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Le paradoxe rwandais : Entre modernité économique et terreur politique

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– Article d’opinion soumis par Marie Umukunzi –

Le Rwanda, qui prendra la présidence tournante de l’Union Africaine en janvier 2018, suscite l’émulation parmi la jeunesse d’Afrique qui salue notamment l’impertinence de Paul Kagamé vis-à-vis de la France qu’il accuse d’avoir été complice du génocide de 1994. 23 ans après le génocide, le Rwanda a réussi à se relever et mène des politiques ambitieuses en faveur d’une économie libérale et tertiaire, un environnement économique attrayant pour les investisseurs et les coopérations bilatérales et multilatérales sud/sud. Cependant derrière ces ambitions ; le Rwanda demeure un pays où le débat citoyen et politique n’existe pas ; et ceux qui s’y engagent subissent une répression féroce et sont parfois forcés à l’exil. Avancées présentes et ambitions futures régis par une terreur politique présente influencée par les tragédies du passé : C’est bien là où réside un des paradoxes rwandais.

Le visiteur qui débarque pour la première fois à l’aéroport international de Kigali, est d’abord frappé par l’ordre et le calme qui y règne. Les officiers de l’immigration rappellent aux visiteurs que l’introduction des sacs plastiques sur le territoire rwandais est formellement interdite. En effet depuis 2008 ; le Rwanda a été pionnier en Afrique en adoptant une loi éradiquant complètement l’usage des sacs plastiques. Autre « surprise » qui attire le visiteur : les nombreux panneaux bordant les rues de Kigali sur lesquels il est rappelé que « la corruption est formellement interdite » ; Le visiteur sera aussi charmé par le concept des travaux communautaires (plantations d’arbres, amélioration du circuit de l’eau de pluie, nettoyage des canalisations…) auxquels chaque rwandais âgé de plus de 16 ans doit participer. « Le style rwandais est bien différent de ce qu’on a l’habitude de voir dans d’autres pays africains » me disait un jour un ami franco-ivoirien.

Sur le plan économique, le Rwanda affiche une politique sans ambiguïtés et marquée par la volonté de modernisation du secteur agricole par l’introduction des coopératives et la régionalisation des cultures, la transition vers une économie de service basée  notamment sur l’usage des nouvelles technologies de l’information et de la communication et le développement du tourisme d’affaire (inauguration d’un flambant neuf Convention Centre, investissement gouvernemental massif dans la compagnie Rwandair, construction d’un nouvel aéroport fin 2018 etc…). En 2017 Kigali a accueilli la conférence « Transform Africa » dont l’objectif était de mettre en évidence le lien entre la transformation digitale et le développement de l’Afrique. Les rwandais ont désormais la possibilité de réaliser leurs démarches administratives en ligne par l’intermédiaire de la plateforme IREMBO. Les autorités ambitionnent également de faire de la capitale rwandaise, une capitale totalement connectée à internet avec un accès gratuit au wifi dans les espaces publics, les transports, les restaurants et les hôtels. Le Rwanda qui est enclavé géographiquement et ne possède pas de matières premières a bâti une stratégie économique qui consiste à développer un environnement des affaires favorable aux investisseurs.

Cependant, en allant au-delà des ambitions d’émergence présentées par les autorités ; on découvre qu’au Rwanda il n’est pas aisé de critiquer ou simplement de parler même au coin d’un bar ou restaurant de la « chose » politique. Le visiteur qui à tout hasard lors de son voyage de découverte au Pays des mille collines tentera de questionner les autochtones sur les orientations politiques, le parti au pouvoir ou le président, risque fortement d’essuyer un droit de non réponse. En effet, au Rwanda, il n’est pas aisé de parler politique surtout dans les espaces publiques où l’auto contrôle est de rigueur.

A Kigali, on parle aisément d’économie mais très difficilement de politique ou de questions sociales moins reluisantes car les conséquences peuvent être très lourdes pour ceux qui peuvent être considérés comme des opposants au régime actuel donc comme des « ennemis de la nation ». Chacun s’auto censure, même au sein de cercles restreints (amical ou familial) par peur que ses propos ne puissent pas être mal interprétés et surtout rapportés.

Récemment, l’arrestation de Diane Shima Rwigara, fille de l’ancien homme d’affaire Assinapol Rwigara, rescapée du génocide est l’exemple de la terreur politique qui prévaut au Rwanda. Lors des récentes élections présidentielles, elle s’était présentée comme adversaire au président sortant Paul Kagamé ; elle a souvent critiqué le régime de Kigali d’utiliser les disparitions forcées ; les assassinats, les détentions illégales pour menacer les dissidents et opposants. Début octobre, L’Organisation non gouvernementale Human Rights Watch a publié un rapport qui montre que l’armée rwandaise arrête illégalement et torture des détenus, en recourant à des passages à tabac, des asphyxies et que ces centres de détention militaires non officiels existent tels que le camp militaire de Kami. Avant son arrestation, Diane Rwigara déclarait lors d’une interview accordée à la chaine de télévision française France 24 que « les rwandais préfèrent le silence car quiconque ose parler en paye un lourd tribut. On ne devrait pas laisser un Etat censé nous protéger nous abuser. Ma famille a échappé au génocide des Tutsis. Nous n’avons pas échappé au génocide pour souffrir au mains du FPR ».

Au Rwanda, oser critiquer ouvertement le Front Patriotique Rwandais (parti au pouvoir), le gouvernement, ou le Président, entraîne des conséquences lourdes au niveau individuel que collectif. La personne qui s’y lance risque fortement d’être considérée comme dissidente ou opposante risque des harcèlements de la police, la perte du travail, l’expropriation économique (exemple : Confiscation par l’Etat rwandais et vente aux enchères du centre commercial UTC appartenant à l’homme d’affaire Tribert Rujugiro ancien financier du FPR et aujourd’hui en exil) ; menace physique, séquestration, diffamation, menace judiciaire.

Diane Rwigara

Diane Rwigara

Particulièrement la menace judiciaire est une menace sérieuse car au Rwanda ceux qui sont considérés comme dissidents ou opposants font généralement l’objet d’accusations graves (insurrections, conspiration contre l’Etat, minimisation du génocide, incitation à la désobéissance civile, atteinte à la sûreté de l’Etat). De nombreux opposants rwandais connus médiatiquement tels Victoire Ingabire, Déo Mushayidi, Bernard Ntaganda, Diane Rwigara et de milliers d’opposants moins connus ont fait l’objet de telles accusations par le procureur général. Les peines encourues sont lourdes ; en général entre 10 et 15 ans de prison.

La terreur politique qui règne au Rwanda rappelle celle qu’a connu l’Argentine dans les années 80 ; par les méthodes utilisées et notamment les disparitions forcées d’opposants. Cette terreur basée sur des mesures judiciaires extrêmes vise à créer une peur collective afin de briser toute forme de dissidence perçue comme un danger par le pouvoir et contrôler la population qui devient moins critique et moins exigeante envers ses dirigeants politiques. Restreindre les libertés individuelles fondamentales tout en se targuant de moderniser l’économie et ambitionné d’attirer les visiteurs-investisseurs du monde entier, est sans aucun doute paradoxal.

Marie Umukunzi

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Déo Mushayidi : Théologien, rebelle FPR et prisonnier politique

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Mushayidi est né en 1961 dans l’ancienne commune de Sake, à Kibungo, à l’est du Rwanda. Son père a été tué en 1961 pendant les violences liées à la révolution sociale et politique de 1959. Sa mère et ses deux sœurs ont été tuées pendant le génocide de 1994. A l’exception de sa femme et de ses deux enfants vivant actuellement au Canada, Mushayidi n’a plus de famille.

Cette tragédie familiale l’a tellement marqué qu’il s’est fixé comme un devoir de favoriser l’instauration d’un Etat de droit et le respect des droits humains au Rwanda. Formé chez les Frères Joséphites où il aura passé 12 ans, d’abord en tant qu’élève, puis en tant qu’enseignant au Rwanda (1984 – 1986), en République Démocratique du Congo (1986 – 1988) et enfin au Burundi (en 1988) avant d’être envoyé en Suisse pour y poursuivre sa formation en Théologie et en Philosophie à l’Université de Fribourg.

Rattrapé par la guerre de 1990, il s’engage dans le FPR qu’il va représenter en Suisse pendant toute la durée du conflit. Il avait été séduit par le programme politique théorique du FPR qui rencontrait son idéal. Fidèle à son engagement religieux, Mushayidi prend soin d’informer ses supérieurs avant son engagement public au Front Patriotique Rwandais (FPR). Voici l’extrait sa lettre datée du début 1992 « Ma conscience ne me permet pas de combiner ma vie religieuse avec un engagement politique quel qu’il soit. Je me sens déjà engagé politiquement. Je n’ignore pas que la communauté ne peut jamais accepter cela. J’ai fait un choix, je m’en vais mais ma ligne politique restera intimement  liée avec les valeurs que la communauté des Frères Joséphites défend»

La ligne politique de Déo ne s’éloignera jamais de cette foi religieuse acquise chez les Joséphites. Alors qu’il vient de perdre toute sa famille dans la tragédie de 1994, il rentre au Rwanda pour contribuer à la reconstruction nationale. A ce titre, il travaillera comme bénévole au Secrétariat général du FPR, à partir d’août 1994. Mais dès mars 1995, des divergences avec le leadership du FPR et les violations répétées des droits humains par le régime l’amènent à rompre définitivement avec ce mouvement et à embrasser une nouvelle carrière comme journaliste.

Il collabore avec différentes publications dans lesquelles il dénonce la corruption généralisée et les violations des droits humains commises par les nouveaux maîtres du Rwanda. Ses écrits engagés et très critiques à l’égard du FPR finiront par agacer le régime qui l’accusera publiquement de subversion politique.

En 1996, fort de son expérience et de sa combativité dans les médias de l’époque, il est élu président de l’Association des Journalistes du Rwanda (AJIR). Il devient également le secrétaire exécutif du Centre pour la promotion de la liberté d’expression et de la tolérance dans la région des Grands Lacs.  En 1999, il devient directeur de la Maison de la Presse avant d’en devenir un employé jusqu’au moment de sa fuite vers la Belgique en avril 2000.

En Belgique, où il reçoit très vite l’asile politique, il décide d’animer l’opposition en exil. Militant des premières heures au sein du Dialogue inter-rwandais et de la Commission Vérité, Justice et Réconciliation, Mushayidi a toujours collaboré avec ses compatriotes Hutu, Twa et Tutsi dans les différents mouvements politiques qu’il a cofondés ou rejoints.

Il s’est distingué notamment au sein de l’alliance « Igihango » et au Partenariat Intwari avant de fonder, en novembre 2008, le Pacte de Défense du Peuple (PDP-Imanzi) aujourd’hui devenu Pacte Démocratique du Peuple (PDP-Imanzi). Au sein du Partenariat Intwari, il se distingue particulièrement en cosignant, avec ses collègues en janvier 2008, un Mémorandum très fouillé sur le génocide rwandais qui est adressé au Conseil de Sécurité des Nations Unies.

En 2009, il décide de quitter l’Europe pour poursuivre, en Tanzanie, la lutte pour un Etat de droit au Rwanda. Au moment de son enlèvement le 5 mars 2010, il préparait son entrée au Rwanda pour rejoindre ses amis Me Ntaganda Bernard et Mme Ingabire Victoire qui dénonçaient avec force la dictature du FPR. Jusqu’aujourd’hui, malgré son emprisonnement, Mushayidi reste le président du PDP – IMANZI dont l’objectif est la réconciliation de tous les Rwandais et l’établissement d’un Etat de droit basé sur une démocratie consensuelle.

Son enlèvement des 4 et 5 mars 2010

Petit à petit, le voile se lève sur le kidnapping de Déo. Le jeudi 4 mars, Déo Mushayidi est arrêté par des policiers tanzaniens dans la ville de BUKOBA (Tanzanie). Il est immédiatement conduit à la frontière du Burundi puisqu’il voyageait avec un passeport burundais. La Police burundaise des Airs, des Frontières et des Etrangers (PAFE) le transfert à Bujumbura dans la soirée.

Le vendredi 5 mars vers 10 heures, il parvient à téléphoner à ses amis du PDP-Imanzi résidant en Europe et leur explique sa situation. Le parti a essayé d’expliquer, aux responsables de la police, la qualité d’opposant de Mushayidi. Selon Mushayidi lui-même, ces responsables burundais ont assuré qu’ils lui apporteraient de l’aide nécessaire étant donné sa situation d’opposant politique.

Ce même jour vers 15 heures, les responsables du PDP perdent tout contact téléphonique avec lui. Inquiets, ils tentent à nouveau, mais en vain, de joindre les responsables du PAFE. A partir de cet instant plus aucun policier ou agent de l’immigration ne sera joignable.

Finalement, c’est par un article du site internet du New Time de Kigali que la nouvelle de sa  capture et sa déportation à Kigali se répandra. Déo Mushayidi ne faisait pas l’objet d’un mandat d’arrêt international. Les autorités burundaises se sont, par cet acte, rendues coupables d’un enlèvement et ont remis à un autre Etat un homme qu’elles savaient être un opposant politique et qui risquait sa vie.

D’après nos informations, une fois que Mushayidi était dans les mains de la police burundaise, le général Adolphe Nshimirimana, alors chef du renseignement burundais, aurait convoqué une réunion d’urgence pour statuer sur son cas. C’est après cette courte réunion qu’il aurait appelé son ami M. Didier Nyaruhirira, alors chef du renseignement dans l’ambassade du Rwanda à Bujumbura, pour lui remettre Mushayidi. Il a été mis dans une ambulance accompagnée de Nyaruhiriri lui-même et d’un autre agent du renseignement rwandais répondant au prénom de Gaspard.

Son procès et sa vie en prison

Le 24 février 2012, après un procès de presque 2 ans sans témoins ni à charge, ni à décharge, la Cour Suprême du Rwanda a confirmé la peine de réclusion à perpétuité prononcée par le Tribunal de Kigali à l’égard de Déo Mushayidi et ce, pour atteinte à la sûreté de l’Etat, usage de faux et incitation à la désobéissance civile. Il purge sa peine à la prison de Mpanga dans le sud du Pays mais il garde l’espoir car selon lu : « le régime qui l’a condamné à vie ne durera pas toute une vie ».

Aujourd’hui, malgré les conditions déplorables dans lesquelles il se trouve, il est et reste le président incontesté du PDP-Imanzi. Par intermédiaire des représentants de sa formation politique au Rwanda, il est consulté pour toutes les activités du parti, tant à l’extérieur qu’à l’intérieur du pays.

Le PDP-Imanzi, a décidé, depuis 2015, de s’associer à quatre autre partis d’opposition : les FDU-Inkingi, le RNC, PS-Imberakuri et Amahoro – PC, pour former la « Plateforme P5 » dont l’objectif est d’aider les Rwandais à se doter d’une véritable démocratie et d’une véritable réconciliation nationale.

Lorsqu’il fut condamné en première instance en septembre 2011, il déclara:

Lève-toi mon peuple. Je n’ai pas pêché. Je suis innocent. Si le pouvoir estime que ma mort ou mon emprisonnement est une solution à ses problèmes, il se trompe. Pour l’amour de mon peuple, cette détention je la vis, je la souffre, je l’endure. Je ne demande pas à mon peuple de m’être reconnaissant, il n’a aucune dette envers moi, c’est moi qui lui dois beaucoup. Je me réjouirai de la joie qu’a mon cœur grâce à mon engagement et à ma détermination. Je ne demanderai à personne de me prendre en pitié, je ne suis pas pitoyable. Si vous m’aimez, soutenez la cause que j’ai défendue et que je défendrai de mon vivant, à savoir la liberté, l’amour entre les Rwandais, le respect mutuel et la promotion de la liberté pour tous. 

Ainsi résuma-t-il le sens et la profondeur de son engagement.

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Rwanda – Kibeho : Quand la Mère du Verbe visita le pays des mille collines

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De tout temps et en tous lieux, la piété populaire au sein de l’Eglise Catholique s’est intéressée aux phénomènes et faits extraordinaires qui sont souvent liés à des révélations dites « privées », pour les distinguer de la Révélation Publique et Définitive de Jésus Christ.  Cependant, même si la Révélation de Jésus est achevée, elle n’est pas complètement explicitée ; il restera à la foi chrétienne d’en saisir graduellement toute la portée au cours des siècles.

C’est dans ce sens que ces révélations dites privées trouvent leur place dans la théologie catholique. Il peut arriver que certaines «apparitions» soient reconnues par l’autorité de l’Eglise. C’est le cas, par exemple, pour les apparitions de Lourdes en France (1858), de Fatima au Portugal (1917), de Banneux en Belgique (1933) , de Betania au Venezuela (1976-1988), d’Akita au Japon (1973-1981) ou encore de Kibeho au Rwanda (1981-1986). En tout on dénombre 16 lieux d’apparitions (principalement mariales) reconnues par l’Eglise. Kibeho reste la seule apparition reconnue d’Afrique.  Malgré leur reconnaissance, les apparitions mariales n’appartiennent pas au dépôt de la foi (dogmes de l’Eglise). Aucun chrétien, même catholique, n’est donc tenu d’y croire, il lui est juste demandé de faire preuve de respect envers ceux qui y croient.

De 1981 à 1989, la Vierge Marie, ainsi que le Christ, se sont montrés, à trois adolescentes  à Kibeho: Alphonsine Mumureke , Nathalie Mukamazimpaka , Marie Claire Mukangabo. Celles-ci sont  actuellement les seules officiellement reconnues par Rome.

Les apparitions de Kibeho sont parmi les apparitions les plus longues et  les plus prolifique en terme de messages et de phénomènes surnaturels. Toutefois, probablement à cause de la tragédie qu’a connu le Rwanda, elles demeurent encore mal connues, aussi bien dans le monde qu’au sein de l’Eglise.

“Il était 12h35. J’étais au réfectoire des élèves, je faisais le service de mes compagnes à table. J’étais très heureuse, mais ma joie était mêlée d’une certaine inquiétude. Tout à coup j’entends une voix qui m’appelle … ”  c’est ainsi que, selon le témoignage d’Alphonsine Mumureke, débuta la première apparition de le Vierge Marie, le samedi 28 novembre 1981 dans la petite localité de Kibeho au Rwanda.

Ce samedi 28 novembre1981,  au collège des lettres de Kibeho, une petite école tenue par des religieuses rwandaises, Alphonsine assurait son service au réfectoire. Ses camarades de classe racontèrent qu’elles l’ont vu se lever soudainement, bras tendus, se diriger vers l’allée centrale du réfectoire et se mettre à genoux, les yeux constamment fixés en l’air, en direction d’un point fixe. Alphonsine explique qu’elle entendit distinctement une voix l’appelant avec tendresse :

  • Marie : Mwana (enfant)
  • Alphonsine : Karame ( Me Voici)
Alphonsine Mumureke

Alphonsine Mumureke

« Transportée » vers un autre lieu, distinctement éclairé, elle aurait vu un nuage blanc duquel sortie une dame inconnue, très belle, ni blanche ni noire,  portant des vêtements blancs, avec sur la tête, une voile blanc qui semblait uni au reste de ses vêtements. Elle dira plus tard : «  je ne saurais préciser la couleur de sa peau. Elle était d’une beauté incomparable. » Cette description rappelle celle que Bernadette avait fait de Marie à Lourdes en 1858 : « belle, très belle, plus belle que tout, si belle que quand on l’a vue, il me tarde de mourir pour la revoir ».

Aussitôt un dialogue s’engagea entre Alphonsine et Marie en Kinyarwanda :

  • Alphonsine : « Femme, qui es-tu ? »
  • Marie : « Ndi Nyina wa Jambo (Je suis la Mère du Verbe) .

Les élèves témoins, interrogées, dirent qu’elles n’entendaient pas les paroles de « l’apparition », par contre elles entendaient Alphonsine.

Elles affirment avoir entendu Alphonsine demander :

  • Ni wowe nyina wa Jambo ? : C’est donc toi la Mère du Verbe ?
  • Marie : Dans ton existence chrétienne, qu’est-ce que tu tiens le plus en estime ? »
  • Alphonsine : j’aime Dieu et sa Mère qui a mis au monde pour nous un rédempteur.
  • Marie : « Vraiment !»
  • Alphonsine : « Oui c’est bien ainsi ! »
  • Marie : S’il en est ainsi, je viens te rassurer, car j’ai exaucé tes prières. Je voudrais que tes compagnes aient la foi, parce qu’elles ne croient pas suffisamment.
  • Alphonsine : Mère du Sauveur si c’est vraiment Toi qui viens nous dire qu’ici, dans notre école, nous avons peu de foi, Tu nous aimes. Je suis vraiment comblée de joie que Tu te montres à moi.

Dans sa conversation avec Marie, Alphonsine reste elle-même, pleine de confiance, de naïveté. Elle s’adresse à Marie, se comporte avec elle comme une enfant avec sa mère et même comme une enfant gâtée. Elle aime d’ailleurs s’adresser à Marie en l’appelant « Umubyeyi » ou en français « maman ».

Cette familiarité étonnait, voir choquait beaucoup de gens. Ainsi au cours de l’apparition du 25 juin 1982, Alphonsine demanda à la Vierge Marie si elle ne lui aurait pas manqué de respect en employant l’expression très familière et sentimentale : « Disi we» qu’on pourrait traduire par « Chérie ». Certaines personnes s’étaient offusquées de cette expression envers celle qui est la Mère de Dieu.

Voici ce que Marie a répondit à Alphonsine :

Représentation de la Vierge Marie de Kibeho

Représentation de la Vierge Marie de Kibeho

« Quand un enfant est sans reproche devant sa mère, il lui dit tout ce qu’il a dans le cœur. Je ne me comporte pas comme les hommes. Bien que je sois la Mère de Dieu, je suis simple et humble, et je sais me mettre à votre portée, bien mieux que vous ne sauriez le faire . Ainsi, j’aime qui s’amuse avec moi, car pour moi, c’est la plus belle marque de confiance et d’amour. Tous ceux qui ont dit cela ne comprennent pas les mystères de Dieu. Soyez comme des petits enfants avec moi, car moi aussi j’aime vous cajoler. Si j’étais fâchée avec vous, oseriez-vous me parler ainsi ? Plutôt, que chaque mère aime choyer son enfant pour qu’il puisse lui dire tout ce qu’il veut. Il ne faut pas craindre sa mère. »

La tendresse maternelle de la Mère de Dieu est peut-être la note dominante des apparitions de la Vierge Marie à Alphonsine. Marie se révèle comme une mère qui écoute son enfant, la conseille, la corrige. Elle lui aurait un jour dit:

« Avec moi, soyez des enfants. Je suis votre mère. Vous ne devez pas me craindre, mais m’aimer ».

Pourtant le soir du 28 novembre 1981, et les jours qui ont suivi, les élèves et les professeurs, ne parlaient pas d’apparitions mais plutôt de maladie et d’envoûtement par les esprits. La région de Kibungo, dont est originaire Alphonsine, est réputée pour sa croyance aux esprits et en leurs pouvoirs. Cela ne plaidait donc pas en faveur de la jeune fille.

En décembre de la même année, les apparitions se succèdent à intervalles plus ou moins réguliers, presque chaque samedi. Ce genre de phénomène provoquant naturellement du rejet et de la curiosité. Les élèves et professeurs, ne tardèrent pas à “tester la réalité de l’extase”. Un jour, lors d’une apparition, une élève, Médiatrice Nyaminami, brûla Alphonsine avec une allumette. Alphonsine ne broncha pas. La Vierge Marie dit à Alphonsine :

  • Sais-tu qu’on te brûle ?

On entendit Alphonsine lui répondre :

  • Mais où?

Alphonsine retira vivement son bras, mais pas celui qu’on brûlait. Le professeur, Jean Baptiste Ntamugabumwe, la piqua avec une épingle pendant une autre apparition et cette dernière ne réagit pas. Une fois l’apparition passée, on se moquait d’elle : «  voilà la visionnaire ! », « mets-toi à genoux ! Tu auras une apparition !», « Demande à la Vierge ceci, …cela !  » On singeait les scènes d’apparitions.

Une fois, la vierge Marie avait demandé à Alphonsine de raconter sa vie aux élèves. Elle s’appliqua et leur racontât que ses parents étaient séparés, mentionna la pauvreté qu’il y avait à la maison, etc. Les élèves chahutaient et se moquaient d’elle. Ce fut une grande humiliation pour Alphonsine. Pendant l’apparition du 8 mai 1982, on entendra Alphonsine se plaindre à la Vierge Marie : « Les gens disent que nous sommes atteintes de folie. Chez nous, que va-t-on penser de nous ? » Ce jour-là, pour la première fois, sa mère était présente.

Alphonsine a beaucoup souffert pendant cette persécution subtile.  La situation changea progressivement quand elle ne fut plus la seule élève voyante.

Nathalie Mukamazimpaka

Nathalie Mukamazimpaka

En effet, une nouvelle voyante se révèle dans la soirée du 12 janvier 1982 : Nathalie Mukamazimpaka. Son nom signifie “Celle qui tranche les débats ou les discussions”. Ce jour-là Notre Dame lui apparaît pour la première fois. Née en 1964 , elle est originaire de l’actuel district de Nyaruguru, paroisse de Muganza, diocèse de Gikongoro. Nathalie est considérée comme la plus douce des voyantes.  Elle est principalement connue pour son message sur la prière et l’offrande de nos souffrances à Dieu comme moyen de salut du monde.

Marie enseigna à Nathalie que notre souffrance vécue dans l’Amour a non seulement un sens, mais qu’en plus elle est nécessaire pour le monde et son salut. Elle dira entre autre à Nathalie le 22 mai 1982 : « Dans toutes les souffrances que je permets je désire que chacune de vous accepte sa part, l’accueille avec joie et de manière paisible ».

L’apparition de la Vierge Marie à Nathalie ne dissipa pas tous les doutes parmi les élèves, encore moins parmi les professeurs et dans le public. On restait méfiant envers Nathalie en raison de sa faiblesse intellectuelle et de sa piété bien connue. C’est donc dans cette atmosphère de doute, que surviennent les apparitions à Marie Claire Mukangago, le 2 mars 1982, à la grande surprise de tous ! Surprise car Marie Claire était une de celles qui manifestaient activement et publiquement leur incrédulité.

Les apparitions à Marie Claire Mukangabo dureront six mois. Marie Claire est née en 1961 à Rusekera, diocèse de Gikongoro. Elle est entrée au collège de Kibeho une année avant Nathalie, en septembre 1977. Elle était très différente de Nathalie et même d’Alphonsine. En effet, Marie-Claire est spontanée, turbulente et était même quelques fois indisciplinée. Elle avait la confiance de ses compagnes et a même été élue déléguée de classe. Sa vie chrétienne n’avait rien de particulier, ni même d’exemplaire.

Depuis le 28 novembre 1981, date du début des apparitions, Marie Caire était comptée parmi les grands ténors du groupe critiquant Alphonsine . Elle ne voulait rien savoir des apparitions et était parmi les gens qui traitaient Alphonsine de « folle ». La voilà, elle-même devenue une des voyantes.

Marie Claire Mukangango

Marie Claire Mukangango

Les apparitions en public à Marie Claire Mukangabo n’ont pas été très nombreuses. Le message qu’a reçu Marie Claire est précis. Le monde s’est révolté contre Dieu, nous devons nous repentir, demander pardon. Pour obtenir la grâce de la conversion, il faut méditer la passion de Jésus et les souffrances de sa Mère. Il n’y a pas de meilleur guide que Marie pour nous faire comprendre la profonde douleur de Jésus et le sens de sa Passion. Pour rentrer dans ce Mystère, Marie leur a enseigné et conseillé  deux prières : le rosaire et le chapelet des sept douleurs.

S’il y avait une spécificité de l’apparition de Kibeho par rapport aux autres apparitions, c’est le chapelet des 7 douleurs.  Ce chapelet qui était tombé aux oubliettes au sein de l’Eglise a été enseigné à Marie Claire  par la Vierge Marie le 6 mars 1982. Ce jour-là, la Sainte Vierge lui a donné la mission de le propager à travers le monde entier. Il est composé de 7 médailles représentants les 7 douleurs de Marie dans la vie de son Fils.

Le Chapelet des 7 douleurs a été présenté par Marie comme un remède efficace contre le mal du siècle, la négation du péché et l’absence du repentir. Le 31 mai 1982, Marie dira à Marie Claire :

« Ce que je vous demande c’est de vous repentir. Si vous récitez ce chapelet, en le méditant, vous aurez alors la force de vous repentir. Aujourd’hui, beaucoup d’hommes ne savent plus demander pardon. Ils mettent à nouveau le Fils de Dieu sur la Croix  »

Les apparitions publiques de la Vierge Marie à Marie Claire ont cessé le 15 septembre 1982, le jour où l’Église catholique commémore Notre Dame des Douleurs. Cette coïncidence est significative et met un sceau sur la mission essentielle que la Vierge Marie lui avait réservée était.

A la fin de ses études à Kibeho, Alphonsine devint secrétaire au Service Diocésain de l’Enseignement Catholique pour ce qui s’appelait alors la préfecture de Gikongoro. C’est là qu’elle a vécu les tragédies de 1994. Pour fuir les combats, elle partit avec des amis vers le Congo, à  Bukavu. De là elle se rendit en Côte d’Ivoire, à Abidjan. Après avoir obtenu un baccalauréat en théologie en juin 2003, avec une spécialisation en catéchèse, elle devint religieuse et entra au monastère Sainte Claire d’Abidjan (Sœurs Clarisses) le 26 juillet 2004. Et depuis 2013, elle est rentrée dans une autre communauté religieuse en Italie encore plus austère sous le nom de sœur Mutima et où son passé de voyante est inconnue par ses consœurs à l’exception de ses supérieurs.

Les 3 voyantes de Kibeho

Nathalie Mukamazimpaka n’a pas achevé ses études secondaires alors même qu’au moment des apparitions elle lui restait qu’une année avant l’obtention de son diplôme d’institutrice primaire. Après le message de l’apparition du 24 juin 1982, la Vierge Marie lui aurait demandé de demeurer à Kibeho jusqu’à nouvel ordre, où elle devrait s’adonner davantage à la prière et aux mortifications pour le salut du monde. Depuis lors elle habite à Kibeho oû elle continue à se dépenser généreusement pour le sanctuaire marial et s’associe volontiers à la prière des pèlerins. Bien souvent c’est elle qui accueille des pèlerins individuels pour les assister, ou bien pour les orienter.

Marie Claire quant à elle se maria religieusement le 22 août 1987 avec Élie Ntabadahiga, originaire de la même paroisse natale. Ce dernier était un journaliste à l’Orinfor (Office Rwandais d’Information). Les deux formaient un ménage heureux, malheureusement sans enfant, malgré leur vif désir d’en avoir. Ils résidaient à Kigali,dans le quartier de Gatsata, traversé par la route menant à Byumba. C’est dans ce quartier populaire qu’ils ont été emportés par les massacres. Conduits avec bien d’autres déplacés vers Byumba, censée être une zone sécurisée ils furent parmi les civils qui, sans armes, furent massacrés en 1994. La date et les circonstances exactes de leur mort ne sont pas encore bien établies.

Kibeho est depuis lors  devenu pour tous les croyants et tous les chercheurs de Dieu de la région des Grands Lacs, un lieu de ressourcement, de pèlerinage et de prière pour demander la grâce de la conversion ou pour offrir les intentions. Depuis quelques années on observe de plus en plus des pèlerins qui viennent de tous les continents.

Fréderic Sinamenye

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  • Des apparitions à Kibeho : Annonce de Marie au cœur de l'Afrique; de Gabriel Maindron Édité par Œil (1984)
  • Les apparitions de Kibeho au Rwanda; Mgr  Augustin Misago  Kinshasa : Facultés catholiques de Kinshasa, 1991
  • À KIBEHO, LA MÈRE DU VERBE NOUS PARLE!: "Je suis la Mère du Verbe" ; Hildegarde UFITAMAHORO 2017

 

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Considérations juridiques sur la proposition de loi Foret sur la négation du génocide des Tutsi au Rwanda

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Note soumis pour publication par l’auteur

Cette note aborde en trois temps la proposition de loi visant à réprimer la négation, la minimisation, la justification ou l’approbation du génocide contre les Tutsis au Rwanda en 1994.1 J’explique d’abord que, par sa formulation, la loi qui serait issue de cette proposition risque d’être difficilement applicable. Ensuite, j’oppose vérité historique à vérité judiciaire. Me basant sur une récente expérience personnelle, j’attire enfin l’attention sur les dangers de cette démarche.

Une loi faite pour ne pas être appliquée

D’après l’exposé des motifs, sont punissables  » ceux qui nient ou minimisent cette réalité (du génocide) dans une perspective de discrimination, d’incitation à la haine, ou de dénigrement à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes en raison (…) de leur appartenance ethnique « . Il clarifie qu’il s’agit là d’un  » élément constitutif du délit  » et que  » c’est pourquoi il faut préciser que l’intention de discrimination ou d’incitation à la haine est un élément essentiel du délit « .
J’observe d’abord que ce qui est défini comme  » essentiel  » dans l’exposé des motifs n’est pas

repris dans la proposition même. En effet, la référence à l’article 444 du Code pénal dans l’article 2 de la proposition n’est pas utile parce que cette disposition du Code pénal ne dit rien sur l’intention de l’auteur du délit, mais se limite aux lieux et formes d’imputations calomnieuses ou diffamatoires. Le texte devrait donc explicitement inclure cet élément intentionnel constitutif du délit.

Cependant, dans ce cas la loi devient difficile sinon impossible à appliquer. En effet, même une négation grossière du génocide ne serait pas punissable si cette  » intention de discrimination ou d’incitation  » n’est pas prouvée. Or, en l’absence d’une incitation explicite, peu probable, il sera difficile sinon impossible de fournir pareille preuve.

Un second frein à l’application de la loi réside dans la procédure. Les poursuites ne peuvent être engagées qu’à la requête du procureur fédéral, qui apprécie les plaintes éventuelles. Face à l’avalanche de plaintes que ce texte, une fois devenu loi, pourrait susciter, il est peu probable que le procureur fédéral sera enclin à engager des poursuites, d’autant plus qu’il est à prévoir que de nombreuses plaintes seront politiquement inspirées. La loi subira alors le sort que celle de 1993 sur la compétence universelle a connue, c’est-à-dire qu’il faudra l’amender en la rendant encore plus restrictive.

Vérité historique et vérité judiciaire

L’extermination des Tutsi a constitué indéniablement un génocide. Elle correspond parfaitement à la définition proposée par la convention sur la prévention et la répression du crime de génocide, et a été judiciairement reconnu comme tel. Il s’est en effet agi d’actes « commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, une groupe ethnique, comme tel« . Le TPIR considère le génocide comme « un fait de notoriété publique (…), un fait qui s’inscrit dans l’histoire du monde« . Celui qui nie ce fait se rend coupable de négationnisme.

En revanche, alors que ce fait dans sa globalité est incontestable, de nombreux événements et conditions qui le précèdent et entourent font toujours l’objet de recherches. Nombreux sont ces éléments contextuels qui ne font pas l’unanimité parmi les historiens et qui continuent à être étudiés.

Quelques exemples le montrent. Quelle a été l’influence de l’idéologie génocidaire qui se serait développée depuis la révolution de 1959, voire même depuis la période coloniale ? La société précoloniale était-elle harmonieuse et exempte d’ethnisme ? Liée à cette question se pose celle du rôle joué par l’administration belge et l’église catholique dans la racialisation des relations sociales. Peut- on expliquer la large participation populaire lors du génocide sur base exclusivement d’un haine anti- Tutsi artificiellement induite ? Quel a été le rôle joué par la guerre déclenchée par le FPR ? Est-ce que la violence de 1994 a été uniquement ethnique et politique ou est-ce que ses ressorts ont été plus complexes ? Qui a abattu l’avion du président Habyarimana, événement déclencheur du génocide ?Combien de victimes faut-il déplorer dans l’un et l’autre groupe ethnique ? Le FPR a-t-il commis des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité en 1994 au Rwanda, voire un génocide au Congo fin 1996-début 1997 ?

Contrairement à la réalité globale du génocide, toutes ces questions et bien d’autres sont loin d’avoir été résolues par des recherches historiques sur lesquelles il existe un consensus scientifique. Cela soulève un grand problème pour les juges appelés un jour à appliquer cette proposition lorsqu’elle sera devenue loi. En effet, sont aujourd’hui parfois désignés comme négationnistes ceux prenant position sur ces questions, même s’ils reconnaissent et condamnent le génocide sans la moindre ambiguïté. J’en donnerai une illustration dans la section suivante. Par exemple, on risque de se faire accuser de négationnisme lorsqu’on conteste la vérité du FPR sur l’attentat du 6 avril 1994, la nature du régime politique, les abus des droits humains, ou encore le degré de justice et de réconciliation atteint au Rwanda.

En l’absence de vérité historique sur ces points, comment un juge pourrait-il statuer, voire même le procureur fédéral décider d’engager des poursuites ? La loi se rétrécit alors en peau de chagrin, puisque la seule base d’une condamnation deviendrait le fait de nier le génocide dans sa globalité, assorti de l’intention de discriminer, d’inciter à la haine, ou de dénigrer.

L’impossibilité de statuer

J’illustre ce problème à l’aide d’une expérience vécue. En avril 2017, j’ai publié aux Presses Universitaires de France un Que sais-je ? sous le titre « Le génocide des Tutsi au Rwanda ». Cinq mois plus tard, dans une campagne manifestement concertée, ce livre a fait l’objet de virulentes critiques hostiles. A un intervalle de deux semaines, l’association Survie et un « collectif » publient des textes dont les titres sont éloquents : « Les malversations intellectuelles du professeur Reyntjens » (Survie, 19 septembre 2017), « Rwanda : le ‘Que sais-je ?’ qui fait basculer l’histoire » (Le Monde, 25 septembre 2017) et « Quand Filip Reyntjens pervertit l’histoire du génocide » (Survie, 3 octobre 2017). Je me limite ici à la tribune publiée dans Le Monde. Les auteurs appellent mon livre un « brûlot politique » et me reprochent notamment de dénoncer les crimes du FPR, d’escamoter l’histoire ayant précédé le génocide, de suggérer que le FPR est l’auteur de l’attentat et d’affirmer qu’il était plus intéressé de gagner la guerre que de sauver les Tutsi. Le texte va très loin en poursuivant que, « sans nier directement les faits, (je) les banalise et les relativise au point de nier le sens même de l’événement ». Il dit pourtant également que « la bataille de l’interprétation (…) n’est pas achevée », ainsi admettant que plusieurs interprétations ont cours.

Dans une réaction à cette tribune, je conclus : « En réalité, la tribune du collectif relève d’une entreprise d’intimidation. (…) Je serais donc négationniste, de façon indirecte il est vrai, alors que le livre revendique à des nombreux endroits, et longuement en conclusion, la qualification de génocide, dans le sens donné à ce terme par le droit international, pour désigner l’extermination des Tutsi. En réalité, les auteurs de la tribune contestent le droit (et le devoir) des chercheurs d’étudier l’histoire dans toute sa complexité, au-delà d’un simple récit opposant les ‘bons’ aux ‘méchants’ « .2 Le fait que d’autres chercheurs s’insurgent contre la tribune du collectif et défendent mon droit de m’exprimer montre bien que le débat est loin d’être clos. Se sont ainsi exprimé notamment Marc Le Pape et Claudine Vidal3, Roland Tissot4, Marc Le Pape5 et Jean-Hervé Bradol6.

Loin de moi de prétendre que ceux qui m’attaquent ont tort et que ceux qui me défendent ont raison, mais ce que ces échanges montrent clairement, c’est qu’il n’y a pas de consensus sur une et seule vérité historique. Comme indiqué plus haut, c’est là que réside le principal problème de la proposition Foret. Comment un juge pourrait-il proclamer une éventuelle vérité judiciaire alors que la vérité historique n’est pas établie ? Dans ces conditions, si la proposition devenait loi, elle menacerait directement la liberté d’expression en général et la liberté scientifique en particulier. C’est ce que Bradol, dans le texte cité plus haut, fait comprendre : « En démocratie, une mise en cause aussi insultante, celle de nier la réalité du génocide des Tutsis du Rwanda, entache une réputation, isole, limite ou met fin à une carrière ». Cela est sans doute l’intention des  » clercs « 7 de l’histoire politiquement correcte. Alors que je suis personnellement hors d’atteinte, cette perspective est paralysante pour mes jeunes collègues. Déjà il y a dix ans, Hervé Deguine se posait la question de savoir si l’on peut encore parler du Rwanda.8 Cette question reste d’actualité.

Seuls des milieux marginaux et sans la moindre crédibilité nient le génocide des Tutsi au Rwanda, tout comme aucune personne sérieuse ne nie la Shoah. Voyant les problèmes que pourrait susciter une approche juridique et judiciaire, c’est donc la démarche historique qui doit faire son travail. Le combat contre le négationnisme est basé sur l’établissement de faits indéniables, et non pas sur la poursuite et l’éventuelle condamnation de quelques personnes égarées. Mais cela présuppose que la recherche historique puisse faire son travail sans entraves et procès d’intention animés par des intérêts politiques contemporains.

La note de Filip Reyntjens en format PDF

Filip Reyntjens

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A propos de l’auteur
Filip Reyntjens est professeur de droit et de politique à l’Université d’Anvers. Il a étudié la région des Grands Lacs en Afrique pendant près de quarante ans et a publié de nombreux ouvrages sur le sujet. Son dernier livre est Le génocide des Tutsi au Rwanda paru dans la collection Que Sais-je (Presses Universitaires de France, 2017)

 

  1. Chambre des représentants de Belgique, Doc 54 2634/001 du 15 septembre 2017. La proposition initialement déposée le 24 juillet 2017 référait au  » génocide commis au Rwanda en 1994 « . Rappelé à l’ordre par Kigali et ses relais en Belgique, Gilles Foret a dû revoir sa copie.
  2. F. Reyntjens, « Le difficile débat sur le Rwanda en France », Mediapart, 11 octobre 2017
  3. « Réponse à un procès sans instruction contre le ‘Que sais-je?’ de Filip Reyntjens », Mediapart, 30 septembre 2017.
  4. « Rwanda: Dans quelles conditions les sciences sociales produisent-elles du savoir? », Mediapart, 5 octobre 2017.
  5. « Ecrire sur le Rwanda: les compagnons de route du président Kagame », The Conversation, 19 octobre 2017.
  6. « Les amis démocrates des dictateurs », Marianne, 27 octobre 2017.
  7. C’est l’expression, avec référence à Bourdieu, utilisée par Le Pape dans son article publié dans The Conversation.
  8. H. Deguine, « Peut-on encore parler du Rwanda? », Médias, Printemps 2008, no. 16, pp. 70-74.

Rwanda – Belgique : Le parlement belge a cédé à la pression du régime rwandais

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Une conférence devait se tenir au Parlement belge ce jeudi 1 mars 2018 pour débattre de la proposition de loi du Député Gilles Foret, visant à réprimer la négation du génocide commis contre les Tutsis au Rwanda en 1994. Néanmoins, cette conférence initiée par l’association Jambo, a été annulée à la dernière minute, suite aux pressions du gouvernement rwandais sur des parlementaires belges ; un gouvernement rwandais qui a en même temps multiplié les attaques sur les réseaux sociaux contre les initiateurs du projet dans le but de les décrédibiliser. Jambo asbl dénonce un déni de démocratie, et s’inquiète de cette influence que le régime rwandais peut exercer sur des députes belges.  L’asbl a décidé de ne pas en rester là et va dès lors porter ce débat en justice.  

Alors que Jambo asbl était occupée à organiser une conférence au Parlement belge autour de la proposition de loi du député Gilles Foret, visant à sanctionner  » la négation, la minimisation, la justification ou l’approbation du génocide commis contre les Tutsis au Rwanda en 1994 « , le régime rwandais, l’un des plus répressifs au monde a sorti les grands moyens afin d’empêcher la tenue de cette conférence-débat. A moins d’une semaine de la tenue de cette conférence planifiée et approuvée depuis décembre 2017, le Parlement Fédéral belge a décidé d’annuler cette initiative, au motif que « les députés Gilles FORET et Olivier MAINGAIN avaient retiré leur soutien à l’organisation de cette conférence ».

Ces retraits semblent faire suite à la pression exercée par le régime de Kigali, qui voyait d’un mauvais œil ce débat démocratique initié par Jambo, composée principalement des jeunes Belgo-Rwandais, réputés pour leur engagement dans la défense des droits humains et la restauration de la démocratie dans la région des Grand Lacs africains.

Comment cela a-t-il commencé ?

En juillet 2017, quand le député Gilles Foret a proposé sa loi, Jambo asbl s’est intéressée de près au dossier et a présenté toute une série d’observations concernant à la fois l’opportunité de la loi dans son principe, mais également l’opportunité de la loi dans son contenu.

Au mois de septembre 2017 une nouvelle version a été déposée par le député et les modifications apportées répondaient à un certain nombre des préoccupations de Jambo asbl comme nous vous l’annoncions dans notre article du 11 décembre 2017. Néanmoins, certaines préoccupations subsistaient, ce qui a poussé Jambo asbl à établir un contact avec le député afin d’organiser un débat contradictoire visant à permettre au législateur belge d’adopter une loi équilibrée et tenant compte de l’ensemble des points de vue sur la question.

Plusieurs personnalités politiques et académiques qui ont une certaine crédibilité sur la question, tant sur le principe que sur le contenu ont été approchées en vue de pouvoir débattre sur ce sujet complexe et délicat. Gilles Foret, l’auteur de la proposition, avait également confirmé sa participation au débat et avait choisi de faire l’introduction. Olivier Maingain avait lui accepté d’apporter son parrainage à la conférence.

 Que s’est-il passé ensuite ?

En haut: Louise Mushikiwabo, Ministre des Affaires étrangères du Rwanda En bas: Gilles Foret et Olivier Maingain, Députés fédérales belges.

Le projet de la conférence a été présenté en premier lieu à des personnalités du monde académique, notamment des spécialistes des lois mémorielles, et les trois universitaires approchés ont tous répondus positivement pour venir donner leurs points de vue au parlement.

Par la suite, des officiels rwandais tels que l’ambassadeur du Rwanda en Belgique, le secrétaire général de la Commission Nationale pour la Lutte contre le Génocide (CNLG), les ministres des Affaires étrangères et de la Justice du Rwanda ont été conviés, ainsi que l’association Ibuka-Mémoire et Justice, basée en Belgique et représentant les rescapés du génocide.

Loin de répondre ou de décliner l’invitation de Jambo asbl, l’ambassade du Rwanda à Bruxelles a publié un communiqué de presse dénonçant cette conférence comme étant « un projet négationniste« , accusant même Jambo asbl d’être une association négationniste avec laquelle aucun débat ne pouvait avoir lieu. En appui à son accusation l’ambassade évoquait le fait que Jambo asbl aurait volontairement omis le mot « Tutsi » dans ses observations pour ne parler que du « génocide commis au Rwanda en 1994 » car selon eux, Jambo « refuse de nommer les victimes de ce génocide ». C’est une accusation assez étonnante alors même que l’asbl n’avait fait que reprendre en citation l’intitulé exact de la première proposition de loi déposée le 24 juillet 2017[1] par le Député Gilles Foret. D’ailleurs, dans ses observations publics de 32 pages, communiquées à tous ses invités, Jambo asbl a mentionné le crime de génocide perpétré contre les tutsis à 49 reprises.

A travers ce communiqué de presse, l’ambassade du Rwanda et ses relais, cherchaient plutôt à semer la confusion auprès du public peu informé, en faisant croire que l’objectif de Jambo était « réécrire l’histoire » du génocide des Tutsi.

Pourtant, l’objectif de Jambo asbl avait été clairement expliqué et consistait à « protéger la mémoire des victimes et rescapés Tutsi, tout en évitant la stigmatisation des Hutu, éviter que la loi ne soit détournée à des fins de propagande, éviter que la loi ne serve d’entrave à la recherche de la vérité sur les autres crimes, et enfin, éviter que la loi ne soit détournée à des fins d’intimidation et de répression politique « .

Pour quels motifs la conférence a-t-elle été annulée ?

Mercredi 21 février en début de soirée, l’Ambassadeur du Rwanda publiait via son compte Twitter, « qu’il venait d’apprendre que la conférence avait été annulée. La manipulation prenait fin ».

La confirmation officielle n’a été adressée à Jambo asbl que deux jours plus tard, par le parlement fédéral, au motif que « les députés qui avaient parrainés la conférence s’étaient retirés« . En effet, Olivier Maingain, qui se trouve être le frère de Bernard Maingain, l’avocat du FPR et de Paul Kagame, a contre toute attente retiré son parrainage à la conférence. Jambo asbl avait la possibilité de trouver d’autres parrains néamoins d’après le communiqué publié par l’asbl à la suite de l’annulation: »dans une démarche d’apaisement, et ce afin d’éviter de crisper d’avantage la situation, ces pistes d’action n’ont pas été poursuivies. » De plus, en coulisse, il s’est avéré que l’annulation de cette conférence avait des motifs plus politiques et diplomatiques que simplement administratifs.

Le régime de Paul Kagame ayant décidé qu’un tel débat ouvert et libre en Belgique était inacceptable. Toute la machine étatique rwandaise s’est mis en marche. Selon le blog pro-Kagame, Panoractu , citant des informations d’Aimable Karirima Ngarambe, membre d’Ibuka-Belgique et journaliste du médias Igihe, proche du régime: »Lorsque le Rwanda a appris que le Parlement Fédéral belge avait accepté d’entendre l’association « Jambo asbl », les réactions ont été immédiates et extrêmement vives. Le Ministère des Affaires Étrangères rwandais a instantanément informé l’Ambassadeur du Rwanda en Belgique qui n’a pas manqué de protester énergiquement contre ce débat qui était prévu en date du 1er Mars prochain.« 

Selon nos propres informations, c’est la Minsitre des Affaires étrangères, Louise Mushikiwabo, qui a elle même pris directement le dossier en main afin de coordonner toutes les démarches, actions et préssions pour que la conférence voulue par Jambo asbl ne puisse avoir lieu.

Echange public sur Twitter entre Gustave Mbonyumutwa (Président de Jambo asbl) et Olivier Nduhungirehe (Secretaire d’état au sein du Ministère des Affaires étrangères Rwandais)

Le très remuant Secretaire d’Etat au sein du Ministère des Affaires étrangère, Olivier Nduhungirehe, n’a pas hésité à confirmer publiquement ces préssions, ne manquant d’ailleurs pas de se féliciter que ceux-ci aient été payants.

Déni de démocratie suite à des pressions politico-diplomatiques ?

Jambo asbl dénonce aujourd’hui « un déni de démocratie » en tant qu’association belge, et s’inquiète par ailleurs de « l’influence du gouvernement Rwandais dans le système législatif belge »,  qui a réussi à faire plier deux parlementaires belges face à ses exigences.

Pour rappel, une telle loi anti-négationniste existe au Rwanda depuis des années. Mal définie, elle complète un arsenal de lois utilisées abusivement par le régime de Paul Kagame, notamment pour faire taire ceux qui dénoncent le déficit des libertés politiques et civiles dans le pays, réprimer l’opposition politique, museler la liberté d’expression ; ou imposer une omerta sur les crimes du régime en place. Une critique largement partagée par les organisations de défense des droits de l’Homme et acteurs de la société civile.

Quelle suite ?

Ce samedi lors de la remise du Prix Victoire Ingabire pour la démocratie et la paix, Gustave Mbonyumutwa, Président de Jambo asbl, a annoncé lors d’une allocution solennelle à l’assistance présente pour la cérémonie, que l’association des Droits de l’Homme basé à Bruxelles : « va mener des actions en justice ». L’association et plusieurs de ses membres ont été victimes ses dernières semaines d’une véritable campagne de lynchage médiatique orchestrée depuis Kigali et mise en pratique par l’Ambassade du Rwanda à Bruxelles, plusieurs personnalités politiques rwandaise, des idéologues du parti au pouvoir et certains médias pro-gouvernementaux. Pour Gustave Mbonyumutwa : « en réalité ses attaques qui ont visé Jambo asbl n’étaient pas destinées uniquement à l’association mais plutôt à toute personne de bonne volonté qui cherche un dialogue serein ». Le nouvellement élu Président de Jambo asbl a conclu en affirmant que : « Ce débat qu’on nous a refusé au parlement, nous finirons par l’avoir et cette fois, ce sera devant les tribunaux. Et ça, ça risque de faire la différence. »

Jean Mitari

Jambonews.net

 

[1] Proposition de loi« visant à réprimer la négation, la minimisation, la justification ou l’approbation du génocide commis au Rwanda en 1994 conformément à la décision-cadre 2008/913/JAI du Conseil de l’Union européenne du 28 novembre 2008 sur la lutte contre certaines formes et manifestations de racisme et de xénophobie au moyen du droit pénal » déposée le 24 juillet 2017.

 

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Rwanda : « Nous, rescapés, avons un litige avec le FPR »

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A quelques jours du début officiel de la 24ème période de commémoration du génocide des Tutsis, de plus en plus de voix s’élèvent parmi les rescapés pour exprimer la détresse que vivent les Rwandais sous le règne du FPR. En effet, quelques heures après l’appel aux Rwandais, en particulier aux rescapés, par Tabitha Gwiza, la tante de Diane Rwigara, sur la radio « Itahuka », à cesser de soutenir et d’encourager le FPR en ces termes : « Depuis la fin du génocide, combien de Tutsis ne continuent pas à mourir, combien de rescapés de ce génocide ne continuent pas à être tués l’un après l’autre ? Et les Rwandais, les rescapés s’asseyent, regardent et laissent faire en applaudissant le meurtrier»,  c’est Callixte Nsabimana, connu sous le surnom de Sankara, également rescapé du génocide, qui a exprimé sa détresse face à la situation au Rwanda.

Dans une interview accordée à la radio « Ubumwe » qui s’est donnée pour objectif, comme son nom l’indique en kinyarwanda, de favoriser l’unité entre Rwandais, le président du Mouvement révolutionnaire rwandais (MRR) a appelé la jeunesse du Rwanda à se lever et à dire haut et fort : « le FPR doit respecter nos droits ou nous mourrons en luttant pour que ce soit le cas. ».

« Il vaut mieux être tué après s’être exprimé qu’être tué sans s’être exprimé »

Appelé tout d’abord à commenter les propos d’Anne Rwigara, la petite sœur de Diane Rwigara qui, le 28 mars 2018, en marge de la vente aux enchères des biens de sa famille, avait déclaré aux huissiers devant la foule : « Que Dieu vous pardonne, vous ne savez pas ce que vous faites, vous travaillez pour des tueurs qui ont tué notre père et qui après viennent le piller en utilisant le système. » Callixte Sankara a salué le courage de la jeune femme, estimant qu’il valait « mieux être tué après s’être exprimé plutôt qu’être tué sans s’être exprimé ».

Pour lui, ce que le FPR fait subir à la famille Rwigara (assassinat de leur père en 2015, emprisonnement de la mère et de la fille ainée depuis 2017, vente des biens de la famille en 2018) n’est rien de nouveau, rien de surprenant de la part du FPR. « Tuer quelqu’un qui les a aidé, emprisonner sa veuve et sa fille et puis vendre les bien de la famille », c’est habituel estime-t-il, même s’il se dit convaincu que ça ne durera plus longtemps car « les Rwandais ne peuvent pas continuer longtemps à tolérer ce genre de choses. »

Ce jeune artiste, révolté par l’injustice qui se commet au Rwanda sous le règne du FPR, estime que le changement arriverait rapidement « si toutes les victimes du FPR avaient le courage de Anne et de sa famille, mais beaucoup de gens choisissent de se taire et d’accepter de mourir debout ».

Appelé ensuite par la journaliste à se prononcer sur la commémoration à venir, Sankara estime que les rescapés sont pris en otage par le FPR qui a infiltré et contrôle les associations de rescapés telles que Avega, Ibuka, AERG, GAERG, dans l’objectif d’utiliser le génocide à des fins politiques pour asseoir son pouvoir. « Dès qu’il y a un problème quelconque, dès que le Rwanda a tel problème avec tel pays, les rescapés sont appelés à aller dans les rues pour soutenir le régime », fait-il remarquer, estimant que les rescapés n’ont d’autre choix que d’obéir car « au moindre signe de divergence par rapport à l’ordre établi, on te tue ». « Quand j’étais au Rwanda, se souvient-il, on nous disait : lorsque des Hutu sont tués, les leurs crient, la communauté internationale crie, mais vous (les Tutsis) personne n’est là pour parler pour vous ».

Pour lui, le FPR a trouvé la formule pour contraindre la population rwandaise au silence. « Ils ont mis le génocide sur le dos des Hutu et dès qu’un Hutu s’exprime, on l’accuse de génocide, on l’accuse d’être un interahamwe et on l’emprisonne, et dès qu’un Tutsi s’exprime, il n y a pas de place pour l’enfermer, la seule solution c’est le tuer ».

Il se rappelle que lorsqu’il était étudiant à l’université, au Rwanda, et que des problèmes se posaient, « les enfants hutu avaient peur d’exprimer leurs revendications, de peur d’être aussitôt accusés de génocide, d’être traités d’interahamwe. La seule solution pour que les choses changent était que les étudiants hutu et tutsi se mettent ensemble, que nous, tutsi, allions devant. C’était la seule façon pour que les choses bougent ».

En cette période de commémoration, il appelle les rescapés à « éviter de porter de fausses accusations contre des gens, à éviter tout ce qui peut leur procurer de l’angoisse, à éviter de se laisser entrainer dans des méfaits par le FPR, car ce que le FPR fait, exposer les os des nôtres, de nos familles, alors que les parents de Paul Kagame ont été enterrés dans la dignité, est un business sur le dos de nos familles qui lui permet d’asseoir son pouvoir, y a-t-il donc une seule personne aujourd’hui qui ne voit pas cela ?»

 «Les gens en ont assez de cette chanson du FPR consistant à qualifier d’interahamwe tous ceux qui l’ont fui en 1994, le FPR devrait changer de refrain »

Invité ensuite à se prononcer sur les liens de son mouvement avec le CNRD, un mouvement rebelle armé né d’une scission d’avec les FDLR et implanté en RDC, Sankara affirme n’avoir aucun problème à travailler avec ce mouvement et se dit prêt à faire face aux éventuelles accusations de « collaborer avec des interahamwe » qui pourraient être fomentées par le FPR. « Cette chanson du FPR de prendre tous les gens qui ont fui 94, tous les gens qu’il a poursuivis dans les forets du Congo, en les massacrant, en tuant plus d’un million de rwandais et de congolais (…) et qui consiste à les qualifier d’interahamwe est une chanson dont les gens ont assez, le FPR devrait changer de refrain ».

Sankara considère que Kagame n’a pas la légitimité de déterminer qui est interahamwe et qui ne l’est pas, estimant qu’après près de 25 ans « l’époque à laquelle Kagame et Mushikiwabo distribuaient les cartes en déterminant qui est interahamwe et qui ne l’est pas était révolue ». Et Sankara de continuer en ces termes : « ils prennent Rwarakabije, qui était un dirigeant des FLDR et qui parce qu’il se soumet au FPR n’est soudainement plus considéré comme un interahamwe, comme un génocidaire, et ce sont les courageux, Wilson et Hamada [NDLR Wilson Irategeka, Président du CNRD et Hamada vice-président] qui ont refusé de se soumettre au FPR et qui sont restés aux côtés des réfugiés pour les protéger qui devraient être considérés comme des génocidaires ? » L’artiste engagé actuellement réfugié en Afrique du Sud s’interroge ensuite : « Même dans leurs listes foireuses des fugitifs du génocide, sur laquelle ils mettent leurs opposants, y a-t-il même le nom de Wilson Irategeka) ? »

« Je n’ai aucune réticence à travailler avec eux, » répète-t-il ensuite avec conviction, expliquant que la plupart des membres de la rébellion du CNRD sont des enfants de 18, 19 ans, qui parlent à peine kinyarwanda, « des victimes qui ont souffert et qui en ont marre et ne demandent qu’à rentrer dans leur pays dans la dignité  et se voir reconnus dans leurs droits. »

« Le FPR ne devrait pas avoir le droit d’instrumentaliser le génocide pour asseoir son pouvoir »

Callixte Sankara

Callixte Sankara

S’exprimant ensuite sur l’instrumentalisation du génocide par le FPR, Sankara déclare : « Nous, les Tutsis qui vivions au pays avons un litige avec Kagame et sa clique. Ils ont attaqué en 1990, nous leur avons envoyé nos enfants, et le résultat est qu’ils les ont tués avec agafuni (NDLR : petite houe ou méthode d’exécution réputée commune au FPR], ils ont abattu l’avion du Président Habyarimana alors qu’il venait de signer des accords de paix, alors qu’il venait d’accepter de partager le pouvoir avec eux, alors qu’ils connaissaient bien les conséquences que cela allait avoir sur nous qui vivions dans le pays, qu’on allait être tués. Nous avons encore en mémoire les paroles des Tito Rutaramera et autres Muligande selon qui on ne pouvait pas faire d’omelettes sans casser d’œufs, et puis lorsque le génocide a commencé, Kagame a envoyé des soldats pour infiltrer les interahamwe aux barrières, pour attiser et les aider à tuer nos parents et le montrer au monde. Ils ne nous ont jamais porté le moindre amour, ils n’ont jamais éprouvé la moindre pitié pour nous, » estimant que le FPR ne devrait dès lors pas avoir le droit d’utiliser le génocide pour asseoir son pouvoir. « Ils ont atteint leur objectif mais tôt ou tard cela se retournera contre eux. »

Revenant sur la guerre qui a ravagé l’ensemble des familles rwandaises depuis le 1er octobre 1990, Callixte Sankara rappelle la période précédant la guerre : « Vous savez comment on vivait avant la guerre, on n’avait pas de problèmes, on vivait avec les Hutu, on mangeait chez eux, ils mangeaient chez nous, et ces gens-là sont venus attiser la haine ethnique. »

Pour Sankara, « plus de 50% de la haine qui a conduit au génocide a été causée par le FPR », « ils ont commencé en tuant des Hutu à Byumba, en détruisant leurs maisons, en les envoyant à Nyacyonga (camp de déplacés internes ayant fui les tueries du FPR qui se commettaient dans le nord du pays à la veille du génocide et qui comptait 1 million de personnes sur une population estimée à 7 millions, NDLA), en les poursuivant et en les massacrant, en tuant leur président, en suscitant la colère au sein de la population (…). Cela ne justifie bien entendu pas qu’ils prennent le cadet de ma mère à peine âgé de deux ans et qu’ils le découpent à la machette au motif que Habyarimana a été tué, mais le FPR a joué un grand rôle dans le fait de faire de nous des cibles des extrémistes hutu, des interahamwe, et après le FPR s’est retourné et a tué les Hutu. Si au moins ils avaient tué des interahamwe j’aurais compris, mais les interahamwe avaient fui et ceux qui ont choisi de ne pas fuir le FPR sont ceux qui se disaient ‘moi je n’ai tué personne, pourquoi je fuirais’ et le FPR est venu et a tué tous ces gens et aujourd’hui, sous couvert de l’instrumentalisation du génocide par le FPR, le plus d’un million de Hutu que le FPR a tués n’ont pas le droit à la moindre reconnaissance».

La journaliste lui demande ensuite si pour lui il y a une différence entre les interahamwe et les inkotanyi, ce à quoi il répond : « pour moi, il n’y a pas de différence entre les inkotanyi et les interahamwe, ce sont tous des criminels qui devraient être traduits en justice, la seule chose est que beaucoup d’interahamwe ont été poursuivis devant la justice, ce qui reste c’est aussi d’amener les inkotanyi devant la justice mais cela ne sera possible qu’après la fin du règne du FPR, » avant de préciser qu’il existe toute de même une différence entre les deux mouvements : « les interahamwe tuaient au grand jour, au vu et au su de tout le monde, devant les caméras,  alors que les inkotanyi creusaient des trous pour tuer dans la discrétion, mais leurs forfaits sont en train d’apparaitre au grand jour, à la face du monde. »

Au sujet de l’avenir, il explique que pour lui la plateforme du MRCD, qu’il a rejointe avec son mouvement, est une alternative au FPR et que la seule chose qui importe désormais pour lui, la seule chose qui lui reste et dont il rêve est de construire un Rwanda dans lequel les enfants hutu et tutsi qui y naitront se reconnaitront et y verront leurs droits respectés car aujourd’hui, estime-t-il, « un enfant hutu, qui a vu les siens massacrés, n’a même pas le droit de les commémorer ».

Ce rêve, ajoute-t-il, « je le partage avec mes camarades du MRR et si le prix à payer pour le réaliser est de sacrifier nos vies, nous sommes prêts. »

Ruhumuza Mbonyumutwa

Jambonews.net

« Ne soyons pas prisonnières de nos blessures, retrouvons la volonté d’atteindre la plénitude de la vie. »

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Le 07 avril est la « Journée Internationale de Réflexion sur le Génocide de 1994 contre les Tutsis au Rwanda ». Ce jour marque également le début de la période de commémoration pour ce même Génocide au Rwanda et dans beaucoup d’autres pays. Après 24 ans, les rescapés du génocide Tutsis rencontrent plusieurs obstacles pour se reconstruire et recréer une vie sereine. Parmi ces obstacles, il y a la rancœur, la négation de leur souffrance, une justice insatisfaisante, l’exposition non voulue des leurs dans des mémoriaux, des vérités incomplètes et politisées de leur histoire et bien d’autres.   

Angélique Rutayisire est une rescapée du Génocide perpétré contre les Tutsi qui s’est délivrée de ses chagrins, de ses rancœurs et de ces blessures qui la maintenait dans un monde sombre et sans espoir. Elle nous le témoigne au travers son livre qu’elle a sorti en 2017, « D’un Cœur Chagriné à une Plénitude de joie ». Elle a présenté son livre le 31 mars 2018 lors d’une conférence débat organisée par l’ASBL RGTH.

Elle nous invite à travers ce livre et son témoignage, à nous défaire de nos bagages chargés d’émotions, de noirceurs, pour une vie de joie, une libération des souffrances de ce monde.

Sa vie a pourtant consisté en une série de tragédies, la mort de sa famille dans le génocide contre les Tutsis, celle de son mari, ses problèmes de santé… En mars 2013, à la mort de son mari, elle se retrouva seule sans famille, accablée de chagrin et de désespoir. C’est pourtant à travers ces épreuves insoutenables, qu’elle pourra passer d’un cœur chagriné et atteindre la plénitude de joie.

Née à Ngoma dans la ville de Butare dans une famille modeste, Angélique Ingabire Rutayisire y fit ses études primaires, et continuant les études secondaires à Nyanza. Sa vie comme celles des millions de rwandais bascula en avril 1994. Vers la fin du mois d’avril, les menaces contre sa famille tutsi se précisent, ils fuirent alors chez des voisins hutus.  Les familles hutus qui cachèrent les membres de sa famille ne les gardèrent pas longtemps, soit parce que l’information arrivait aux tueurs, soit parce que les familles hutus craignirent les représailles des tueurs et les chassèrent de chez eux. Sa famille se dispersèrent dans cette fuite. Le 25 Avril, Angélique perdit en même temps sa mère, sa sœur et un de ses frères, l’autre frère est porté disparu jusqu’à aujourd’hui.

Son père et elle-même sont les seuls de la famille à avoir survécus à ces massacres, ils ont pu trouver refuge chez des âmes charitables. Pourtant la vie lui réservait encore d’autres lots de souffrance, quatre ans plus tard, son père, son unique attache familiale, mourut de maladie. Elle trouva de l’espoir dans la rencontre et la relation avec son mari qui devint tout pour elle, au point qu’elle ne voyait pas à quoi pourrait servir la vie sans lui. Pourtant en 2013, la maladie emporta son mari, laissant Angélique seule telle une bouteille à la mer.

Angélique Rutayisire

Sans espoir, rongée par les émotions les plus sombres et le désespoir, elle se sentit au bord du gouffre. La seule chose alors qui la retint alors à la vie fut une intense aspiration à demander au divin d’intervenir pour lui guérir de ces rancœurs et de ces douleurs car cela était pour elle au-dessus de ses capacités. Il en allait de sa survie, et elle mit tant de ferveur à s’abandonner à cette force que très rapidement, Angélique atteignit un niveau d’éveil lui permettant de surpasser la souffrance et d’embrasser une joie qu’elle n’avait jamais connue même dans ses jours heureux, de vivre une paix profonde à la place des pleurs et des lamentations, et d’accéder au pardon du cœur. Sa transformation physique et mentale fut radicale.

Angélique nous témoigne de sa vision du monde pour mieux appréhender la vie, elle nous dit que toute situation aussi dure soit elle, n’arrive pas par hasard. Et qu’elle porte en elle un enseignement personnalisé, une possibilité de s’élever et de se libérer de la souffrance de ce monde. Elle invite l’humanité à réviser leur vision sur la vie, particulièrement dans les situations difficiles qu’ils traversent. Et invite particulièrement les rwandais, à faire le choix de ne pas être prisonnier du passé, de ne pas vivre à travers leurs blessures, de laisser place à l’ouverture vers l’autre, de lâcher prise sur le passé et de vivre pleinement le présent pour construire le futur.

Nous sommes nombreux à estimer difficile, voire impossible, de dépasser les blessures de notre histoire. Cette difficulté réelle ou supposé empêche beaucoup de personnes à faire le pas en vue de se délivrer de ses souffrances. Mais quelle force, quel effort faut-il pour un rescapé du génocide, de dépasser la souffrance, la détresse et le désespoir d’avoir perdu les tiens tant aimé ? Ne dit-on pas que la prison la plus dure à s’échapper est son propre esprit ?

 

TURINIMANA GATSINZI Egide

MUGABOWINDEKWE Robert

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Kmp legitimité ( belgique, France)

Angélique Rutayisire : Ne soyons pas prisonnières de nos blessures, retrouvons la volonté d’atteindre la plénitude de la vie.

Rwanda : c’était le 6 avril 1994…

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article soumis pour publication par Marie Umukunzi 

Il est 20h00, on est le 6 avril 2018. C’est une journée ordinaire pour les Parisiens et le début du week-end après une semaine agitée par les grèves nationales des cheminots en France.

En cet instant et comme des millions de Français,  je dîne avec des proches devant le journal télévisé de la chaîne TF1 et nous commentons l’actualité de la semaine marquée par les négociations tumultueuses entre les syndicats de cheminots et le gouvernement du président Emmanuel Macron. Je réalise que nous sommes le 6 avril 2018. Oui, nous sommes bel et bien le 6 avril. En soi c’est une date ordinaire mais pour les Rwandais, le 6 avril 1994 restera pour tous et sans distinction la date qui a fait basculer leur destin.

D’ailleurs, au moment où j’ai rappelé à tout le monde que nous étions le 6 avril et qu’il était déjà 20h30, heure de diffusion habituelle de notre feuilleton favori « Plus belle la vie » sur la chaîne 3, il y a eu un silence profond suivi d’une discussion sur la journée du 6 avril 1994. Chacun se remémorait où il était et ce qu’il faisait aux environs de 21h ce jour-là, peu après l’attentat contre l’avion présidentiel qui transportait le président Juvénal Habyarimana, de retour à Kigali après les négociations en Tanzanie avec la rébellion du Front patriotique rwandais pour le partage du pouvoir.

En cette soirée du 6 avril 1994, ma mère, alors enceinte de 7 mois de son troisième enfant, vaquait tranquillement à ses occupations dans sa maison de Kacyiru (quartier résidentiel de Kigali), ses deux enfants de 5 et 3 ans dormaient déjà profondément et elle attendait avec impatience le retour de mon père à la maison. Mon père rentra en toute hâte au domicile familial et rejoignit ma mère. Ce soir-là peu après 21h00, mes parents étaient très inquiets surtout qu’ils venaient d’apprendre par la radio qu’un missile avait abattu l’avion présidentiel qui amorçait son atterrissage à l’aéroport de Kanombe.

Une amie de la famille se souvient qu’elle n’avait pas pu dormir cette nuit-là. Elle raconte que cette nuit-là avait été terrible et effrayante. Tout le monde se demandait sans exception s’il pourrait voir le prochain soleil se lever et ce que le jour d’après lui réserverait.

Le 7 avril, mes parents qui s’étaient réfugiés dans leur maison appelaient leurs amis et familles pour prendre des nouvelles et s’informer sur la situation sécuritaire dans le quartier. Ils apprenaient que des massacres avaient commencé aux barrières érigées dans les quartiers à Kigali. Ma mère avait supplié ses jeunes frères de rester cachés chez eux et d’éviter tout déplacement.

Mes proches se souviennent et racontent qu’en ces temps-là, c’était le chaos total et l’incertitude du lendemain qui régnaient. Le 8 avril, des miliciens vinrent à la maison et ma famille a eu la vie sauve ce jour-là en donnant les quelques économies que nous avions. Ma mère se souvient du déferlement de violence dont ces miliciens avaient usé pour fouiller et piller de fond en comble la maison. A partir de ce jour, mes parents surent qu’il fallait coûte que coûte quitter la capitale pour aller se réfugier temporairement dans leur village natal de Kibuye en attendant que la sécurité se rétablisse.

Le 13 avril, mes parents prirent la route avec leurs deux enfants et quelques provisions pour aller chercher refuge à Kibuye. Mes parents qui pensaient revenir à Kigali dans deux ou trois semaines ignoraient que les évènements dont ils étaient témoins malgré eux marquaient le début du génocide qui allait frapper en plein cœur la société rwandaise. Mes parents qui pensaient pouvoir revenir à Kigali en deux ou trois semaines ignoraient à cet instant qu’ils allaient entamer un long exil pour fuir la mort qui rodait.

Ma mère m’apprend que le mari d’une amie de la famille que je connais très bien a été assassiné à une barrière par des miliciens malgré sa carte d’identité mentionnant son ethnie Hutu. Les tueurs pensaient qu’il était Tutsi car c’était un homme qui collait aux stéréotypes physiques imposés par le colon depuis des siècles qui permettaient de différencier le Tutsi et le Hutu.

Cet homme était de très grande taille, et il avait le teint clair et les traits fins. C’était également un homme qui avait des convictions politiques fortes et qui critiquait vigoureusement l’orientation politique de gouvernement du président Habyarimana.

Mes proches racontent que les massacres qui ciblaient initialement les personnes dont la carte d’identité mentionnait l’ethnie Tutsi se sont étendus à tout le monde. Chacun était une cible potentielle. Une personne pouvait être tuée à une barrière si les miliciens estimaient qu’il avait une apparence de Tutsi malgré une carte d’identité le définissant comme Hutu. Une personne pouvait être tuée si elle était considérée comme un opposant politique. La barrière était une loterie et on n’avait pas la certitude de pouvoir y passer sans encombre.

Vingt- quatre ans après, j’écoute à nouveau les récits de mes proches sur cette partie sombre de l’histoire rwandaise. Je me rappelle un passage du livre du père André Sibomana qui disait «  Nous n’avons pas le droit de renoncer à l’espoir. Nous n’avons pas le droit d’abdiquer de notre condition humaine ». En ce jour, je rends hommage à toutes les victimes et je compatis avec les survivants qui ont mené une lutte acharnée pour rester debout et continuer à vivre dans la dignité. Je rends également hommage aux six  millions de victimes congolaises et je garde espoir pour la région des Grands Lacs africains.

Marie Umukunzi

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Rwanda-ETO : récit de la tragédie du 11 avril 1994

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A la suite de l’attentat contre l’avion du Président Habyarimana, plus d’un millier de Rwandais s’étaient réfugiés à l’École technique officielle de Kigali sous la garde de 92 casques bleus belges. Consécutivement au départ des Casques bleus le 11 avril 1994, survenait l’un des épisodes les plus marquants du génocide perpétré contre les Tutsi. En voici en le récit.

L’Ecole technique officielle Don Bosco (ETO) était un établissement scolaire tenu par les Pères Salésiens situé dans le quartier de Kicukiro au sud-est de Kigali. Avant l’attentat perpétré contre l’avion du président Habyarimana le 6 avril 1994, l’ETO était devenu le camp de base de deux pelotons du régiment para-commando belge de la Mission des Nations Unies pour l’assistance au Rwanda (MINUAR), une centaine d’hommes en tout, sous le commandement du lieutenant Luc Lemaire. La mission des militaires cantonnés à Don Bosco était de protéger certaines personnes impliquées dans le processus de transition, et d’assurer des patrouilles en coopération avec la gendarmerie locale.

Le 6 avril au soir, l’avion qui transportait le président rwandais Juvénal Habyarimana et son homologue burundais Cyprien Ntaryamira était abattu par un missile au-dessus de l’aéroport de Kigali. Dès ce moment la peur, la stupeur et l’incertitude s’installaient sur le Rwanda. Le pays venait de perdre sa tête, le chaos s’installait à la place.

Le lendemain matin, le 7 avril, plusieurs hommes politiques catalogués comme étant pro-FPR avaient déjà été assassinés par la garde présidentielle, tandis que les troupes du FPR avait lancé un assaut généralisé dès le 6 au soir, neuf mois après les accords de Paix signés à Arusha en août 1993. En parallèle, des commandos mobiles, infiltrés dans Kigali, s’étaient-elles aussi mises en action en ciblant des personnalités politiques ouvertement opposées au FPR. Avec l’attentat contre l’avion de Habyarimana, la braise avait été allumée, l’incendie était lancé et de toutes parts, les forces en présence contribuèrent soit à renforcer l’incendie, soit elles ne purent rien faire pour l’éteindre.

Rapidement, des groupes de personnes se sentant en danger commencèrent à affluer en direction du cantonnement de l’ETO. Parmi eux beaucoup de Tutsi craignant les exactions et tueries caractérisés qui venaient d’être engagés, mais aussi beaucoup de Hutu, dont plusieurs familles d’hommes politiques. Tous ces déplacés pensaient trouvés la protection des Casques bleus. Le lieutenant Lemaire, qui a livré son témoignage à La Libre Belgique en 2006, explique qu’au départ, le commandement ne voulait pas de ces personnes, « non pour ne pas les aider, mais d’une part parce qu’ils allaient poser des problèmes d’efficacité aux militaires dans la réalisation de leur mission, et d’autre part parce que les accueillir risquait de compromettre la neutralité de la MINUAR », explique Luc Lemaire, commandant des para-commandos belges de l’ETO. « Mais nous étions les hôtes des pères responsables de l’école, qui ont, eux, décidé de laisser rentrer les réfugiés ; nous étions un peu piégés.» explique-t-il.

Aline Kabagema, qui a accepté de témoigner pour Jambonews, est tutsie et rescapée du massacre de l’ETO. Elle nous a raconté son calvaire. « Ma famille et moi-même sommes arrivés à l’ETO le 8 avril dans l’après-midi. Je venais de perdre ma meilleure amie et voisine, ainsi que toute sa famille, tuées par des miliciens. Il était devenu un péché d’être Tutsi. Nous étions certains que si nous restions chez nous, nous serions les prochains. Nous cherchions comment nous rendre à l’ETO. Le plus paradoxal dans tout cela, c’est que c’est un ami de mon mari, gendarme et membre actif du MRND, aujourd’hui condamné pour génocide, qui a pris le risque de nous conduire jusqu’à l’ETO ».

Vénuste Nshimiyimana, hutu, qui était l’attaché de presse de la mission de l’ONU est actuellement journaliste pour la BBC et lui aussi avait trouvé refuge à l’Ecole technique officielle de Kicukiro. Dans un entretien accordé au journal Le Vif en 2014, il raconte : « Quand je suis arrivé à l’ETO le 7 avril 1994, nous n’étions encore qu’une trentaine ». Le 11 avril au matin, on dénombrait plus d’un millier de personnes dans l’enceinte de l’école : Des Tutsi, mais aussi des Hutu qui craignaient le chaos, l’insécurité et la cruauté inhumaine qu’avaient instaurés les Interahamwe et tous les truands du pays qui avaient profité du désordre général pour prendre le contrôle, régner en maître et transformer le pays en zone de non-droit.

Speciose, tutsie, les bras balafrés, se souvient de tout : « le 10 avril, après avoir fui à travers Kigali et marché 8 heures durant en essayant d’échapper aux tueurs, je suis arrivée ici car je savais que les Casques bleus s’y trouvaient et que les premiers détachements du Front patriotique rwandais se trouvaient à Rebero… Rien n’était prévu pour nous accueillir et nous étions plusieurs milliers, les gens arrivaient sans cesse, affolés, demandant de l’aide aux soldats blancs. Nous nous sommes installés tant bien que mal, creusé la terre pour aménager des latrines. La clôture était mince, et derrière les arbres, on voyait les miliciens qui s’agitaient. Mais nous faisions confiance à la Mission de l’ONU au Rwanda…» Speciose, qui a témoigné pour le journal Le Soir en 2014, a survécu en se cachant en dessous de cadavres.

Le dernier contingent belge est parti de l’ETO en fin de matinée. La suite fut un déferlement d’horreur. Peu après le départ de celui-ci, le mot est passé au sein des miliciens de la capitale que l’ETO n’était plus sous protection militaire. Des Interahamwe ont alors accouru en ordre dispersé d’un peu partout vers Kicukiro.

Aline nous raconte : « Certains déplacés qui se trouvaient au sein de l’ETO ont pu se sauver en fuyant avant que le gros des Interahamwe ne débarque, d’autres ont choisi de rester en pensant que les gendarmes allaient venir à temps pour assurer la protection de l’ETO, c’est ce que les belges nous avaient dit en partant. Ce fut notre cas. Nous avons dans un premier temps choisis de nous cacher à l’intérieur de l’ETO. ». Mais la majeure partie des personnes qui se trouvaient dans le site de l’ETO n’a jamais été secourue.

Pourtant, un vent d’espoir a dans un premier temps parcouru la foule nous précise Aline : « on disait que les Inkontayi qui se trouvaient dans une autre école non loin allaient venir nous sauver, des rumeurs disaient également qu’une riposte se préparait chez un voisin adjacent à l’ETO et qu’il aurait des armes pour contrecarrer les Interahamwe, d’autres rapportaient qu’il y aurait une cache d’armes des Inkontanyi non loin de là et qu’on pourrait les utiliser ».

Aline nous raconte également le sort de ceux qui ont choisis de quitter l’ETO : «Ils ont emprunté des chemins différents. Un grand groupe a pris la direction de « Sonatubes », un chemin qui devait les mener près du CND où était stationné un bataillon du FPR, mais c’était la mauvaise décision parce qu’ils se sont retrouvés dans une embuscade des Interahamwe. Ils devaient, je pense, être plusieurs centaines. Très peu ont survécuCeux qui sont restés dans le camp ont d’abord essuyé des rafales de tirs à l’aveugle. Beaucoup ont péri. Certains ont réussi à s’enfuir dans le chaos. Ce fut mon cas.»

Une partie des personnes qui s’étaient retrouvé à la Sonatubes, l’usine de matériaux de construction de Kicukiro, ont été conduit vers le Mont Nyanza. Ernestine Gasibirege, tutsie, mère de trois enfants et âgée de 39 ans, a livré son temoignage en février 2000 : « Ceux qui avaient des fusils et des grenades ont pris position sur le talus tandis que ceux qui étaient armés de machettes et de gourdins prenaient position en-dessous. Ensemble, ils formaient une ceinture autour de nous. Quelques minutes plus tard, le “travail” a commencé. Ils ont commencé à tirer sur nous et les grenades ne cessaient de pleuvoir. Après avoir épuisé les grenades et les balles, les tueurs ont employé́ les armes blanches pour achever ceux qui n’étaient pas complètement morts. Ils les dépeçaient à la machette, les achevaient au gourdin, à la lance ou avec d’autres armes traditionnelles. Ils ont continué́ jusque tard dans la nuit. »

Boniface Ngulinzira, hutu, Ministre des Affaires étrangères sous Habyarimana et qui avait participé à la négociation des accords d’Arusha s’était également réfugié à l’ETO. Florida Mukeshimana-Ngulinzira, sa veuve, dans une audition au sénat belge datant de février 1997, explique comment son mari s’est retrouvé à l’ETO : « Les Casques bleus belges nous ont appris que le ministre du Travail et des Affaires sociales avait été assassiné. Les massacres avaient commencé. Les Casques bleus nous ont alors évacués, cachés dans des camions, vers un endroit plus sûr qui s’est avéré être l’ETO ».

Boniface Ngulinzira fut assassiné le 11 avril 1994 par des miliciens. Il avait plusieurs fois demandé à être embarqué dans un convoi quittant l’école mais les militaires belges n’ont jamais accédé à sa demande. Florida Mukeshimana-Ngulinzira et d’autres familles de victimes ont depuis introduit une plainte contre l’Etat belge pour crimes de guerre par omission d’agir.

Contrairement au ministre Ngulinzira, Paul Secyugu, hutu et député de l’opposition, avait reçu l’autorisation d’embarquer dans un convoi, mais il avait catégoriquement décliné l’offre, estimant que sa place se trouvait au milieu de ceux qu’il devait représenter au parlement. Il fit évacuer ses 2 fils, mais il paya de sa vie sa décision de rester avec les autres.

Le peuple Rwandais a connu plusieurs tragédies depuis octobre 1990. Le massacre de l’ETO est l’un des drames les plus marquants du génocide perpétré contre les Tutsi au Rwanda en 1994. Aujourd’hui, la vérité judiciaire sur le massacre de l’ETO se fait elle aussi attendre. Qui est donc responsable de cette tragédie ? Le Colonel Luc Marchal a affirmé lors des auditions du procès contre l’Etat belge : « quand tout autour de vous s’écroule, qu’on ne peut remplir ses obligations, quand les casques bleus ghanéens quittent le Rwanda sous pression du FPR, vous avez le choix entre la peste et le choléra ». Venuste Nshimiyimana assure que : « Le lieutenant Lemaire aurait bien voulu assurer notre protection mais l’état-major belge à Evere l’en a empêché. Le colonel Luc Marchal, qui commandait le secteur Kigali de la MINUAR, voulait également maintenir ses hommes à Kicukiro, mais il n’a pas non plus été suivi par sa hiérarchie. » Mme Mukeshimana-Ngulinzira se pose elle aussi la question : « Depuis le 11 avril 1994, date de l’assassinat de mon mari, je me pose des questions. A-t-il été assassiné parce que les Casques bleus belges ont refusé de l’évacuer alors qu’il était menacé ? Pourquoi avoir abandonné tous ceux qui avaient reçu des menaces ? La Belgique respecte les droits de l’homme et est historiquement liée au Rwanda. Pourquoi donc a-t-elle laissé le peuple rwandais alors même que celui-ci avait besoin de la Belgique ? Son attitude allait influencer la Communauté internationale. La Belgique souhaitait le retour du multipartisme et de la paix au Rwanda. Elle souhaitait que les accords d’Arusha soient mis en application. Pourquoi avoir laissé massacrer ceux qui voulaient la paix ? »

Emmanuel Hakuzwimana

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Rwanda : « Construisons une nouvelle histoire »

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Ce mercredi 11 avril 2018, Jambonews a rencontré Josiane Mukakalisa, rescapée du génocide perpétré contre les Tutsis qui nous a partagé son témoignage sur son vécu et celui de sa famille durant le génocide.

Josiane Mukakalisa

Josiane Mukakalisa

Josiane est née en 1976, à Butare, dans une famille de 10 enfants avant de déménager à Kigali (Nyakabanda) à l’âge de 12 ans, en compagnie de trois de ses frères et sœurs et de son père, sa mère et 6 de ses autres frères et sœurs restant à Butare. En 1994, au moment du génocide, elle était mineure, alors âgée de 17 ans.

Interrogée sur le vivre-ensemble entre les Hutus et les Tutsis, à l’époque, elle nous raconte « je ne voyais rien de particulier, rien qui disait que tel était hutu, tel était tutsi, les gens se côtoyaient, se mariaient, devenaient parrains des enfants des uns et autres, une vie normale, les gens vivaient bien ensemble ».

Le 1er octobre 1990, lorsque la guerre commence, Josiane nous raconte ne pas avoir vu de changements particuliers « ceux qui allaient dans les bars continuaient à y aller, la seule chose dans ces années c’est l’apparition de groupes d’interahamwe dans les rues, mais dans mes souvenirs je ne les ai jamais vu faire de mal à qui que ce soit. »

Le 6 avril 1994 lorsque l’avion du Président Habyarimana est abattu, Josiane était chez elle. Elle se souvient «  on était mercredi aux alentours de 21h, on a entendu à la radio que l’avion de Habyarimana avait été abattu ». C’est un voisin qui leur a annoncé la nouvelle. Elle n’était pas particulièrement inquiète, mais du côté de son père, l’inquiétude était toute autre, ce dernier disant à la famille « turashize» (« nous allons tous être tués »).

Ce soir-là, ils sont restés chez eux, « tout le monde a passé la nuit éveillé, à se poser des questions, en cherchant à avoir plus de nouvelles en étant accroché à la radio. »

Les souvenirs de la matinée du 7 avril sont encore frais dans sa tête « des gendarmes sont venus dans notre maison à la recherche d’infiltrés du FPR (ibyitso), d’armes, et ils sont repartis, ils n’ont rien fait, ils n’ont demandé à personne sa carte d’identité. »

Ce jour-là, la consigne était que les gens devaient rester chez eux. Elle nous explique que plus tard dans la journée, un groupe d’Interahamwe, est arrivé dans leur maison « ils sont venus chercher de l’argent, des biens comme des montres, qu’ils ont emporté avant de partir. »

Quelques jours plus tard un autre groupe d’Interahamwe, armé de grenades, de fusils, de gourdins, dirigé par un homme nommé Grégoire, qui s’était improvisé conseiller du secteur Nyakabanga, est arrivé. « Ils nous ont sortis de la parcelle, ils ont mis les tutsis à part, ils nous ont demandé de choisir, la façon dont on voulait mourir, soit par grenade, soit par balles, ou d’une autre façon », relate-t-elle.

« Des Hutus du quartier empêchaient ces groupes d’Interahamwe de tuer »

Ce jour-là, sa famille et les autres avec qui ils étaient ont eu la vie sauve grâce au fait que dans leur groupe se trouvait une femme médecin et Grégoire a empêché les Interahamwe de tuer en disant « ce médecin a soigné tout le monde ici, ne tuons pas ces personnes » c’est comme ça qu’ils ont eu la vie sauve.

A la question de savoir comment ils parvenaient à différentier les Hutus et les Tutsis, elle nous explique qu’«ils regardaient les cartes d’identité, les cartes d’identité étaient des papiers comprenant les mentions ethniques Hutu, Tutsi, Twa, lorsque tu étais Tutsi, les mentions Twa et Hutu étaient barrées et ton ethnie restait sans être barrée ».

Elle se rappelle d’une astuce qu’ils ont utilisé durant le génocide pour augmenter leurs chances de survie, lorsqu’un de leurs voisins Hutu, dont elle dit qu’elle ne sait pas « s’il était envoyé par le seigneur », ami à sa grande sœur, est arrivé seul et leur a dit «je connais quelqu’un qui peut faire quelque chose pour vous, qui peut effacer les mentions ethniques de votre carte d’identité. »

Au début, ils étaient dubitatifs face à la proposition étant donné que les cartes d’identité étaient recouvertes d’un film plastique. Leur père s’est tout de même décidé à essayer car il considérait qu’ils n’avaient rien à perdre. C’est ainsi qu’à l’aide d’une lame de rasoir, ils ont pu semer la confusion sur la mention ethnique figurant sur leurs cartes d’identité.

Jambonews a rencontré Josiane Mukakalisa

Ruhumuza, un des rédacteurs de Jambonews, a rencontré Josiane Mukakalisa, rescapé du génocide contre les Tutsi

Dans les jours et les semaines qui ont suivi, le même scénario s’est souvent répété. Des groupes d’interahamwe revenaient régulièrement dans le quartier et à chaque fois, « des Hutus du quartier empêchaient ces groupes d’Interahamwe de tuer ». Parfois, ajoute-t-elle, parmi les groupes d’Interahamwe « ceux qui semblaient les plus zélés à tuer étaient des enfants qui je dirais ne semblaient même pas savoir ce qu’ils faisaient et il y avait toujours quelqu’un qui disait « laissez ces gens, laissez ces gens, et c’est ainsi qu’on a à chaque fois survécu ».

Lorsque nous lui demandons, pourquoi ils n’ont pas fui malgré la menace qui se rapprochait, elle nous questionne : « Où est ce qu’on aurait pu fuir ?Tu n’avais nulle part où fuir, rien que nos cartes d’identité ? Tu ne pouvais pas faire 500 mètres sans rencontrer une barrière, sur laquelle ils demandaient les cartes d’identité, si tu avais la carte d’identité tutsie, tu ne passais pas, à moins d’être tiré de là par les Inkotanyi, tu n’avais nulle part où aller. »

« Durant la guerre, nous n’avions pas de larmes pour pleurer »

C’est durant cette période qu’ils ont eu des nouvelles du reste de leur famille qui était restée à Butare. Dans cette commune, nous raconte-t-elle « il a fallu du temps avant que les tueries commencent, environ au mois de mai, après l’arrivée du nouveau Président Sindikubwabo.»

L’information qu’ils ont reçue est qu’en date du 13 mai,  les personnes de leur voisinage « ont été emmené en file conduits comme du bétail, ils ont tous été emmené dans un endroit, avant d’être tués et jetés dans des fausses communes, personne n’a survécu. » Dans le groupe de personnes tuées ce jour-là, se trouvaient sa mère et six de ses frères et sœurs.

Lorsqu’ils ont appris la mort de leur mère et de leurs frères et sœurs, ils sont restés impassibles : « A ce moment de la guerre, personne ne pleurait, on a pleuré à la fin de la guerre, c’est là qu’on a pu pleurer, durant la guerre nous n’avions pas de larmes pour pleurer. »

Sur la question de savoir s’ils ont eu l’occasion d’enterrer leurs proches, elle nous raconte « on a jamais voulu les retirer de la fosse commune, les déterrer, retourner dans les os, mais on a construit une tombe en leur mémoire. »

Après la guerre, dit-elle ils ont appris que ceux qui avaient tué leur famille ont voulu venir les tuer également pour achever la famille « la chance que nous avons eu est que les Inkontanyi avaient pris Nyanza assez tôt, et ils n’avaient nulle part où passer pour revenir »

Durant toute cette période, ils sont restés à Kigali et à chaque fois qu’ils étaient menacés, ce sont des voisins qui les sauvaient qui disaient aux groupes des Interahamwe de les laisser, c’est ainsi qu’ils ont survécu jusqu’à la fin de la guerre.

« Je lui ai pardonné »

« A la fin de la guerre » ajoute-t-elle, « nous sommes allés sur les collines ramasser les os de ceux qui étaient morts », un cultivateur qui travaillait chez eux leur a alors dit « qu’on l’avait ordonné de tuer ma mère et qu’il l’avait fait et nous a demandé pardon. Je ne sais pas s’il l’a fait sous la contrainte ou de lui-même. » L’homme fut emprisonné dans le cadre des Gacaca avant d’être libéré.

Lorsqu’elle pense à lui, continue-t-elle, elle se demande comment cela a pu arriver « c’était un cultivateur, qui ne savait pas ce que c’était que de tuer, c’est quelque chose d’inexplicable qui est arrivé, je lui ai pardonné, pour moi, sa culpabilité le fait encore plus souffrir que moi, la seule chose c’est qu’il me faisait peur et je ne lui ai jamais souhaité de mourir, ni à lui ni à sa femme. »

Depuis, elle est rarement retournée dans son quartier de Butare : « j’avais peur, je me disais, que peut-être quelqu’un peut me tendre une embuscade, quelqu’un peut m’y tuer. »

« Quoi qu’il arrive je dois continuer à vivre »

Au sujet de ce qu’il lui donne la force de continuer, de croire en l’avenir, elle nous explique : « Nous avons perdu beaucoup de gens, perdre sept personnes de sa famille, des frères et sœurs et sa mère, c’est quelque chose de très lourd, pleurer ou souffrir ne s’arrêtera qu’à notre mort, mais entre temps la vie doit continuer, quoi qu’il arrive, je dois continuer à vivre »

« Je pense beaucoup à ceux qui ont tué, je me mets à leur place et me demande à quel point ils doivent être rongés par la culpabilité, je pense à ces enfants dont les parents sont emprisonnés en tant qu’Interahamwe, ce n’est pas sur cette souffrance que je veux construire, car cela ne m’apporterait rien, celui qui a tué, n’était pas lui-même, il était devenu comme un animal »

Et Josiane continue « tu ne peux pas pleurer continuellement, ceux qui sont morts sont morts, on ne peut pas les oublier, nous devons penser à eux en permanence mais la vie doit continuer, la vie doit reprendre son cours.»

« Si tu penses en permanence, ma mère est morte, mes frères et sœurs sont morts, tu peux même te demander : est-ce que je peux avoir des enfants, et si jamais eux aussi mourraient ? Et je trouve que ce sont des pensées qui peuvent nous détruire le cerveau, nous empêcher d’avoir une vie normale […] je pense qu’on ne doit pas se laisser enfermer dans notre douleur. »

Pour conclure, elle adresse un message aux Rwandais, en particulier aux rescapés en cette période de commémoration : « Nous devons soulager nos cœurs. Si quelqu’un a des remords pour avoir menti et accusé quelqu’un à tort, il doit lui demander pardon car c’est comme le tuer aussi alors qu’il ne t’a rien fait et si tu as pardonné à quelqu’un qui t’a fait du tort, que ton pardon vienne du cœur

« N’embarquons pas nos enfants dans ces histoires »

Elle adresse ensuite un message aux parents : « n’embarquons pas nos enfants dans ce qu’il s’est passé, pour ne pas que ça se reproduise car si nous embarquons nos enfants là-dedans, alors que c’est eux le Rwanda de demain, ces histoires ne finiront jamais au Rwanda.  Si on dit à nos enfants que tel groupe de personnes a tué tel groupe de personnes, les enfants continueront à leur tour à le répéter » avant d’ajouter « construisons une nouvelle histoire pour que ce qu’il s’est passé ne se reproduise plus. ».

Elle conclue en affichant son soutien à ceux qui ont perdu les leurs et en invitant les parents à parler à leurs enfants, mais en leur disant la vérité, sans leur mentir car « si nous mentons, nous détruisons les cerveaux de notre jeunesse, […] ne donnons pas un mauvais exemple à nos jeunes sinon notre pays ne pourra jamais laisser ces pages sombres de notre histoire derrière lui. »

 

Ruhumuza Mbonyumutwa

Jambonews.net

Rwanda: Hommage aux victimes des crimes de guerre

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Dès ce terrible lundi 1er octobre 1990,  date de l’invasion du Rwanda, dès ce premier jour de guerre, tuer est devenu possible, puis normal, puis banal. Et finalement, l’on aurait cru que tuer était devenu plaisir, voire fierté ! Les victimes, elles, sont au mieux ignorées, sinon stigmatisées ou, pire, les survivants sont traqués. Et pourtant…

Ce n’étaient que des gosses, de jeunes filles et jeunes garçons en âge terrible pour tout parent, l’adolescence. Trop jeunes pour porter une arme, trop jeunes pour voir les violences d’une bataille, les atrocités d’une guerre. Ces mineurs qui furent enrôlés militairement dès l’âge de 12 ans ont vu et vécu l’indescriptible enfer d’une guerre entre les leurs. Beaucoup y ont laissé leur vie.

Enfants soldats : dès 1990, des enfants sont enrôlés. En avril 1994 une nouvelle vague vise les adolescents

C’étaient de vaillants soldats qui ont accepté de mettre leur vie au service de la protection de leur nation pour les uns, ou de sa libération pour d’autres. Ils sont tombés aux mains de ceux qu’ils combattaient, les ont désarmés, faits prisonniers puis exécutés froidement.

Exécutions de prisonniers de guerre : la guerre 1990-1994 a fait très peu de prisonniers, la majorité fut exécutée

C’étaient de jeunes soldats prometteurs, qui croyaient se battre pour la liberté. Mais eux n’y avaient pas droit car leurs idéaux étaient une menace pour leurs propres supérieurs. Ils furent éliminés par leurs propres commandants, parfois directement sur le champ de bataille.

Exécutions de soldats indésirables : beaucoup de soldats ont été exécutés par leur propre camp, parce qu’ils ne plaisaient pas à leurs supérieurs

C’étaient des civils nés au mauvais endroit ou qui se sont trouvés au mauvais endroit au mauvais moment. Leur mort pouvait servir les intérêts militaires et médiatiques. Ils ont été massacrés lâchement.

C’étaient des voyageurs dans les bus, des amis dans des bistros, des agriculteurs dans leurs champs ou derrières leurs vaches. Ils ont marché sur une mine, leur bus piégé a explosé, le bistro soufflé par des bombes dissimulées sous les tables ou les sièges, dans des sacs ou dans du papier journal.

C’étaient des enfants à l’école, ils bavardaient, jouaient, causaient, riaient, souriaient, se chamaillaient. Ils étaient simplement des enfants, comme votre fille, votre fils, votre neveu ou nièce, votre petit frère ou petite sœur. Juste des enfants. Une bombe à retardement posée et minutée pour un maximum de destruction les a réduits au silence à jamais.

Attentats : dès 1991 des attaques à la grenade des bombes à retardement et des mines antipersonnel sont utilisées ça-et-là pour terroriser la population, semer la panique et le désordre. Le pire fut l’explosion d’une bombe à retardement dans une école où 45 enfants furent tués et plusieurs autres blessés. Plus de 60 attentats furent recensés entre le 1er octobre 1990 et 6 avril 1994.

Tous ces Rwandais, hutu, tutsi et twa ont payé de leur vie le prix d’une guerre sans merci. Ceux qui ont survécu portent ce lourd fardeau d’être victimes sans l’être, des victimes sans justice, des victimes que personne ne reconnait. Des victimes que personne ne console, dont personne ne se préoccupe et que l’on ne pense jamais à commémorer.

 

Jean-François Singiza

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Rwanda : Pour un digne hommage aux victimes et aux rescapés des crimes de guerre

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Chaque année, le mois d’avril est marqué par des activités d’hommage à la mémoire des victimes qui ont endeuillé le Rwanda et la région des Grands Lacs depuis le 1er octobre 1990.

En effet, depuis cette date, les belligérants, soldats, milices et autres groupes armés, se sont livrés aux violences d’une rare cruauté, visant le plus souvent des populations civiles sans défense.

L’attention du public est généralement focalisée sur les victimes de génocide et crimes contre l’humanité, qui sont les violations du droit international humanitaire les plus graves. Dans l’ombre du souvenir des victimes de ces crimes, les victimes des crimes de guerre sont souvent oubliées.  Le présent article a pour objectif de décortiquer quels crimes de guerre ont été commis durant cette période et si dans ces conditions une réconciliation est possible au Rwanda.

Qu’entend-on par crimes de guerre ?

Les infractions regroupées sou le nom de crimes de guerre sont nombreuses. Elles sont consignées dans les Conventions de Genève de 1949, complétées en 1977. Leur mise à jour la plus récente a été faite avec la mise sur pied de la Cour pénale internationale (CPI) en 1998.

Les crimes de guerre regroupent un ensemble de délits et d’atrocités commis pendant un conflit armé, interne ou international, principalement sur des populations civiles. Ils regroupent entre autres : le meurtre, la torture ou autres traitements cruels ou inhumains (y compris la mutilation), la prise d’otages ou leur exécution, le fait de tuer ou de blesser par traîtrise un adversaire ; les attaques visant délibérément des civils ; la soumission à des travaux forcés des populations civiles dans les territoires occupés ou leur déportation ; les attaques visant délibérément des bâtiments dédiés à la religion, à l’éducation, à l’art, à la science ou à des fins caritatives, des monuments historiques ou des hôpitaux ; le pillage des biens publics ou privés ; le viol et autres violences sexuelles ; l’enrôlement d’enfants âgés de moins de 15 ans dans les forces ou les groupes armés ; la destruction, sans motif, des villes et des villages ou la dévastation que ne justifie pas la nécessité militaire, etc.

Cette liste n’est pas exhaustive. Pour avoir une idée de l’étendue des actes considérés comme des crimes de guerre, le code pénal belge recense 48 infractions de cette catégorie.

Crimes de guerre au Rwanda

Les crimes de guerre qui seront relevés dans cette rubrique sont ceux qui ont été commis par les combattants du Front Patriotique Rwandais, les actes dont se sont rendues coupables les Forces Armées Rwandaises et les milices Interahamwe ayant été qualifiés de génocide et jugés par le Tribunal Pénal International pour le Rwanda (TPIR).

D’emblée, il faut souligner que la perpétration des crimes de guerre fut une constante tout au long de la guerre déclenchée par le FPR-Inkotanyi depuis le 1er octobre 1990 à partir de l’Ouganda. Sans être exhaustif, nous donnons ci-après quelques exemples pour montrer l’ampleur de ces crimes.

Le modus operandi du FPR était bien rôdé : quand ses combattants s’emparaient d’une région, ils regroupaient tous les civils en un seul endroit, pendant plusieurs semaines. Ils sélectionnaient quelques personnes du camp et les exécutaient. Ou alors, de pauvres paysans étaient enfermés dans des huttes qui étaient ensuite brûlées. Les rapports d’Amnesty International et d’autres spécialistes de la région sont très éloquents à ce sujet sup>1. La région de Byumba, qui fait frontière avec l’Ouganda, base arrière des combattants, fut la plus touchée. La journaliste Catherine Watson, qui avait visité la région en 1992, fut frappée, à son retour quelques mois après, par le silence qui planait sur la région pourtant antérieurement densément peuplée. Le calme qui y régnait sur les collines donnait le frisson car elles étaient étrangement vides de vies humaines (eerly empty of life). La journaliste, citée par Mohamed Mamdani, un Professeur à l’université de Makerere et de Columbia sup>2, n’avait alors trouvé que 2600 civils groupés dans deux villages sur une population évaluée alors à 800.000 âmes avant la guerre.

Selon toujours Mamdani, le FPR a forcé des centaines, voire des milliers de Rwandais vers l’Ouganda (« forcibly moved hundreds, perhaps thousands, of people from Rwanda to Uganda in order to create free-fire zones ») ; il a pillé leurs propriétés (« pillaged and destroyed their properties »). Il a également recruté des hommes et de jeunes gens contre leur gré pour servir dans ses rangs comme porteurs ou gardiens de bétail (« recruited boys and men against their will to serve the RPF as porters and cattle herders »). Cela commença en octobre 1990 jusqu’à l’offensive de février 1993.

Lors de ses offensives, les militaires du FPR s’en sont pris aux objectifs civils comme des hôpitaux. Selon HRW : « Le 1er décembre 1991, ils ont attaqué un camp abritant 6.000 personnes déplacés à Rwibare. Ils prirent le camp d’assaut à partir de trois zones au bon milieu de la nuit, tuant 19 personnes et en blessant 34 autres. Une semaine plus tard, le FPR attaqua le petit hôpital de Nyarurema pour la troisième fois depuis le début de la guerre, tuant 6 infirmiers et patients. D’autres objectifs civils comprenaient des écoles, des marchés et des maisons.3

Nyacyonga. Camp de personnes déplacées. En une semaine, environ 30’000 personnes fuyant les combats, trouvent refuge dans et aux alentours du camp.
Nyacyonga. Internaly displaced persons camp. In a week, about 30’000 personnes fleeing fights, find refuge in or around the camp.
La famine menace environ un million de personnes déplacées, il faut au minimum 13’000 tonnes de vivres par mois pour les nourrir. Leur santé est gravement menacée par des conditions de vie très précaires (manque d’hygiène, promiscuité, sous-alimentation…)

Ces attaques du FPR créèrent un désastre sociétale. Le camp de déplacés de Nyacyonga en est le principal exemple. Situé à une quinzaine de kilomètres de la capitale Kigali, le camp de Nyacyonga abrite dès 1991 plusieurs dizaines de milliers de réfugiés, quasiment exclusivement hutu, ayant fui l’avancée du FPR lors des attaques menées au nord du pays, au début de la guerre civile. En 1993, on estime que plus d’un million de personnes avait fui le nord du Rwanda, soit 15% de la population rwandaise à l’époque, selon les estimations du CICR.

L’on ne peut ignorer également le massacre de neuf ecclésiastiques de la paroisse de Rwesero assassinés à Karushya le 23 avril 1994 et de 13 autres massacrés à Gakurazo (Kabgayi) le 5 juin 1994.

Le FPR, dans ces forfaits, avait engagés des enfants soldats, les fameux kadogo, qui étaient des fois mis à contribution dans ces sales besognes.

Après la conquête de la capitale Kigali en juillet 1994, la population trouvée sur place fut regroupée dans des camps dans divers quartiers comme Nyamirambo, Kabuga, Kicukiro,… et qui furent de véritables abattoirs. Au Collège St André (Nyamirambo), 12.000 victimes furent recenséessup>5. D’autres camps furent des boucheries humaines comme à Ruhango (Gitarama), au Bugesera (Kigali), au stade de football de Byumba,…

A partir de 1996, le FPR a officialisé ces camps. Il les a présentés pudiquement sous le terme de « hameaux stratégiques ». La population de ces camps n’avait pas la possibilité d’aller cultiver ses champs, sauf accompagnée de militaires et cela pour quelques heures pour finalement être obligée à détruire ses maisons, même si elles étaient en matériaux durables. Les camps arrangeaient le FPR dans ses visées criminelles car il lui était facile d’opérer des tris des personnes influentes ou simplement valides, qu’il faisait disparaître. Ces crimes sont largement documentés sup>6.

A partir de 1997 jusqu’en 2000, le FPR a fait face à une flambée de raids transfrontaliers en provenance de la RDC menés par les derniers éléments de l’ancienne armée nationale s’identifiant sous le nom d’ « Abacengezi », c’est-à-dire « spécialistes en incursions ». A chacune de leurs attaques, la réaction de l’APR était d’orchestrer une répression militaire impitoyable sur les populations civiles, surtout dans les préfectures de Ruhengeri et de Gisenyi dans le nord-ouest du pays, comme seul moyen de briser l’insurrection fortement alimentée par beaucoup d’éléments originaires de ces régions.  Un rapport d ’ une ambassade à Kigali estime qu’environ 50.000 personnes ont été tuées entre septembre 1997 et avril 1998, la plupart aux mains d e l’APR; des communes entières sont vidées de leur population; plus de 100.000 personnes sont déplacées7

De 1990 à aujourd’hui, le Rwanda a été meurtri par des crimes de toutes sortes, des crimes de guerre  jusqu’au génocide en passant par des crimes contre l’humanité. Les cœurs de centaines de milliers de Rwandais sont brisés car les victimes viennent de tous bords. La solution serait de privilégier une politique visant à éradiquer l’impunité. Ceci suppose une justice juste, indépendante et impartiale. Les gacaca ont omis de juger toutes les parties en conflit, le TPIR a fait de même. A ce sujet Florence Hartmann, porte-parole du TPIR est très critique envers le TPIR, son ancien employeur : pour elle, « la force armée, celle du FPR […] a commis des crimes de guerre qui ne relèvent peut-être pas d’une politique systématique qui serait du crime contre l’humanité, mais qui sont toutefois des crimes du droit pénal international. Ils n’ont pas été jugés. Carla Del Ponte, qui a été procureure générale du TPIR avait entamé ces enquêtes et a été évincée du TPIR pour l’empêcher de rendre des mandats d’arrêt pour crimes de guerre contre certains hauts responsables du FPR »8. Aucun doute, la justice du vainqueur a laissé des rancœurs, obstacle à la réconciliation nationale.

Dans une conférence donnée à Tournai le 14/04/2018 sur ce thème de réconciliation, le journaliste Peter Verlinden9 est d’avis que les conditions sine qua non pour une réconciliation véritable sont la vérité sur ce qui s’est passé au Rwanda et l’instauration d’un Etat démocratique. Mais il constate que le mensonge règne en maître au Rwanda jusqu’au plus haut niveau de l’Etat et que la dictature est un mode de gouvernement dans ce pays. Personne n’ose dire ce qu’il pense sous peine d’aller en prison ou d’être tué ou de disparaître. Quant au discours politique, il est d’une simplicité et d’une dualité criantes. Les Tutsi sont considérés globalement comme des victimes et les Hutu sont considérés globalement comme des « génocidaires ». Cette équation plombe tout débat sur la question, pourtant vitale, pour le vivre ensemble entre les Rwandais.

Gaspard Musabyimana

www.jambonews.net


1 Voir par exemple :
  • Amnesty International, L’Armée Patriotique Rwandaise responsable d’homicides et d’enlèvements (avril-août 1994).
  • Serge Desouter et Filip Reyntjens,  Les violations des Droits de l'homme par le FPR/APR. Plaidoyer pour une enquête approfondie, Anvers 1995.
2 Mohamed Mamdani, Mamdani, When victims become killers. Colonialism, Nativism, and the Genocide in Rwanda, Princeton-New Jersey, Princeton University Press, 2000, pp.187-188.
3 HRW, HRW, Qui a armé le Rwanda ?, Bruxelles, GRIP, 1994, p. 44.
Rémi Korman, « Les archives de la Croix Rouge Internationale et le Rwanda », sur https://rwanda.hypotheses.org/960 [consulté le 19 avril 2016]
Journal Libération du 25/07/1994.
6  Voir par exemple :
Amnesty International,
  • 1996, Rwanda. Alarming resurgence of killings, 12 august 1996.
  • 1997, Rwanda. Rompre le silence, AFR 47/32/97, septembre 1997.
  • 1998, Rwanda. A l’abri des regards, les disparitions continuent, AFR/47/98, le 23/6/1998.
7Filip Reyntjens, Evolution politique au rwanda et au burundi, 1998-1999, , in Maryse s. and REYNTJENS F., L'Afrique des Grands Lacs. Annuaire 1998-1999, Paris, L'Harmattan, 1990, p. 12.
8Laura Martel, Rwanda: « Certains crimes de guerre sont demeurés impunis au TPIR », interview avec Florence Hartmann, porte-parole du TPIR de 2000 à 2003, Libération du 31 décembre 2015.
9 https://www.youtube.com/watch?v=NcfbhXk3rZI&t=33s

 

Kibeho 1995 : un massacre aux oubliettes de l’histoire rwandaise

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Article rédigé le 22 avril 2015, ré-édité le 22 avril 2018

22 avril 1995, le jour se lève sur Kibeho, c’est le moment que choisit l’Armée Patriotique Rwandaise pour réaliser, dans le camp de réfugiés de Kibeho qui abrite à l’époque plus 100000 déplacés internes, l’un des plus gros massacres de l’histoire de la tragédie rwandaise. Un carnage qui fera près 8000 victimes, 20 ans après, retour sur l’un des épisodes les plus tragiques de l’histoire rwandaise.

©Paul Lowe/Panos Pictures Kibeho Camp RWANDA 22/4/1995 Survivors from the shootings and subsequent maccacre look on at a pile of bodies. Over 4000 Hutus were killed during an operation by the Tutsi Rwandan army to clear the Kibeho refugee camp. The tragKibeho petite localité du sud du Rwanda se situant près de la ville de Gikongoro est paradoxalement et certainement la ville rwandaise la plus connue mondialement derrière Kigali. En effet, elle est connue pour être le seul lieu d’apparition mariale sur le continent africain. Chaque année donc des milliers de pèlerins catholiques affluent dans ce petit village sur le chemin de la Vierge Marie ignorant pour beaucoup le pan noir de l’histoire de cette petite bourgade.

Reconnu comme un lieu saint, Kibeho, a été le lieu de refuge naturel pour cette population rwandaise à l’immense majorité catholique et pratiquante. Déjà en avril 1994, un grand nombre de Tutsi y avaient péri en tentant de fuir les exactions des milices interahamwes. Un an plus tard, Kibeho deviendra le théâtre du massacre des déplacés Hutu craignant de rentrer sur leurs collines nouvellement conquises par le FPR/APR.

La genèse du massacre

kibeho

Le Sanctuaire Notre-Dame de Kibeho est un lieu de pèlerinage les plus prisé du continent africain

Un an après les terribles évènements d’avril 1994, le Rwanda est un pays meurtri. Le Rwanda a connu près d’un million de victimes, le pays s’est vidé de plus deux millions de ses habitants qui ont fui l’avancée du FPR et on dénombre plusieurs milliers de déplacés à l’intérieur de celui-ci. L’une des premières revendications du pouvoir en place est de demander la fermeture des camps de déplacés tenus par le HCR pour la fin de l’année 1994. Les rebelles nouvellement au pouvoir n’ont même pas attendu la fin de leur ultimatum puisque les 10 et 11 novembre 1994, selon un communiqué diffusé par la MINUAR, des soldats de l’APR ouvrirent le feu dans le camp de Musange, au nord de Gikongoro, faisant des morts et des blessés. Bis répitita les 6 et 7 janvier 1995, dans le petit camp de Busanze (4000 déplacés) où l’assaut de l’APR fut lourd de conséquences.

Malgré la campagne menée par les autorités pour pousser les déplacés à rejoindre volontairement leur commune les populations déplacées refusent pour la plupart d’obtempérer. Le Rwanda post-génocide était une zone de non-droit dans laquelle des personnes étaient emprisonnées ou tuées sur une base quotidienne. Les paysans qui auraient bien entendu préféré rentrer chez eux privilégiaient leur sécurité au confort de leur colline.

En avril 1995, plusieurs camps avaient été démantelés, les uns par la force, d’autres plus pacifiquement. Néanmoins, la grande majorité des déplacés n’osaient pas retourner chez eux. En effet, beaucoup d’entre eux s’en sont allés grossir le camp de Kibeho qui finit par compter entre 100000 et 150000 déplacés. La situation sanitaire était sous le contrôle d’une équipe de MSF, un médecin, deux infirmières, et un logisticien, aidé par un personnel rwandais, le CICR gérait la distribution des vivres, des soldats de la MINUAR étaient présents. En dépit du calme, les déplacés redoutaient une intervention violente de l’APR, crainte partagée par les observateurs des Nations unies ayant compris que les autorités rwandaises avaient irrévocablement décidé la fermeture de tous les camps restants.

Le gouvernement de Kigali ayant fait savoir que ce camp était un véritable arsenal d’armes, une force combinée de 2000 militaires du FPR et de 1800 Casques Bleus de la MINUAR fit une descente surprise dans le camp de Kibeho et de Ngabo et y imposa un couvre-feu de 24 heures pour récupérer toutes les armes. À l’issue de l’opération, une quarantaine d’arrestations seulement et pas une seule véritable arme ne fut découverte. Les enquêteurs onusiens saisirent des milliers d’outils à lames (serpette, houe…) brefs des outils agricoles d’un paysan rwandais ordinaire.

Kibeho, le dernier bastion des déplacés

©Paul Lowe/Panos Pictures Kibeho Camp RWANDA 22/4/1995 Hutu survivors from the shootings and subsequent stampede in Kibeho camp penned themselves into a compound the day after the slaughter and refused to leave. Over 4000 Hutus were killed during an ope

Les déplaces entassés quelques jours avant le massacre

C’est dans ce contexte qu’au lendemain de la première commémoration du génocide, le 12 avril 1995 plus précisément, que l’APR sous le commandement du Colonel Fred Ibingira, commence à grossir ses troupes aux alentours de Kibeho. Après avoir pénétré dans le camp de Rwamiko (5000 déplacés), environ 2500 militaires de l’APR pénètrent dans les camps de Ndago (40 000 personnes), Munini (15 000), Kibeho (plus de 100 000). Le matin du 18 avril, les réfugiés chassés de leurs abris sont amassés sur une petite colline, sans eau, sans nourriture, sans latrines, entourés par les troupes de l’APR qui abattent toute individu qui essayerait de sauver sa vie en se faufilant hors de la zone délimitée.

Durant les journées du mercredi 19 avril, du jeudi 20 et vendredi 21, les volontaires de MSF, Oxfam et de l’UNICEF multiplient en vain les demandes auprès des Casques Bleus pour qu’elles interviennent afin d’assurer la protection des civils. De leur côté les soldats du FPR continuent d’abattre tous ceux qui tentent de s’enfuir. déclarera dans son témoignage:

Une infirmière de Msf France, dans l’équipe de Kibeho, Geneviève Legrand, raconte l’atmosphère dans son témoignage«le 19 avril vers 15h les gens ont détruits la clôture qui entourait l’hôpital et viennent se refugier entre les bâtiments. […] L’APR intervient, tire, c’est la panique, nous évacuons à travers une foule qui malgré la situation nous ouvre le chemin. Quelques personnes nous interpellent: »dites leur de nous laisser partir, dites leur de ne pas nous tuer, on veut rentrer chez nous, faites quelques chose pour nous ». C’est très éprouvant de laisser derrière nous toutes ces personnes qui nous investissent d’une lueur d’espoir». Le désespoir commençait même à atteindre les membres de MSF: «Après chaque mouvement de panique provoqué par I’intervention armée de I’APR, de nombreux blessés arrivaient à l’hôpital. Nous avons eu beaucoup d’enfants brulés. […]Après cette journée une question nous taraude l’esprit. A quoi cela sert de soigner, de réparer des gens qui vont se faire tuer peut-être demain ? Est-ce qu’ il faut continuer à travailler dans ses conditions ?»

Genevieve Legrand quitta Kibeho evacué par des forces de la MINUAR le 21 avril. Elle se souvient de ses dernières heures: « Dans le campement de la minuar, des casques bleus australiens soignent quelques blesses ramassés entre 2 tirs. Nous leur proposons de les aider. mais notre bonne volonté nous paraît dérisoire, presque ridicule devant les milliers de blessés qu’on ne pourra pas aller chercher. » Un autre épisode marqua leur départ. Certains déplacés étaient prêt à quitter le camp et à rentrer dans leurs communes. Ils s’amassaient alors sur la route de Kibeho en attendant des camions. Le 21 avril, :« Avant une longue série de tire, il y avait encore des centaines de personnes qui étaient rassemblés sur la route de Butare, prêtent à partir, Quand les tirs ont cessés et qu’on a pu sortir, sur cette colline, il n’y avait plus personne debout, tous fauchés

Apocalypse du 22 avril 1995

C’est la journée du 22 avril qui fut l’apocalypse pour ces déplacés. Sous les yeux d’une demi-douzaine d’agences de l’ONU, de 3300 Casques bleus et de près de 120 ONG internationales, 2500 soldats de l’APR utilisent des armes automatiques, des lance-roquettes et des grenades, assassinant selon les sources onusiennes près 8000 hommes, femmes ou enfants. Les civils présents et certains médias, dont CNN, parleront même de près de 25000 victimes.

En un peu moins d’un après-midi, les soldats de l’APR firent presque autant de victimes qu’à Srebrenica, considérés comme le plus grand massacre en Europe depuis la Deuxième Guerre mondiale et ayant justifié quasiment à lui seul la création d’un Tribunal pénal international.

L’enfer sur terre

De ce 22 avril 1995, on ne dénombre que quelques témoignages venant notamment d’humanitaires ou encore de soldats onusiens de la MINUAR. Dans l’article de l’historienne et sociologue, Claudine Vidal, sur les massacres de Kibeho, elle cite notamment le témoignage de casques bleus présent sur place : « les tirs reprennent vers 14 heures 30 et continuent plusieurs heures. Des soldats rwandais, montés sur le mur de ce bâtiment, tirent de là sur la foule, indifférents à la présence des Casques bleus et des gens de MSF. L’APR utilise des minis lance-roquettes (RPG), des grenades et des kalachnikovs. »[i]

©Paul Lowe/Panos Pictures Kibeho Camp RWANDA 22/4/1995 Zambian UN peacekeeping forces survey the scene following the massacre and stampede in Kibeho camp. Over 4000 Hutus were killed during an operation by the Tutsi Rwandan army to clear the Kibeho refu

Terry Pickard, militaire australien présent sur place et membre d’une équipe médicale australienne de 32 personnes, venues au Rwanda dans le cadre d’une mission de maintien de la paix de l’ONU, en fera même un livre[ii]. Celui-ci explique que: « Les militaires du FPR tuaient les rescapés des bombardements avec des baïonnettes pour épargner leurs balles. Dans ce massacre, personne n’était épargné. Même des bébés sur le dos de leurs mères étaient tués. D’autres avaient la gorge coupée. C’est la première fois où je voyais, dans ma vie de militaire, des hommes devenir des cibles de tir à l’arme comme dans des exercices militaires. »

Un médecin expatrié de la MSF, présent sur les lieux a choisi de témoigner anonymement: «La foule s’étant dispersée et déplacée il était facile de voir l’étendue de la surface couverte de cadavres et blessés (plusieurs centaines au mètre carré). En sortant juste à côté de l’entrée du camp, j’ai compté les cadavres présents dans un carré imaginaire d’à peu près 4 mètres de côté, à 50 j’ai arrêté. Pas loin de là , un petit monticule était composé par au moins 12 enfants dont le plus âgé avait peut-être 13 ans. […] De nombreux cadavres étaient visibles sur une grande parie de la colline. Sur les collines avoisinantes, des groupes se soldats ratissaient la campagne en tirant en direction centrifuge

20 ans après… rien ?

20 ans après, c’est le silence radio du côté des autorités rwandaises. À Kigali, en cette période de commémoration de 21ème anniversaire du génocide des Tutsis, le 20ème anniversaire d’un des massacres les plus sanglants de l’histoire rwandaise passe inaperçu. Les associations de la société civile rwandaise basées à l’étranger sont les seuls à avoir souhaité commémorer ce triste anniversaire. Les associations Jambo ASBL en partenariat avec Global Campaign For Rwandans Human Rights ont publié un communiqué pour appeler à ce que justice soit faite pour les victimes de Kibeho. Ils ont aussi appelé l’ONU a mettre en place : « une journée de réflexion sur les massacres de Kibeho, afin que plus jamais des déplacés ne soient victimes de massacres dans des camps où ils sont sensés trouver refuge. » Le Centre de Lutte Contre l’Impunité et l’Injustice au Rwanda quand à lui  fait part dans un communiqué qu’il regrette que les victimes de Kibeho et Kasese (22 avril 1997 en RDC) soient à ce jour encore oubliées de tous.

L’histoire rwandaise dénombre depuis le 1er octobre 1990, des centaines d’épisodes dramatiques marqués par des massacres d’innocents. Kibeho 1995 est sans aucun doute, l’un de ceux-là. Depuis 20 ans, ce massacre au vu et au su de la communauté internationale a toujours été minimisé par les autorités rwandaises. À commencer par le président à l’époque des faits, Pasteur Bizimungu, qui enjambant les milliers de cadavres, osera déclarer qu’il n’y a « que » 200 à 300 victimes. Dans la même veine, le premier ministre, à la même époque, Faustin Twagiramungu, a défendu l’armée du FPR en déclarant que c’était : « certainement une riposte de légitime défense contre des actions violentes des déplacés ». Quant à la communauté internationale malgré sa présence en masse durant ce massacre, elle n’a jamais ordonné la moindre enquête pour faire la lumière sur les événements survenus à Kibeho durant ce mois d’avril 1995. Cette tragédie de Kibeho symbolise le déni de justice que subissent les victimes et rescapés Hutu. Malgré les nombreux massacres, crimes contre l’humanité et crimes de génocide subis depuis le 1er octobre 1990, pour la plus part connus et documentés par des organismes internationaux, les victimes et rescapés Hutu n’ont jamais vu justice rendue pour les atrocités dont elles ont été victimes.

070329-71b13fec-e3fa-11e4-8c35-8b3a57800124Un simulacre de procès a eu lieu à la suite d’une enquête menée par les autorités rwandaises sous la pression d’organismes des droits de l’homme. En décembre 1996, le colonel Fred Ibingira, qui menait les troupes gouvernementales durant l’opération de Kibeho, a été jugé et acquitté des accusations de meurtre et de l’utilisation d’armes sans ordres préalable. Il n’a été reconnu coupable que de ne pas avoir su « prévenir les actes criminels par une action préventive et immédiate» et a été condamné à dix-huit mois d’emprisonnement et à une amende d’environ 30 $ US d’amende. Dix-huit mois qu’il n’a même pas dû purger parce qu’il aurait, selon les autorités de Kigali, passé vingt mois en détention préventive. Il est aujourd’hui Chef d’Etat Major de l’Armée de Réserve et le 2e plus haut gradé de l’armée rwandaise.

Aujourd’hui cet épisode tragique n’est fait mention nulle part. Le gouvernement n’ayant officiellement reconnu « que  338 victimes pour la plupart des interahamwe et des anciens génocidaires », Kibeho 1995 reste un non-évènement pour les autorités rwandaises. Conté, ni dans les livres d’histoire ni dans les médias au Rwanda, le régime en place a réussi à faire passer ce massacre pour une opération militaire qui a légèrement mal tourné. Ces milliers d’enfants, femmes et hommes sont bel et bien passés aux oubliettes de l’histoire rwandaise.

Les photos réalisées au camp de Kibeho en 1995. © Paul Lowe/Panos Pictures/Time

Article rédigé le 22 avril 2015, ré-édité le 22 avril 2018

ISHIMWE Norman

www.jambonews.net 

 Vidéo réalisée par le département Mpore de  Jambo asbl à l’occasion du 20ème anniversaire des massacres de Kibeho

 

[i] Article de l’historienne sociologue, Madame Claudine Vidal, sur les massacres de KIBEHO commis entre le 18 et 22 avril 1995 par l’Armée Patriotique Rwandaise sur environ 100.000 déplacés de guerre publié dans la revue « Les Temps Modernes n°627 » de Avril-Juin 2004. Pages 92 à 108
[ii] Pickard, T. (2008) Combat Medic: An Australian Eyewitness Account of the Kibeho Massacre Big Sky Publishing, Australia
 
 
 

Rwanda : « quelle leçon avons-nous tirée » ?

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Ce samedi 21 avril 2018, Jambonews a rencontré Didier Niyibizi, rescapé des atrocités et crimes de masse commis par le Front patriotique rwandais (FPR) contre les Hutu en avril 1994. Didier, aujourd’hui âgé de 36 ans, est né au Rwanda. Il est l’ainé d’une famille de cinq enfants et vit à Bruxelles avec sa femme et ses trois enfants. 

Didier Niyibizi, rescapé

Didier Niyibizi, rescapé

Il se remémore les moments passés dans la préfecture de Gikongoro dans la commune de Nshili où il a vécu  l’essentiel de son enfance.  Répondant à la première question concernant les relations entre les différentes ethnies à cette époque, Didier nous confie n’en avoir jamais entendu parler  « durant mon enfance, je n’ai pas le souvenir d’avoir entendu quoique  ce soit concernant cette question. »

La première fois qu’il a entendu parler des ethnies, nous explique-t-il, c’était en 1990, après que le FPR-Inkotanyi  ait attaqué le Rwanda. «  Autour de moi, à mon école, les profs ou les passants disaient « Ils ont encore attaqué » », en faisant référence au fait que dans sa région de Nshili il y’avait déjà eu par le passé des attaques de « ces anciens réfugiés tutsis qui vivaient en dehors du Rwanda et qui passaient par Nshili pour attaquer le Rwanda ». Mais cette attaque du 1er octobre 1990, n’a pas eu d’influence sur la vie quotidienne nous assure Didier : «Je n’ai pas observé de changements particuliers concernant les relations entre les ethnies à la suite de cette attaque.»

Le père de Didier est originaire de la commune de Cyeru, dans la région de Ruhengeri, une région du nord du Rwanda au sein de laquelle la guerre et exactions sommaires contre la population ont commencé en 1992.

Durant leur enfance se souvient Didier « nous allions deux fois par an chez notre grand père, mais à partir de 1990, on voyait beaucoup de militaires, beaucoup de barrières, ce qui trahissait de sérieux problèmes sécuritaires et à partir de 1992, nous n’y sommes pas retournés car le FPR avait pris la région. » D’aussi loin qu’il se souvienne cette année 1992 fût la première ou il fût « directement et personnellement impacté par la guerre

«Plusieurs élus et autres soutiens restés sur place ont été tués par le FPR»

Didier se rappelle des récits que leur livrait leur père au sujet des événements qui se passaient dans la commune de Cyeru avant 1994.  En 1993, nous raconte Didier « il y’a eu des élections libres dans la zone ‘démilitarisée’ dite aussi « zone tampon », zone crée après des accords signés entre le FPR et le gouvernement rwandais de l’époque et dont la commune de Cyeru faisait partie. Ces élections mettaient en compétition tous les partis de l’époque dont le FPR. Dans le cadre de ces élections, leur père, Stanislas,  a soutenu Alphonse, un ami de leur famille originaire de la même colline. Ce dernier fut élu Bourgmestre de la commune de Cyeru en gagnant largement contre les autres candidats dont celui du FPR, ce qui n’a pas plu à ce dernier qui n’avait remporté presque aucun des sièges en compétition. L’atmosphère post-élection fut exécrable à tel point que leur père et Alphonse préfèrent se rendre dès le soir même à Ruhengeri, ou Alphonse enseignait l’anglais.

Quelques jours plus tard, leur père est rentré à Kigali au domicile familial la mine dépitée « il avait appris que dans les jours qui ont suivi les élections, plusieurs élus et autres citoyens les ayant soutenus et qui étaient restés à Cyeru, dont certains qu’il connaissait personnellement avaient été tués par le FPR.» nous confie Didier.

Didier et ses frères et soeurs le 4 avril 1994, jour ou Didier, Olivier et leur père ont quitté Kigali pour Kibeho

Didier et ses frères et soeurs le 4 avril 1994, jour ou Didier, Olivier et leur père ont quitté Kigali pour Kibeho

Au mois de mars 1994, suite à des émeutes au Groupe scolaire Marie-Merci de Kibeho où Didier suivait ses études secondaires, les élèves avaient été renvoyés chez eux. Au début du mois d’avril l’école a demandé aux élèves de revenir et le 4 avril son père devait l’y reconduire. « Mon petit frère Olivier a supplié mon père de venir avec nous. Au départ ma mère ne voulait pas, mais face à l’insistance d’Olivier elle a finalement cédé. » C’est ainsi que Didier, son père et Olivier ont quitté Kigali pour Kibeho. Sa mère, ses deux petites sœurs et le cadet de la famille  âgés de 9, 7 et 4 ans sont restés à Kigali au domicile familial.

Le 6 avril 1994, son père se trouvait encore à Gikongoro dans la continuité de ce voyage. Il devait retourner à Kigali le jour même, mais suite à un retard, il avait prévu de passer la nuit à Gikongoro pour retourner à Kigali le lendemain. C’est durant cette soirée que l’attentat contre l’avion présidentiel  a eu lieu. « Mon père s’est retrouvé bloqué car dès  le 7 avril, la consigne était que chacun devait rester chez lui, on ne pouvait plus circuler librement. »

« Aucun Rwandais ne peut oublier cette date car pour moi,  c’est la date à laquelle l’obscurité est descendue sur notre pays »

Didier était pour sa part toujours à l’internat à Kibeho, et c’est durant cette nuit vers 10-11h du soir qu’il a appris la nouvelle : « Je me souviens parfaitement de cette soirée. Je pense qu’aucun Rwandais ne peut oublier cette date car pour moi  c’est la date à laquelle l’obscurité est descendue sur notre pays. » Au départ Didier pensait que c’était peut-être des rumeurs mais dans tous les cas, il ne pensait pas que cela aurait un grand impact sur le pays.

Dans les jours qui ont suivi, lorsque Didier et ses camarades traversaient le chemin d’à peu près un kilomètre qui séparait leurs dortoirs du réfectoire, ils observaient de plus en plus de personnes qui affluaient vers leur école et s’entassaient du côté de l’église de Kibeho. Ce sont les ainés qui ont expliqué à Didier qui étaient ces personnes. « Ce sont des réfugiés tutsis qui fuient des gens qui veulent les tuer. » Autour des réfugiés se trouvaient « des gendarmes qui étaient venus pour protéger ces réfugiés de la menace des interahamwe qui guettaient. »

Didier a vécu dans ces conditions « de mauvaise atmosphère et d’extrême tension » jusqu’aux alentours du 9 avril quand son père a demandé à des gendarmes d’aller  le chercher. « Grâce au fait que Nshili, où mon père se trouvait, était depuis longtemps considérée comme une zone à risque dans laquelle la sécurité avait été renforcée, il y avait un campement de gendarmes qui protégeaient la zone depuis les premières attaques du FPR, et mon père a profité du fait que des gendarmes devaient se relayer pour demander à ceux qui faisaient le trajet de venir me chercher. »

C’est dans ce climat de tension et de peur que Didier a quitté Kibeho dans un camion des gendarmes qui retournaient vers Nshili. Il nous explique avoir par la suite appris que beaucoup de gens avaient été tués à Kibeho, que peu avaient survécu « c’est quelque chose qui m’affecte, particulièrement en cette période au cours de laquelle mes pensées sont tournées vers tous ces élèves qui étaient à l’école et qui y ont été massacrés. »

Dès  le moment où Didier a rejoint son père et son frère, les trois membres de la famille n’avaient qu’une volonté : retourner à Kigali pour retrouver leur mère et leurs petits frère et sœurs. C’est dans cet objectif qu’Ils ont pris la route vers Kigali avant d’être stoppés à Gitarama « On nous a dit que personne n’était autorisé à passer pour des raisons de sécurité. »

Ils ont alors décidé de loger à une poignée de kilomètres de là, dans la mission catholique de Kabgayi, où vivaient des prêtres amis à son père et tous les matins c’était le même rituel. Didier, son père et son frère venaient observer les colonnes de réfugiés qui venaient de Kigali en fuyant le FPR à la recherche de leur famille : « Il y avait beaucoup, beaucoup de réfugiés. Certains étaient en voiture, mais la majorité était à pied, certains avaient à peine un petit sac, étaient fatigués, on voyait que c’était des gens qui avaient subitement quitté leur domicile en courant […] La plupart de ceux qui fuyaient vers Gitarama fuyaient le FPR .»

« On se disait que quelqu’un les avait peut-être cachés, que même s’ils avaient été tués l’un ou l’autre avait peut être survécu.»

C’est durant cette période, en discutant avec les réfugiés, qu’ils ont commencé à avoir des nouvelles inquiétantes en provenance de Kigali, les réfugiés leur disant qu’il y avait peu de chances que des gens de leur quartier aient survécu. Didier nous en explique la raison : « Nous habitions près du CND, à Remera, dès que l’avion a été abattu, les militaires du FPR sont descendus dans notre quartier et ont exterminés nos voisins. Peu de gens ont survécu. » Mais malgré ces nouvelles inquiétantes, Didier et sa famille gardaient espoir «on se disait que quelqu’un les avait peut-être cachés, que même s’ils avaient été tués l’un ou l’autre avait peut être survécu. »

Le rituel de passer leur journée à regarder les réfugiés défiler la journée a continué pendant encore quelques jours, jusqu’autour de la mi-avril où Olivier, son petit frère, est arrivé en courant vers Didier et son père, « Il était excité, heureux, et il criait : « Papa, papa, maman et les autres arrivent ! » On était heureux et on a tous couru vers lui. » Son petit frère avait vu le domestique qui travaillait chez eux, et c’est quand ils sont arrivés à sa hauteur qu’ils ont eu des nouvelles de leur famille.  « Ils avaient tous été tués dans notre maison familiale, aucun n’avait survécu. »

Didier nous raconte avec amertume : « On ne peut pas dire qu’il y avait la guerre dans notre quartier car dès le 7 avril, c’était une zone entièrement contrôlée par le FPR.»

Didier nous raconte ensuite les détails de ce jour fatidique tels qu’ils leur ont été racontés par leur ancien domestique : « La plupart des maisons de notre quartier avaient des citernes qui se trouvaient à l’extérieur, les gens profitaient du moment où les balles arrêtaient de siffler pour aller se ravitailler en eau. C’est notre domestique qui  a été, car dans la maison il y avait ma mère, mes deux petites sœurs, et mon petit frère, c’est lui qui était l’homme de la maison. Arrivé à la citerne, il a vu des militaires qui escaladaient la clôture de la maison, il s’est caché derrière la citerne et a entendu les militaires parler entre eux « vous avez vérifié si les Niyibizi étaient partis ? » ce à quoi Didier nous précise « je ne sais pas comment ils avaient les informations mais en tout cas ils avaient des listes, ils savaient à qui appartenait les maisons et demandaient si des gens y étaient. »

«On dirait que tout le monde habitait dans la même maison, c’étaient les mêmes histoires»

Angelique, Sylvie et Maxime, le 4 avril 1994.

Angelique, Sylvie et Maxime, le 4 avril 1994.

A l’intérieur ils ont croisé la mère, les petites sœurs et le petit frère de Didier. « C’étaient des enfants et une femme, les militaires n’ont rien demandé, ils n’ont eu de pitié pour personne, ils ont tiré sur tout le monde, notre domestique attendait effrayé à l’extérieur. Peu de temps après le départ des militaires, il est retourné dans la maison en se disant que peut-être que comme il y avait des enfants, peut-être que le plus jeune avait pu être épargné, mais arrivé à l’intérieur il a vu l’horreur, toute la famille avait été tuée. »

Didier reprécise, « dans cette zone il n’y avait pas de FAR, et pas d’Interahamwe car les militaires du FPR étaient descendus dans le quartier dès les premières heures du 7 avrilIls y ont tué beaucoup de gens. » Par la suite, sur le chemin de l’exil, Didier a régulièrement croisé d’anciens voisins qui tous avaient des histoires similaires « on dirait que tout le monde habitait dans la même maison, c’étaient les mêmes histoires, les méthodes utilisées, ils rentraient avec des listes, ils rentraient en tirant sur tout ce qui bougeait, ils n’épargnaient personne, ils ne faisaient aucune distinction entre les occupants des maisons. »

Arrivé en exil, son père, qui entre-temps est décédé des suites d’une maladie, avait dédié sa vie à obtenir une justice pour sa famille. « Lorsqu’une personne tue ta femme et trois de tes enfants, tu ne dors plus, tu dédies ta vie à la justice pour un tel crime d’autant plus que nous n’étions pas les seuls concernés. »

C’est dans cet objectif que son père avait rassemblé les témoignages des autres familles concernées et autres rescapés de ces massacres pour porter l’affaire en justice. Il a communiqué tous les éléments à Carla Del Ponte qui était alors procureure auprès du Tribunal pénal international pour le Rwanda. Bien que beaucoup de victimes et beaucoup d’auteurs de ces massacres étaient nommément identifiés, le TPIR n’a jamais poursuivi ces crimes qui relevaient pourtant de sa compétence.

« Ceux  qui dirigeaient les assaillants sont aujourd’hui des gens importants au sein du régime rwandais »

Au sujet des auteurs de ces atrocités, Didier nous confie : « Les auteurs sont connus, ceux qui dirigeaient les assaillants sont aujourd’hui des gens importants au sein du régime au Rwanda. Que tu sois une personne importante au sein d’un régime alors que tu as tué des innocents ne te lave pas de tes crimes. Si au moins ils reconnaissaient que beaucoup de gens avaient été tués par le FPR pour ce qu’ils étaient. Les Interahamwe ont tué beaucoup de gens pour rien, pour le simple fait qu’ils étaient tutsis, et les militaires du FPR  ont également tué beaucoup de gens, des femmes et des enfants qui n’avaient rien fait, qui n’étaient pas en politique. C’est simplement une injustice, avec laquelle on vit, c’est triste de voir que ces victimes ne sont même pas reconnues, qu’on n’a même pas le droit de les commémorer ».

A la question de savoir s’il avait eu l’occasion d’enterrer les siens, Didier nous explique : « C’est une douleur supplémentaire avec laquelle on vit. Ils ont été tués dans notre maison familiale, et après 1994 nous avons appris que notre maison était habitée par un officier du FPR qui était parmi ceux qui dirigeaient ces opérations qui se déroulaient dans notre quartier. C’est une blessure supplémentaire  de savoir que la personne qui sait où sont les corps de nos familles est celui qui habite notre maison. Tu vis avec cette tristesse à laquelle tu ajoutes l’injustice de te dire que ceux que tu as perdus n’ont aucune valeur, que tu n’as nulle part pour les évoquer. »

Didier n’est jamais retourné au Rwanda. « Peut-être que le jour arrivera mais pour le moment, je n’ai aucune envie. Si j’y allais, la première chose ce serait d’aller voir chez moi, là où ma famille a été assassinée. Même si personne ne sait où reposent leurs corps. Mais jusqu’à présent je ne me suis encore jamais senti  à l’aise de franchir ce cap. » Avant d’ajouter : « Mes enfants y vont mais je ne me suis jamais senti le cœur d’y retourner. Ce mois d’avril 1994 c’est comme si ma vie avait été mise sur pause et que le bouton play n’avait jamais été réenclenché depuis. »

« Je l’ai accepté, ce sont des blessures avec lesquelles je vis »

« Lorsque tu es victime d’une telle injustice, lorsqu’elle est causée par une personne plus puissante que toi et que tu es démuni face à l’injustice, le mieux c’est de l’accepter et de vivre avec cette douleur. » Malgré cette douleur, nous confie Didier, « je n’ai aucune haine envers qui que soit. Les nôtres sont partis, je l’ai accepté, même si je vis avec ces blessures. Je n’ai pas de haine, car pour moi, c’est la haine qui a causé cela. C’est l’injustice des uns qui en a poussé d’autres à prendre les armes, mais aucune guerre n’aboutit à quelque chose de bien, pourtant beaucoup de guerres commencent avec quelqu’un qui s’estime victime d’une injustice. »

Aujourd’hui, 24 ans après, ce qui attriste le plus Didier c’est que nous Rwandais ne semblons avoir tiré aucune leçon de ce douloureux passé. « Les miens sont partis comme beaucoup d’autres, beaucoup d’innocents sont aussi partis dans le génocide contre les Tutsis et la question que je me pose, ils sont partis mais quelle leçon en avons-nous tirée ? Cela fait 24 ans qu’on commémore, au lieu de tenir des discours d’amour, de pardon, d’apaisement, on tient chaque année des messages de culpabilisation, de division. »

La question ne devrait pas être de chercher à s’accuser, mais plutôt de se demander : « Comment peut-on vivre ensemble, comment mon enfant peut-il vivre avec l’enfant d’un rescapé tutsi qui vit à Kigali ? Et ce qui m’attriste par-dessus tout c’est que les gens au pouvoir, qui  ont cette capacité à apaiser les cœurs, ne mettent aucune force dans cette direction, ne poussent pas les gens à s’apaiser. »

Le problème actuel, identifie Didier, « ce sont ces problèmes qu’on institutionnalisme, ces clivages qu’on nourrit. Car qu’on le veuille ou non, nous avons une même maison qui est le Rwanda et dans laquelle on doit coûte que coûte vivre ensemble. » Et il ne convient pas, ajoute-t-il « que quelqu’un cherche à la bruler ou qu’un autre s’enferme à double tour à l’intérieur en empêchant ceux qui sont à l’extérieur d’y rentrer alors qu’ils n’ont nulle part d’autre où aller. »

Pour lui, la solution aux problèmes de divisions qui gangrènent le Rwanda se nomme compassion. « Nous devons avoir de la compassion et comprendre que la douleur de l’autre est aussi une douleur. Que tu sois chinois, indien, hutu ou tutsi, ta mère est unique, personne ne peut la remplacer, tu dois comprendre que la douleur de l’autre est également une douleur, personne ne devrait penser que sa douleur est au-dessus de celle de l’autre, nous sommes tous égaux et nous devrions considérer que la douleur d’autrui  est aussi nôtre. »

 « On se comporte comme si l’histoire ne nous avait rien appris »

Il adresse ensuite un message aux jeunes : « Je vois parfois sur des banderoles le slogan  ‘Never again’, mais pour que ce slogan prenne racine,  cela commence par cette compassion. Si on pense que les uns sont d’éternels bourreaux par nature tandis que d’autres sont d’éternelles victimes, comment peut-on prétendre construire le ‘never again’ avec un message pareil ? Le ‘never again’ se construit par la compassion, par l’empathie, par la prise de conscience que la douleur de l’autre est aussi mienne, par la compréhension du fait que tous ceux qui ont trempé dans ces crimes qu’ils soient morts, en prison ou actuellement au pouvoir ont tous une responsabilité égale dans ces atrocités. »

Il adresse ensuite un message spécifique aux rescapés : « Les rescapés de ces crimes devraient se reconstruire entre eux plutôt que de s’opposer. » Avant de les interroger : « Vous avez tous deux perdus les vôtres et au moment du souvenir vous vous opposez ? » Pour Didier cette opposition, ce clivage lors du deuil est ce qu’il attriste en premier lieu « car c’est comme si l’histoire ne nous avait rien appris. »

Et sur un ton solennel, Didier termine en s’adressant à l’ensemble des rescapés, aux victimes du génocide perpétré contre les Tutsi, à l’ensemble des victimes tuées par les interahamwe et à toutes les victimes du FPR : « Soyons forts, supportons-nous les uns les autres, il n’y a pas un Rwandais qui n’a pas perdu quelqu’un. Si tu connais quelqu’un autour de toi qui a perdu quelqu’un, vas vers lui, soutiens-le dans sa douleur, dis-lui courage. » Avant d’afficher sa pleine sympathie à toutes ces victimes en leur disant que « le plus important aujourd’hui est de regarder vers l’avant, qu’allons-nous apprendre à nos enfants ? Ces haines qui nous ont menées jusque-là ou l’amour et la compassion qui nous permettront d’en sortir? »

Ruhumuza Mbonyumutwa

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Rwanda : « Nous gardons espoir, notre souffrance sera reconnue un jour »

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Rescapé d’une épuration ethnique perpétrée entre 1995 et 1998 dans sa commune de Gaseke, au nord du Rwanda, Patrick Horanimpundu raconte l’horreur qu’il a vécue, notamment la tuerie qui a emporté la quasi-totalité de sa famille alors qu’il se trouvait caché, effrayé, sous un lit à quelques pas de là. Installé en Belgique depuis peu, il livre son témoignage sur le cauchemar amorcé en 1995, au moment de son retour au Rwanda après des mois dans un camp de refugiés à l’Est du Zaïre (devenu République démocratique du Congo). Patrick revient aussi sur plusieurs autres carnages qui ont touché sa commune mais aussi les communes avoisinantes.

Patrick Horanimpundu

Patrick est issue d’une famille nombreuse de 14 enfants, originaire de la commune de Satinsyi à Ngororero, dans la région de Muramba. En 1994, en compagnie de centaines de milliers de ses compatriotes, il fuit le Rwanda et se retrouve dans le camp de réfugiés de Mugunga à l’Est de la RDC en compagnie de sa famille.  En mai 1995, il est parmi les premiers réfugiés à rentrer au Rwanda aux côtés de sa mère. Ses autres frères et sœurs, pas encore rassurés sur les conditions sécuritaires au Rwanda, préfèrent rester au camp, et ce n’est qu’à la fin de l’année 1996 que toute la famille rentre au pays.

Quelques semaines seulement après le retour de sa famille au Rwanda, l’horreur commence: « Fin 1996 le FPR s’est livré à une extermination systématique de la population.  Je peux vous donner l’exemple de ce que j’ai vu de mes propres yeux. À une colline en face de chez nous, dans un lieu qu’on appelait Rutare, une centaine de soldats du FPR ont quitté leur position à Muramba, ils sont passés non loin de  notre habitation, et arrivés à Rutare , ils se sont mis à tirer sur toute personne qu’ils croisaient. Il y a eu environ une quinzaine de victimes. En entendant les coups de feu beaucoup ont couru pour aller se cacher, parmi les victimes il y avait des femmes et des enfants, je me souviens d’un homme au nom de Murigande qui fut abattu alors qu’il cultivait son champs. »

Dès cette date, un climat de peur s’est installé dans la région, chaque personne craignant d’être la prochaine cible des tueries qui s’amorçaient.  Le 21  janvier 1997 vers 20h30, Patrick qui était en compagnie de son neveu Gilbert, aujourd’hui également réfugié en Belgique, ont vu des soldats qui pénétraient dans leur parcelle. Il raconte ensuite le carnage perpétré chez lui, au cours duquel une grande partie de sa famille, dont 7 frères et sœurs et sa mère, fut exterminée. Gilbert et lui eurent la vie sauve en se cachant sous un lit, et grâce à  l’obscurité dans la maison. «  Ce jour-là, presque toute ma famille fut décimée par les soldats du FPR. Je fus parmi les quelques survivants sur ceux qui étaient présents ce soir-là. On est 3 à avoir survécu à cette tuerie, au total 13 membres de ma famille furent abattus froidement par plusieurs hommes qui ont fait irruption chez nous à la tombée de la nuit, c’était vers 20h30. J’ai survécu en me cachant sous le lit, moi avec un de mes neveux. Un de nos voisins qui a simplement croisé le chemin de ces soldats revenant de chez nous, fut aussi tué. En tout, 14 personnes perdirent la vie ce soir-là, même un nourrisson présent dans la maison au moment des faits n’a pas été épargné. »

Patrick explique que peu après l’extermination de sa famille, il a été obligé de quitter la maison familiale, pour aller se réfugier chez son frère qui habitait à quelques kilomètres de là. Mais là aussi il dit qu’il sentait la menace planer sur eux, étant rescapé et témoin du massacre qui venaient d’être perpétré contre sa famille. «  Chez mon frère où je me suis refugié après les massacres à la maison, je ne me sentais pas en sécurité. Les soldats de FPR rodant par-là, ils venaient régulièrement à la maison, souvent la nuit, prétextant venir voir si tout va bien, mais c’était une façon de nous surveiller et voir qui habitait là, contrôler nos moindres faits et gestes. Même les amis et voisins nous mettaient en garde du risque qui pesait sur notre famille. Ainsi j’ai pris la décision d’aller me réfugier chez ma grand-mère, qui habitait dans une commune voisine. Deux autres survivants de ma famille sont partis se réfugier chez ma sœur à Ruhengeri ».

« C’est chez ma grand-mère dans la commune de Gaseke que j’ai vu les pires des atrocités, j’y ai vécu entre 1997 et début 1999. On fuyait tout le temps, personne ne cultivait son champ, les enfants n’allaient pas à l’école, les incursions des soldats du FPR dans les quartiers étaient réguliers, c’est pourquoi on passait notre temps à fuir pour se cacher loin des maisons dans la forêt, la brousse ou les bananeraies, » ajoute-t-il.

« Les massacres n’étaient pas le fruit du hasard, ils étaient bien planifiés »

Quant à la question de savoir si les massacres n’étaient pas le fait des soldats indisciplinés ou incontrôlables, Patrick est catégorique : « Ces massacres étaient bien planifiés et exécutés. »

Ce qui pousse Patrick à une telle affirmation, c’est que les soldats arrivaient souvent tôt le matin, aux alentours de 4h, et les premières personnes attrapées étaient assassinées à « l’agafuni » (petit houe), au couteau ou au marteau. D’après Patrick, l’usage d’armes blanches dans un premier temps permettait aux soldats de faire leur besogne en toute discrétion.

Néanmoins, comme les informations circulent vite à la campagne, les gens étaient alertés avant le lever du jour et les soldats changeaient alors de méthodes se mettaient à tuer par balles parce que les paysans couraient partout en essayant de sauver leurs vies. Les assassinats s’étendaient généralement sut toute une journée.

« Les massacres étaient bien planifiés, je te donne un exemple: en date du 5 févriers 1998, les soldats du FPR sont venus de la commune de Gaseke, un autre peloton est venue de Hindiro, le troisième groupe des assaillants arrivant des collines d’en face dans un endroit qu’on appelait Kuntebe Yingwe dans la région de Ramba. Venus de partout, les soldats du FPR se sont mis à encercler les populations du secteur de Kabuye, non loin de là ou j’habitais, en même temps que les habitants limitrophes de la rivière Muhembe. Ce jour-là ces soldats ont massacré systématiquement tous les habitants de ces zones, toute personne attrapée était directement tuée. »

« Un autre exemple que je peux te donner, ce sont les massacres qui se sont déroulés dans la région de Gishyuhira. Dans cette zone, les soldats du FPR venant souvent de Muramba, généralement par groupe d’une centaine d’hommes, et plaçant des barrières sur les routes, toute personne qui passait par-là était assassinée sur le champ. Les gens avaient l’habitude de porter des bidons contenant Urwagwa (vin traditionnel) de Satinsyi vers Kabaya, car dans la région de Satinsyi on produisait beaucoup l’urwagwa.  Je me souviens un jour, les soldats ont érigé une barrière sur le chemin reliant les deux zones, ce jour-là,  tout passant était arrêté, du matin au soir, une soixantaine de personnes ont été appréhendés, ensuite ils ont été amenés à un établissement scolaire à Bukunde non loin de là. Ligotés par derrière, vers le soir ils ont été amenés à un centre de Kirogotero où ils furent tous abattus. Les victimes ont été enterrées par la population peu après dans les fosses communes, jusqu’à présent elles sont toujours enterrées là ».

Massacre systématiques et indiscriminés

Satinsyi-Ngororero, une région paysanne, verdoyante et vallonée du Nord-Ouest du Rwanda

D’après les affirmations de Patrick, les tueries ont été exécutées dans des conditions atroces, affreusement cruelles et la barbarie n’épargnait ni les enfants, ni femmes, ni vieillards, même les personnes ayant un retard mental n’étaient pas epargnées. « Je peux vous donner l’exemple d’une personne folle qui s’appelait Nyiramahandange qui fut tuée non loin de chez nous, alors qu’ils voyaient bien par l’incohérence de ses propos et la façon dont elle était habillée en haillon, que la personne était mentalement dérangée,».

Patrick poursuit son récit en ces mots : « Quand les soldats du FPR ont encerclé le secteur de Gihira, c’est dans la commune de Giciye, mais la partie plus proche de chez moi à Gaseke, ils ont tiré sur les populations pendant toute la journée, ne sachant pas comment fuir, les habitants se sont réfugiés dans une grotte. Ne voulant pas poursuivre leurs victimes dans cette grotte, les soldats ont bouté le feu aux pneus des véhicules placés à l’entrée de la grotte, dans le feu ils ont immergé le piment pour irriter leurs victimes et les pousser à sortir. Voyant qu’ elles ne sortaient pas, les soldats ont lancé des grenades et se sont mis à tirer dans la grotte, finalement ils ont fini par bétonner la seule entrée de la grotte, ne laissant aucune chance de survie aux quelques centaines depersonnes qui s’y étaient engouffrées, hommes, femmes et enfants confondus ».

Patrick assure que les attaques étaient également fréquentes dans la commune de Gihira, et chaque jour des victimes se comptaient par dizaines. Il donne deux autres récits marquants : « En direction de Vunga, les populations s’étaient cachées dans une église, les soldats sont arrivés avec les buches de bois et ont buté le feu sur l’édifice, tuant toute personne présente à l’intérieur ». « Dans la zone de Shingiro, les soldats sont arrivés le jour du marché, et ont commencé à tirer sur l’immense foule qui était rassemblée là. Les survivants se comptaient sur le bout des doigts ».

Les cibles étaient les Hutu

Au sujet des cibles de ces atrocités Patrick nous confie : « Je n’ai pas le moindre doute, ce sont les hutus qui étaient visés, et ils étaient tués en tant que tel. Par exemple au centre de Mukamira étaient installés les tutsi qui venaient de rentrer du pays en revenant du Congo, idem à Bigongwe et à la maison communale de Gaseke, eux ils n’ont jamais subi d’attaque, contrairement à nous qui étions massacrés chaque jour. Les attaques ciblaient exclusivement les campagnes, car peuplées généralement par les hutus, puisque les tutsi qui rentraient au pays étaient installés dans les Imidugudu (village dans la terminologie traditionnelle). Il y avait une volonté d’exterminer les hutu de la campagne, car chaque attaque mobilisait plusieurs centaines des soldats, qui venaient d’un peu partout dans la région pour se croiser sur leur lieu d’attaque ».

Patrick revient aussi sur les circonstances de l’assassinat des trois frères de son grand-père, leurs femmes et leurs enfants, assassinés alors qu’ils faisaient la cueillette de thé, certaines des victimes étaient très âgées.

Les pistes pour l’avenir

Patrick ne se contente pas de relater les faits de la tragédie qu’il a vécue, il avance aussi les pistes et solutions pour en sortir.

« Si vraiment le régime Rwandais veut la réconciliation et l’unité de la population, il devrait cesser d’attiser la haine ethnique. Par exemple, moi je suis survivant des massacrés commis par le FPR, mais je ne peux pas jusqu’à présent au Rwanda commémorer les miens, ni les enterrer avec dignité, au contraire on m’oblige à aller au mémorial du génocide des tutsi. Je ne nie pas qu’il n’y ait eu le génocide tutsi. Les miens sauvagement assassinés sont enterrés dans une fosse commune, je n’ai pas le droit de les enterrer dignement sans être accusé de minimiser le génocide des tutsi ».

« Pour suivre mes études, je n’ai pas eu le droit à la gratuité comme les autres rescapés, afin de payer mes frais de scolarité, alors que je suis orphelin. J’ai été obligé de vendre les champs de la famille. Presque toute ma famille a été décimée, non seulement je n’ai pas le droit de les commémorer, ni parler d’eux, au contraire on m’oblige à aller demander pardon pour les crimes soit disant commis par les gens de mon ethnie. Trouvez-vous normal qu’on m’oblige d’aller demander pardon à un autre orphelin comme moi, alors que je ne suis pas responsable moi ou mes proches de la mort des siens ?

Et Patrick de poursuivre: « les miens n’ont pas été frappés par la foudre, empoissonnés ou disparus, ils ont été assassinés, en  quoi évoquer cette tragédie qui a frappé ma famille est minimiser le génocide contre les tutsi ?

Si le gouvernement veut vraiment prôner la réconciliation, il doit laisser chacun  se souvenir, et commémorer les siens, et les enterrer dans la dignité. C’est la seule façon de construire un Rwanda que nous voulons, un pays où hutu et tutsi vivrons côte à côte pacifiquement ».

Quel message aux autres rescapés ?

« J’aimerais leur dire qu’il est important de commémorer les leurs, sans toutefois oublier qu’il y a aussi les autres victimes assassinées pour ceux qu’elles étaient » souligne-t-il, et s’offusque de se voir imposer de se taire, de ravaler sa colère alors que sa famille a été décimée presque entièrement.

Patrick évoque « Igisobanuro cy’urupfu » (explication de la mort), la chanson de l’artiste emprisonné Kizito Mihigo, comme un requiem réconciliateur, un message dont chaque rwandais devrait s’inspirer afin de retrouver l’unité d’une société rwandaise déchirée par des décennies de violences meurtrières politico-ethniques.

« Nous commémorons les nôtres, victimes du génocide contre les tutsi, mais il y a aussi les autres personnes, victimes de la barbarie, ou mortes dans les autres circonstances qui n’ont pas été qualifiées de génocide » c’est le message principal de la chanson « Igisobanuro cy’urupfu » de Kizito Mihigo.

Même si la chanson a été censurée au Rwanda, Patrick trouve qu’il est courageux pour un rescapé tutsi comme Kizito, de produire une chanson qui évoque toutes les victimes de la tragédie rwandaise dont celles dont le régime actuel ne veut pas entendre parler. Patrick affirme que si tout le monde adhère à cette vision, on aboutira à l’unité du peuple rwandais et une véritable réconciliation.

« Il y a des génocides qui ont été reconnus 70 ans après, nous aussi nous gardons l’espoir que tôt ou tard, notre souffrance sera reconnue, et on n’aura le droit de commémorer les nôtres en paix.» conclu-t-il.

Jean Mitari

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Rwanda : Il est temps que toutes les victimes puissent s’exprimer

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Les échanges très vifs et malheureusement souvent très violents agitent depuis quelques mois la communauté rwandaise et plus particulièrement celle vivant en Belgique. Ceci fait suite à une proposition de loi soumise par un député au parlement fédéral belge visant à réprimer pénalement « la négation, la minimisation et la justification du génocide commis contre les Tutsis  au Rwanda en 1994 ». Disons-le d’emblée, une telle loi est absolument nécessaire et souhaitable car un tel crime ne peut être pris à la légère et la mémoire des victimes d’un génocide ne peut être profanée de n’importe quelle manière. Personne ne devrait pouvoir défendre le contraire. Le but de cette démarche est de réfléchir sur les tensions qui subsistent encore entre les différentes parties et leurs raisons, non dans l’objectif de définir ce qu’est le négationnisme mais plutôt pour insister sur ce qui ne l’est pas. Il s’agit de mettre en avant ce qui ne devrait jamais être considéré comme du négationnisme.

En regardant de plus près les différents échanges, l’une des principales constantes est que toute personne qui évoque d’autres massacres de masse, commis contre les Hutus au Rwanda et au Congo, est systématiquement qualifiée de négationniste, révisionniste ou de minimisation du génocide commis contre les Tutsis ! Même si c’est évoqué dans un contexte totalement indépendant du génocide contre les Tutsis. Comme si toute évocation d’autres victimes de la tragédie rwandaise revient systématiquement à renier le génocide des Tutsis. On se demande bien pourquoi. En quoi le fait d’évoquer des atrocités, des crimes de masse, serait-il du négationnisme du génocide contre les Tutsis ? Qui a intérêt à maintenir cet amalgame qui consiste à qualifier de négationniste toute personne évoquant des centaines de milliers de Hutus massacrés par l’armée du FPR ? Qui a intérêt à ce que la lumière ne soit pas faite sur ces crimes ? Qui a intérêt à ce que des enquêtes indépendantes ne soient jamais menées ? Qui a intérêt à ce que les témoignages des victimes ne soient jamais portés à la connaissance de tous ? A priori la réponse à ces questions serait, le présumé auteur de ces crimes.

Et pourtant, la logique et la raison devraient nous faire penser que si rien ne s’est réellement passé, il ne devrait absolument y avoir aucune raison de craindre une quelconque enquête, une quelconque recherche sur ce qui est évoqué pour faire toute la lumière et clore le débat une bonne fois pour toutes. La logique et la raison voudraient que la meilleure manière soit de laisser la libre parole aux gens et les enquêtes se conduire librement. Mais, hélas, nous ne sommes apparemment pas dans un monde de logique et de raison.

La propagande comme arme redoutable de falsification de l’Histoire

Pour un gouvernement responsable de telles atrocités, la seule et unique option pour ne pas répondre est de se maintenir au pouvoir. Dans la perspective de ce gouvernement, ça peut se comprendre. Se maintenir au pouvoir à n’importe quel prix. Au prix d’une propagande très agressive, de falsification des faits, de lavage de cerveaux des plus jeunes, d’intimidation et d’élimination des survivants et de tous les témoins de ces crimes.

Force est de constater qu’après plus de deux décennies, la force de cette propagande et l’ampleur de la désinformation et de la falsification des faits sont telles qu’une très large majorité des victimes de ces crimes est réduite au silence et ne peut pas commémorer la disparition des leurs. Ils ne peuvent pas enterrer les leurs dans la dignité, ni même évoquer leur sort. Tout ceci parce que leurs bourreaux sont toujours là et ont du pouvoir sur eux. Et pire encore, ceux qui arrivent à s’exprimer, sont systématiquement accusés de négation d’un autre crime totalement distinct et dont ils ne sont en aucun cas responsable.

« L’esprit de l’homme est ainsi fait que le mensonge a cent fois plus de prise sur lui que la vérité » disait Erasme de Rotterdam, le grand humaniste hollandais de la Renaissance. Lorsqu’on observe le résultat de cette propagande on peut distinguer quatre catégories de personnes.

La première catégorie comprend essentiellement les criminels directs et leurs complices qui veulent naturellement se défendre pour échapper à leurs crimes en falsifiant les faits, en intimidant ou en éliminant les victimes, les témoins ou toute personne qui veut rétablir les faits.

La deuxième catégorie comprend les gens essentiellement de mauvaise foi. C’est-à-dire ceux qui savent que les faits présentés sont faux mais qui les défendent quand même. Etant souvent victimes eux-mêmes, ils sont souvent aveuglés par une grande haine, une sorte d’esprit  de « vengeance » généralisé envers tout le monde qui ne partage pas la même opinion ou qui n’adhère pas à la même idéologie ou simplement qui remet en cause ce qu’ils considèrent comme la vérité absolue. Ce sont ceux-là qui sont très présents et très actifs dans les échanges sur les réseaux sociaux ou dans des conférences. Ils contribuent énormément à la polarisation des débats et des échanges en empêchant toute évocation d’une vérité qui n’est pas la leur. En plus des criminels eux-mêmes, ils sont les plus « inquiétants ».  Ce sont de vrais extrémistes.

© Freddy Mulungo

La troisième catégorie, est constituée de ceux qu’on peut appeler les « victimes » de la propagande. Ils sont simplement dans l’ignorance car ils n’ont jamais eu qu’une seule version des faits. Ils ont souvent fait tout le parcours « d’endoctrinement » formel pour leur présenter une seule version, une seule explication, de tous les évènements. Une sorte de « prêt-à-penser » pour répondre à toutes les questions. Ils sont fondamentalement de bonne foi quand ils disent par exemple qu’il n’y a jamais eu de massacres à grandes échelles envers les réfugiés Hutus au Congo, que seuls les génocidaires étaient poursuivis. C’est simplement parce qu’ils ne savent pas, ils n’ont jamais entendu d’autre version que la version officielle, la propagande officielle. Ils ignorent absolument tout des massacres qui ont été perpétrés contre les Hutus entre 1990 et 1994, en 1994 et entre 1994 et 1999 au Congo et dans le Nord du Rwanda essentiellement. Ils se retrouvent même parfois dans la deuxième catégorie ci-dessus, à la différence qu’eux agissent de bonne foi car victimes d’une terrible ignorance des faits dont ils n’ont eu qu’une version falsifiée.

La quatrième catégorie comprend les victimes réduites au silence. Ceux qui souffrent terriblement en silence. Les survivants qui n’ont pas le droit d’évoquer leurs parents, leurs sœurs, leurs frères, leurs conjoints sauvagement massacrés. Ceux qui ne peuvent pas raconter à leurs enfants pourquoi leurs grands-parents sont morts, pourquoi ils n’ont plus aucun oncle ou tante. Ceux-là qui sont qualifiés de négationniste dès qu’ils évoquent la mémoire des leurs et la manière dont ils sont morts. Le plus malheureux c’est que les plus jeunes de cette catégorie se retrouvent souvent dans la troisième catégorie ci-dessus. Ils se retrouvent dans l’ignorance suite à une propagande bien orchestrée et malheureusement redoutablement efficace.

On peut évidemment ajouter la catégorie de vrais négationnistes, ceux qui commettent ce délit, qui devrait être puni. Mais comme dit plus haut, le but ici n’est pas de parler de ce qui du négationnisme mais plutôt de ce qui ne l’est pas et ne devrait jamais l’être.

Le fait est que la gravité et l’ampleur des crimes commis sont telles qu’il est impossible de réduire tout le monde au silence pour toujours. Il y a de ces crimes d’une échelle telle qu’ils ne peuvent rester cachés. Que ça prenne quelques années ou plusieurs décennies, l’histoire finit toujours par rétablir la vérité.

Pour les extrémistes et activistes défendant le pouvoir actuel du FPR, il ne devrait absolument y avoir aucun espace d’expression pour les victimes hutues des massacres du FPR. Ceci est déjà le cas au Rwanda où toute une batterie de lois réprimant la négation, la minimisation et la justification du génocide sont en vigueur. Ces lois sont en soi une bonne chose, mais en pratique elles sont surtout et avant tout utilisées pour réduire au silence toute voix critique, toutes les victimes des massacres du pouvoir qui pourraient prétendre à commémorer les leurs.

A priori on peut supposer que la Belgique est une forte démocratie où la séparation des pouvoirs est effective et où la justice est réellement indépendante. Donc malgré les imperfections sémantiques qui pourraient éventuellement subsister dans le texte de telles lois, on peut en principe espérer qu’elles ne seront jamais abusées pour réprimer autre chose que le « vrai négationnisme », comme c’est le cas actuellement au Rwanda et comme le voudraient les extrémistes. On peut raisonnablement espérer que personne ne sera jamais condamné pour avoir simplement évoqué le massacre des siens par le FPR.

Ici je parle de « vrai négationnisme » pour faire la différence fondamentale avec ce que le gouvernement du FPR et les extrémistes appellent le négationnisme. En quoi l’évocation des centaines de milliers de réfugiés hutus tués au Congo par l’armée du FPR constitue-t-elle du négationnisme du génocide des Tutsis ? Les témoignages sont là, les enquêtes ont été effectuées, les rapports de l’ONU et surtout les survivants de ces massacres sont encore là.

Ce qui ne devrait jamais être considéré comme du négationnisme

En quoi le fait de parler de centaines de milliers de Hutus massacrés dans les zones contrôlées par le FPR avant et après 1994 serait-il du négationnisme du génocide des Tutsis ? Ici aussi les témoins, les survivants sont là mais ils sont soigneusement et violemment réduits au silence.

En quoi est-ce du négationnisme de commémorer des victimes hutues massacrées par l’armée du FPR ? Ceci est d’autant plus important qu’au Rwanda personne ne peut même évoquer, directement ou indirectement, l’existence de ces victimes.

En quoi est-ce du négationnisme, le fait d’évoquer que Paul Kagame et son armée, bien que se targuant d’avoir arrêté le génocide contre les Tutsis, seraient auteurs et responsables de crimes contre l’humanité et de massacres de masse contre les Hutus ? Massacres qui selon plusieurs éléments et notamment un rapport d’une enquête de l’ONU pourrait être qualifiés de génocide. Sur ce point j’aimerais revenir sur le parcours d’un des plus grands criminels du vingtième siècle : Joseph Staline. Il fut l’un des artisans décisifs de la victoire des Alliés sur le régime nazi. Son armée fut la première à rentrer à Berlin et à acter la défaite totale de l’Allemagne d’Hitler et des horribles crimes dont elle s’est rendue coupable. A ce titre, il était considéré comme un « héros de l’humanité » toute entière. Mais au passage, avant, pendant et après la guerre, Staline s’est rendu coupable des crimes si horribles sur des millions de personnes que son statut de héro victorieux des Nazis ne l’a pas protégé longtemps. A peine une décennie plus tard, ses crimes ont été mis à jour et les innombrables victimes et survivants de ses massacres ont pu faire leur deuil et commémorer les leurs à travers le processus de déstalinisation. Comme dit plus haut, des crimes d’une aussi grande gravité et d’une telle ampleur ne peuvent rester dans l’oubli de l’Histoire. Quel que soit le temps que ça prend, quelle que soit la puissance de ceux qui veulent les faire tomber aux oubliettes.

Evidemment la principale réponse des extrémistes aux questions posées ci-dessus, sera probablement la même que d’habitude : révisionnisme, négationnisme et un peu de tout sauf des arguments de fond ! Et pourtant le plus « simple » et le plus efficace serait d’échanger sur le fond des questions posées et surtout de comprendre que très peu gens nient le génocide perpétré contre les Tutsis au Rwanda. Le fait de poser des questions, de chercher la justice n’est en aucune façon du négationnisme en soi. Le fait de subir la contrainte du silence contribue à maintenir et probablement à amplifier le ressentiment. Parler de ses souffrances, ne devrait en aucun cas provoquer un sentiment d’atténuation ou de minimisation de la souffrance de quelqu’un d’autre.  Contraindre toute une population au silence est une stratégie qui ne peut jamais fonctionner pour résoudre un problème.

Le délit d’« avoir conscience » qu’il y a d’autres victimes de massacres

Kizito: « Commémorons les Hutus massacré injustement par les Inkontanyi »
Kagame: »Emprisonnez le, il veut me tuer »
© Uwimana ART

Le cas du jeune auteur et compositeur Kizito Mihigo est particulièrement intéressant. Orphelin et survivant du génocide commis contre les Tutsis, il est très connu pour sa très riche œuvre musicale qui va des chants religieux, des chansons engagées pour la mémoire du génocide contre les Tutsis jusqu’aux chants politiquement engagés. Il a aussi contribué à la composition musicale de l’actuel hymne national. Mais son ultime œuvre, « Igisobanuro cy’urupfu » (l’explication de la mort), juste avant qu’il ne soit réduit définitivement au silence, est très révélatrice et prend une autre dimension surtout venant d’une personnalité comme Kizito Mihigo. Il y explique qu’il n’y a pas de mort « supérieure » à une autre. Il poursuit qu’il est « conscient que le génocide l’a rendu orphelin mais que ça ne doit pas lui faire oublier les autres victimes de crimes qui nont pas été appelés génocide » et que toutes « ces victimes sont tout autant des Humains que lui ».  Cette chanson a été immédiatement censurée, Mihigo immédiatement arrêté et accusé de complot contre le pays. S’ensuivit alors un procès stalinien et une condamnation à dix ans de réclusion criminelle. Au Rwanda personne ne parle désormais plus de Kizito Mihigo, ses très belles chansons jadis omniprésentes à la radio, à la télévision et dans les églises ont purement et simplement été bannies et la population est contrainte à les écouter en cachette.

Si on fait abstraction de son procès pour complot et haute trahison et qu’on s’en tient seulement à cette chanson qui a été décriée comme offensante pour les victimes, minimisant le génocide et négationniste, on prend la mesure de ce que c’est que d’être négationniste au Rwanda. « Avoir conscience que dautres personnes ont été victimes de crimes qui n’ont pas été reconnus comme génocide » : c’est ça être négationniste au Rwanda aujourd’hui. Le sort de Mihigo est le minimum réservé à toute voix considérée comme négationniste au Rwanda.

La libération de la parole des victimes oubliées est indispensable

Le chemin est donc encore très long pour arriver à commémorer toutes les victimes sans minimisation de la souffrance des uns ou des autres, sans considérer que certaines victimes sont supérieures à d’autres. Aussi longtemps que les crimes sont nommés correctement, il ne devrait y avoir aucune confusion. Mais pour cela il faut un travail préalable pour établir les faits. Tout le monde devrait avoir droit à commémorer les siens dans la dignité, de la manière dont il le souhaite et aussi longtemps qu’il n’offense personne.

Il est donc temps que toutes les victimes s’expriment, surtout les oubliées, celles encore sous intimidations, celles contraintes au silence pendant trop longtemps. Il est temps que les victimes de la barbarie non encore nommée soient réhabilitées. Qu’elles puissent raconter leurs histoires sans craindre d’être accusées de nier un autre crime dont elles ne sont pas responsables. Il est primordial de chasser l’ignorance dont sont victimes beaucoup de personnes en portant à leur connaissance les faits que certains veulent cacher pour toujours. C’est un travail absolument nécessaire. Il faut ramener ces témoignages à la lumière de l’Histoire pour contrer la puissante propagande consistant à faire croire qu’il n’y a jamais eu de crimes de masses du FPR contre les hutus. Il faut que le fait de parler de ceux-ci soit totalement dissocié du vrai et sérieux délit de négation du génocide contre les Tutsis. C’est un passage indispensable pour espérer un jour voir un Rwanda où tout le monde pourra cohabiter en paix et en toute harmonie.

Jean-Valery Turatsinze

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Nyamunini : L’encyclopédie français-kinyarwanda sur le point de paraitre

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Après plus de six années à travailler sur le projet, les « Editions Sources du Nil », en collaboration avec les ASBL FORA et CORWABEL, s’apprêtent à publier, au mois de novembre 2018, l’ouvrage « Nyamunini » ; un dictionnaire bilingue encyclopédique français-Kinyarwanda. Les initiateurs de cet ouvrage, qui contient plus de 42 000 entrées, 7500 locutions, 1500 proverbes, près de 150 légendes, des éléments de grammaire, des notices historiques et culturelles, des illustrations et cartes géographiques, entendent faire de cette œuvre la référence de la culture rwandaise auprès du public francophone.

C’est au début des années 1980 sur les bancs de la faculté des lettres de l’Université nationale du Rwanda que l’idée d’un tel projet a germé dans l’esprit d’Eugène Shimamungu, alors jeune étudiant en linguistique. Ce dernier s’aperçoit dans le cadre de son cursus d’une « erreur de méthodologie » qui rend les dictionnaires en kinyarwanda peu accessibles au public non averti et essaye en vain d’attirer l’attention de son professeur sur la problématique.

Aujourd’hui, Eugène Shimamungu devenu entretemps docteur en linguistique spécialiste de la lexicographie nous explique ce problème méthodologique qu’il a décelé à l’époque et qui n’a, selon lui, toujours pas trouvé de réponse à ce jour : « les règles de confection des dictionnaires en kinyarwanda consistent notamment dans la classification des mots en fonction de leur radical [NDLR la partie invariable d’un mot] ». Comme il nous l’explique, « le mot kinyarwanda commence par des parties grammaticales, ce n’est pas comme en français où les parties grammaticales se trouvent généralement à la fin du mot ». Il est ainsi facile de trouver un mot français classé par ordre alphabétique, par contre il sera plus compliqué pour les non-initiés de trouver un mot kinyarwanda classé en fonction de son radical.

Eugène Shimamungu nous cite pour exemple le mot « homme » : dans le dictionnaire français, il faut aller le chercher sur la lettre H ; par contre son équivalent kinyarwanda « umugabo » (son pluriel étant « abagabo »), dans les dictionnaires existants, il faut aller le chercher à partir de son radical « gabo ». Cela montre la difficulté d’utiliser au kinyarwanda la méthode qui consiste à classer les mots en fonction de leur radical. »

De plus ajoute-t-il «pour trouver un mot dans le dictionnaire, cela demande souvent des connaissances en linguistique que ne possède pas nécessairement  un citoyen lambda » et il nous cite l’exemple du mot « ijisho », « si une personne veut en connaitre la signification, elle devrait se référer à son radical qui est « íiso » afin de le retrouver ; radical que beaucoup de personnes ne connaissent pas, ce qui conduit à la situation paradoxale dans laquelle une personne doit connaitre le radical du mot pour en connaitre la signification. »

C’est à ce problème crucial que ce projet ambitieux a voulu s’attaquer. « On a voulu vulgariser, permettre de rendre le dictionnaire accessible à tout un chacun, sans connaissances linguistiques préalables et pour cela nous avons opté pour la classification des mots tels qu’on les trouve dans le langage courant, dans un ordre alphabétique, le mot « ijisho » étant ainsi classé dans le dictionnaire sous « ijisho » et non sous « íiso » comme cela se fait habituellement. Il suffira de mettre un nom au singulier et le verbe à l’infinitif pour pouvoir le trouver. Les noms de groupes se trouveront sous la forme du pluriel »

C’est en 2012, à l’issue d’une réunion avec les ASBL Corwabel et FORA que ce vaste chantier a été inauguré. «Au départ, on envisageait d’éditer un petit dictionnaire et au fur et à mesure que le projet avançait on se rendait compte de la difficulté de laisser certains mots ou certains thèmes de côté, et nous avons alors décidé d’éditer un dictionnaire complet avec pour l’idée par la suite d’éventuellement faire un dictionnaire de poche. »

Les deux tomes de ce dictionnaire concocté par une équipe de 12 personnes devraient être imprimés en novembre 2018. « Pour le moment, nous cherchons 100 souscripteurs auxquels on accordera un tarif préférentiel et lorsqu’on aura atteint ce nombre de 100 souscripteurs qui recevront les dictionnaires et un accès en ligne pour une durée de 3 ans à moitié prix, nous pourrons lancer les premières impressions  qui sont programmées pour le mois de novembre 2018. »

Tous les détails pour souscrire à ce dictionnaire ou vous le procurer sont disponibles via ce lien : http://editions-sources-du-nil.over-blog.com/2018/05/souscription-pour-le-dictionnaire-bilingue-et-encyclopedique-francais-kinyarwanda.html

Ruhumuza Mbonyumutwa

Jambonews.net

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Massacres de Gakurazo au Rwanda: la diaspora Rwandaise se souvient

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Ce 5 juin 2018 marque le 24ème anniversaire des massacres de Gakurazo au centre du Rwanda, massacres ayant couté la vie à plusieurs dizaines de personnes dont trois évêques catholiques. La diaspora rwandaise organise une messe en mémoire de ces victimes ce samedi 09 juin à Verzy, dans l’arrondissement de Reims,  afin de rendre hommage aux victimes de cette barbarie dont les auteurs pourtant connus, ne sont pas inquiétés mais occupent au contraire des postes à responsabilité au sein du régime actuel de Kigali.

Mgr Thaddée Nsengiyumva (4), Mgr Joseph Ruzindana, (6), Mgr Vincent Nsengiyumva (7)

Mgr Thaddée Nsengiyumva (4), Mgr Joseph Ruzindana, (6), Mgr Vincent Nsengiyumva (7)

Pour la sixième fois, la diaspora rwandaise vivant en Europe va se réunir ce samedi, au cours d’une messe en mémoire des victimes de Gakurazo, tombées il y a 24 ans, sous les balles du bataillon 157 de l’APR (Armée Patriotique Rwandaise), dirigé à cette époque par le Général Fred Ibingira agissant sous les ordres directs de  l’actuel l’homme fort du Rwanda Paul Kagame.

C’est au soir du  05 juin 1994, que les victimes de cette tuerie, dont plusieurs d’entres elles étaient des ecclésiastiques catholiques furent rassemblés dans le réfectoire exigu du Noviciat des Frères Joséphites dans la paroisse de Gakurazo, et exécutés sommairement. Bilan : 14 morts, dont trois évêques, 9 prêtres, un religieux et un enfant de 8 ans.

Des combattants de l’APR tenaient ce secteur depuis peu de temps, selon des témoins sur place notamment Madame Espérance Mukashema, dont Sheja, le fils ainé de 8 ans, qui se trouvait à ce moment sur les genoux de Monseigneur Gasabwoya fut également tué au cours de cette purge.  Les bourreaux agissaient sous les ordres du Colonel Fred Ibingira (Général aujourd’hui), qui recevaient à son tour les instructions directement de Paul Kagame.

La diaspora rwandaise en Europe à travers les associations de la société civile comme le Centre de Lutte contre l’Impunité et l’Injustice au Rwanda (CLIIR), co-organisateur de cette messe de mémoire réclame depuis plusieurs années que justice soit rendue aux victimes de Gakurazo, tout comme les victimes des autres vagues de violences perpétrées par l’APR durant cette période.

Les 13 ecclésiastiques assassinés ont été enterrés (par leurs bourreaux) dans une fosse commune loin de leurs diocèses après leur mort, sans même un office religieux. L’église catholique rwandaise a entamé les procédures en 1995 pour les enterrer dignement, mais les nouveaux locataires de Kigali auteurs du crime, s’y sont jusqu’à présent opposés.

La tuerie de Gakurazo fait partie d’une série de massacres, crimes de guerre, crimes contre l’humanité et génocide commis par les combattants du FPR au cours de leur conquête du pouvoir entre 1990 et 1994 et qui se sont poursuivis après la prise de ce dernier notamment en RDC.

Espérance Mukashema, rescapée du génocide qui était présente sur place au moment des faits, a expliqué à Jambonews la raison pour laquelle une telle messe était organisée chaque année « il est important que ces Evêques ne tombent jamais dans l’oubli car ils ont fait des actions remarquables pour le Rwanda. En 1994, lorsque nous nous sommes réfugiés chez eux à Kabgayi, ils avaient les moyens de fuir mais ont refusé de laisser les réfugiés et ont choisi de rester à leurs côtés au péril de leurs vies »

A côté des évêques,  Espérance Mukashema dont la famille co-organise l’événement se souvient de son fils en mémoire duquel elle a écrit le livre « They killed an Angel, my first Born son, Richard Sheja »  « Mon fils était un ange, qui aurait du être utile à son pays, quand je pense à ce qui est arrivé, ce à quoi j’ai assisté, je souhaite dire à tous les rwandais qui disent que Paul Kagame est un sauveur que ce n’est pas le cas : il est arrivé en détruisant le pays. »

Elle appelle les rwandais à se joindre nombreux à cette célébration que sa famille co-organise chaque année avec le CLIIR et l’association Ibuka Bose et qui sera suivie d’un moment de partage.

La célébration aura lieu ce samedi 9 juin à 11h à l’Eglise de Verzy, 11 rue Gambetta, 51380 Verzy.

Jean Mitari

Jambonews.net

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Du Rwanda à la RDC : le périlleux parcours d’un enfant réfugié

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A l’occasion de la journée mondiale de réfugiés, célébrée ce mercredi 20 Juin 2018, Jambonews a rencontré Alphonse, un jeune réfugié rwandais vivant à Bruxelles. Alphonse allait avoir 9 ans en 1994 lorsqu’il a quitté le paradis de Kigali pour se retrouver dans l’enfer de Kisangani. Dans cet entretien, Alphonse revient sur le périlleux parcours qu’il a effectué alors qu’il n’était âgé que de neuf ans. Au travers de son récit et de ses souvenirs d’enfant, Alphonse nous permet de comprendre les conditions de vies dans les camps réfugiés rwandais de l’Est de la RDC de la fin des années 90.  

Première fuite : du Rwanda à la RDC

Alphonse vient d’une famille de trois enfants. En 1994, il vivait à Kigali avec sa mère sa sœur et son petit frère,  leur père étant décédé.  Quand  la guerre éclate dans leur quartier de Kigali, sa famille et lui prennent la fuite vers Kibuye chez leur grand-mère maternelle. Le trajet se fit en voiture, sa famille protégea leur innocence de telle sorte qu’ils n’ont pas réalisé ce qui était en train de se passer. « Nous étions dans une voiture et n’étions pas autorisés à regarder par les vitres…afin de ne pas voir les atrocités qui se passaient. Nos parents ont tout mis en œuvre pour que nous n’ayons pas  à constater les atrocités par nos  yeux ». De ce fait Alphonse n’a pas gardé de traumatisme particulier par rapport à la guerre et le génocide perpétré contre les tutsis en 1994.

Avec l’avancée du FPR qui commettait des exactions sur la population civile au fur et à mesure de son avancée, la population se déplaça à l’Est du Zaïre, devenu aujourd’hui République démocratique du Congo.  Alphonse et sa famille commencèrent par s’installer dans un camp des réfugiés à Bukavu. Même si il n’était encore qu’un enfant, Alphonse garde des souvenirs précis de souvient ce camp de fortune, improvisé. Les réfugiés n’étaient pas lotis au même niveau, certains avaient fui sans rien et d’autres équipés. Ce fut le cas de sa famille, ils avaient toujours leur voiture à Bukavu : « nous avions la chance d’être partis avec quelques matériels ».

Le HCR (Haut-Commissariat pour les réfugiés) a fini par orienter les réfugiés dans des camps plus appropriés. Les camps les plus connus à Bukavu étaient : Inera 1 & 2, Kashusha, Adi Kivu, Shabarabe…

Alphonse fût dirigé vers le Camp de Kashusha en compagnie de sa famille.  A son arrivée dans le camp de Kashusha, il y avait déjà des réfugiés et petit à petit l’installation commençait. Le camp était subdivisé en plusieurs parties portant les noms des anciennes préfectures du Rwanda : Kigali, Gitarama, Butare… Les réfugiés étaient pris en charge par le HCR et d’autres organismes :

  • des tentes étaient distribuées ce qui a permis aux réfugiés de construire des huttes ou petites maisonnettes, avec des sanitaires et cuisinettes propres à chaque famille,
  • Des ratios alimentaires étaient distribués,
  • Une partie des réfugiés s’étaient lancée dans des projets locaux (construction, commerce, agriculture …),
  • Une école était construite dans le camp d’Inera avec l’aide du HCR. Alphonse fréquentait cette école tous les jours, il nous en touche quelques mots « L’école était au sein du camp, faite par des réfugiés et pour des réfugies. Les enseignants étaient des réfugiés, c’était organisé avec l’aide du HCR et d’autres organismes. A l’école nous apprenions les langues, les mathématiques, l’histoire, les matières étaient diversifiées comme au Rwanda. A midi, les repas étaient distribués à l’école. La différence avec le Rwanda est que les écoles étaient des tentes, on s‘asseyait parfois par terre, chaque enfant se débrouillait pour avoir un endroit où s’asseoir, certains pouvaient avoir des petites chaises….»

En résumé, partis de rien, en l’espace de quelques mois, les réfugiés avaient trouvé leur rythme et la vie reprenait son cours. Alphonse vivait au jour le jour,  sans réaliser ce qu’il se passait «à cet âge-là,  je ne pouvais pas comprendre ce qui était en train de se passer, je n’avais pas conscience de vivre dans un camp des refugiés, d’avoir quitté le Rwanda et que la vie n’était pas aussi rose ».

Sur l’aspect sécurité, Alphonse nous explique qu’elle était garantie «Il y avait des forces de l’ordre envoyés par le gouvernement du Zaïre, je me souviens qu’il y avait au milieu du camp, un petit camp où résidaient des forces de l’ordre zaïrois ; Nous  les appelions des contingents de sécurité, habillés en orange, ils assuraient la sécurité sur le camp.  Ils étaient armés, circulaient sur le camp pour s’assurer que tout se passe bien. Il y avait aussi un petit cachot dans leur camps, ils pouvaient attrapés les malfaiteurs et les enfermer là-bas ».

Seconde fuite : la première guerre de la République Démocratique du Congo

Quand la guerre arrive à Kashusha vers la fin de l’année 1996, Alphonse nous explique que ce fut brutal et soudain. Un matin, en se rendant à l’école, ils trouvèrent le poste de garde vide, les contingents de sécurité n’étaient plus là, ils virent des cadavres à l’intérieur du poste de garde. Ils ne savaient pas qui les avait tués : «Nous avons quitté l’endroit pour continuer vers le chemin de l’école, tout d’un coup nous avons entendu de coups de feu. C’était très violent, tout le monde est parti en courant, moi, mon petit frère et ma sœur sommes rentrés chez nous retrouver notre famille. Nous nous  sommes organisés pour quitter le camp sur le champ ».

Ils ont vu de la fumée à l’autre bout du camp, et un mouvement de panique s’en est suivi. Tout le monde est parti en courant. Les réfugiés se sont déplacés vers le nord, après une marche de 2 à 3 jours ils sont arrivés à Nyabibwe.

A Nyabibwe habitaient des rwandais installés depuis très longtemps, ces derniers ont aidés les réfugiés à s’installer provisoirement et se reposer dans l’espoir d’une accalmie.

Une dizaine de jours après leur arrivée, dans la nuit, les réfugiés ont encore entendu des coups de feu. Ils ont dû fuir à nouveau et ont emprunté un trajet montagneux.  Ils grimpèrent les montagnes jusqu’à Shangi.

Alphonse se souvient que Shangi fut une terre inhospitalière pour les réfugiés : il y avait beaucoup de pluie et de foudres et beaucoup de personnes moururent foudroyées. Dans le chaos provoqué par la fuite et les mauvaises conditions climatiques, Alphonse a perdu toute trace de sa famille. De lors, il se retrouva à marcher seul au milieu de la foule : «J’avais 11 ans, j’avais l’impression que les choses s’envenimaient, je sentais que cela allait être plus grave que je ne l’avais imaginé, j’ai eu peur.  C’est à Shangi que j’ai  personnellement perdu ma famille, je n’ai pas su où ma famille était partie. Il  y avait beaucoup de pluie, les coups de feu, la foule et j’ai perdu la trace de ma famille. A 11 ans, je me suis retrouvé tout seul, j’ai marché tout seul pendant plusieurs mois. J’ai marché seul de Shangi jusqu’à Kisangani, situé à quelques centaines de km plus loin, plus au nord. Je marchais en suivant la foule sans savoir où j’allais et ce pendant plusieurs mois ».

Pour Alphonse, la survie se fit au jour le jour : pour s’alimenter, il a dû se débrouiller seul, parfois il pouvait compter sur  l’aide des autres réfugiés ou passer une journée sans du tout s’alimenter. La solidarité entre les réfugiés l’a beaucoup marqué, ils se prêtaient de casseroles, certains lui donnaient parfois à manger ou le prenaient parfois en charge.

Sur le trajet, il fallait compter sur sa chance pour ne pas tomber malade, les malades restaient sur le chemin pour mourir et le reste continuait à avancer. Alphonse nous raconte la fois où a lui-même été touché par la maladie : « Je suis tombé malade seulement une fois, je crois que j’avais attrapé la malaria, j’avais froid et la nausée, je ne pouvais pas marcher, mais je n’ai pas pris de médicaments, heureusement Dieu m’a aidé et la malaria est partie toute seule ».

Ce qu’il a sauvé est que sa maladie est arrivée au moment où la marche était plus lente, entre Shangi et Walikale, il a pu donc reprendre le trajet après sa guérison. « Les attaques arrivaient par à-coup et il arrivait que la foule court pendant 2 à 3 jours et après cela se calmait et la foule tranquillisait la marche pour se reposer »

Sur le trajet, Alphonse ne s’est jamais découragé, il pensait beaucoup à sa famille et espérait les retrouver, il n’a jamais pensé à la mort, il ne s’est jamais senti menacé. « Je voulais les retrouver un jour ».

Les conditions de vie étaient précaires, en guise de couverture, Alphonse se servait d’un blouson qu’il avait sur lui. Il nous déclare avoir gardé les mêmes vêtements pendant un an, de Kashusha à son retour au Rwanda !  « J’ai porté les mêmes vêtements pendant une année, un short bleu, une chemise et un jacket, j’ai porté les mêmes  vêtements jusqu’à mon retour au Rwanda ».

Alphonse nous raconte aussi que, les plus vulnérables dans ces conditions furent des enfants. Il a vu beaucoup de cadavres : « il y en a qui mourraient de maladie ou de fatigue, il y en a qui mourraient de pluie (en période de pluie : il pouvait pleuvoir pendant une semaine sans arrêt). Les plus vulnérables furent les enfants de mon âge ou plus jeunes, ils sont nombreux à être morts de fatigue, cela m’a fait énormément de mal. Ce qu’il faut comprendre est que nous ne connaissions pas le chemin, de ce fait nous pouvions tourner en boucle. Par conséquent, j’ai vu et connu beaucoup d’enfants morts. Les ayants laissé sur le chemin fatigué, au détour d’une boucle j’ai vu leurs cadavres dans des caniveaux ».

Sur les autres conditions de fuite, Alphonse nous indique que les réfugiés étaient très nombreux, il se rappelle aussi de différentes étapes : Kashusha, Nyabibwe, Shangi, Walikale, Tingi Tingi, Biaro, Kisangani. A titre d’exemple, ils se sont arrêtés pendant quelques mois à Tingi Tingi. Par chance, il y a croisé sa tante, la petite sœur de sa mère, qui était avec son mari et sa fille. Ils sont restés ensemble.

Les conditions de vie à Tingi Tingi étaient nettement plus dégradées que celles de Kashusha :

« C’était pire, car les conditions n’étaient pas les mêmes, c’était improvisé, les gens abattaient les arbres pour trouver un endroit où s’abriter, pour construire des petites huttes pour ceux qui avaient la chance d’avoir encore des tentes. Nous sommes restés là-bas pendant quelques mois et puis cela a permis au HCR et quelques associations de nous retrouver sur place. Ils  nous ont  apporté de l’aide, nous avons pu avoir accès aux médicaments et de la nourriture. Il y avait une grande route qui avait été tracée pour permettre aux petits avions d’atterrir dessus. Je me souviens de cela, il y avait des petits avions qui apportaient la nourriture et des médicaments, ils atterrissaient sur le tarmac ».

Le départ de Tingi Tingi, fut douloureux, contrairement aux autres fuites, les réfugiés avaient été avertis que le camp allait être attaqué. Une partie des réfugiés prit les devant et partit. Pour Alphonse et sa famille, cela ne fut pas possible : sa tante était malade et ne pouvait pas marcher. Elle était alitée dans le petit dispensaire de Tingi Tingi.

Après avoir tergiversé, jusqu’à la dernière minute son oncle dût se résigner à la laisser seule allongée à l’arrivée des assaillants. Depuis ce jour, ils n’ont plus jamais eu de nouvelles de leur tante. .

Camp de réfugiés de Tingi-Tingi

Les circonstances de chaque fuite étaient toujours les mêmes, des tirs, de la fumée. Alphonse pense que les militaires qui les poursuivaient restaient un petit moment à chaque endroit pour nettoyer : « ils insistaient pour tout détruire, tout bruler, ils brulaient les huttes, ils brulaient les maisonnettes, ils ne nous poursuivaient pas en courant, mais en brulant ».

Il a continué la fuite et a fait une étape au camp de Biaro, tristement célèbre connu pour de nombreuses atrocités qui y ont été commises contre les réfugiés. Il a fini par arriver  Kisangani, où il a croisé un ami de sa famille, qui avait fait le même trajet que lui. Cet ami l’aida et l’amena auprès de Save the Children, un organisme qui vient en aide aux enfants abandonnés. Save the Children prit soin de lui et le rapatria au Rwanda.

Retour au Rwanda et dernière fuite : la lutte pour la mémoire, la reconnaissance et la justice

Arrivé au Rwanda, Alphonse a été pris en charge par les nouvelles autorités et le CICR. Il a pu se souvenir de son identité et celle de sa mère, il put les communiquer au CICR. Il se souvient qu’une partie des enfants avaient oublié ces informations primordiales.  Il fit le tour des orphelinats du Rwanda jusqu’au 10/05/1997, le jour où sa mère vient le chercher dans l’orphelinat de Kibuye. Il se remémore cet instant : « c’était énorme, je me suis senti revivre, je me suis senti comme renaitre, la première chose que j’ai faite c’est de raconter, raconter…c’est la première personne à qui je pouvais raconter ce qui m’était arrivé, c’était comme un film. Je lui ai raconté pendant 2 à 3 jours sans m’arrêter ».

Par la suite, il apprit ce qui était arrivé à sa famille. A Shangi quand sa famille arriva sur le pont, qui permettait de traverser la grande rivière et de continuer la route, les militaires qui les poursuivaient coupèrent le pont et regroupèrent les réfugiés sur place. Les hommes et les garçons d’un certain âge, supérieur à 15 ans firent séparés du reste et furent tués. Le reste composé de femmes, enfants et personnes âgées firent rapatriés au Rwanda.

Un des chemins empruntés par les réfugiés rwandais vers l’intérieur du Zaïre. Ceux-ci sont communément appelés « Inzira ndende » ce qui signifie « la longue route »

Sa famille mit quelques années à récupérer leur maison, à part cela la réinstallation au Rwanda se passa bien en apparence.

Alphonse mit des années à comprendre ce qui lui était arrivé, « le temps de grandir » nous dit-il. Il a compris que les réfugiés étaient majoritairement des hutus, poursuivi par le FPR suite au génocide perpétré contre les tutsis en 1994.

Après avoir lu les ouvrages et rapports, après avoir écouté les différentes radios et analysé par lui-même, il comprit que même si certaines choses s’étaient améliorées au Rwanda, il reste un problème, celui de la non reconnaissance du calvaire vécu par les réfugiés dans l’Est du Congo et de l’interdiction d’évoquer leur histoire.

Durant toute la période ou il était de retour au Rwanda, Alphonse n’a jamais essayé de raconter son histoire, il savait que c’était risqué car deux de ses camarades qui ont essayé, se sont retrouvés accusés de négationnisme, ont été emprisonnés avant de finir par fuir le Rwanda. Alphonse a lui-même perdu deux tantes et leurs enfants, il pense que si l’histoire était correctement racontée, il aurait pu en apprendre plus sur les circonstances de leurs morts.  Il nous raconte aussi que : « ce qui est reconnu au Rwanda, c’est le génocide commis contre les Tutsis en 1994, pour le reste, rien n’est dit, il y a rien, rien ne s’est passé, l’on ne dit rien. Il y a beaucoup de gens, beaucoup des familles qui ont connu ces atrocités et qui sont obligées de vivre avec cela, de taire leur chagrin ».

Alphonse a quitté le Rwanda en 2011 et depuis est à nouveau réfugié en Belgique.

Aujourd’hui, aux enfants réfugiés, il leur dit de ne pas baisser les bras : « Il est très important de garder la mémoire et de chercher à rectifier au maximum, de chercher à trouver justice, ne pas laisser les dictatures comme dans notre pays essayer de manier l’histoire, essayer de maquiller l’histoire à leur gré ».

Alphonse considère la justice comme étant la clef d’une cohabitation pacifique : « ce qui me préoccupe est qu’un jour au Rwanda  tout le monde connaisse la justice, pour que la population rwandaise vive en paix et cohabite tranquillement ».

Aujourd’hui ils seraient 200 000 à 240 000 réfugiés rwandais ayant fui le Rwanda en 1994 et vivant toujours en république Démocratique du Congo, et environ 10 000 réfugiés vivant au Congo Brazzaville. Une grande majorité de ces réfugiés sont des enfants n’ayant jamais connu le Rwanda. La situation de ces réfugiés est préoccupante car depuis la clause de cessation du statut de réfugié rwandais, en application depuis le 31/12/2017, beaucoup de ces réfugiés se retrouvent dans une situation de non-droit et sans aucune protection.

Constance Mutimukeye

Jambonews.net

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Génocide au Rwanda : verdict imminent pour Octavien Ngenzi et Tito Barahira

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Le verdict dans le procès en appel des deux Bourgmestres de la commune de Kabarondo poursuivis pour leur participation présumée dans le génocide des Tutsis du Rwanda en 1994 est attendu pour ce vendredi 6 juillet 2018.  En 2016, en première instance, les deux hommes, qui ont toujours nié leur implication, avaient été condamnés à la prison à vie.

Un croquis d’audience montre Tito Barahira (à gauche) et Octavien Ngenzi devant le tribunal à Paris le 10 mai 2016. © AFP

Le procès en appel qui s’est tenu  aux assises de Paris du 2 mai au 6 juillet 2018, aura ainsi duré 8 semaines au cours desquelles le  parquet a requis la perpétuité et la défense, plaidé l’acquittement.

Jambonews a interviewé Maxime GiLISHYA 27 ans, fils d’Octavien NGENZI qui nous a livré ses impressions sur le procès de son père.  Dans cette interview, il nous présente son père, sa carrière, sa personnalité avant et après le génocide. Il nous parle en quelques phrases du contexte de l’époque à Kabarondo, du chaos qui régnait, de  l’anarchie  et estime que son père, bien que Bourgmestre était impuissant face à la situation.

Il nous livre son aperçu sur le procès qui vient de se dérouler et s’interroge sur l’équité de ce procès, notamment les moyens dont disposent l’accusation comparés à ceux de la défense. Il affirme sa confiance en la justice même s’il s’interroge sur la motivation de certaines parties civiles et notamment leur indépendance vis-à-vis du pouvoir en place à Kigali et exprime la difficulté de la justice française à pourvoir comprendre le contexte de l’époque et les nuances de la langue /culture rwandaise par rapport à celles françaises.

Le collectif des parties civiles, également sollicité pour répondre à nos questions concernant le procès n’a pas, à l’heure d’écrire ces lignes, encore répondu à notre demande.

Jambonews: Bonjour Maxime et merci d’accorder une interview à Jambonews. Pourriez-vous brièvement vous présenter ?

Maxime Gilishya: Bonjour, je m’appelle GILISHYA Maxime. J’ai 27 ans. Je suis le fils de NGENZI Octavien, qui est en procès actuellement au TGI de paris.

Parlez de nous de votre père en quelques mots, quel est son parcours professionnel ?

Mon père Octavien NGENZI est un homme aujourd’hui âgé de 60 ans. Il est agronome forestier de carrière. Diplômé en 1977 dans les sciences agricoles au Rwanda, il a travaillé comme agronome pour la commune Kabarondo jusque dans les années 1980. En 1983 il finit son école supérieure en foresterie au Kenya. Il va par la suite de 1984 à 1986 travailler dans un grand projet intégré nommé DRB (Développement Rural intégré de Byumba). Il y travaillera en tant que forestier dans le volet sylviculture plus exactement.

Il est nommé, Bourgmestre de Kabarondo courant 1986.

Quant à sa personnalité, notre père est un père très aimant. Malgré les séparations occasionnées par la guerre et le génocide,il a toujours fait en sorte que notre vie de famille soit la plus équilibrée. Les instants partagés sont pour chacun de nous ses enfants indélébiles dans nos têtes. C’est une personne très inspirante et d’une générosité sans limite. Partout où on est passé, plusieurs personnes en témoignent.

Tout ce qu’il a fait dans sa vie, pour nous sa famille, pour sa communauté et plus spécifiquement pour ses administrés. Ces derniers parlent d’ailleurs de mon père comme quelqu’un de bien.

Comment vous et votre famille avez-vous vécu cette période d’avril 1994 ?

Liliane et Justine, les filles de Octavien Ngenzi face aux médias

Je peux vous relater comment ma famille l’a vécu, j’étais très jeune. Ils ont vécu ces événements comme la majorité des Rwandais qui vivaient dans le pays à l’époque. Nous avons été confrontés à des événements imprévisibles ! Nulle personne n’aurait imaginé le chaos qui allait endeuiller tout le pays. Pour la population tout le monde était confrontée à l’incroyable événement de la mort du Président de la République, au moment où tous les Rwandais attendaient la mise en place des accords d’Arusha. Suite à l’assassinat du président le génocide a commencé partout dans notre cher pays. Le FPR avançait et tuait sur son passage. Le pays était devenu ingouvernable, en effet le gouvernement lui-même était directement menacé. Dans ce contexte-là, personne n’était en sécurité. L’église qui était une des institutions les plus respectées où se rendaient les Tutsis pour se protéger, les tueurs incontrôlables s’y sont rendus pour commettre le génocide. En ce qui concerne la commune de Kabarondo, l’église aurait été attaquée par un groupe de militaires qu’un civil qu’était NGENZI ne pouvait arrêter. Ils auraient été aidés par d’autres extrémistes qui se sont joints à leur macabre cause. Tous ces tueurs menaçaient NGENZI en le traitant d’INKOTANYI car ils ont dû se déplacer pour venir tuer eux-mêmes mais aussi parce qu’il cachait des Tutsis. Après l’attaque de notre commune, nous avons fui dans l’urgence car l’armée du FPR avançait très rapidement. Notre région a été la première à être prise, dès le 16 avril 1994.

Sur le plan familial, on est resté à la maison du 7 au 13 avril étant donné le couvre-feu et les tueries à l’extérieur. Le 14 avril, étant menacé directement, mon père a pris la décision de nous évacuer vers la Tanzanie en passant par Kigarama. L’ensemble de la population de Kabarondo et Kibungo n’a pas tardé à fuir également, voyant l’avancé des réfugiés venant de BYUMBA.  Il était important que l’on fuie étant donné que mon père s’était créé une réputation du Bourgmestre qui protégeait la population et notamment les Tutsis. Cette menace s’est confirmée encore plus lorsque la radio Muhabura a dit sur ses ondes que “Si tous les bourgmestres étaient comme celui de Kabarondo, il n’y aurait pas de morts Tutsi”. Les extrémistes n’allaient pas tarder à nous atteindre. Mon père a pu définitivement quitter Kabarondo le 16 avril au matin. On arrivera par la suite dans le camp de Benako en Tanzanie, le 28 avril. Entre le 16 avril et le 28, mon père a échappé à deux tentatives d’assassinats pendant la traversée de la frontière, vers Rusumo notamment. Il en ressortira avec des blessures.

Octavien Ngenzi

De quoi est accusé votre père ?

Mon père est accusé de crimes contre l’humanité et de génocide.

Quelles étaient vos attentes pour le procès en appel ?

Pour ce procès en appel, nous avions plusieurs attentes :

Premièrement, le droit à un procès équitable. Nous attendons que notre père puisse l’avoir. Ce qui n’a pas été le cas en premier instance il y a deux ans. Je peux déjà vous confier que c’est mal parti puisque les conclusions de nullité déposées par nos avocats ont été rejetées par la cour. Les conclusions de transport sur les lieux n’ont pas été confirmées non plus.

Celamontre comment il est difficile, voire impossible que ce procès puisse être équitable alors que financièrement on ne peut pas faire face à une accusation dont les moyens financiers et humains sont considérables. La défense a droit à 5 témoins à citer par le procureur alors que le procureur lui peut en citer plus de 60 qui vont venir témoigner à charge aux frais du contribuable français. On nous dit que si on veut plus de témoins, il faut les faire venir nous-même et à nos frais.

L’extrême difficulté que nous la défense avons, est de trouver des témoins à décharge étant donné que ces derniers sont menacés, directement ou indirectement.

L’absence de déplacement sur les lieux est une réelle entrave au droit de la défense. L’accusation contrairement à la défense a eu le droit à un transport sur les lieux à Kabarondo. Ceci a été refusé pour nous malgré plusieurs demandes faites par nos conseils.

Nous demandions par ailleurs à ce que NGENZI soit au centre des débats et soit acteur de son procès.

On a constaté en premier instance que NGENZI n’a eu la parole qu’une dizaine de fois. Sur un procès aussi lourd et qui dure deux mois. Ce qui est, c’est le cas de le dire ridicule. Et l’on ne lui permet pas de se confronter aux 70 témoins à décharge qui viennent tous répéter la même chose. Nous constatons que malgré les efforts faits en début du procès, cela recommence.

Les créneaux de base qui étaient prévu sur le calendrier n’ont pas été respectés alors qu’il n’y en avait pas beaucoup déjà.

On fait passer de dizaines de témoins et c’est après qu’on lui donne la parole sous forme de questions donc il ne peut pas revenir librement sur les faux récits des témoins.

Pour couronner le tout, on fait venir des nouveaux témoins, qui viennent avec de nouvelles accusations contradictoires qu’on n’avait jamais entendus et l’on leur dit à la fin de leur audition de dire un mot à NGENZI. Pour nous jusqu’à preuve du contraire il est présumé innocent, mais cette parole donnée aux parties civiles comme pour s’adresser à leur supposé bourreau, qui serait déjà reconnu coupable laisse planer le doute sur la présomption d’innocence. On dirait que le procès est une simple formalité.

Enfin, les témoins semblent briefés, pour également attaquer notre père sur sa famille. Par exemple ils lui disent, d’avouer la vérité sur ce qu’il a fait à ses enfants,pour que ces derniers aiment de nouveau le Rwanda et les Rwandais. Mais on ne lui laisse évidemment pas leur répondre pour dire que ses enfants connaissent son innocence à travers les rwandais qui ont connu leur père pendant cette période et en dehors, qui savent qu’il est accusé en raison de son ancienne fonction de bourgmestre et non pas parce qu’il est coupable. De plus notre père leur dirait qu’il ne nous a jamais transmis la haine du RWANDA ni des rwandais au contraire, malgré ce qu’il subit il nous apprend l’unité et l’amour de notre pays. En revanche, ses enfants comme tous les rwandais qui veulent ouvrir les yeux, il ne leur échappe pas que la politique du Rwanda va très mal. (L’instrumentalisation du génocide, l’emprisonnement et les disparitions d’ opposants, l’absence totale de la liberté d’expression et bien d’autres anomalies…). Les parties civiles ne comprennent pas que nous soutenions notre père à 100%. Ils essayent de nous déstabiliser par tous les moyens, des remarques par ci, des insultes par là. Et même notre père subit des menaces mais nous et notre comité de soutien restons forts et concentrés. Leurs calomnies sont tellement fragiles qu’ils essaient de nous attaquer par d’autres moyens. Mais heureusement nous savons comment le Rwanda travaille. Ils passent par tous les canaux pour vous atteindre.

Selon les témoins, votre père donnait les signaux des massacres. Quels sont les éléments qui vous permettent de croire en l’innocence de votre père ?

C’est faux, les témoins l’affirment pour plusieurs raisons :

La première, c’est qu’ils se basent sur le statut de mon père à l’époque (Bourgmestre).

En justifiant qu’il pouvait arrêter les massacres par son autorité.

La deuxième, c’est le fait que certains témoins ont une raison de venir charger mon père :

La peur d’être pris comme négationnistes en refusant de coopérer avec les associations de délateurs (formation de faux témoins) et de se voir arrêtés et jugés comme des génocidaires.

Il y a une catégorie de témoins qui sont déjà condamnés et qui en contre partie d’une remise de peine, viennent charger. Lors de leur procès, en l’absence de NGENZI ils ont dit que c’est lui qui leur avait demandé pour se décharger. Aujourd’hui quand ils viennent au procès, devant NGENZI lorsqu’on leur demande si ce dernier leur a donné cet ordre, ils répondent « s’il nous l’avait empêché on ne l’aurait pas fait ». Sauf que NGENZI ne pouvait pas être présent partout où les massacres se sont produits.

Il y a une catégorie de témoins composée de victimes qui cherchent un coupable à tout prix. Ils témoignent que pour la vengeance. Même si beaucoup de tueurs ont reconnu les faits, ils continuent et ils cherchent le plus de coupables pour toucher les dommages et intérêts.

Une catégorie de prisonniers ayant bénéficié d’une mise en liberté totale ou de la  promesse de mise en liberté.

Pourtant plusieurs témoins ont relaté le rôle de votre père dans les tueries. Pourquoi est-ce qu’il ne faudrait pas croire ces témoins ?

Le système basé sur l’absence d’indépendance du peuple Rwandais en général et des témoins choisis par le FPR qui a un parti pris. La preuve c’est qu’ils ont même pris en témoins les personnes proches du pouvoir et les ont poussé à venir témoigner à charge à partir d’une bonne action posée par mon père en y ajoutant des non vérités dictées.

Par exemple si notre père était passé dans un foyer pour leur dire de se cacher car ils risquaient d’être attaqués, on fait venir cette famille pour dire que c’est NGENZI qui est venu vérifier qui est là pour l’indiquer aux tueurs. Sauf que ces familles sont encore en vie grâce aux conseils donnés par notre père.

Un exemple précis c’est un homme que notre père a toujours considéré comme son parrain. Le  14 Avril 1994 lorsque NGENZI entend que les voyous de KABARONDO vont aller attaquer certaines familles dont celle-ci, il se déplace et va dans cette famille juste avant l’arrivée de ces voyous tueurs pour les dissuader de leur faire du mal. Les voyous, voyant la bonne relation que NGENZI a avec cette familleont rebroussé chemin et sont partis. Cet homme, ami de notre père a été cité aux enquêteurs pour qu’il puisse témoigner à décharge pour lui. Il a dans un premier temps expliqué à NGENZI, qu’il n’osera pas venir témoigner car il sortait lui-même de prison alors qu’il avait été emprisonné à tort. Ensuite lorsqu’il avait été interrogé sur la présence de NGENZI presque en même temps que les voyous, il avait expliqué aux enquêteurs que NGENZI était venu pour les sauver. Puis dans une autre audition, parce qu’on a dû lui demander, il a expliqué que NGENZI été venu avec les tueurs, qu’il était armé, sa femme raconte que NGENZI venait chercher leur fille pour la faire tuer, son mari raconte que les tueurs lui ont soutiré de l’argent, et leur fille qui témoigne également à charge raconte comment NGENZI a pointé un pistolet sur la tête de sa sœur. Une histoire croyable pour certains, invraisemblable pour ceux qui connaissent cette théorie du mensonge. Le seul problème est de faire comprendre aux jurés français qu’une famille est capable de mentir à ce point sur un proche pour sauver sa peau.

Certains témoins de la défense n’ont plus été retrouvés. D’autres, comme Reyntjens, aurait exprimé leur souhait de ne plus témoigner, car il craindrait pour leur sécurité. D’où viendrait cette pression ?

La même chose, le FPR avec ses organes de DMI partout font peur jusqu’ à déstabiliser même les experts médiatiques, historiques  et tous ceux qui peuvent dire la vérité sur notre pays, jusqu’à l’étranger.  Plusieurs personnes qui sont ici en France ou ailleurs avaient voulu témoigner mais ils ont reçu des menaces. Même sans aller loin, notre père lui-même a reçu des menaces de mort.

Pensez-vous que cela impactera les droits de défense et le droit à un procès équitable de votre père ?

OUI, certainement puisque la défense est imputée de ses témoins qui auraient apporté à la cour leur expertise. Nous avons perdu par exemple des témoins des faits qui auraient décrédibilisé certaines accusations. Notamment sur ce qu’il s’est passé à l’église, sur la distribution de pièces d’identité avec la mention hutu qui a permis à plusieurs tutsi de passer aux barrières, sur l’emploi du temps de NGENZI…

Octavien Ngenzi

L’on reproche également à votre père qu’il n’aurait rien fait pour arrêter les tueries. Il y a notamment l’histoire des chèvres qui a été évoquée et selon laquelle votre père aurait demandé à des agresseurs comment il se fait qu’ils mangeaient du bétail alors que leurs propriétaires étaient vivants. Qu’en pensez-vous ? Pensez-vous que votre père, en tant que bourgmestre, aurait pu éviter les massacres qui ont eu lieu le 13 avril ?

Cette citation est un mensonge. D’abord les témoins eux même disent que les chèvres auraient été rendues à leur propriétaire. Deuxièmement ladite citation aurait été prononcée en 1959 durant la guerre qui a précédé l’indépendance. C’est l’abbé INCHIMATATA lui-même, principal accusateur qui a donné cette information. On la met dans la bouche de NGENZI pour l’accabler.

Il y a même une citation du film “tuez-les tous” qui aurait été entendu par un témoin et qui encore se trouve dans ce dossier !!!

Ngenzi, en tant que Bourgmestre,  a utilisé tous les moyens à sa disposition pour essayer de sauver les tutsi. Il a passé toutes ses journées à sillonner la commune pour calmer les esprits. Il a amené les blessés à l’hôpital, il a fourni une protection policière aux réfugiés, il a aidé les réfugiés de l’église, il a caché les tutsi, il a donné des pièces d’identité…

Malheureusement il n’a pas eu assez de moyens pour contrecarrer une équipe de l’armée Rwandaise qui est venue elle-même tuer la population. En tant que civil il n’aurait pas pu s’interposer. Et d’ailleurs partout où on a tué, personne n’a pu sauver les tutsi contre des « chiens enragés » comme il les appelle. Car les Interahamwe mais aussi des soldats démobilisés s’étaient joint aux militaires pour tuer. Aujourd’hui, on l’accuse comme si c’était un super héros qui avaient des pouvoirs qu’il n’a pas utilisé. Mais personne ne se met à sa place pour dire ce qu’il aurait dû faire dans cette situation chaotique où le pouvoir était dans la rue. Ceux qui sont censés protéger la population sont ceux qui sont venus les tuer.

Si vous pensez que votre père est innocent, pourquoi dès lors est il  accusé par le Collectif des Partie Civile pour le Rwanda (organisation menée par le couple Gauthier) ?

Alain et Dafroza Gauthier à la cour d’assises de Paris, Mai 2016 © Francois Mori/AP/SIPA

Il a été clairement montré pendant ce procès en appel que le couple GAUTHIER (leur association le CPCR) attaque les Rwandais qui sont recherchés par le gouvernement Rwandais. Dans la plupart des affaires (25 au total), ils déposent plainte après que le Rwanda ait émis un mandat d’arrêt international pour faire extrader ces derniers et que ce mandat se solde par un échec. Le couple GAUTHIER et leur association sont ce qu’on pourrait appeler « le bras armé du Rwanda en France ».

Notre père a donné tous les arguments possibles montrant son innocence. Le CPCR et les autres parties civiles n’ont aucun élément contre mon père si ce n’est un flou (il aurait été à tel endroit, il aurait dit ceci et cela…) et de nombreux témoins fabriqués venant charger mon père. A titre d’exemple, un de ces témoins s’est échappé de l’hôtel où ils les logent pendant leur séjour en France. Il a plus tard envoyé un message à la cour expliquant qu’il ne connaissait pas NGENZI, qu’il a été obligé de venir le charger alors qu’il ne le connaît pas. Une situation qui l’a profondément peiné. Il a donc décidé de fuir et dit aujourd’hui avoir peur pour sa sécurité, de la sécurité de sa famille et il a peur de se faire rapatrier au Rwanda.

Qui dès lors est responsable selon vous des massacres perpétrés contre les Tutsi dans cette région du pays ?

A mes frères et sœurs et compatriotes Tutsi, qu’ils sachent que je partage leur douleur et que je partage aussi leur sang. Je pense très sincèrement que dès lors qu’on a réussi à survivre au génocide et à la guerre qu’il y a eu. On est un rescapé. Tout Rwandais ayant survécu à cette époque en est un. Cela ne veut pas dire que je nie le génocide des Tutsi loin de là. Des personnes de ma famille n’ont pas réussi à passer les barrières, ils y ont trouvé la mort car en effet c’est le cas de le dire, ils avaient un facies de Tutsi, doncTutsi.

Dans notre région les tueries contre les Tutsi sont arrivées tardivement (à partir du 13 avril) par rapport à ce qui se passait ailleurs dans le pays. La particularité de notre région est un fort taux de mélange Hutu et Tutsi. Ces tueries sont venues d’ailleurs avant que des extrémistes de notre commune s’y mettent.

Pour répondre plus précisément à la question je dirais que les responsabilités sont partagées. Le gouvernement de Habyarimana a été négligent et n’a pas su prévenir le génocide. Le FPR y est aussi pour beaucoup étant donné qu’ils déclenchent exprès le génocide en commettant l’attentat contre l’avion de Habyarimana. Prenant pour référence le témoignage de Jean marie-Vianney NDAGIJIMANA dans son livre « Paul KAGAME a sacrifié les Tutsi ». En effet le FPR était là pour récupérer le pouvoir, arrêter les tueries visant les tutsi n’était pas leur mission.

Enfin pour terminer, croyez-vous encore qu’une justice impartiale sera rendue ? Et quel est votre message aux instances judiciaires françaises ?

Je ne remets pas en cause ni l’appareil judiciaire française ni son indépendance judiciaire. Simplement je regrette que la défense et les jurés n’ont pas eu la chance de se rendre sur les lieux des crimes pour voir et comprendre la géographie des lieux. Surtout la défense d’apprécier en plus l’état d’âme des témoins à charge et à décharge, le contexte général dans lequel se déroulait  l’instruction au premier procès. Voilà que la situation n’a pas changé en appel.

Je ne doute pas que la justice française soit impartiale, tout simplement j’ai peur que sa chance soit déjà amoindrie par tout ce que je viens de citer qui pèsent sur la balance. La France se dit indépendante mais c’est difficile de l’être totalement car leur jugement dépend tout de même des témoignages fournis en grande partie par des témoins professionnels ou entrainés par le Rwanda et les associations parties civiles. A partir de là, le travail devient plus compliqué car non seulement la cour doit s’occuper de la compréhension des faits mais aussi de déterminer le vrai du faux de ce que disent les témoins. C’est très compliqué car les mensonges sont faits à partir des bonnes actions qu’il a fait, ils ajoutent des mensonges. Nous comptons sur le professionnalisme de la cour remédiera à cet équilibre fragrant.

Norman Ishimwe

Jambonews

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