandais ne veulent même pas entrer dans ce débat dans lequel ils ne se reconnaissent dans aucune des thèses biaisées et partisanes qu’on leur présente et qui font d’eux ou de leurs proches des génocidaires alors qu’ils ne sont que des victimes.

Rares sont en effet les familles rwandaises qui ne comptent pas à la fois des Hutus et des Tutsis ou qui ne comptent pas à la fois des victimes des Inkotanyi et des victimes des Interahamwe.

Il n’y a aucune concurrence entre ces deux génocides et encore moins de concours entre eux.

Accepter les vérités de toutes les victimes

Chaque Rwandais doit finir par admettre que nous avons des histoires différentes et qu’il est impossible de nier indéfiniment les crimes qui ont été commis contre les autres Rwandais.

Le génocide commis contre les Hutus concerne les Tutsis autant que le génocide commis contre les Tutsis concerne les Hutus.

Il n’y a aucune prohibition faite à un Tutsi de commémorer le génocide commis contre les Hutus et de réclamer justice pour les Hutus de même que rien n’empêche un Hutu de s’intéresser au génocide commis contre les Tutsis et d’en condamner les coupables.

Les Rwandais doivent se sentir concernés par ces crimes en tant que Rwandais et non pas en tant que Hutus ou Tutsis, même si le rapport qu’on peut avoir avec un génocide commis contre sa communauté ne peut évidemment pas être le même que le rapport qu’on peut avoir avec un génocide commis contre une autre communauté.

L’essentiel est de ne pas tomber dans le piège de l’amalgame et de la négation de l’autre.

L’amalgame et la négation de l’autre conduisent parfois à des raccourcis particulièrement pervers, comme lorsque cette journaliste soutient haut et fort qu’il y a eu un millions victimes dans le génocide des Tutsis pour un million d’assassins dans le but de justifier les crimes commis par le FPR contre les Hutus qui, bien sûr, composeraient ce million d’assassins.

Enfin, ceux qui soutiennent qu’il s’agissait d’une guerre civile n’ont pas tort car tous ces crimes ont été provoqués par la guerre menée par le FPR, avec le soutien décisif de l’Ouganda, contre le Rwanda du 1er octobre 1990 au 16 juillet 1994 et qui a opposé l’APR aux FAR.

Même si le dénouement de cette guerre a été, pendant toute cette période, la préoccupation première de tous les Rwandais, spécialement et paradoxalement entre le 6 avril 1994 et le 16 juillet 1994, on ne peut pas réduire ce qu’il s’est passé à cette seule guerre civile.

Enfin, les Rwandais portent une responsabilité dans ces crimes mais il va de soi que les étrangers en portent une également, soit en tant qu’individus, soit en tant qu’Etats pour leur intervention active ou leur passivité dans ces crimes ou dans cette guerre.

L’Ouganda, la Belgique, la France, les Etats-Unis, la République Démocratique du Congo, le Burundi, l’Angleterre et le Canada sont les premiers concernés.

Seuls ceux qui ont intérêt à ce que les auteurs de tous les crimes ne soient jamais jugés entretiennent la confusion et tentent de laver le cerveau des générations futures qui ne se retrouvent de toute façon pas dans les explications incohérentes qu’on leur donne.

Et ce travail de mémoire, de reconnaissance et de justice n’incombe pas seulement aux Rwandais, il incombe également à tous les étrangers qui s’intéressent à cette cause, que ce soit des particuliers, des associations ou des collectivités publiques.

Par Patrice Rudatinya MBONYUMUTWA,

www.jambonews.net

Article diffusé le 3 octobre 2017
re-édité le 1 octobre 2018

L’auteur est rwandais, né en 1975. Il est témoin direct de l’histoire récente de son pays à laquelle il s’intéresse depuis son plus jeune âge. Il était au Rwanda le 6 avril 1994 et pendant les semaines qui ont suivi. Il tient à préciser que ce texte est le fruit de plus de 23 ans de réflexion et de recul pendant lesquels il a assisté à de très nombreuses conférences et s’est entretenu avec de nombreuses victimes rwandaises Hutus et Tutsis. Il s’est procuré et a lu plus de 230 livres, sans compter les milliers d’articles, c’est-à-dire pratiquement tous les ouvrages principaux qui ont été publiés sur le Rwanda avant et après 1994 par les auteurs de tous bords. Il est avocat spécialisé en droit pénal qu’il a enseigné à l’Université.

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« Bad News » : les dessous du verni Rwandais

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Sacs plastiques interdits depuis plus de 10 ans sur tout le territoire national, numéro un mondial en terme de représentativité des femmes au parlement, des buildings qui poussent comme des champignons, possibilité de créer une entreprise en quelques heures, une croissance à près de deux chiffres, des paysages à couper le souffle, une préservation exemplaire de la faune…, le Rwanda a les arguments pour séduire quiconque compte s’y aventurer.  C’est donc les étoiles pleins les yeux que le journaliste indien Anjan Sundaram s’y est rendu en 2009 pour un séjour de plusieurs années.  Sur le pays, il n’avait jusque là « entendu  que de bonnes choses ». Au fur et à mesure du temps qui passe toutefois, il se rend progressivement compte que derrière la façade idyllique souvent contée, se cache une réalité beaucoup plus sombre.  Frappé par ce contraste entre la réalité souvent perçue et la réalité vécue par la population il a décidé de témoigner de son expérience dans un livre « Bad News – derniers journalistes sous une dictature » dans lequel il nous livre l’envers glaçant du décor rwandais.

En 2009 quand Anjan Sundaram se rend au Rwanda, ce n’était pas pour écrire « BAD News[1] ». Il pense se rendre dans un pays calme pour écrire un livre sur la République Démocratique du Congo.  En effet il raconte  lors du forum sur la liberté à San Francisco en 2016 : «je suis parti au Rwanda écrire un livre, je n’avais entendu que des bonnes choses à propos du Rwanda, on m’avait dit que c’est un très beau pays, calme, qui respire la paix, voire un peu ennuyant, j’avais entendu que l’économie avait fait un bond spectaculaire  après le génocide de 1994 ». Sur place il est confronté à la réalité, dans le même discours il dit  « Qu’est-ce cela  fait de vivre dans un endroit où l’on vous punit parce que vous avez dit la vérité ? Où les gens en qui vous avez une confiance totale vous trahissent, là où on détruit les valeurs qui vous sont les plus chères ? J’ai été confronté à cette situation d’une façon inattendue au Rwanda. On m’a donné l’occasion de former un groupe de journalistes, un jour un journaliste m’a raconté qu’il y avait des milliers de sans-abris au Rwanda (… )». Pour la suite nous vous laissons découvrir les éléments essentiels de son livre, le contraste entre la carte postale véhiculée par le pouvoir en place et la réalité vécue par les rwandais.

La puissance de l’écriture

Dès les premières pages Anjan Sundaram explique que l’écrit est craint par toutes les dictatures. Sa richesse, son caractère intemporel et sa capacité à éclairer les consciences en font une arme  redoutée par les pouvoirs répressifs.

« L’écrit offre des possibilités dont la radio, par ailleurs fréquemment employée comme outil de propagande, est dépourvue. L’écrit a un potentiel subversif dans un régime autoritaire, c’est un espoir de liberté.  Cela s’est vérifié dans toutes les révolutions jusqu’au printemps arabe, y compris à l’heure numérique. Les auteurs sont souvent en première ligne lors de révoltes ».

Plus loin dans le livre, alors que le journaliste tente de prendre des notes lors d’une cérémonie officielle, on le lui interdit :

«Nous avons une culture orale. Les gens deviennent nerveux quand tu écris. Ça laisse des traces. »

La disparition du journalisme

Plusieurs journalistes et étudiants participent à la formation dispensée par l’auteur et trois d’entre eux se démarquent :

  • Moïse : un journaliste expérimenté, il est chargé de recruter les étudiants, à savoir que pour participer au programme il faut travailler dans la presse en tant que propriétaires ou simples salariés. Rescapé du génocide, Moïse avait écrit des articles dénonçant les massacres durant le génocide au péril de sa vie. Sous le régime du FPR, il avait décidé de s’engager contre la répression mais de façon plus discrète.
  • Gibson : un jeune journaliste très doué, il est au départ journaliste auprès d’Umuseso « Aurore », principal journal indépendant du pays. Gibson est contraint à l’exil une première fois en Ouganda, revient au Rwanda et finit par s’enfuir définitivement une seconde fois.
  • Agnes[2] une jeune femme de petite taille, c’est une habituée de la prison Rwandaise, elle dirige un journal indépendant Umurabyo « Eclair »

L’histoire commence par l’épisode de la grenade, Anjan Sundaram a entendu le bruit d’explosion d’une grenade à Kigali, quand il arrive sur le lieu il n’y a plus de traces, l’endroit est propre et on balaye les derniers débris. Quand il essaye de prendre les photos, on lui en empêche « pas de photos, pas de photos ». La vie continue comme si rien ne s’était passé. Le jour suivant aucun média local n’en parle… Anjan Sundaram explique que  les journalistes  attendent que l’on leur donne des directives pour pouvoir informer. Il est étonné que l’épisode de la grenade qui a pourtant fait des blessés et des morts puisse passer inaperçu comme si ce fait n’avait jamais existé. A l’inverse les articles et émissions  à la gloire du régime et du président Paul Kagame se succèdent dans les médias.  Les journalistes font de la surenchère, c’est à qui flattera le plus l’ego du régime en particulier du tout puissant Président.

Les journalistes qui sortent des lignes officielles, notamment en critiquant le Président ou le régime en place sont très rapidement mis à rudes épreuves. Le journal indépendant Umuseso finira par être fermé et ses journalistes pourchassés, une partie d’entre eux  finit en prison, l’autre est contrainte de prendre le chemin de l’exil. Quant à Gibson, il  essaye de lancer un nouveau journal  Nouveaux Horizons mais immédiatement le pouvoir le harcèle, ce qui le pousse à faire sa première fuite  vers l’Ouganda :

« c’est tout cela qui pousse un homme à abandonner sa patrie. Ce n’était pas une décision facile ni évidente. Gibson était soumis à une force puissante et instinctive. L’un après l’autre, les différents incidents lui avaient démontré qu’il ne pouvait pas rester, qu’il n’était plus le bienvenu dans son propre pays. Tout ce à quoi il était lié était désormais un danger. Il avait été arraché à la société, à son monde. Il était apatride, déraciné, pourchassé. Il n’existait plus d’abri contre l’isolement et  la peur. »
Au début du livre, le programme est dynamique, les journalistes les plus expérimentés comme Gibson et Agnes donnent l’exemple aux plus jeunes, la prise de parole est ainsi facilitée et les sujets profondément traités.

A la fin du livre les journalistes ne sont plus que l’ombre d’eux-mêmes. L’exil, la prison, les assassinats ont vidé le programme de ses éléments les plus prometteurs. Les pays occidentaux bien que conscients de l’état de la répression au Rwanda ferment les yeux et assument financer une dictature. L’auteur rapporte cet échange avec un ambassadeur occidental «ça ne vous inquiète pas de financer un dictateur ?  … L’ambassadeur aurait pu m’envoyer balader, mais il était apparemment d’humeur à argumenter : «  Ça ne me pose aucun problème de financer un dictateur ». »

Le programme n’a plus de financement et il s’est fait infiltré par le régime. L’assassinat du journalisme indépendant au Rwanda peut être acté.

Pour  se faire une idée de l’ampleur de la répression des journalistes au Rwanda, l’auteur nous présente la liste des journalistes ayant subi des représailles au Rwanda entre 1995 et 2014. La liste n’est pas exhaustive et sur le graphique seule la première exaction subie par les journalistes est présentée. Dans la plupart des  cas, les journalistes ont subi plusieurs mesures répressives. La liste est tirée de l’annexe 2 du livre.

Une dictature décortiquée

Au-delà du journalisme Anjan Sundaram passe les méthodes utilisées par le pouvoir pour contrôler la société au peigne fin :

  • La peur : Au Rwanda tout le monde a peur, la prise de parole est rare. Moïse du fait de son statut de rescapé n’a pas peur du régime, il échange ses réflexions avec le journaliste :

« Tu sais pour contrôler un peuple, il faut créer une grande dose de peur ».

Il partage aussi son agacement :

« Ils fabriquent de la peur ici. Nous autres les survivants, nous leur avons demandé de mettre fin à cette violence, Qu’est-ce qu’ils veulent de nous ? »

  • La méfiance entre individus : le peuple est constamment sous surveillance, en plus du contrôle exercé par les autorités, les cercles familiaux et amicaux sont touchés. Les amis, les membres d’une même famille se dénoncent pour faire plaisir au pouvoir en place. C’est la notion de la « liberté négative » :

« Sous une dictature, on ne gagne pas sa liberté en défendant celle d’autrui, mais en œuvrant à la réduire, car chaque dénonciation vous offre un petit plus d’espace. Même si une telle liberté ne peut durer, même si la trahison peut finir vous couter ce qu’elle vous a offert, c’est une forme de liberté : une liberté négative. »

  • La pensée unique : Seul ce que le pouvoir autorise à être dit est relayé par la presse.

« La haine entre gouvernants et gouvernés était ancienne au Rwanda. Mais la pensée unique la poussait  jusqu’à sa limite logique. Juste avant le génocide, on avait lancé des journaux principalement dans le but de flatter le gouvernement, ils encourageaient les tueurs et prenaient soin de déshonorer les victimes. La flatterie était un symptôme de la pensée unique. Elle remplaçait les voix qui s étaient tues. »

  • La répression: les initiatives de la vie courante, même banales peuvent conduire en prison au Rwanda. Dans la campagne Bye-Bye Nyakatsi (programme lancé par le Gouvernement pour remplacer les huttes par des logements modernes) les villageois avaient commencé à détruire les toits de leurs huttes pour montrer leur bonne volonté  au régime. C’est le cas d’un village dans lequel les paysans avaient mis leur santé en danger en détruisant les toits de leurs maisons en pleine saison pluvieuse. C’est alors qu’un pasteur prit une initiative louable qui lui couta la liberté :

«Le pasteur d’une petite ville avait été emprisonné. Il avait appelé les paysans à cesser de détruire leurs huttes tant que les pouvoirs publics n’auraient pas construits de nouveaux logements. »

Pour résumer, on peut retenir de ce paragraphe le passage suivant :

« L’oppression sautait aux yeux de quiconque en avait déjà fait l’expérience. Un employé russe de l’ONU que je rencontrai trois jours après son arrivée me dit rapidement que le pays lui faisait penser à l’Union soviétique. »

Une société fragilisée

Une chose intéressante dans « Bad News » est le regard avisé qu’Anjan Sundaram pose sur la société rwandaise. Ayant lui-même grandi dans une dictature il arrive à saisir les paradoxes et la destruction lente de l’individu. L’image est loin de celle de la carte postale officielle véhiculée par le pouvoir de Kigali.

  • Loin des lumières : Gibson fait remarquer à Anjaran Sundaram qu’une grande route bien éclairée, propre est déserte à une heure de pointe. En faisant attention, le journaliste finit par remarquer que la population préférait emprunter une artère secondaire non bitumée et non éclairée ! Et à Gibson de lui expliquer :

«Tu commences à comprendre notre pays maintenant ? Nous les pauvres, nous sommes comme des insectes, nous avons peur de la lumière. Nous nous cachons du gouvernement qui veut nous voir tout le temps. Tu vois maintenant que la vérité est dissimulée dans notre pays, il ne faut pas chercher ce qui est là, mais ce qu’ils cachent. Tu peux ne pas prêter attention à ce qu’ils te montrent, mais tu dois écouter ceux que l’on fait taire. Tu dois avoir un regard diffèrent sous une dictature, tu dois réfléchir à comment écouter ceux qui vivent dans la peur »

  • Les liens familiaux sont brisés : Ce qui étonne Anjan Sundaram est la facilité avec laquelle les mères dénoncent leurs propres enfants

« les femmes nombreuses ayant dénoncé leur fils ne montraient aucune honte et n’ont pas trouvé que leur décision avait été très difficile à prendre. Elles cherchent au contraire à être mises en avant à rencontrer des visiteurs pour qu’ils puissent en parler au monde entier. C’est la méthode du pouvoir pour briser la société. J’avais devant moi des héros : ils étaient la preuve que le lien entre une mère et son enfant de ne devait pas passer devant la loyauté envers la nation. »

Un autre jour il retrouva un Moïse complètement démoralisé :

« Ils allaient recruter Moïse comme espion. Il allait être utilisé contre certains membres de sa famille qui avaient fui le pays et comptaient désormais parmi les intellectuels des communautés rwandaises exilées en Europe et aux Etats-Unis. »

  • Où commence le libre-arbitre ? A la fois sous les régimes précédents et sous le régime actuel à Kigali, la société Rwandaise s’est habituée à obéir au point de se confondre avec le pouvoir. Le journaliste explique qu’une émotion ressentie par le Président est ressentie aussi par le peuple. Anjan Sundaram s’entretient avec un génocidaire en prison :

« ils nous disent de construire une route, alors on obéit. Ils nous disaient de tuer, alors on le faisait…Tout ce qu’il nous faut c’est un ordre. Et regarder là-bas, dit-il en indiquant le sommet de la colline voisine où une foule agitant de nombreux drapeaux était amassée autour d’une scène, il nous dit de venir chanter pour lui alors nous y allons » … « dites-moi ce qui se passe dans votre tête. Dites-moi pourquoi s’il vous dit d’y aller vous devez y aller, s’il vous dit de tuer vos amis et vos voisins vous le faites. … » …. « ce que je veux dire, c’est que dans ce genre de pays, nous ne savons pas où s’arrête l’Etat et où nous commençons »

Au terme de la lecture du livre, on parvient à la conclusion que l’état de la société rwandaise ne fait que s’empirer. La succession des mauvaises gouvernances a laissé très peu d’espace à la construction individuelle. Ils sont très peu à oser avoir le courage de s’exprimer. C’est un livre intéressant à lire pour avoir un aperçu des paradoxes rwandais. Le courage des journalistes Rwandais qui osent résister au pouvoir en place est à saluer.

Déjà  classé 156ème  sur 180 pays au classement mondial de la liberté de la presse en 2018 par Reporters Sans Frontières, la situation des journalistes rwandais pourrait encore se dégrader,  le Rwanda venant de réduire davantage la liberté d’information.

Ce jeudi 28 Septembre2018 en effet, une loi réprimant la publication des caricatures représentants une personnalité de l’Etat vient d’être adoptée par le régime. La publication d’une caricature peut désormais valoir à son auteur une peine de deux ans de prison et une amende pouvant aller jusqu’à 1145 $ US, cette peine peut être doublée lorsque la personnalité de l’Etat en question est un parlementaire ou un Haut responsable.

Constance Mutimukeye

Jambonews.net   

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[1] Anjan Sundaram, Bad News, Marchialy, « Marchialy », 2018, p. 206.

[2] JamboNews lui a consacré un article en 2012 http://www.jambonews.net/actualites/20120201-rwanda-les-journalistes-saidath-mukakibibi-et-agnes-nkusi-jugees-en-appel/ Elle a été libérée le 18 Juin 2014


Prix Nobel de la Paix 2018 : Docteur Mukwege, la récompense d’un sacrifice

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C’est désormais officiel, le médecin congolais Denis Mukwege s’est vu décerner ce vendredi 5 octobre le Prix Nobel de la Paix 2018. Une distinction méritée qu’il partage avec Nadia Murad, une activiste yezidie des Droits de l’Homme.

Denis Mukwege en 2014

Denis Mukwege, lauréat du Prix Sakharov 2014 du parlement européen est-il au firmament de son combat ? Loin s’en faut. Depuis près de vingt ans, le gynécologue aujourd’hui âgé de 63 ans soigne les femmes violées à l’Est de la République démocratique du Congo. Vers la fin des années 90, il a créé l’hôpital de Panzi, situé à Bukavu. Dans cette partie du pays, les femmes vivent l’enfer. Nombreuses sont victimes de viols commis par les hommes en uniformes suite aux conflits armés qui sévissent. Avec la recrudescence de l’insécurité causée par les différentes fractions militaires, le viol est devenu une véritable arme de guerre. Des bébés, jeunes filles, femmes et personnes âgées sont systématiquement abusées. Les auteurs de ces ignobles forfaits utilisent les méthodes les plus violentes pour détruire la maternité afin que la femme ne se reproduise plus.

En 2015, le film « L’Homme qui répare les femmes : La Colère d’Hippocrate » du cinéaste belge Thierry Michel, fut consacré à ce héros des temps modernes.

En se lançant dans un tel combat titanesque, Denis Mukwege aura, dans une certaine mesure, mis en danger sa propre vie ainsi que celle de sa famille . En 2011, sa résidence a été attaquée par un commando d’hommes lourdement armés qui cherchait à le liquider physiquement. Pour son franc parler, qui le pousse à dénoncer la situation d’insécurité à l’Est et à pointer du doigt le gouvernement congolais, le Docteur Mukwege s’est souvent retrouvé sous le feu des critiques et dans le collimateur des autorités congolaises.

En dépit de ces pressions morales et physiques qu’il subit régulièrement, Denis Mukwege continue son combat au service des femmes qui vivent l’horreur. A travers cette récompense, c’est le combat du Docteur Mukwege qui vient d’être couronné.

Mati Mathy

Jambonews.net

Ingabire Day 2018 : soutien aux prisonniers politiques et d’opinion au Rwanda

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La journée « Ingabire Day » est un concept, inspiré de la « Mandela Day », et ayant pour objectif de faire de la date du 14 octobre une journée spéciale visant à éclairer le monde sur la situation politique au Rwanda, à travers un ensemble d’évènements à portée internationale. Ingabire Day met en évidence tout particulièrement la situation des prisonniers politiques et d’opinion, dans ce pays dirigé par un régime totalitaire qui mène une répression généralisée de l’opposition, des médias et de la société civile. C’est dans ce cadre qu’au cours de cette journée, un ensemble d’associations de la société civile met en avant la nécessité de libérer inconditionnellement tous les prisonniers politiques et d’opinion au Rwanda et de promouvoir la liberté d’expression et l’instauration d’un Etat de droit.

Aujourd’hui quand on parle du Rwanda de Paul Kagame, on affiche une réussite économique exemplaire, avec un taux de croissance élevé, un revenu annuel par habitant multiplié par 5 en 23 ans, une baisse remarquable du taux de mortalité infantile, l’assurance-maladie pour plus de 90 % de la population, des chiffres intéressants voire flatteurs concernant le processus d’empowerment de la femme ou encore une forte baisse du taux de pauvreté. Ces chiffres valent au régime rwandais les louanges des bailleurs de fonds, en tête desquels, figurent la Banque mondiale et le FMI, ainsi que le soutien inconditionnel de certains grands influenceurs mondiaux comme Bill Clinton et Tony Blair.

Et pourtant, plusieurs chercheurs et universitaires reconnus comme F. Reyntjens[1], A. Ansoms[2], E. Marijnen, G. Cioffo, J. Murison, D. Himbara[3] démontrent que ces chiffres fournis par le régime rwandais concernant, en particulier, la réduction de la pauvreté et des inégalités sont, en grande partie, truqués dans le but de donner une bonne image aux yeux des investisseurs et des pays donneurs d’aide. De même, des travaux informés de chercheurs et universitaires comme A-A Dufatanye[4] et E. Ndahayo démontrent que le chiffre élevé de femmes au parlement ne signifie malheureusement pas le développement des droits de la femme ni son empowerment, mais que cela n’est plutôt qu’un stratagème de plus, s’inscrivant dans une large stratégie de communication du régime, fondée sur l’instrumentalisation de la personne humaine et de la femme en particulier. Le régime de Kigali met en avant le fait que son parlement soit majoritairement féminin. Mais on constate paradoxalement que sous ce même régime, les deux seules femmes, Mme Victoire Ingabire et Mme Diane Rwigara, qui ont osé vouloir se présenter aux élections présidentielles se sont, pour cela, retrouvées en prison.

Bon nombre de pays, organisations internationales et organismes d’aides au développement refusent, en dépit d’innombrables rapports, de voir le côté obscur du régime de Kigali et ses dérives autocratiques caractérisées par une répression sans merci envers les opposants politiques. L’emprisonnement, le harcèlement, la torture, l’élimination physique des voix critiques sont monnaie courante dans ce petit pays qui n’a pas connu de véritable stabilité depuis son indépendance dans les années 1960.

C’est ainsi que cette journée spéciale a été instaurée, pour faire connaître davantage la situation politique au Rwanda, en mettant particulièrement en évidence le cas des prisonniers politiques et notamment celui de Madame Victoire Ingabire Umuhoza, l’une des principales figures de l’opposition rwandaise. Cette initiative a vu le jour lors du cinquième anniversaire de l’emprisonnement de Victoire Ingabire le 14 octobre 2015, elle a été pensée par la communauté rwandaise de Lyon, ensuite rejointe par plusieurs associations de la société civile rwandaise à travers le monde, notamment Fondation Victoire Pour la Paix ; Jambo asbl, Amahoriwacu,  AGLAN (African Great Lakes Action Network) ; Friends of Victoire ; RifDP Canada (Réseau international des femmes pour la Démocratie et la Paix); RifDP Pays-Bas ; RifDP Belgique ; AJDHD (association pour la justice, les droits humains et le développement dans la région des Grands Lacs).

Durant cette journée, plusieurs actions, évènements, initiatives tournant autour de la mobilisation et la sensibilisation sur la promotion de l’état de droit et sur la cause des prisonniers politiques et d’opinion sont organisées dans nombreux pays à travers le monde : soirées de solidarité, manifestations, jeux, conférences débats, sensibilisation dans les medias, veillées de prière, etc.  À Bruxelles comme l’année passée, une soirée gala est prévue en soutien aux prisonniers politiques et d’opinion qui croupissent dans les geôles rwandaises. En outre, une campagne de communication à portée mondiale sera organisée dans plusieurs pays un peu partout dans le monde, pour attirer l’attention sur le triste sort réservé aux prisonniers politiques et d’opinion au Rwanda. Les Rwandais de l’intérieur sont quant à eux invités à marquer cette journée par un moment de silence, et en se rendant dans les lieux de culte pour prier en ayant une pensée pour les prisonniers politiques et d’opinion.

Les organismes de défense des droits de l’Homme, notamment Amnesty International et Human Rights Watch, publient régulièrement des rapports sur les détentions arbitraires et la torture au Rwanda. La répression exercée contre les opposants politiques s’illustre par des graves cas de restrictions aux libertés d’expression et d’association, de harcèlement, d’arrestations arbitraires, de disparitions forcées, voire d’assassinats. La journée Ingabire Day vise à rappeler ces faits qui, pourtant connus, ne semblent aucunement interpeller les décideurs de ce monde.

Boniface Twagirimana, porté disparu depuis le 8 octobre 2018 alors qu’il était emprisonné à la Prison de Mpanga

Il y a quelques jours, à l’approche de l’élection du prochain Secrétaire général de l’Organisation internationale de la Francophonie à laquelle la ministre rwandaise des Affaires étrangères est candidate, quatre prisonniers politiques ou d’opinion dont les emblématiques Victoire Ingabire, Kizito Mihigo, Diane et Adeline Rwigara, ont été libérés sous de strictes conditions. Néanmoins bon nombre d’opposants au régime de Kigali restent en détention : les plus connus sont Deo Mushayidi, Président du PDP-Imanzi, Sylvain Sibomana, Secrétaire général des FDU-Inkingi ainsi que le Dr. Théoneste Niyitegeka candidat aux éléctions présidentielles de 2003. Il y a quelques jours, Boniface Twagirimana, 1er vice-Président des FDU-Inkingi, lui aussi incarceré depuis près d’un an avec 8 autres membres de ce parti et en attente de son procès, a été déclaré porté disparu par les autorités qui l’accusent d’avoir fuit la prison. Sa famille et son parti ne croient pas à cette hypothèse et craignent le pire pour Boniface Twagiramana. « C’est une personne qui était là depuis seulement cinq jours. Il est difficile de croire que cette personne ait eu le temps d’organiser une sortie et aussi dans une prison de haute sécurité, puisqu’il était dans une maison bien fermée. » a déclaré, le 2ème vice-Président des FDU-Inkingi à RFI.  « L’Etat rwandais à la responsabilité de nous dire où il se trouve », dit-il en demandant « une véritable enquête pour établir les circonstances exactes de sa disparition ».

C’est dans ce contexte difficile que s’annonce la 3ème édition de l’Ingabire Day. Cette année, les organisateurs de la journée rappellent plus que jamais qu’il faut accentuer la pression sur le régime de Kigali afin qu’il libère inconditionnellement tous les prisonniers politiques et d’opinion, qui se comptent par milliers dans les nombreuses prisons officielles et officieuses que compte le Rwanda.

Jean Mitari

Jambonews.net

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[1]Filip Reyntjens, ‘Lies, Damned Lies andStatistics: PovertyReductionRwandan-Style and How theAid Community Loves It’, AfricanArguments, 2015 <http://africanarguments.org/2015/11/03/lies-damned-lies-and-statistics-poverty-reduction-rwandan-style-and-how-the-aid-community-loves-it/> [accessed 24 May 2017].

[2]An Ansomsandothers, ‘Statistics versus Livelihoods: QuestioningRwanda’sPathway out of Poverty’, Review of AfricanPoliticalEconomy, 2016 <https://doi.org/10.1080/03056244.2016.1214119>.

[3]David Himbara, Kagame’sEconomic Mirage (North Charleston, S.C: CreateSpace Independent Publishing Platform, 2016).

[4] Emmanuel Ndahayo et Aimable-André Dufatanye, La Violence Politico-Militaire Contre Les Femmes Au Rwanda. De Ndabaga à Ingabire (Lille: Editions Sources du Nil, 2015).

Rwanda – Diane Rwigara : « La prison a renforcé ma détermination »

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Ce mercredi 10 octobre 2018, cinq jours à peine après sa sortie de prison, dans l’attente de son procès après un an de détention préventive, l’opposante rwandaise a fait ses premières déclarations publiques sur les ondes de la BBC et dans le cadre d’une interview à CNN. Deux éléments ressortent de ces deux interviews : la prison n’a pas brisé la jeune femme et la détermination de poursuivre son combat politique s’est renforcée.

Sur les ondes de la BBC elle s’est confiée sur ses conditions carcérales qui n’étaient pas terribles mais avec lesquelles elle a « dû composer ». Elle s’est dite heureuse d’avoir retrouvé la liberté « la prison n’étant pas une place agréable à vivre ».

Elle a affiché sa détermination à poursuivre son combat politique car elle s’estime incapable de supporter le climat de peur généralisée qui règne au Rwanda, un pays dit-elle dirigé par un régime qui est « plus intéressé par impressionner l’occident plutôt que sa propre population ». Pour la jeune femme, une vie dans la peur, comme celle que connaissent les Rwandais actuellement, n’est pas une vie. « J’aimerais que les choses changent, j’aimerais qu’on vive dans un pays dans lequel on n’est pas persécuté pour avoir une opinion différente de celle du gouvernement. ».

Pleinement consciente des risques qu’elle prend en continuant un combat politique sous l’un des régimes les plus répressifs du globe, elle a expliqué être prête à payer les conséquences de son engagement « Je ne veux pas retourner en prison mais si je dois y retourner, j’y retournerai et on verra ce qu’il advient. »

Auprès de CNN, elle a regretté que la répression exercée par le gouvernement suite à son désir de se présenter aux élections présidentielles de 2017 se soit abattue sur son entourage. « C’est une chose de me punir pour mes convictions, mais c’en est une autre de punir tous ceux autour de moi »; faisant allusion au fait que sa mère et sa petite sœur avaient également été emprisonnées et que des biens appartenant à leur famille avaient été saisis et vendus aux enchères.

Par ailleurs, plusieurs jeunes qui l’ont soutenue dans sa campagne ont été arrêtés, emprisonnés, torturés et certains, comme Jean d’Amour Ngirinshuti et Kazungu D’amour, ont même disparu. Leurs familles craignent qu’ils n’aient été assassinés par les autorités rwandaises.

La sœur de Jean d’Amour Ngirinshuti est récemment sortie du silence pour témoigner sur le calvaire vécu par plusieurs supporters de Diane Rwigara et leurs familles à la suite de l’élection présidentielle de 2017, remportée par Paul Kagame à 99% des voix. Elle raconte en détail le calvaire que vivent son frère et sa famille depuis plus d’un an et explique que parmi les choses qui l’attristent le plus figure le fait de ne pas avoir pu enterrer son frère. « D’habitude lorsque tu perds un proche, tu finis par retrouver son corps et par pouvoir l’enterrer. Nous n’avons jamais eu la chance de revoir mon frère, depuis le mois d’août 2017 jusqu’à présent (août 2018). Je pense qu’il a été tué car si il n’avait pas été tué, ils les autorités) nous auraient au moins montré un signe de vie de lui. »

Qui est Diane Rwigara ? Son combat politique

Diane Rwigara est une jeune femme de 36 ans qui a passé une partie de son adolescence en Belgique, dans la province de Namur où elle a fait ses études secondaires au Collège Notre-Dame de la Paix avant de s’envoler vers la Californie pour y poursuivre ses études.

Elle a ensuite vécu entre la Californie et le Rwanda, pays qu’elle a rejoint en pensant qu’il s’agissait du « pays miracle dont tout le monde parlait » avant de se rendre compte que la réalité du terrain avait une toute autre facette.

En février 2015, son père, qui avait pourtant financièrement aidé le Front patriotique rwandais (FPR) à prendre le pouvoir en 1994, est assassiné au Rwanda, pratiquement sous les yeux de sa mère et de sa petite sœur. Dans une poignante interview le 7 septembre 2018, Anne Rwigara explique les raisons de l’assassinat de leur père : « Dès la prise du pouvoir du FPR en 1994, mon père a été constamment harcelé. Ils (le FPR) avaient ciblé les hommes d’affaires qui vivaient au Rwanda depuis toutes ces années et ont réussi à faire de la plupart d’entre eux leurs esclaves, ceux qui ont refusé de s’exécuter ont soit dû fuir le pays, soit ils ont été tués, comme mon père l’a été en date du 4 février 2015 »

L’assassinat de son père fut un catalyseur pour Diane Rwigara, un élément qui lui a définitivement ouvert les yeux sur l’ampleur de la répression rwandaise. A cet instant, Diane Rwigara avait une opportunité que la plupart des 68,5 millions de réfugiés dans le monde qui fuient les guerres, les violences ou les persécutions qui s’exercent dans leurs pays d’origine rêveraient d’avoir et de saisir : celle d’aller construire une nouvelle vie en Belgique, pays dont elle avait la nationalité, ou aux Etats-Unis, pays dans lequel elle avait longtemps résidé.

A 33 ans et formée dans les systèmes d’éducation de ces deux pays, tous les rêves individuels lui étaient encore permis.

Mais au lieu de cela elle a décidé de s’installer définitivement au Rwanda et d’arpenter le pays du Nord au Sud, d’Est en Ouest, pour rencontrer la population, en particulier les jeunes qui lui faisaient confiance, prenant ainsi la décision d’être le porte-voix de ceux qui ne pouvaient pas s’exprimer sous cette dictature qui contraint la population à constamment vivre la peur au ventre.

C’est à cette fin qu’elle a lancé le « Mouvement pour le Salut du Peuple – Intabaza » avec pour objectifs d’« éduquer les Rwandais à se lever pour leurs droits, à prendre conscience de leurs droits civiques, à combattre la peur et l’oppression et à faire en sorte que le gouvernement rende des comptes ».

Diane et Adeline Rwigara, libérées sous caution, ne sont pas encore tirées d’affaire pour autant puis que les charges contre elles pèsent toujours.

Quelques semaines seulement après avoir lancé son mouvement, elle a été empêchée de se présenter aux élections présidentielles, accusée de fraude, avant d’être emprisonnée pendant un an en compagnie de sa mère. Paul Kagame le tout puissant homme fort du Rwanda remportera finalement les élections avec près de 99% des voix.

Contexte toujours tendu pour l’opposition Rwandaise

Les deux interviews qu’elle a accordées à CNN et BBC ce 10 octobre 2018 s’inscrivent dans un contexte toujours tendu pour l’opposition rwandaise, malgré les libérations spectaculaires intervenues au cours des dernières semaines et qui auraient pu laisser croire au début d’un « dégel politique ».

En effet, Boniface Twagirimana, vice-président des FDU-Inkingi et emprisonné depuis un an, est porté disparu depuis le dimanche 7 octobre 2018. Selon les autorités rwandaises il se serait échappé de la prison de haute sécurité dans laquelle il venait pourtant d’être transféré à peine cinq jours auparavant.  Son parti ne croit pas en cette thèse, mais soupçonne une mise en scène des autorités rwandaises et s’inquiète pour la vie de cette figure de l’opposition comme le rapporte CNN.

Victoire Ingabire, la présidente des FDU-Inkingi, le principal parti d’opposition libérée à la fin du mois de septembre 2018 après 8 années de détention a pour sa part comparu le 9 octobre devant le « Rwanda investigation bureau » (RIB), l’équivalent de la police judiciaire rwandaise.

L’autorité lui a expliqué que certaines de ses déclarations, comme le fait de se décrire elle-même ou d’autres comme Diane Rwigara comme des « prisonniers politiques » « pourrait constituer une violation du code pénal rwandais », sous-entendant qu’elle pourrait retourner en prison si elle persiste. Cet organe judiciaire fait ainsi écho aux propos de Paul Kagame, lequel, quatre jours à peine après la libération de l’opposante, avait menacé de la réincarcérer si elle ne faisait pas profil bas.

Pour Human Rights Watch les récentes remises en liberté de prisonniers ne sont pas encore le signe de l’ouverture de l’espace politique au Rwanda, l’organisation considérant qu’il faut plus qu’un  « geste discrétionnaire spectaculaire pour convaincre le monde qu’il s’agit bien du début d’un changement systémique et réel ».

Pour l’ONG de défense des droits de l’Homme, si les autorités rwandaises veulent montrer qu’elles comptent réellement tourner la sombre page de la répression politique, il faudrait d’une part « abandonner les accusations politiques contre Diane et Adeline Rwigara et remettre en liberté les autres prisonniers politiques toujours en détention » et d’autre part, « cesser de menacer les anciens détenus et de sous-entendre que la liberté relève de décisions arbitraires, comme l’a fait Paul Kagame lorsqu’il a laissé entendre le mois dernier que Victoire Ingabire serait renvoyée en prison si elle ne faisait pas preuve d’humilité».

L’organisation de défense des droits de la personne humaine estime également nécessaire que les autorités rwandaises « mettent fin aux exécutions sommaires, aux disparitions forcées, aux arrestations et détentions illégales et aux actes de torture – qui restent tous trop courants au Rwanda. Afin de montrer que de tels crimes ne seront plus tolérés, les autorités devraient faire en sorte que les responsables de ces abus rendent des comptes dans le cadre de procès équitables et crédibles».

Ruhumuza Mbonyumutwa

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Francophonie : le triomphe de la Françafrique ?

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Le 17ème sommet de la Francophonie, qui s’est tenu du 11 au 12 Octobre à Erevan en Arménie, a sans surprise couronné Louise Mushikiwabo comme nouvelle secrétaire générale de la Francophonie. Comme le veut la tradition, Louise Mushikiwabo a été désignée par un consensus. Une autre tradition officieuse de la Francophonie, soit le poids de Paris dans le choix du secrétaire général de l’organisation, a également été respectée. Le président français Emmanuel Macron s’est servi de la Francophonie pour servir les intérêts géopolitiques de la France. Jambonews revient sur cette affaire.

Paris ou Kigali ? Personne ne veut assumer la fausse bonne idée

Dans un entretien accordé à Jeune Afrique en Septembre,  Louise Mushikiwabo confirme au journal que sa candidature a été inspirée par l’Elysée et qu’elle a surpris les autorités rwandaises : « Le principe de cette candidature a effectivement été d’abord discuté avec des pays amis, que je préfère ne pas citer, puis avec la France. J’ai pris le temps d’en parler avec le président Kagame et avec des collègues du gouvernement, et il nous a semblé que ce n’était pas une mauvaise idée. »

Quant à Emmanuel Macron, il s’est entretenu avec RFI et France 24 en marge du sommet de la Francophonie et a renvoyé l’initiative de la candidature à Paul Kagame, président en exercice de l’Union africaine : « Donc j’ai dit que s’il y avait une candidature africaine qui faisait consensus, la France la soutiendrait. Il se trouve que le Rwanda qui préside cette année l’Union africaine a présenté la candidature de sa ministre des Affaires étrangères.»

Et Paul Kagame, interrogé sur un éventuel émissaire venu de Paris pour lui suggérer l’idée, il botte en touche à deux reprises et renvoie les  journalistes de la RFI et de France 24 à Emmanuel Macron : «Pourquoi ne pas le lui demander ? »

Une énième couleuvre difficile à avaler pour les présidents africains ?

Vu de Paris, la candidature de Louise Mushikiwabo est avant tout africaine et est portée par les pays africains membres de l’OIF. Les analystes africains eux nuancent. C’est en effet au mois de juillet 2018, soit un mois et demi après l’annonce de la candidature de Louise Mushikiwabo par Emmanuel Macron sur le perron de l’Elysée, que Paul Kagame a demandé aux présidents des pays africains membres de l’OIF de soutenir la candidature de sa ministre des Affaires étrangères à la tête de l’organisation. La demande a été faite lors du sommet de l’Union à Nouakchott en Mauritanie, sommet auquel participait  Emmanuel Macron.

L’éditorialiste politique sénégalais Babacar Justin Ndiaye déclare à l’AFP : « Vu de Dakar, nous avons l’impression très nette que Macron et Kagame ont agi de manière trop, trop cavalière.  La France fait de la Francophonie un levier de rapprochement avec le Rwanda, mais elle utilise ça au détriment des pays démocratiques, des pays africains et même du Canada. C’est le poids de la politique qui passe avant le linguistique, avant la démocratie, avant la démographie, beaucoup de critères ont été sacrifiés sur l’autel de la diplomatie, et encore quelle diplomatie? ».

Toujours d’après les analystes africains, officiellement les présidents africains se cachent derrière  le consensus africain pour justifier leur vote, cependant ils n’osent pas assumer individuellement leur choix qui serait mal perçu auprès de leur peuple. Une semaine avant le sommet de la Francophonie, Mohamed Lamine Souef, le ministre comorien des Affaires étrangères, indiquait que son pays s’alignerait sur la « position de l’UA », une décision prise « sans débat ».

Un des enjeux de Paris : sauver ses intérêts avec Ottawa

Loin des considérations de la promotion de la langue française ou des valeurs de la Francophonie telles que les droits de l’Homme, Paris a œuvré activement pour obtenir le soutien de la candidature de la ministre des Affaires étrangères de Paul Kagame par le Canada.

C’est TV5 le Monde qui révèle les contreparties que la Canada a obtenues pour le retrait de son soutien à la candidature de la Canadienne Michaëlle Jean : le soutien de Paris pour obtenir un siège de membre non permanent au Conseil de Sécurité de l’ONU, et la suspension de la demande d’adhésion de l’Arabie saoudite à l’OIF, pays en froid avec le Canada depuis l’expulsion de son ambassadeur par Riyad.

Vu de Paris, les droits de l’Homme réduits au troc et vidés de sens

Si la violation des droits de l’Homme par l’Arabie saoudite est un motif évoqué pour expliquer la pression exercée par Paris sur Riyad pour le retrait de sa candidature, les tensions diplomatiques entre l’Arabie saoudite et le Canada sont à considérer. Comment expliquer, par exemple, que d’un côté le possible assassinat de Jamal Khashoggi, disparu le 2 octobre 2018 à l’intérieur du consulat d’Arabie saoudite à Istanbul, soit un élément grave, voire très grave pour Emmanuel Macron, et que de l’autre, le fait que Louise Mushikiwabo ait assumé publiquement les assassinats politiques du régime de Paul Kagame, notamment en le cas de Patrick Karegeya assassiné en Afrique du Sud en 2014, ne soit pas relevé ?

De quel côté de l’Histoire la nouvelle Françafrique a-t-elle placé la Francophonie ?

S’il y a un élément qui a retenu l’attention lors du 17ème sommet de la Francophonie, c’est le discours de Michaëlle Jean, la secrétaire générale évincée au bout d’un mandat : « Alors, au moment où nous marchons vers le cinquantième anniversaire de la Francophonie, demandons-nous, ici à Erevan, en toute conscience et en toute responsabilité, de quel côté de l’Histoire nous voulons être ? Sommes-nous prêts à accepter que les organisations internationales soient utilisées à des fins partisanes … ? Sommes-nous prêts à accepter que la démocratie, les droits et les libertés soient réduits à des simples mots que l’on vide de leur sens au nom de la réal politique, de petits arrangements entre Etats ? … Le moment est venu pour nous comme pour tant d’autres organisations multilatérales de choisir entre réagir ou laisser faire, progresser ou régresser. Et disons-nous bien que l’immobilisme, l’atermoiement et les compromis sont déjà une forme de régression car une organisation qui ruse avec les valeurs et les principes est déjà une organisation moribonde »

Emmanuel Macron avait préféré ne pas assister à cette plaidoirie pour la promotion de valeurs autrement fondamentales de la France. Pour sa part Jean-Yves Le Drian, le chef de la diplomatie française, n’a pas daigné applaudir.

Constance MUTIMUKEYE

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Rwanda : les tueries de Ndera, un mystère pour Pierrette 25 ans après

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Pierrette est une rescapée du génocide contre les Tutsi au Rwanda en 1994. A l’occasion du 25ème anniversaire de ce génocide, Pierrette a décidé de rendre hommage à sa famille et à ses amis décimés dans l’hôpital psychiatrique Caraes de Ndera. Ils y avaient trouvé refuge et ont été massacrés soit le 16 ou le 17 avril par une attaque conjointe de la milice Interahamwe et des militaires des Forces Armées Rwandaises. 25 ans après, Pierrette ne sait pas ce qui s’est passé exactement à Ndera, elle souhaite faire un appel à témoins pour celui qui en saurait beaucoup plus qu’elle et aussi rendre hommage à ceux qui ne sont plus là.

La place des ethnies dans son vécu

Mémorial des victimes du génocide perpetré contre les Tutsi en 1994 à Caraes-Ndera


Pierrette est née dans les années 1950. Elle se souvient que dans son enfance subsistait le système d’Ubuhake, une pratique du régime féodal Tutsi qui consistait à lier les esclaves généralement hutus à leurs maîtres, généralement tutsis. « Un umumotsi [un responsable de 10 à 15 familles] a voulu s’approprier notre parcelle, mon père a donné une « offrande » « Ituro », au sous-chef et lui a demandé de s’opposer à cette appropriation. Le sous-chef qui estimait mon père a refusé que notre parcelle nous soit enlevée ».
Pierrette a grandi sans connaitre les histoires des ethnies. C’est en 1970, dans un contexte qu’elle dit « être une histoire traumatisante qu’elle n’est pas prête à raconter » qu’elle a pris conscience des ethnies et de la haine ethnique. Elle a notamment été chassée de son école secondaire en 1973. Toutefois, dans l’ensemble, les habitants de son village natal continuaient à vivre ensemble. Elle nous indique ainsi avoir su « qu’une partie de ses voisins étaient Tutsi en 1994. » Pour elle, le régime du président Habyarimana a mis de côté les gens originaires de la région de Nduga beaucoup plus que les Tutsis. « Ma famille a plus vécu les injustices liées à ses origines « Nduga » beaucoup plus que celles liées à ses origines tutsies ».
La guerre de 1990 a déterré la haine ethnique au point que le climat qui régnait au Rwanda au début des années 1990 faisait peur. La haine s’est alors propagée dans certaines régions rurales puisque des personnes de Bugesera, les Bagogwe, et des personnes de Kibilira ont été massacrées.

Le déclic pour témoigner

Il y a quelques jours, Pierrette participait à un groupe de prières, au cours duquel elle s’est présentée comme Rwandaise. Les participants lui ont alors demandé si elle était au Rwanda en 1994 et si elle avait assisté aux tristes événements qui s’y sont déroulés. Ils lui ont demandé de raconter ce qui s’était passé et elle a craqué « Quand on a traversé des massacres et qu’on ne trouve pas les mots pour les qualifier, on veut juste avancer. Par la grâce de Dieu je n’ai pas été tuée mais mes frères, sœurs, cousins, cousines et amis ont été tués ». Sa survie et la mort de ses proches reste un mystère.

Hôpital psychiatrique de Ndera: les patients appellent à l’aide. © Ibuka


A cette date, elle a réalisé que garder son histoire en elle devenait un fardeau de plus en plus lourd à porter. De plus, raconter ce qui s’est passé lui est apparu comme un devoir de mémoire à réaliser pour rendre hommage aux siens qu’elle a perdu à cause du génocide. Néanmoins elle préfère commencer par raconter leur histoire et non la sienne car ils ne sont plus là pour la raconter.

Les réfugiés de l’hôpital psychiatrique de Ndera

Avant de raconter son histoire elle a tenu à préciser que « les massacres qui se sont passés au Rwanda en 1994 sont au-delà de toute limite, c’est inimaginable que des gens soient des proies d’une chasse comparable à celle des animaux sauvages au 20ème siècle. ».
Pierrette avait des frères et sœurs qui habitaient à Ndera, Kigali Rwanda. Elle était très proche d’eux et se rendait souvent à Ndera au point de connaitre presque tous les habitants aux alentours du centre de Ndera.
En revenant sur les évènements de Ndera, elle a commencé par nous montrer une vidéo qui circule sur Internet, dans laquelle on aperçoit ses amis.

Dans la vidéo, à partir de la 1ère minute, un homme en polo rouge demande de l’aide aux militaires belges de la Minuar : « Depuis trois jours il y a déjà des cadavres là-dedans, il y a énormément de blessés, il y a trois cents hommes, femmes, enfants, vieillards ». Les militaires belges avaient l’ordre de n’évacuer que les ressortissants étrangers, c’est ainsi qu’ils n’ont pas écouté son appel à l’aide et ont évacué seulement les 18 ressortissants étrangers qui travaillaient à l’hôpital psychiatrique de Ndera.
L’homme au polo rouge s’appelait Seburikoko Fidèle et dans la vidéo, on aperçoit aussi sa femme Pauletta ; Pierrette les connaissait. On lui a raconté qu’ils venaient de Kibungo quand l’attentat a eu lieu. Quand ils sont arrivés au kilomètre 15, ils n’ont pas pu avancer et se sont réfugiés chez leur ami, Munyankindi Joseph qui habitait à Ndera et puis dans l’hôpital psychiatrique.
Au Caraes se trouvait plusieurs familles de Ndera ainsi que les frères et sœurs de Pierette et ses amis. De mémoire, elle nous a cité Nyiramadadali, la veuve de feu Munyankindi Jean (décédé bien avant 1990) et une partie de leurs enfants, la famille de Munyankindi Joseph, la femme de ce dernier avait été emprisonnée au début de la guerre du 1er octobre 1990, dans la vague des arrestations des civils dits «Ibyitso», les civils qui avaient été présumés complices de l’APR ; Munyankindi lui-même avait également été l’objet de plusieurs arrestations arbitraires entre 1990 et 1994, il y avait aussi la famille de Ndikubwami, un notaire réputé. Elle a aussi cité la famille de Ruhama, une famille des paysans très appréciée à Ndera car elle vivait bien avec tous les habitants de Ndera. La dernière victime dont elle est nous a parlé est Nubuhoro Jeanne, la fille de Munyakindi Jean et de Nyiramadadali. Elle est connue pour avoir été la première Miss Rwanda en 1991.[1]

L’attaque du Caraes

Pierrette était cachée chez un voisin le 12 avril 1994 quand elle a entendu la RTLM annoncer que dans le Caraes de Ndera, les « Inyenzi » s’y étaient rassemblés et allaient tuer les gens. La RTLM appelait les Interahamwe et les Impuzampigambi à aider leurs camarades de Ndera. Pierrette a alors compris que sa famille serait tuée. Elle pressentait qu’ils s’étaient réfugiés dans l’hôpital. «J’ai longtemps cru que ma famille avait été tuée le 12 avril mais plus tard on m’a dit qu’ils ont été tués vers le 16 ou le 17 avril ».
Un ami a évacué Pierrette et sa famille à Gitarama et c’est là qu’elle a rencontré un une personne qui travaillait pour le Caraes. C’était la première personne qui pouvait renseigner Pierrette sur ce qui s’était passé à Ndera. Cette personne lui a dit que les militaires étaient venus au Caraes et les avaient sortis, sa femme et lui, de l’hôpital. Son enfant étant resté à l’intérieur de l’hôpital, il leur a demandé d’aller le chercher. Les militaires lui ont répondu qu’ils avaient de la peine pour lui mais qu’il ne pouvait pas y retourner car l’enfant était parmi de nombreuses personnes.

A l’hôpital psychiatrique de Ndera; les patients seront finalement abandonnés à leur sort. © Daniel Gheeraert


Cette personne avait indiqué à Pierrette : « Tu imagines qu’ils ont tué mon enfant alors que j’étais arrêté là devant ? » De plus, cette personne a annoncé à Pierrette que ses frères, ses sœurs et leurs enfants avaient été tous tués.
Cette annonce l’a beaucoup peinée et soulevait des questions « Je me suis demandée comment on avait pu tuer y compris les enfants en bas âge, mais j’avais déjà su au travers du pays que partout on tuait sans pitié, sans épargner les enfants. Les tueurs étaient devenus sataniques ».
Quelques mois après l’épisode de Gitarama, Pierrette a rencontré un autre habitant de Ndera qui lui a raconté le déroulement des faits de Ndera :
  • Au début du génocide, les habitants de Ndera sont partis se réfugier dans le Caraes mais une partie des hommes est restée pour faire des rondes. Un des frères de Pierrette était resté avec les hommes mais a fini par rejoindre sa femme et ses enfants dans l’hôpital.
  • Quand les Interahamwe sont arrivés, ils ont trouvé l’hôpital fermé et ne pouvaient dont pas y entrer. Les réfugiés du Centre s’étaient barricadés à l’intérieur. Comme les Interahamwe n’arrivaient pas à ouvrir le Caraes, ils ont demandé de l’aide auprès des militaires du camp militaire de Kanombe.
  • Lorsque les militaires sont arrivés, ils n’ont pas pu ouvrir le Caraes. Ils ont lancé une grenade pour ouvrir les portes, qui est tombée sur une petite fille et l’a tuée.
  • Comme il y avait beaucoup de gens à l’intérieur, Hutus et Tutsis, les militaires ont demandé à ceux qui étaient dehors, des Hutus, de faire sortir les leurs. Chaque personne venait et appelait «Kanaka, Kanaka » « Un tel, un tel » et la personne sortait. Parfois la personne sortait accompagnée d’une ou plusieurs autres personnes et celles qui étaient soupçonnées d’être ou étaient Tutsis, les militaires les faisaient assoir sur le côté. La belle-sœur, les nièces et les neveux de Pierrette, Nyiramadadali et ses enfants, Seburikoko, sa femme et leurs enfants et beaucoup d’amis et connaissances de Pierrette faisaient partie du groupe que l’on avait mis sur le côté.
  • Les militaires ont ordonné à ceux qui avaient fait sortir les leurs de partir chez eux et ont tué le groupe de personnes qui avaient été mises de côté.

La personne qui a raconté l’histoire à Pierrette lui a dit qu’ils étaient assis sur une terrasse d’une annexe de l’hôpital, elle n’a toujours pas pu localiser à ce jour ce patio. Le mystère demeure sur comment ceux qui n’ont pas été vus dans le groupe, dont un de ses frères, ont été tués. « Ce patio représenterait pour moi le dernier endroit où ma famille, mes amis ont vécu leurs dernières minutes, j’aimerais m’y recueillir. »

25 ans après

Pierrette témoigne pour honorer sa famille, elle pense tous les jours à ceux qu’elle a perdus : « Je me souviens de mes nièces et neveux ainsi que de tous les enfants qui avaient le même âge qu’eux et tous les gens qui ont été tués et cela me fait mal au cœur ».
Lorsque les histoires d’Interahamwe ont commencé, elle les voyait crier et se pavaner à travers les vitres des bus en marche. Ces « Interahamwe » ne lui semblaient pas humains pour elle et Pierrette se demandait pourquoi les autres personnes ne voyaient pas les choses comme elle. « Pour ma part Interahamwe représentaient la métamorphose de Satan sur terre. Pour moi c’était évident qu’ils finiraient par massacrer les gens ». Elle a poursuivi « Ce qui s’est passé au Rwanda n’a pas de commune mesure, mourir en étant pourchassé comme un animal, être tué sans que l’on ait fait quelque chose ? Être tué parce que l’on est né de telle ethnie, c’est inimaginable. Je manque de mots pour l’exprimer, personne ne devrait être tué. La mort, tôt ou tard étant notre destin personne n’a le droit de tuer une autre
Quand nous lui avons demandé comment elle voyait la situation actuellement, elle nous a répondu : « En 1994 le Rwanda, pays des mille collines est devenu le pays des milles barrières et aujourd’hui le Rwanda est devenu le pays d’une barrière : celle de la haine entre deux ethnies avec milles chaînes impossibles à défaire. Je déplore que par exemple dans certaines familles les gens ne se parlent plus à causes de ces chaînes impossibles à défaire. Si le peuple rwandais ne trouve pas lui-même la solution, au regard de ce que j’ai vu et vécu, il peut replonger le pays dans le même cercle d’autodestruction, qui pourrait être pire qu’en 1994 ». Selon elle, pour bien bâtir l’avenir, les Rwandais devraient accepter de vivre ensemble : « Tous les Rwandais, nous devons nous mobiliser contre cette haine destructrice, nous devons comprendre que le Rwanda appartient à tous et nous devons tous y vivre ensemble. C’est le seul choix que nous avons. L’alternative à ce choix est le cycle de violences provoquées par ceux qui veulent le pouvoir. Dans ma vie, j’ai toujours observé les gens des villages vivre ensemble et s’entraider. La haine est provoquée par les hommes politiques qui ne veulent pas partager le pouvoir et qui entrainent la population avec eux ».
Pierrette demande à toute personne qui aurait une information complémentaire sur ce qui s’est passé à Ndera de l’en informer.
Les Victimes du Caraes
En avril 2018, une chanson a été composée en hommage aux victimes du Caraes, dans laquelle les victimes sont citées.

Constance Mutimukeye
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[1] http://www.igihe.com/imyidagaduro/article/nubuhoro-jeanne-nyampinga-wa-mbere-w-u-rwanda-utari-uzwi

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